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VOULOIR - Page 116

  • Du symbolisme du cheval

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    Du symbolisme du cheval

    par D.A.R. Sokoll

    Le culte du cheval commence très tôt dans l'histoire de l'hu­manité : on trouve des représentations imagées du che­val sur les gravures rupestres et dans les cavernes. Le che­val est également enterré avec le défunt très tôt. La sym­bo­lique du cheval est toutefois ambivalente: elle est simul­ta­nément solaire et lunaire. Dans la mythologie védique, le cheval blanc représente le soleil; dans le Rig-Veda, l'astre du jour est clairement désigné sous le nom d'«étalon».

     

    Un voyage entre les neuf mondes

     

    Les chevaux n'accompagnent que les hommes importants et aussi les dieux : le plus connu des chevaux divins est sans conteste Sleipnir, le coursier d'Odin (« celui qui glisse rapi­dement »). Il possède huit jambes et est représenté par une étoile à huit rayons; le neuvième point, soit le centre, représente le siège du cavalier. Le chiffre "neuf" est le chif­fre sacré d'Odin, qui désigne la Vie, plus exactement les neuf mois de la grossesse et aussi les neuf mondes. Il y a identité entre Sleipnir et l'Arbre du Monde, Yggdrasil ( = Che­val/Porteur d'Yggr, lequel est Odin). Lorsque Odin che­vauche son coursier, cette course est identique à un voyage entre les neuf mondes. Le cheval est un véhicule (comme aussi dans d'autres religions), tandis que l'esprit du cavalier ou du conducteur (de char) prend position.

     

    Dans la Chasse Sauvage aussi, le père cosmique Odin (All­vater Odin) chevauche Sleipnir, né du vent, aux côtés des morts, également montés, ce qui révèle la fonction trans­cen­dante du cheval: il dépasse les limites du monde et de la conscience; il est celui qui porte les hommes dans l'autre monde, il guide les âmes, est de la sorte un psychopompe, comme l'attestent bon nombre d'offrandes trouvées dans les tombes.

     

    Le jour et la nuit, la fertilité

     

    Le cheval appartient, dans la mythologie, tant au monde de la lumière qu'à celui des ombres : il est tout à la fois "Skin­faxi", celui dont la crinière est de lumière, et "Hrimfaxi", celui dont la crinière est de suie; ces deux chevaux appor­tent le jour et la nuit. Le cheval blanc ailé est un symbole solaire, comme l'est Pégase dans la mythologie grecque. Par­mi les découvertes archéologiques faites sur le site scan­­dinave de Trundholm, nous avons ce splendide cheval, tirant sur un char le disque solaire. Dans cette fonction, le cheval est un être qui maintient et conserve la vie; c'est en tant que tel qu'il apparaît chez les Vanes et les divinités de la fertilité.

     

    Sigmund Freud, dans sa manie de tout vouloir sexualiser, a donné au symbole du cheval, récurrent dans les rêves, la si­gnification de "puissance (sexuelle)", ce qui est une in­di­ca­tion évidente à l'adresse des messieurs qui sont tombés bas de la selle, dont ils avaient rêvé: c'est le cheval qui fait le ca­valier !

     

    En tant que soleil ou que coursier cosmique, le cheval est é­galement symbole de l'intelligence: «Le cavalier royal sym­bolise la maîtrise totale par la puissance de l'esprit» (cf. Marlene Baum). Lorsqu'il est remplacé par un lion, ce­lui-ci incarne alors "le soleil qui sèche l'humidité et dissipe le brouillard" (cf. J. C. Cooper). Il y a en effet un rapport étroit entre le cheval et l'eau: Poséidon, le dieu de la mer, est représenté sous les traits d'un cheval. C'est lui qui en­gendre le premier cheval des origines, Skyphios, puis d'au­tres chevaux. «Ce lien du cheval à l'eau est d'origine nor­dique et provient des peuples de la Mer du Nord et de la Bal­tique»  (cf. Marlene Baum). Le "Cheval des Vagues" est un "kenning" (une métaphore), propre à l'Edda, pour dési­gner les plus longs bateaux des Vikings. Les nuages sont les chevaux de combat des Walkyries. Chez les Grecs, Pégase ap­porte les orages et la pluie. Les chevaux tiraient des ba­teaux, des traîneaux et des chariots (comme, par exemple, dans le cas du char solaire de Trundholm, qui date environ de 1300 avant l'ère chrétienne).

