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KR - Page 31

  • Boehm

    Max Hildebert Boehm (1891-1968) et la notion de “Volk”

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    11 nov. 1968 : Mort à Lunebourg du penseur politique allemand Max Hildebert Boehm. Son apport à la Révolution conservatrice est capital, dans le sens où il pense le rapport peuple / État d’une manière très complète, optant pour une critique serrée de toute forme d’étatisme abstrait. L’ouvrage le plus important dans cette veine est : Das eigenständige Volk : Volkstheoretische Grundlagen der Ethnopolitik und Geisteswissenschaften [Le peuple autonome : Fondements populaires et théoriques de l’ethnopolitique et des sciences humaines]. Avec la parution en 1923 d’Europa irredenta : Eine Einführung in das Nationalitätenproblem der Gegenwart [Europa irredenta : Une introduction au problème des nationalités aujourd’hui], il se pose comme un grand spécialiste de la question des nationalités en Europe.

     
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    Né le 16 mars 1891 à Birkenruh en Livonie, Max Hildebert Boehm est affecté pendant la Première Guerre mondiale à un bureau d'é­tudes sur les Allemands des zones frontalières et des colonies paysannes en Europe centrale et orientale. Cette expérience sur le terrain fait de lui l'un des principaux théoriciens du rapport peuple / État (Volk / Staat). Il sera égale­ment un analyste important de l'espace lotha­ringien (zones francophones, néerlandopho­nes et germanophones qui firent partie du Reich jusqu'aux annexions de Louis XIV). À partir de 1920, il édite la revue Die Grenz­boten. De 1933 à 1945, il est professeur à Ié­na où il enseigne la “théorie du peuple” (Volkstheorie) et la “sociologie de la populité” (Volkstumsoziologie). II meurt à Lüneburg le 9 novembre 1968, avant d'avoir pu achever ses mémoires.

    • Analyse : Le peuple autonome. Fonde­ments ethno-théoriques de l'ethno-politi­que et des sciences humaines (Das ei­genständige Volk : Volkstheoretische Grund­lagen der Ethnopolitik und Geisteswissen­schaften), 1932

    volk-b10.jpgOuvrage principal de Max Hildebert Boehm, dédié à la mémoire d'Arthur Moeller van den Bruck, ce livre commence par un ensemble concis de définitions relatives au terme Volk. Le Volk en tant que concept purement ethni­que / racial (Artbegriff) relève du Völkische. Le Volk en tant que structure sociale complexe et diversifiée relève du Volkhafte. Le Volk en tant qu'État depuis la Révolution française et le triomphe du modèle jacobin après Versailles (1919), du national (das Nationale). Le Volk en tant qu'essence autonome à strates multi­ples relève du Volkliche. C'est précisément à cause de cette multiplicité de niveaux que la réalité peuple (Volk) est difficile à cerner. Son appréhension peut s'opérer au départ de pers­pectives très différentes. L'approche ethnici­sante / racisante (völkisch) du peuple pose ce­lui-ci comme une communauté de sang, com­me une espèce, soudée par une ascendance commune sans cesse remémorée par le my­the d'un ancêtre primitif divinisé. Comme le concept de race (Rasse), celui de Volk reste imprécis, car il mêle des acceptions biologi­santes (Woltmann, Scheidt) et des acceptions culturelles / religieuses / spirituelles (Günther, pour qui la race est une « idée au sens platoni­cien »). Boehm refuse de se contenter des ap­proches biologisantes car « en Europe il ne subsiste que relativement peu de peuples ra­cialement purs ». Pour Boehm, une approche pluri-logique s'avère donc nécessaire, qui soit au moins à la fois biologisante et spiritualisan­te, parce que, chez l'homme, il est impossible de dissocier le corps de l'esprit. L'unité du corps-Volk (Volkskörper) ne s'appréhende donc pas seulement à l'aide de concepts tirés des sciences naturelles. Pour définir le Volk, il faut se référer à la sociologie, la physiologie, l'ethnologie, etc. Pour la raciologie biologisan­te, les races mixées n'existent pas : il n'y a que des individus de race pure et des individus mi­xés. Or l'Europe actuelle ne compte plus que des individus mixés, la pureté raciale idiotypi­que n'apparaissant que très rarement et ne pouvant être constatée que par l'observation statistique des caractères phénotypiques, ce qui ne révèle, en fin de compte, aucune exactitude. De plus, les races sont divisées en communautés parfois antagonistes et ne pré­sentent aucune homogénéité sur les plans po­litique, confessionnel, social et national.

