Fidus
Fidus : c’est ainsi que se voyait la jeunesse
Fidus, de son vrai nom Hugo Höppener (1868-1948), est un peintre et illustrateur völkisch allemand. Inspiré par l'Art déco, le Jugendstil et les anciennes traditions germaniques, il célèbre le corps et la vie naturelle (Freikörperkultur) et devient une référence iconographique au sein du mouvement Lebensreform (Réforme de la vie) prônant un mode de vie alternatif en réaction à l'industrialisation.
« Ce qui s’avère nécessaire pour nous, maintenant, ce n’est pas encore davantage d’artificialité ou de luxe technique, mais de nous habituer à éprouver à nouveau de la joie face à notre authenticité spirituelle et à la naturalité de nos corps ; oui, vraiment, nous avons besoin d’apprendre à tolérer la beauté naturelle, du moins dans le domaine de l’art », écrivait Fidus dans le volume édité par Eugen Diederichs pour donner suite de la fameuse rencontre organisée par le Mouvement de Jeunesse [Jugendbewebung] allemand sur le sommet du Hoher Meissner en 1913.
[Ci-dessus : Karl Wilhelm Diefenbach et Hugo Höppener à Höllriegelskreuth, 1887. Ci-dessous : Lichtgebet (Invocation à la Lumière), 1894. Cette figure est devenu le symbole de la culture du corps. Une image quasi religieuse que l'on retrouvait dans de nombreux lieux et qui symbolisait les efforts du mouvement Lebensreform]
Le motif qui l’avait incité à écrire ces lignes fut l’exposition d’un dessin qu’il avait réalisé à l’occasion de cette réunion des jeunes du Wandervogel, un dessin qui s’intitulait « Hohe Wacht » et qui représentait de jeunes hommes nus portant l’épée et aux pieds desquels se trouvaient couchées des jeunes filles, également nues. L’image avait causé un scandale. Plus tard, un dessin de Fidus deviendra l’image culte et le symbole du Mouvement de Jeunesse ; il était intitulé « Lichtgebet » (Prière à la Lumière). Sur un rocher isolé, un jeune homme nu étendait les bras et le torse vers le soleil, le visage empreint de nostalgie.
Fidus, un artiste célèbre de l’Art Nouveau (Jugendstil) et l’interprète graphique de la « Réforme de la Vie » (Lebensreform) et du néopaganisme, était né sous le nom de Hugo Höppener à Lübeck en 1868, dans le foyer d’un pâtissier. Ses parents l’envoyèrent à l’Académie des Beaux-Arts de Munich, où, très rapidement, il se lia d’amitié avec un peintre excentrique, apôtre d’une nouvelle adhésion à la nature, Karl-Wilhelm Diefenbach [1851-1913]. Celui-ci, accompagné de quelques-uns de ses élèves, se retirait régulièrement dans une ancienne carrière abandonnée sur une rive de l’Isar pour y vivre selon les principes du mouvement « Réforme de la Vie ». Diefenbach pratiquait le naturisme, ce qui alerta les autorités bavaroises qui, très vite, firent condamner le fauteur de scandale à la prison. Höppener accepta de suivre son maître en prison, ce qui induisit Diefenbach à le surnommer “Fidus”, le Fidèle.
[Ci-contre : Vegetarisches Speisehaus, Fidus, 1900]
Plus tard, revenu à Berlin, il prendra pour nom d’artiste le surnom que lui avait attribué son maître. Dans la capitale prussienne, il fut d’abord l’illustrateur d’une revue théosophique, Sphinx, ce qui lui permit d’accéder assez vite à la bohème artistique et littéraire berlinoise. Dès ce moment, on le sollicita constamment pour illustrer des livres et des revues ; il travailla aussi pour la revue satirique Simplizissimus puis pour la revue munichoise Jugend, créée en 1896. Cette revue doit son nom au Jugendstil, au départ terme injurieux pour désigner les nouvelles tendances en art. Contrairement au naturalisme, alors en vogue, le Jugendstil voulait inaugurer un style inspiré d’un monde posé comme harmonieux et empreint de spiritualité, que l’on retrouve dans l’univers onirique, dans les contes, dans les souvenirs d’enfance ; et inspiré aussi d’une nostalgie de la plénitude. Une ornementation végétale devait symboliser le refus du matérialisme banal de la société industrielle. Suite à une cure végétarienne de blé égrugé, qui le débarrassa d’une tumeur qui le faisait souffrir depuis son enfance, Fidus/Höppener devint un végétarien convaincu, ouvert, de surcroît, à toutes les médecines “alternatives”.