     

    Dans les premiers âges, le cheval était évidemment un mo­yen de transport, si bien que la force motrice de l'automo­bile, qui l'a remplacé, se mesure encore en "chevaux". C'est une signification que l'on peut transposer dans le domaine spirituel. C'est ainsi que l'on peut expliquer certaines règles particulières, concernant le cheval, comme dans le cas des prêtres païens germaniques, auxquels il était interdit de chevaucher des étalons. On prédisait l'avenir d'après les hen­nissements des chevaux blancs (les "Schimmel"), car on estimait que ceux-ci entretenaient un rapport plus direct a­vec les sphères des l'au-delà. Les Germains comme les Grecs juraient sur la tête de leurs chevaux. La signification religieuse du cheval, moyen de transport, lui assurait une double position dans le "Futhark" ou l'"Oding", soit la série com­plète des runes, propres à tous les peuples germa­ni­ques: il y est le Raidho, le :r:, de "Reise", voyage, et de "Ritt", chevauchée, et, en même temps, l'Ehwaz, l':e:, le che­val ["Ehwaz", terme en germanique ancien, se rap­proche du terme latin "equus", ndt].

     

    Force chtonienne

    Dans la mythologie celtique, la divinité équestre Epona pos­sède une force chtonienne, la reliant au monde des morts. Dans le chamanisme, on souligne surtout l'impor­tan­ce du passage entre les mondes, c'est-à-dire entre les dif­fé­rents états de conscience, ce qui se retrouve dans le per­son­nage mythologique d'Odin, qui, d'après la foi des Ger­mains de l'antiquité, avait reçu une initiation de type cha­ma­nique. Le gibet, auquel le pendu est accroché, est dé­signé comme le "cheval du pendu" [cf. le récit où Odin subit une pendaison pour apprendre le secret des runes, ndt]. Nous venons de voir qu'un rapport similaire unit symbo­li­quement Yggdrasil et Sleipnir, qui sont mis en équation. Cet­te interprétation se retrouve dans la religion chrétien­ne, qui a pris le relais du paganisme germanique des origi­nes, car un poème anglais du 14ième siècle désigne la croix comme le "cheval du Christ".

     

    Le cheval est également un animal que l'on offre en sacri­fice. La cérémonie du sacrifice, dans les religions, consti­tue une tentative de faire passer un souhait dans la réalité. En ce sens, elle est un acte qui sanctionne un passage, donc réalise un état de transcendance. L'eucharistie, que l'on célèbre après le sacrifice du cheval, doit unir le dieu au­quel s'adresse le sacrifice, le cheval sacrifié et les sa­cri­ficateurs. Les interdits, imposés par le christianisme et relatifs à la consommation de viande chevaline (qui furent décidés en 742 lors du "Concile germanique"), attestent d'une tentative d'extirper une coutume religieuse païenne et tout ce qu'elle signifie. Cependant, le souvenir de cette coutume persiste encore dans le vocabulaire allemand : dans le terme "Stuten" (type de biscuit, dont la dénomina­tion signifie "jument") et dans l'expression de "Honigkuchen­pferd" (= Cheval de pain d'épice), ersätze  symboliques de l'antique consommation de viande chevaline.

     

    Dans le « Phèdre » de Platon

     

    Dans son Phèdre, Platon décrit l'âme humaine comme étant composée de trois parties: l'une symbolisée par un noble cheval, l'autre par un canasson dépourvu de noblesse, et la troisième par un conducteur de char. Les crânes de cheval, que l'on trouve suspendus traditionnellement sur les pi­gnons des fermes en Basse-Saxe, ont une signification apo­tropaïque (i.e . dévier la mort et le malheur de la maison). Le cheval apparaît aussi comme un cauchemar nocturne, qui induit la peur. Toutes ces coutumes relient le symbo­lis­me du cheval à l'âme et à la vie de l'âme.