    Les mélanges stabilisés

    Le terme peuple désigne de ce fait une réalité plus complexe et plus multiple que le terme race, vague et imprécis. Woltmann s'est rendu compte de cette imprécision — Boehm le rap­pelle — quand il a évoqué la notion de « race secondaire ou historique », résultat d'un mé­lange passé ayant trouvé sa stabilité au fil du temps. Ces races secondaires / historiques constituent des substrats cohérents, soudés par la tradition et l'histoire. Les vicissitudes de l'histoire, migrations ou invasions, peuvent fai­re éclater cette cohésion, produite par l'homo­généisation graduelle d'une hétérogénéité an­térieure, si bien qu'un peuple donné peut dis­paraître par fragmentation du corps social qu'il représente, se fondre dans divers autres peu­ples ou en forger de nouveaux en des lieux précis, par tamisage génétique et sélection. C'est cette vaste diversité de mélanges stabi­lisés et déstabilisés, en mutation constante, que Boehm entend explorer, évitant de la sor­te de s'enferrer dans le statisme du biologisme stricto sensu ou de l'idéaltypisme platonisant de Günther, lequel débouche sur un esprit de caste vecteur de dissensions civiles et, sur le plan scientifique, interdit toute prise en compte globale, précise et statistique, des mutations raciales dues aux facteurs historiques.

    Toutes les recherches sérieuses et complètes sur le Volk doivent refuser ces simplifications abusives, marquées par une démarche “natu­raliste”, qui privilégient outrancièrement l'élé­ment nordique (qui ne fait à l'état pur que 10% de l'ensemble du peuple allemand et en in­fluence de 60% à 40% selon les latitudes). On en arrive ainsi, critique Boehm, à un ontologis­me naïf nordicisant, anhistorique et détermi­niste, pour lequel toutes les productions de l'histoire ne doivent être perçues que comme une superstructure dépourvue de valeur réel­le, érigée sur une Urwirklichkeit (une réalité o­riginelle) qui serait la race nordique. Pour Boehm, cette démarche est aussi réduction­niste que le pansexualisme de la psychanaly­se ou le panéconomisme du marxisme. Abor­der la réalité “Volk”, c'est explorer méthodi­quement la diversité sociologique du peuple (le Volkhafte), au-delà des faux clivages do­minants / dominés, au-delà des princes, des gouvernements, des haut placés, des lettrés et des nantis. La sociologie du Volk va droit à la substance même du peuple, à ses instincts et ses spécificités, en distinguant bien les ap­ports de l'État, de la chose militaire, de l'esprit (Geist) et de l'intelligentsia. Telle fut l'œuvre de Wilhelm Heinrich Riehl, héritier réaliste des romantiques qui idéalisaient et esthétisaient trop le Volk.

    Le “Volk” face à la massification

    Le Volk est pris en tenaille entre l'individualis­me bourgeois d'esprit manchestérien et le pro­létarisme socialiste marxiste, 2 idéologies sociétaires (et non “communautaires” au sens où l'entendait un Tönnies) qui contri­buent à accélérer le processus de massifi­cation, identifié par Le Bon et Baschwitz. Les processus de massification, auparavant mar­ginaux et jamais définitifs, risquent dorénavant de persister, à la façon d'une épidémie endé­mique, et d'affaiblir la substance populaire. La masse devient une réalité sociologique gran­dissante et s'oppose au tissu vivant diversifié et structuré qu'est le peuple dans son aspect volkhaft [spécifique au peuple]. Progressivement les éléments massi­fiés et collectivisés prennent la place du corps (Körperschaft) populaire, tissu de cellules vi­vantes. L'explosion démographique du XIXe siècle a toutefois ébranlé profondément les assises de la “populité”. L'information ne peut plus circuler de bouche à oreille mais doit passer par le canal d'instruments comme la presse ou la radiophonie. Refuser ces moyens modernes au nom d'un idéal de culture ro­mantique relève de l'irréalisme et débouche sur la constitution de sectes ou groupuscules littéraires ou idéologiques qui accentuent da­vantage l'éclatement du social dû à la massifi­cation. Les masses sont devenues des réalités incontournables et peuvent, par leur dynamisme propre, faire éclore un « standard national » qui provoque, par suite, « l'assimilation intérieure » et gagne parfois au peuple l'adhésion d'éléments étrangers.