Il cherchait une synthèse entre l’art et la religion et se sentait comme le précurseur d’une nouvelle culture religieuse de la beauté qui entendait retrouver le sublime et le mystérieux. Cela fit de lui un visionnaire qui s’exprima en ébauchant des statues pour autels et des plans pour des halls festifs monumentaux (qui ne furent jamais construits). À ses côtés, dans cette quête, on trouve les frères Hart, Bruno Wille et Wilhelm Bölsche du cercle de Friedrichshagen, avec lesquels il fonda le Bund Giordano Bruno, une communauté spirituelle et religieuse. En 1907, Fidus se fit construire une maison avec atelier dans le quartier des artistes “réformateurs” de Schönblick à Woltersdorf près de Berlin. Plus tard, une bâtisse supplémentaire s’ajouta à cet atelier, pour y abriter sa famille ; elle comptait également plusieurs chambres d’amis. Bien vite, cette maison devint le centre d’un renouveau religieux et un lieu de pèlerinage pour Wandervögel, Réformateurs de la Vie, Adorateurs de la Lumière et bouddhistes, qui voyaient en Fidus leur gourou. Le maître créa alors le Bund de Saint Georges, nommé d’après le fils d’un pasteur de Magdebourg qui, après une cure de jeûne, était décédé à Woltersdorf. Fidus flanqua ce Bund d’une maison d’édition du même nom pour éditer et diffuser ses dessins, tableaux, impressions diverses et cartes postales. Dans le commerce des arts établis, le Jugendstil fut éclipsé par l’expressionisme et le dadaïsme après la Première Guerre mondiale.
Les revenus générés par cette activité éditoriale demeurèrent assez sporadiques, ce qui obligea les habitants de la Maison Fidus, auxquels s’était jointe la femme écrivain du mouvement de jeunesse, Gertrud Prellwitz, à adopter un mode de vie très spartiate. L’avènement du national-socialisme ne changea pas grand chose à leur situation. Fidus avait certes placé quelque espoir en Adolf Hitler parce que celui-ci était végétarien et abstinent, voulait que les Allemands se penchent à nouveau sur leurs racines éparses, mais cet espoir se mua en amère déception. La politique culturelle nationale-socialiste refusa de reconnaître la pertinence des visions des ermites de Woltersdorf et stigmatisa « les héros solaires éthérés » de Fidus comme une expression de l’ « art dégénéré ». Dans le catalogue de l’exposition sur l’« art dégénéré » de 1937, on pouvait lire ces lignes :
« Tout ce qui apparaît, d’une façon ou d’une autre, comme pathologique, est à éliminer. Une figure de valeur, pleine de santé, même si, racialement, elle n’est pas purement germanique, sert bien mieux notre but que les purs Germains à moitié affamés, hystériques et occultistes de Maître Fidus ou d’autres originaux folcistes ».
L’artiste ne recevait plus beaucoup de commandes. Beaucoup de revues du mouvement Lebensreform ou du mouvement de jeunesse, pour lesquelles il avait travaillé, cessèrent de paraître. Sa deuxième femme, Elsbeth, fille de l’écrivain Moritz von Egidy, qu’il avait épousée en 1922, entretenait la famille en louant des chambres d’hôte (« site calme à proximité de la forêt, jardin ensoleillé avec fauteuils et bain d’air, Blüthner-Flügel disponibles »). L’« original folciste » a dû attendre sa 75ème année, en 1943, pour obtenir le titre de professeur honoris causa et pour recevoir une pension chiche, accordée parce qu’on avait finalement eu pitié de lui.
