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indo-européens - Page 2

  • Jean Haudry répond à Colin Renfrew

    JEAN HAUDRY RÉPOND À COLIN RENFREW

     

    La_triade.jpgJean Haudry est professeur de linguistique à l'Université de Lyon III, membre du Comité Scientifique du Front national et spécialiste de la question indo-européenne. Il a accepté de nous faire part de ses travaux, ainsi que de ses réactions concernant la parution du dernier ouvrage de l'archéologue Colin Renfrew, L'Énigme indo-européenne (1), qui a suscité de nombreuses polémiques...

     

     

    Le Choc : Jean Haudry, retracez-nous votre itinéraire et votre formation univer­sitaire ainsi que les motivations qui vous ont poussé à vous intéresser à la ques­tion Indo-Européenne.

    • Jean Haudry : Je suis de formation classique et un grammairien. De là, je suis venu à la linguistique et à la gram­maire comparée, à la linguistique sur le domaine indo-européen. Je suis pro­gressivement passé de l'aspect pure­ment linguistique des questions au contenu des textes que j'étudiais et de là, à la civilisation, à la culture et à la tradition indo-européenne. Voilà com­ment, après avoir fait ma thèse sur l'emploi des cas en védiques, j'en suis arrivé à m'intéresser à ce que j'ai appelé la religion de la Vérité ou la religion cosmique indo-européenne, bien que je ne sois pas un spécialiste d'histoire religieuse. Quand on étudie des textes, on est forcément amené un jour ou l'autre à vouloir les com­prendre un peu mieux et à ne pas se contenter d'en faire un découpage grammatical.

     

    Pouvez-vous expliquer brièvement à nos lecteurs qui sont les Indo-euro­péens ?

    • Les lndo-Européens sont tout sim­plement ceux qui ont parlé l'indo-euro­péen que nous reconstruisons, c'est-à­-dire la langue commune dont sont issues la plupart des langues d'Europe, toutes sauf le basque, le hongrois et le finnois, et un bon nombre de langues d'Asie, notamment celles d'Iran et d'Inde. Toutes ses langues sont appa­rentées entre elles, et issues d'une langue commune, comme les langues romanes sont issues du latin, tout sim­plement. On peut supposer qu'il y avait un peuple ou au moins une communau­té parlant cette langue commune, comme il y avait une communauté lin­guistique latine parlant le latin. La question qui se pose évidemment est de savoir si c'était un État, un peuple ou un conglomérat de gens n'ayant en commun que la langue. II y a deux hypothèses que l'on peut exclure : c'est celle d'un État, car il n'y a pas d'État dans ces périodes reculées et celle d'un conglomérat, parce qu'il n'y a pas de langues qui soient parlées par des gens qui n'ont rien d'autre en commun. Les Indo-Européens sont donc à peu près ce qu'on appelle un peuple. Et il peut y avoir un peuple sans État. Voilà ce qu'on appelle les Indo-Européens.

     

    Quels sont aujourd'hui les polémiques autour de la question indo-européenne ?

    • Sur les questions de faits, il n'y a, à ma connaissance, guère de polémiques, mais au contraire un très large accord. Bien entendu, sur un certain nombre de questions ponctuelles, il y a des désac­cords, mais qui n'aboutissent pas à des polémiques. II y a accord tout d'abord sur la notion même de langue indo­-européenne, sur la quasi totalité des points essentiels de phonologie (2), de morphologie, de syntaxe et même de lexique. Or lorsque l'on est d'accord sur tout cela, la reconstruction de la langue est considérée comme quelque chose de sûr. Les divergences com­mencent à apparaître sur la question du peuple, de sa culture, de ses traditions et éventuellement de ses institutions, parce que là, la reconstruction n'est pas directe, mais elle comporte une part d'interprétation. On interprète un cer­tain nombre de mots et on interprète également un certain nombre de textes, de formules héritées et à partir de là, on bâtit des modèles. On peut ne pas être d'accord sur les modèles recons­truits. Par exemple le modèle trifonc­tionnel de Dumézil a mis assez long­temps à s'imposer. Il a été discuté pen­dant longtemps. Ce genre de discussion est parfaitement légitime. S'il n'y avait d'autres discussions que celles là, nous ne pourrions que nous en réjouir. Mal­heureusement, il y en a d'autres qui sont le plus souvent l'affaire de gens qui ne sont pas de la partie, qui n'y connaissent rien et qui prennent des positions sur des questions qu'ils ne connaissent pas, à partir d'a priori extra-scientifiques. À partir de là, on peut naturellement dire n'importe quoi et nier n'importer quoi.

