Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

VOULOIR - Page 156

  • Théorie et pratique

    Théorie et pratique

    new-faye.jpgLe drame de la configuration intellectuelle politique française, surtout à gauche mais aussi à droite, c’est la prévalence de l’idéologie sur l’expérience ; autrement dit, une mauvaise articulation entre la théorie et la pratique. Karl Popper et Claude Bernard, le formulateur de la « méthode expérimentale », avaient montré que dans les sciences exactes, la théorie et la pratique doivent sans cesse s’articuler en un permanent mouvement  d’aller-retour, de feed back : on formule d’abord une théorie et puis on la corrige par l’expérimentation et alors, une nouvelle théorie est formulée, jusqu’à ce que les deux termes s’ajustent. 

    Mais les choses ne se passent pas exactement ainsi dans les domaines de la politique et de l’économie, qui ne sont pas des sciences exactes. C’est le marxisme, avec son matérialisme dialectique qui prenait l’économie politique pour une science exacte, qui a pollué les raisonnements politiques principalement en France. En organisant la précession absolue de la théorie sur la pratique. Et en interdisant, par conséquent, le retour d’expérience. Ce qui provoque un déni du réel par rapport à l’idéologie, d’autant plus que celle-ci se mélange avec la morale du Bien. Cette distorsion mentale est très incrustée dans la pensée-réflexe des élites françaises, qui ont toujours eu un gros problème avec le pragmatisme (1). 

    Or en sciences politiques – ce qui comprend l’économie mais aussi la stratégie militaire – la théorie doit procéder de la pratique et non point la pratique de la théorie. C’est ce qu’expliquait parfaitement Aristote qui, en politique, préférait l’expérience historique aux Idées pures de son ancien maître Platon, qui ne sont que des constructions abstraites, toujours brillantes mais le plus souvent fausses.

    L’échec retentissant du système communiste (que même la Chine a abandonné) provient de cet acharnement à suivre le dogme idéologique contre le réel, contre la nature (2).  En espérant, avec l’infantilisme de toute construction intellectuelle, que par miracle la réalité va finir par obéir à la théorie. Aujourd’hui en France, on assiste, en basse intensité, à la persistance de cette illusion. Notamment dans deux domaines.

    Premier exemple : on théorise (pour des raisons idéologiques et morales) qu’une société ethniquement hétérogène est possible, réalisable, souhaitable. Contre toute expérience actuelle ou historique qui démontre exactement l’inverse.  Ça ne marche pas, mais on persiste dans l’utopie délirante de l’immigrationnisme, à grand renfort de formules idéologico-romantiques (la ” diversité ”, le ”vivre ensemble ”, le ”faire société ”, etc.) qui sont autant d’incantations impuissantes.

    Second exemple : l’État Providence socialisé. Alors que ce dernier peut fonctionner dans certaines circonstances mais pas dans toutes, on en fait un absolu, un impératif catégorique. Et on refuse de voir l’échec du dogme. On abolit tout retour d’expérience pour préserver l’idéologie sacralisée qui n’est ni plus ni moins qu’une religion laïque.

    Mais cette dictature de la théorie sur la pratique s’observe dans bien d’autres secteurs : la politique éducative, la politique pénale, la politique énergétique (dogmes écolos), etc. Le bon sens s’effondre devant l’intellectualisme et le dogme, c’est-à-dire, au fond devant la croyance théorisée. Une croyance qui, d’ailleurs, finit par perdre son honnêteté pour devenir un acharnement. Les croyants persistent d’autant plus dans leur erreur qu’ils en prennent conscience sans se l’avouer.

    La conséquence est, comme l’expliquait Jules Monnerot, l’hétérotélie, c’est-à-dire l’obtention de résultats totalement inverses du but recherché : l’antiracisme de la ”diversité” débouche sur le multiracisme généralisé et la menace de guerre civile ethnique ; le ”social ” et l’assistanat donnent lieu à la paupérisation et au chômage de masse ; l’éducation égalitariste et anti-disciplinaire provoque le déclassement, l’inégalité accrue, l’arrêt de l’ascenseur social ; les solutions énergétiques des écolos augmentent les niveaux de pollution, etc.

    Cette fascination pour la théorie au détriment de la pratique relève de l’abstractivisme, qui est le travers de couches sociales déconnectées du réel du fait de leur mode de vie urbanisé et coupé de la nature, vivant économiquement dans une situation fonctionnarisée, confortable, irresponsable.  Ce qui prédispose à la superficialité prétentieuse, à l’absence d’effort d’observation, à la paresse intellectuelle au cœur même de l’intellectualisme. Mais, à terme, le retour au réel finit toujours par s’imposer – en général dans la douleur. Tout cela ne signifie pas qu’il faille mépriser ou abandonner les théories mais les formuler après et non avant le processus expérimental.

     Une théorie n’est pas faite pour être ”élégante” ou ”rebelle”, comme on le croit trop souvent en France, mais pour être opérationnelle.

    Notes:

    (1) On retrouvait un processus  semblable dans la médecine du XVIIe siècle, bien critiquée dans le théâtre de Molière : le respect du dogme passait avant l’observation physiologique, d’où des méthodes thérapeutiques catastrophiques.

    (2) La plus grande imposture du marxisme – ou plus exactement son erreur philosophique majeure – a été de se penser comme matérialisme (réaliste) par opposition à l’idéalisme, alors qu’il est au contraire une forme exacerbée d’idéalisme.