Pour les occupants russes, qui eurent à son égard un comportement respectueux, Fidus a peint des projets d’affiche pour la célébration de leur victoire, pour obtenir « du pain et des patates », comme il l’écrit dans ses mémoires en 1947. Le 23 février 1948, Fidus meurt dans sa maison. Ses héritiers ont respecté la teneur de son testament : conserver la maison intacte, « comme un lieu d’édification, source de force ». Jusqu’au décès de sa veuve en 1976, on y a organisé conférences et concerts. La belle-fille de Fidus a continué à entretenir vaille que vaille la maison, en piteux état, jusqu’à sa propre mort en 1988. La RDA avait classé le bâtiment. Les œuvres d’art qui s’y trouvaient avaient souffert de l’humidité et du froid : en 1991, la Berlinische Galerie a accepté de les abriter. La maison de Fidus est aujourd’hui vide et bien branlante, une végétation abondante de ronces et de lierres l’enserre, d’où émerge sa façade en pointe, du type “maison de sorcière”. Il n’y a plus qu’un sentier étroit qui mène à une porte verrouillée.
► Michael Morgenstern, Junge Freiheit n°5/1995. (« Serie : Persönlichkeiten der Jugendbewegung / Folge 2 : Fidus » - « Série : Personnalités du Mouvement de Jeunesse / 2ème partie : Fidus »)
♦ voir aussi :
[Ci-dessous : Sonnenwanderer, Fidus, 1908, dessin ornant la couverture de Children of the Sun, A pictorial anthology from Germany to California, 1883-1949, Gordon Kennedy, Nivaria Press, 1998. Contient 170 illustrations dont 24 en couleur]
Au début du XXe siècle en Europe, quelques rares esprits éveillés prirent conscience des conséquences irréversibles de la révolution industrielle et de l’avènement du capitalisme sur la nature et notre qualité de vie. Se formèrent alors des mouvements dits de “réforme de la vie”, tentant de proposer une alternative à l’arraisonnage de la terre et au massacre animalier. Ils atteignirent leur apogée en Allemagne dans les années 20-30, notamment avec les Wandervogel. Parmi ces nombreux idéalistes visionnaires unissant écologie et spiritualité figurait un artiste : Fidus. Celui-ci fut redécouvert par quelques groupes néo-folk qui utilisèrent certaines de ses toiles pour illustrer des pochettes de disques et enfin reconnu lors de la récente exposition consacrée au symbolisme germanique à Francfort. Puisse cet article contribuer, dans sa modeste mesure, à mieux faire connaître cet artiste en lutte contre son époque.
Fidus, de son vrai nom Hugo Höppener, est né le 8 octobre 1868 à Lubeck dans le Schleswig-Holstein. Enfant il fut souvent malade et c’est alité qu’il commença à dessiner. Son talent vite décelé, il passa avec succès en 1887 le concours d’entrée aux Beaux-Arts de Munich.
Mais quelques mois plus tard il fit la connaissance de Karl Wilhelm Diefenbach (1851-1913), peintre qui allait beaucoup l’infIuencer. Diefenbach, adorateur du soleil, vivait en communauté dans une ancienne carrière désaffectée au Sud de Munich. Il donna pour nom Fidus à son nouveau disciple qui choisit d’abandonner ses études pour suivre l’exemple de son maître spirituel. Il se laissa alors pousser les cheveux, devint végétarien et ne peignit plus que nu ou en vêtements de laine. Pour Diefenbach le naturisme était avant tout une expérience religieuse, et s’il était d’accord avec les tendances ouvertement darwiniennes du mouvement, il prêchait une philosophie d’auto-réalisation mystique et de respect panthéiste de la nature. Les autorités bavaroises ne virent pas cela du même œil et troublèrent la communauté. Fidus retourna à l’académie des Beaux-Arts en 1889 et organisa à Munich sa première exposition. Après 2 ans passés à acquérir de solides connaissances académiques il déménagea à Berlin en 1892. C’est cette année là qu’il dessina les plans de son premier temple, premier d’une longue série. Il travaillait alors comme illustrateur pour la revue ésotérique fortement inspirée par la société théosophique d’Hélèna Blavatsky Die Sphinx.
Il rencontra en 1893 lors de sa première exposition à Hambourg Annalie Reich, le coup de foudre fut réciproque ; elle avait longtemps vécu en Suède et avait conservé un attrait profond pour les paysages nordiques. Les années suivantes, le couple visita alors plusieurs fois la Norvège. Ces journées passées en Nordland influencèrent considérablement l’art de Fidus. Au symbolisme théosophique déjà présent s’ajoutèrent runes et mythologie du Nord, la théosophie et l’ario-sophie s’unissant dans la roue solaire tournoyante.