     

    Les Indiens d'Amérique du Sud considèrent que le cheval et son cavalier ne font qu'un, alors que nous y voyons toujours une dualité. Ils ne comprenaient pas la symbiose, qui pou­vait s'opérer entre l'animal porteur et l'homme porté, parce que le cheval leur était étranger. Dans la symbolique, le che­val et le cavalier forme une dualité primordiale, origi­nelle : il y a là alliance de la vitalité et de l'intelligence, du corps et de l'esprit, du ciel et de la terre.

     

    Le cheval demeure présent dans nos rêves

     

    Pour répondre à la question, quel rôle joue le cheval dans la vie psychique et spirituelle de l'homme contemporain?, nous ne pouvons répondre que par une autre question: l'hom­me n'est-il que le parasite du cheval ou existe-t-il une symbiose entre eux? L'automobile, qui a largement rempla­cé le cheval dans l'univers lourdement matérialiste qui est le nôtre désormais, est effectivement notre esclave méca­ni­que, car, contrairement au cheval, elle est sans vie, sans volonté propre. Pas étonnant dès lors que l'automobile n'a jamais pu véritablement remplacer le cheval; on constate, effectivement, que l'homme continue à voir des chevaux dans ses rêves, même s'il ne les voit et ne les connaît pas dans sa vie quotidienne. La présence de chevaux dans les rêves confirme l'hypothèse de Carl Gustav Jung, qui parlait du cheval comme d'un archétype (plus exactement comme l'archétype de la mère), comme d'un symbole tapi dans le subconscient collectif profond. Certes, le fier cavalier, mon­­tant le cheval archétypal de notre inconscient, peut pa­raître un anachronisme, il n'en demeure pas moins vrai que la symbolique liée au cheval, avec ses significations mul­tiples, continue d'être bien vivante : le cheval reste par exemple symbole de liberté, perceptible notamment dans l'en­gouement des masses pour les cavaliers gardiens de vaches des plaines de l'Ouest de l'Amérique du Nord (les "cow-boys"), dont le cheval est évidemment le principal at­tri­but. Par ailleurs, le mythe du chevalier, qui est un cava­lier, conserve toute sa vigueur: à la caste des chevaliers ap­partenaient jadis ceux qui pouvaient entretenir un che­val, le monter et le mener à la guerre.

     

    Intermédiaire entre les sexes

     

    Le cheval n'est pas seulement confiné à la virilité;  il est bien plutôt une sorte d'intermédiaire entre les sexes (cf. Mar­lene Baum). Dans les sports équestres, l'homme et la fem­me sont à égalité. Pour beaucoup, le cheval est plutôt un symbole de l'animalité en l'homme. Dans cette fonction, il fait office de miroir. Le cheval sans cavalier représente "dès la mythologie grecque, le thème de la souffrance déri­vée du conflit irrésolu entre l'homme et la nature" (Marlene Baum). La séparation du cheval et du cavalier est l'image originelle de la césure; dans cette optique, les centaures de la mythologie grecque sont des êtres n'ayant pas encore subi cette césure. Cette césure fait ressentir à l'homme, de­puis la lointaine aurore de la conscience, qu'il est un être fait d'incomplétude, une incomplétude qui le fait souffrir con­tinuellement, et qui, de ce fait, fonde les croyances re­li­gieuses et pousse l'homme à créer.

     

    D. A. R. SOKOLL.

    (texte tiré de la revue Hagal, 3. Jg., 2/2000).

     

    Bibliographie:

    BAUM, Marlene : Das Pferd als Symbol: Zur kulturellen Bedeutung einer Symbiose, Frankfurt am Main, Fischer, 1991. COOPER, J. C. : Illustriertes Lexikon der traditionnellen Sym­bole, Wies­baden, Drei Lilien, 1986.

    LURKER, Manfred (Hrsg.) e. a. : Wörterbuch der Symbolik, 2 erw. Aufl., Stuttgart, Kröner, 1983, pp. 525-526.

    SOKOLL, D. A. R. : Den Baum reiten : Die neun Welten der ger­ma­nischen Mythologie, Wuppertal, 1999.