     

    Suite à la parution de l'ouvrage de l'archéologue britannique, Colin Renfrew, L'Énigme indo-européenne, qui minimise l'apport de Georges Dumézil et ne tient aucun compte de vos travaux ou de ceux de Jean Varenne, pouvez-vous nous faire part de vos réactions ?

    • Je vous surprendrai peut-être en vous disant que c'est un ouvrage que j'ai beaucoup aimé et que j'ai lu avec beaucoup de plaisir. Qu'il tienne compte ou non des travaux de X ou de Y, n'a aucune espèce d'importance. S'agissant du travail d'un archéologue, il n'avait aucune raison de tenir comp­te de mes travaux qui n'ont jamais concerné l'archéologie. L'essentiel est le savoir si le modèle qu'il propose permet de rendre compte du phénomè­ne que les linguistes ont défini, celui de la parenté entre les langues indo-­européennes. Là, je doute qu'il y par­vienne, pour une raison très simple : si 'on identifie les Indo-Européens aux Danubiens, même en prolongeant vers l’est et en faisant venir ces Danubiens d'Anatolie, on les fait venir trop tôt vers l'Occident et on ne rend pas compte de leur migration vers l'est, ce qui est gênant. Le deuxième point est que le tableau que nous pouvons nous faire des Indo-Européens par leur tradi­tion, et d'abord par leur tradition for­mulaire, n'a strictement rien à voir avec ce peuple de paysans qui progres­seraient en mettant des terres en cultu­re. Nous avons au contraire l'image d'un peuple assez proche de ce qu'on appelle la société héroïque de l'âge du bronze, donc de quelque chose de rela­tivement récent. Ce n'est visiblement pas la vision du monde d'un peuple de paysans. Donc il y a là quelque chose qui ne va pas. Maintenant, rien ne dit qu'il n'y a pas eu plusieurs vagues d'indo-européanisation. Ce qui me ferait penser à une possibilité de ce genre, c'est que la tradition telle que je la définis est relativement peu repré­sentée dans le monde anatolien, juste­ment chez les Indo-Européens d'Asie mineure. Donc il n'est pas impossible qu'une migration venue d'Asie mineu­re ait constitué une première vague indo-européenne. Mais il y a eu forcé­ment quelque chose d'autre qui s'est passé après pour rendre compte des faits que les linguistes observent. Et enfin le troisième point, celui qui me gêne le plus, c'est le refus de tenir compte des indications du vocabulaire. Parce que le vocabulaire appartient à la langue, il n'y a pas de raison de tenir compte de la grammaire pour attester la parenté des langues et ensuite de refuser les témoignages du vocabulaire quand il contient des indications qui vous gênent. Comme par exemple, quand on y trouve le nom du cheval et que l'on fait venir les Indo-Européens d'une région où le cheval a été intro­duit beaucoup plus tard. Là, l'auteur ne joue plus le jeu.

     

    • Propos recueillis par Christophe Verneuil

    Entretien paru dans "Le Choc du mois", n°38, mars 1991.

     

    (1) L'Énigme indo-européenne, par Colin Renfrew, Flammarion, 400 pages, 160 F.

    (2) Étude de la phonétique à travers sa fonction dans la langue.