    Le peuple n'est pas seulement une substance raciale ou une structure sociale diversifiée ou massifiée mais constitue aussi, souvent mais pas toujours, une population administrée par un État. Le langage usuel, depuis la Révolu­tion de 1789, ne considère plus comme “peu­ples” que les divers ensembles de citoyens soumis aux divers États constituant le concert international. On parle de la Société des Na­tions (Völkerbund), ce qui occulte, en Europe, 2 approches de la réalité “peuple” : l'une moniste, l'autre dualiste / pluraliste.

    Approches moniste et pluraliste

    Les pays latins (France et Espagne ; l'Italie à partir du fascisme seulement) cultivent l'ap­proche moniste, où l'État est source indiscu­table de pouvoir et tend à la centralisation, à l'unitarisme. Tous les pouvoirs y émanent soit du Prince (version réactionnaire) soit de la majorité électorale, erronément prise pour le peuple dans son intégralité (version révolu­tionnaire). Les pays germaniques et anglo-sa­xons cultivent, eux, une approche duale ou plurielle de la réalité étatique. L'État et la so­ciété, le Prince et le peuple, sont face à face, indépendants l'un de l'autre, en position de dialogue, ce qui arrondit les angles, les aspéri­tés du pouvoir. La conception germanique et anglo-saxonne du politique tend vers l'idéal fé­déral, vers la fédération des forces vives du peuple et vers l'autonomie du plus grand nom­bre possible de sphères sociales. Cette op­position entre conceptions centralisatrices / unitaires et conceptions plurielles / autonomisantes a marqué l'histoire européenne : le Mo­yen Âge, marqué par l'apport germanique, a conduit à une hypertrophie du social au détri­ment du principe étatique ; la germanité, dif­fusée dans toute l'Europe depuis les « migra­tions des peuples », revendique le « droit de ré­sistance », engendrant de la sorte le combat pour les droits de l'homme au moment où l'ab­solutisme s'installe solidement sur les sociétés européennes à partir de la fin du XVe sièc­le.

    Deux conceptions des droits de l'homme

    À ce combat pour les droits de l'homme se mêlera une autre conception de ceux-ci, jus­naturaliste celle-là, dérivée de la scolastique et d'inspiration nettement individualiste. L'ab­solutisme tente de dompter et d'encadrer ra­tionnellement la pluralité du social, biffant du même coup les autonomies de tous ordres. La Révolution de 1789 met fin à l'absolutisme ro­yal mais non au pouvoir centralisé et rationnel de l'État. Elle ne délivre pas l'autonomie du peuple de ses chaînes. Le peuple devient ab­straitement souverain, non autonome. Les droits de l'homme qui triomphent dans les re­mous révolutionnaires ne sont pas ceux, d'es­sence germanique, de l'autonomie des grands corps sociaux, mais ceux, post-scolastiques, de la modernité individualiste. Après le Dik­tat de Versailles de 1919, cette conception moniste de l'État s'installe de force en Europe centrale et orientale, provoquant un chaos in­descriptible.

    Pour Boehm, la nation est le peuple qui s'est donné un appareil politique cohérent, tenant compte de toute la variété de ses propres stra­tes. La “nation française”, dans cette optique, n'est donc pas l'expression d'un peuple — réalité en perpétuel devenir, vivante, com­plexe et plurielle — mais son oblitération par un formalisme juridique d'inspiration post-sco­lastique et jusnaturaliste.

