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HISTOIRE - Page 65

  • Philippines

    Quand les Philippines devinrent une colonie américaine


    ◘ Synergies européennes - Bruxelles/Rome - Décembre 2007

    carte-10.gifPour comprendre la problématique de la guerre hispano-américaine de 1898 et de la conquête et de la soumission des Philippines par les États-Unis, méditons d’abord cet extrait d’un discours du Président américain William McKinley, tenu en 1899 :

    « J’ai parcouru les corridors et les pièces de la Maison Blanche, nuit après nuit et je n’ai pas honte de vous dire, Messieurs, qu’en plus d’une occasion je suis tombé à genoux et j’ai prié le Dieu tout puissant pour qu’il m’accorde sa lumière et me guide. Et, une nuit, à une heure tardive, je ne sais comment, mais c’est arrivé, j’en suis venu aux conclusions suivantes : nous ne pouvons en aucun cas rendre les îles des Philippines à l’Espagne parce que ce serait un acte vil et déshonorant ; nous ne pouvons pas davantage les confier à la France ou à l’Allemagne, car elles sont nos concurrents commerciaux en Orient et ce serait, en plus, un mauvais choix, qui diminuerait notre prestige international ; nous ne pouvons pas non plus les abandonner à elles-mêmes parce qu’elles ne sont pas en mesure de se doter d’un gouvernement autonome et sombreraient rapidement dans l’anarchie ou tomberaient sous la houlette d’un gouvernement étranger pire encore que celui de l’Espagne ; il ne nous reste donc plus rien d’autre à faire que de les occuper et d’instruire les Philippins, de les élever au-dessus de leur triste condition actuelle, de les civiliser, de les christianiser et, avec l’aide de Dieu, de faire de notre mieux pour les aider car ils sont nos frères pour qui le Christ est aussi mort sur la croix ».

    L’idée que McKinley avait derrière la tête, en dépit de ce discours « généreux », était d’envoyer l’armée américaine tuer un maximum d’indépendantistes philippins, de brûler leurs villages, de les soumettre à la torture et de jeter les bases d’une colonie destinée à être exploitée de fond en comble jusqu’à la fin des temps. Après le conflit hispano-américain de 1898, les Espagnols furent chassés des Philippines, par une action commune des forces américaines et des rebelles locaux.

    Les Philippins, sous la houlette du charismatique Andrès Bonifacio, avaient déjà proclamé leur indépendance, mais ni les Espagnols ni les Américains, ne l’avaient reconnue. L’Espagne fut contrainte de confier l’archipel pacifique aux
    États-Unis, contre un paiement de vingt millions de dollars, sans tenir compte des décisions prises par les populations autochtones.

    Les groupes de libération avaient déjà assumé le pouvoir sur tout le territoire national, à l’exception de Manille où la garnison espagnole ne s’est rendue qu’aux seuls Américains.

    Dans les mois qui ont suivi, les Américains renforcèrent considérablement leurs effectifs dans l’archipel, où ils concentrèrent finalement une armée de 115.000 hommes. Leur objectif déclaré était d’établir un régime colonial aux Philippines. La situation était de plus en plus tendue, ce qui conduisit à l’explosion à Manille, le 4 février 1899, après un bref affrontement entre Philippins et soldats américains. Le jour suivant, le conflit s’est étendu à toute la ville, provoquant la mort de deux mille Philippins et de deux cents Américains.

    Après cet incident, le Président Aguinaldo proposa au Général Otis une trêve unilatérale, que les Américains refusèrent immédiatement. McKinley ordonna tout de suite la capture d’Aguinaldo, l’accusant de « banditisme ». McKinley ne déclara jamais la guerre aux Philippines parce qu’il considérait qu’elles étaient déjà entièrement possession des
    États-Unis. À la fin du mois de février 1899, les yankees réussissent à pacifier Manille et ses environs, obligeant l’armée philippine à se retirer vers le nord. À la suite de ce retrait, les forces américaines commencèrent une offensive de grande envergure et battirent les Philippins à Quingao en avril, à Zapoté en juin et à Tirad en décembre.