La lumière et le soleil prirent ainsi une place prépondérante dans son œuvre, ce qui explique cette série de toiles consacrée à l’ange de lumière : Lucifer, l’archange St Michel et St Georges, qu’ils combattent le dragon ou soient en quête. À travers les figures religieuses et mythologiques que Fidus représente, c’est toujours le même idéal héroïque, solaire, traditionnel et panthéiste qui est symbolisé.
[Ci-dessous : Wandervogels Abschied, Fidus, 1900]
Lors d’une grande rétrospective consacrée à son œuvre en 1898 à Berlin il fit la connaissance d’Elsa Knorr qu’il suivit et épousa en Bavière 2 ans plus tard. Ils allèrent ensuite habiter à Friedrichhagen, aux abords de Berlin, bastion de la contre-culture allemande de la fin du XIXe siècle. Dans ce microcosme vivaient de nombreux acteurs des mouvements de réforme de la vie (mouvements de la jeunesse, mouvements pour la beauté, associations naturistes, groupes de gymnastique rythmique...), ayant laissé loin derrière eux le matérialisme-roi.
Fidus pensa un instant pouvoir concrétiser ses nombreux projets de temples grâce à un mécène, Josua Klein. Ayant rejoint ce dernier sur ses terres en Suisse à Amden, village situé à 1.500 m. d’altitude, Fidus dut se rendre à l’évidence : malgré un cadre superbe, ses temples, faute de moyens et de compétences, ne pourraient jamais être édifiés. Il retourna en Allemagne en 1906 acheta un bout de terrain à Woltersdorf près de Berlin et fit construire la Fidushaus. Cette maison ornée de runes Hagalaz fut visitée par beaucoup de curieux et admirateurs des images de lumières de Fidus. Ce fût aussi pour certains d’entre eux un gîte où venir se ressourcer.
[Ci-dessous : couverture de Fidus, 1868-1948 : Zur asthetischen Praxis burgerlicher Fluchtbewegungen, Rogner & Bernhard, Munich, 1972]
En 1914, au début de la guerre, il écrivit un essai Aux Artistes Allemands saluant dans les Orages d’Acier un moyen douloureux de parvenir à une nécessaire renaissance. Ses peintures se firent plus guerrières, mettant en avant un germanisme dur et âpre et connurent un franc succès sous la forme de portfolios et cartes postales. Pour cette raison sa carrière connut un certain flottement dans l’Allemagne d’après-guerre, le nihilisme décadent et cosmopolite de la république de Weimar contrastaient pour le moins avec l’idéalisme sans borne des mouvements de jeunesse. Fidus se lança dans les années 20 dans l’aventure des mouvements völkisch et armanistes, mouvements qui permirent à l’esprit “aryen” de renaître mais qui furent persécutés par les nazis dès 1933 pour franc-maçonnerie. Les œuvres de Fidus furent jugées obscènes par la Chancellerie du Reich tout en étant appréciées par un ministre comme Walter Darré. Loin de faire l’unanimité Fidus sortit de la guerre appauvri.
Sa situation se dégrada après la défaite, à tel point qu’il dut échanger ses peintures contre de la nourriture et peindre de la propagande stalinienne pour pouvoir manger. Il mourut le 23 février 1948 à l’âge de 80 ans. Lors de la cérémonie funèbre, des poèmes furent récités et des chants entonnés au milieu de ses tableaux à la Fidushaus. Il repose aujourd’hui au cimetière de Woltersdorf. Son œuvre, tombée dans l’oubli le plus total fut vaguement récupérée, au même titre que les Externsteine, dans les années 60 par les Hippies allemands.
Il fallut attendre la fin du précédent millénaire pour que l’on s’intéresse de nouveau à cet artiste idéaliste, espérons qu’il s’agisse là d’un signe des dieux !
► Léopold Kessler, in : La jeunesse "Bündisch" en Allemagne au travers de la revue "Die Kommenden" (janvier 1930-Juillet 1931), Alain Thiémé, annexe, ACE, 2003.
Per Aspera ad Astra, Karl Wilhelm Diefenbach, Teubner, Leipzig, 1921 (4e éd.)