    La notion de “nationalité” est, elle aussi, con­fuse : elle signifie tantôt “citoyenneté”, tantôt “ethnie” minoritaire au sein d'un État dominé par un autre peuple, majoritaire.

    La notion de Volkliche synthétise tous les as­pects féconds du peuple : elle ne s'arrête pas aux seules dimensions ethniques ou sociales ; elle admet la tendance qui vise la construction d'un État mais refuse l'hypertrophie de l'un de ces éléments au détriment des autres. Le Volkliche doit pouvoir s'exprimer intégrale­ment, dans toute sa complexité et sans dé­tours. La dimension volkliche est ethnocentri­que mais non ethnocratique (Mazzini, Maur­ras) à la mode nationale-démocrate de 1789 et 1919 (en Europe centrale et orientale), c'est-à-dire qu'elle concentre ses attentions sur ses propres énergies ; en ce sens, elle est « ethnopathétique » et s'oppose aux absoluisa­tions racialistes (le messianisme racial et nor­diciste de Gobineau ; le méditerranisme de Giuseppe Sergi), sociétaires et étatiques et à toutes les pathologies issues des idéologies individualis­tes.

    Boehm poursuit son investigation en souli­gnant la temporalité et la spatialité du peuple, soit sa continuité historique et la contiguïté de ses éléments sur un sol donné. L'appartenan­ce à un peuple est essentielle et déterminante. Elle peut être innée ou volontaire, tout comme, par acte volontaire ou arbitraire, un individu peut changer de nationalité.

    Le peuple, dans la définition qu'en donne Boehm, est donc à la foi un nous et un je, une communauté et une espèce, double jeu de ré­férents qui lui donne sa substantialité histori­que et sa personnalité. L'appartenance à un peuple jette l'homme dans un monde où sa créativité peut s'exprimer, dans le sens où il participe au devenir-personne (Personwer­dung) de ce peuple, qui, par ricochet, trans­paraît en lui et à travers ses actes.

    ► Robert Steuckers, Vouloir n°134/136, 1996.

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    ◘ Entrées connexes : Breuer / EJ Jung

    ◘ Bibliographie :

    • Die Krisis des deutschbaltischen Menschen : Eine Studie zum Kulturproblem der Ostseeprovinzen Ruβlands, 1915 
    • Der Sinn der humani­stischen Bildung, 1916 
    • Was uns not tut, 1919 
    • Körperschaft und Gemeinwesen, 1920 
    • Ruf der Jungen, 1920 (2ème éd., 1921 ; 3ème éd., avec hommage à A. Moeller van den Bruck, 1933)
    • Europa Irre­denta : Eine Einführung in das Nationatitätenproblem der Gegenwart, 1923
    • Die deutschen Grenzlande, 1925 (2ème éd., 1930)
    • Das eigenständige Volk : Volkstheoretische Grundlagen der Ethnopolitik und Geisteswissenschaften, 1932 
    • Der Bürger im Kreuz­feuer, 1933 (réfutation du “national-bolchévisme” d'Ernst Jünger)
    • Was ist Volkslehre ?, 1934 (résumé didactique de Das eigenständige Volk)
    • Volkstheorie und Volkstumspolilik der Gegenwart, 1935
    • Die Krise der Nationalitätenrechts, 1935 
    • ABC der Volkstums­kunde : Der Begriffsschatz der deutschen Volkslehre für jedermann, 1936 
    • Volkskunde, 1937 
    • Volkstums­wechsel und Assimilationspolitik, 1938

    ◘ Sur Max Hildebert Boehm :

    • cf. Hans Peterleitner, « Max Hildebert Boehm : Verzeichnis der Schriften », in : “Festgabe für Max Hildebert Boehm”, Ostdeutsche Wissenschaft : Jahrbuch des Ostdeutschen Kulturrates, Bd. VIII, 1961 
    • Armin Mohler, Die Konservative Revolution in Deutschland, 1918-1932 : Ein Hand­buch, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, Darm­stadt, 1989 (3ème éd.)
    ◘ Pour prolonger :