    Au cours de cette première année de guerre, les troupes philippines subirent de terribles revers sur le plan militaire, en perdant notamment leurs plus valeureux généraux comme Gregorio del Pilar et Antonio Luna. Les commandants de l’armée philippine, pour faire face à l’écrasante supériorité des Américains, décidèrent d’adopter de nouvelles tactiques militaires pour éliminer leur présence dans l’archipel. Ils organisèrent des sabotages, de brèves escarmouches, pendant les années qui suivirent leurs défaites. Au cours des 4 premiers mois de l’année 1900, 500 militaires américains perdirent la vie dans des actions de guérilla. Les Philippins enregistrèrent alors de petites victoires militaires à Paye, à Catubig, à Makahambus, à Pulag, à Balangigga et à Mabitac.

    Pour faire face aux succès des rebelles philippins, les Américains organisèrent de féroces répressions au détriment de la population civile. La majorité des militaires engagés dans cette guerre avaient eu l’habitude de nier totalement les droits des gens, étant donné qu’ils étaient souvent des vétérans des guerres indiennes. Les mêmes tactiques, jadis utilisées contre les Amérindiens, furent mises en œuvre contre les malheureux Philippins : des villages entiers furent détruits, sympathisants et chefs locaux furent éliminés. Les Américains créèrent ensuite des camps d’internement où furent reclus les Philippins, pour y mourir d’inanition.

    La tactique yankee parvint à miner les bases des mouvements indépendantistes locaux. Le 23 mars 1901, à cause de l’aide apportée aux envahisseurs par des traîtres indigènes, le Président Aguinaldo est capturé à proximité de Palan. Une semaine plus tard, à Manille, Aguinaldo fut contraint de jurer obéissance aux
    États-Unis et d’appeler les Philippins à déposer les armes.

    La capture du Président fut un coup dur pour la résistance populaire, mais les événements ultérieurs ne se déroulèrent pas comme l’avaient espéré les Américains. L’armée de libération lança une terrible contre-attaque, concentrant ses coups principalement dans la région de Batagans. Certes, cette contre-attaque victorieuse n’entama pas la supériorité militaire américaine. Les pertes chez les Marines furent insignifiantes. Mais elle fit comprendre à Washington que la guerre n’était pas finie. Le Général Bell répondit avec une férocité accrue à la renaissance armée du mouvement indépendantiste, en renforçant toutes les mesures répressives contre les insurgés. En 1903, les indépendantistes durent faire face à de graves problèmes logistiques et financiers, face à un ennemi trop puissant. Les dernières troupes rebelles se rendirent donc aux envahisseurs.

    Quelques nationalistes philippins n’acceptèrent pas cette reddition et continuèrent la guérilla pendant plus de dix ans. Siméon Ola, qui dirigeait ces groupes d’inconditionnels dans la région de Bicol, fut battu le 25 avril. Il fut le dernier général vaincu en rase campagne. Le reste de ces groupes armés était constitué de milices paysannes, recrutées parmi les plus pauvres des ruraux, et menées par des chefs messianiques qui se référaient tout autant aux traditions animistes qu’au catholicisme importé par les Espagnols. En 1913, la milice commandée par Dionisio Sequela, mieux connu sous le surnom de Papa Isio, dépose les armes la dernière, mettant ainsi fin à la guerre entre Philippins et Américains.

    Ce conflit a causé la mort de plus d’un million de personnes (90% de victimes civiles). Les Américains, pour sauver les apparences de la « démocratie » qu’ils importaient, instaurèrent une « Assemblée nationale » composée surtout de latifundistes. En 1946, les
    États-Unis concédèrent l’indépendance aux Philippines, mais continuèrent à exercer une influence prépondérante sur le pays, surtout sur la vie économique et politique.


    ►  Saverio Borgheresi, article paru dans Rinascita, Rome, 23 nov. 2007 (tr. fr. : R. Steuckers).