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  • Trotski et le cinéma

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    Nicolas BONNAL:

    Léon Trotski et le cinéma comme moyen de conditionnement de masse (et de remplacement du christianisme)

     
     
    En 1923, Trotski est encore au pouvoir en URSS. Il rédige un ensemble de textes sur la question du mode de vie : un de ces textes concernant l’utilisation du cinéma comme moyen de propagande et d’élimination de toute vie religieuse et chrétienne. Comme le cinéma a essentiellement servi à cette fonction au XXe siècle, avant que la télévision ne le remplace (la gluante demi-heure du Seigneur n’aura rien changé, sinon accéléré le processus), je préfère citer ce texte qui montre qu’un programme global de déchristianisation a été mis en oeuvre aussi bien dans le monde communiste que dans celui dit libre du libéralisme et de la démocratie. Cela ne fait que conformer les analyses de Kojève sur la Fin de l’Histoire et la création du petit dernier homme nietzschéen par-delà les frontières politico-stratégiques.
    Trotski cherche donc à divertir et éduquer les masses. Il remarque l’intrusion du cinéma dans la vie quotidienne et son inutilisation par les Bolcheviks - on est avant le cuirassé Potemkine ! :
    « Le désir de se distraire, de se divertir, de s’amuser et de rire est un désir légitime de la nature humaine... Actuellement, dans ce domaine, le cinématographe représente un instrument qui surpasse de loin tous les autres. Cette étonnante invention a pénétré la vie de l’humanité avec une rapidité encore jamais vue dans le passé. »
     
    Le cinéma s’impose vite à ses yeux comme un moyen de dressage des masses - pardon, d’éducation ! Même le dessin animé a une fonction de dressage de l’enfance, comme le montre le monde de Walt Disney ou celui de Tex Avery aux USA. On peut aussi penser à Charlot ou au cinéma de Frank Capra, caricaturaux dans leurs ambitions éducatives et mimétiques.
     
    « C’est un instrument qui s’offre à nous, le meilleur instrument de propagande, quelle qu’elle soit - technique, culturelle, antialcoolique, sanitaire, politique ; il permet une propagande accessible à tous, attirante, une propagande qui frappe l’imagination ; et de plus, c’est une source possible de revenus. »
    La source possible de revenus a été bien exploitée du côté de Hollywood en tout cas, avec les plus grosses fortunes de l’époque ! Comme on sait, il règne une entente cordiale à l’époque entre l’URSS et l’Amérique de Roosevelt. Le cinéaste communiste et stalinien Eisenstein y sera reçu comme un roi quelques années plus tard. Je cite Eisenstein intentionnellement car il mêle subtilement dans son oeuvre le religieux (orthodoxe) et le cinématographe. Il le fait dans son chef d’oeuvre Alexandre Nevski et surtout dans Ivan le terrible. Ce n’est pas un hasard puisque l’un doit détrôner l’autre, après l’avoir vampirisé. Voici comment Trotski présente son affaire :
    « Le cinématographe rivalise avec le bistrot, mais aussi avec l’Eglise. Et cette concurrence peut devenir fatale à l’Eglise si nous complétons la séparation de l’Eglise et de l’Etat socialiste par une union de l’Etat socialiste avec le cinématographe. »
     
    Trotski a une vision politique et cynique de la religion, comme Hitler ou Napoléon, et sans doute bien d’autres politiciens : pour lui elle est un spectacle que l’on pourrait remplacer.
    « On ne va pas du tout à l’église par esprit religieux, mais parce qu’il y fait clair, que c’est beau, qu’il y a du monde, qu’on y chante bien ; l’Eglise attire par toute une série d’appâts socio-esthétiques que n’offrent ni l’usine, ni la famille, ni la rue. La foi n’existe pas ou presque pas. En tout cas, il n’existe aucun respect de la hiérarchie ecclésiastique, aucune confiance dans la force magique du rite. On n’a pas non plus la volonté de briser avec tout cela. »
     
    436px-leon_trotsky.jpgIl perçoit dans l’Eglise un ensemble de rites et de techniques dont on ferait bien de s’inspirer. C’est ce que font les gens du showbiz comme Coppola (les Baptêmes), les grandes messes ou bien sûr Madonna. Comme le rappelle Whoopi Goldberg dans Sister Act, les gens préfèrent aller à Las Vegas et payer que se rendre à la messe pour écouter gratis du chant sacré. The show is better ! Se voulant réaliste, Trotski ajoute :
    « Le divertissement, la distraction jouent un énorme rôle dans les rites de l’Eglise. L’Eglise agit par des procédés théâtraux sur la vue, sur l’ouïe et sur l’odorat (l’encens !), et à travers eux - elle agit sur l’imagination. Chez l’homme, le besoin de spectacle, voir et entendre quelque chose d’inhabituel, de coloré, quelque chose qui sorte de la grisaille quotidienne -, est très grand, il est indéracinable, il le poursuit de l’enfance à la vieillesse. »
     
    Optimiste pour l’avenir, Trotski estime que le cinéma remplacera l’Eglise et le reste parce qu’il offre un show plus riche et plus varié.
    « Le cinématographe n’a pas besoin d’une hiérarchie diversifiée, ni de brocart, etc. ; il lui suffit d’un drap blanc pour faire naître une théâtralité beaucoup plus prenante que celle de l’église. A l’église on ne montre qu’un "acte", toujours le même d’ailleurs, tandis que le cinématographe montrera que dans le voisinage ou de l’autre côté de la rue, le même jour et à la même heure, se déroulent à la fois la Pâque païenne, juive et chrétienne. »
     
    On comprend dès lors l’importance politique, psychologique, culturelle du cinéma comme moyen de dressage de masses et même des élites, puisqu’on a fait des westerns et des films de propagande des chefs d’oeuvre du genre humain et que l’on a créé le syndrome du film-culte souvent de genre satanique ou contrôle mental. Je pense aussi aux films catastrophes, éducateurs de masses en temps de crise (c’est-à-dire tout le temps) et aux films conspiratifs comme ceux de Tony Scott, qui vient de mourir d’une curieuse mort. Le réalisateur d’Ennemi d’Etat a tristement fini comme Daniel Gravotte, alias Sean Connery, jeté d’un pont dans l’Homme qui voulut être roi, mort éminemment pontife et symbolique. J’en profite pour rappeler la mort bizarre d’un certain nombre de cinéastes spécialistes du genre : Stanley Kubrick, Alan J.Pakula, Peter George (scénariste de Dr Folamour), les passionnants documentalistes Aaron Russo et Alan Francovitch. Le lecteur pourra se faire une idée en se penchent sur leur cas. Mais gare à la conspiration !
     
    Je laisse encore une fois la parole à Trotski, ce grand homme et visionnaire inspirateur, si honteusement traité par le méchant Staline ! Pour beaucoup de gens à Hollywood ce fut d’ailleurs sa seule victime !
    « Le cinématographe divertit, éduque, frappe l’imagination par l’image, et ôte l’envie d’entrer à l’église. Le cinématographe est un rival dangereux non seulement du bistrot, mais aussi de l’Eglise. Tel est l’instrument que nous devons maîtriser coûte que coûte!"