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    Bernhard TOMASCHITZ:

    Retour instructif sur l’espionnage de la NSA

    Le scandale de l’espionnage systématiquement pratiqué par la NSA ne sert qu’un seul but: maintenir la prépondérance globale des Etats-Unis

    C’était le mardi 12 mars 2013: lors d’une audience auprès de la Commission spéciale du Sénat américain qui s’occupe du contrôle parlementaire des services secrets, le Sénateur Ron Wyden interroge James Clapper, directeur des services secets américains; il lui pose la question suivante: “La NSA collationne-t-elle toutes espèces de données concernant des millions voire des centaines de millions d’Américains?”. Clapper répond brièvement: “Non, Sir, pas à ma connaissance”.

    Aujourd’hui, quatre bons mois plus tard, on sait que Clapper n’a pas dit la vérité. En effet, grâce aux révélations d’Edward Snowden, ancien collaborateur de la NSA (“National Security Agency”), le monde entier sait, désormais, avec quelle ampleur les Etats-Unis pompent des données partout sur le globe, dans tous les réseaux existants. Ce n’est pas vraiment une surprise: les services secrets, c’est bien connu, s’intéressent à toutes les données possibles et imaginables et cherchent à s’en approprier par tous les moyens techniques disponibles, notamment sous prétexte d’empêcher que se commettent des attentats terroristes. Ce n’est pas vraiment là que réside le problème à nos yeux: le scandale des écoutes perpétrées par la NSA nous montre surtout en quelles puissances les Etats-Unis ont confiance ou n’ont pas confiance.

    L’émotion a été bien vive en République Fédérale d’Allemagne, quand on y a appris que Berlin était considérée, par les services de l’hegemon américain, comme “un partenaire de troisième classe”, qui peut et doit être espionné à un degré insoupçonné jusqu’ici! D’après le dossier publié par l’hebdomadaire “Der Spiegel”, les Etats-Unis ont pompé, chaque jour considéré comme “normal”, jusqu’à vingt millions de communications téléphoniques et jusqu’à dix millions d’échanges réalisés via l’internet, rien qu’en Allemagne. Quant aux jours dits “de pointe”, comme par exemple le 7 janvier 2013, la NSA a espionné près de soixante millions de communications téléphoniques. La fringale insatiable de Washington quand il s’agit de pomper des données, le fait que l’Allemagne soit considéré comme un “partenaire de troisième classe”, ne forment par encore la véritable surprise. Finalement, on a eu tendance à oublier, depuis la fin de la Guerre froide, que la République Fédérale d’Allemagne, tout comme le Japon d’ailleurs, est encore et toujours considérée, à Washington, comme un Etat de “seconde zone” sur le plan du droit des gens, car la clause des Nations Unies existe toujours qui pose ces deux pays comme des “ennemis”.

    L’article 107 de la déclaration des Nations Unies est sans ambigüité: “Aucune disposition de la présente Charte n’affecte ou n’interdit, vis-à-vis d’un Etat qui, au cours de la seconde guerre mondiale, a été l’ennemi de l’un quelconque des signataires de la présente Charte, une action entreprise ou autorisée, comme suite de cette guerre, par les gouvernements qui ont la responsabilité de cette action”. Ou pour s’exprimer plus clairement: les vaincus de la seconde guerre mondiale se trouvent encore sous la curatelle des puissances victorieuses et s’ils ne se conduisent pas “bien”, on peut sans hésiter intervenir militairement contre eux, dans les pires des cas. On peut mettre ce principe des Nations Unies en parallèle avec une déclaration qui figure dans la présentation des activités de la NSA, déclaration mise en exergue par le “Spiegel”: “Nous avons le droit d’appréhender tous signaux en provenance de la plupart de nos partenaires étrangers qui appartiennent à la “troisième classe” – et nous le faisons”.

    Comme le rapporte le quotidien britannique “The Guardian”, la RFA, en tant que “partenaire” des Etats-Unis n’est pas un cas isolé, en ce qui concerne l’espionnage. En effet, la NSA a pompé, rien qu’en mars 2013, 97 milliards d’éléments d’information dans le monde entier. Le pays le plus visé a été l’Iran (14 milliards d’informations), suivi du Pakistan (13,5 milliards) et de la Jordanie, l’un des alliés arabes les plus fidèles à Washington (12,7 milliards).

    Il est significatif également de noter que seuls les alliés les plus proches des Etats-Unis, la Grande-Bretagne, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, font exception, ne sont pas les cibles d’attaques systématiques. Tous ces pays font partie du monde anglo-saxon, qui, sur bon nombre de plans, ressemblent aux Etats-Unis. Depuis des décennies, les Etats-Unis sont liés au Royaume-Uni par une “special relationship”. En 1946, lors d’une visite aux Etats-Unis, Winston Churchill décrivait comme “unique” la coopération entre les deux pays dans les domaines économique, politique, diplomatique et militaire. Rien n’a changé depuis lors, indépendamment du fait que les conservateurs ou les travaillistes soient au pouvoir à Londres, ou que ce soit un Démocrate ou un Républicain qui occupe la Maison Blanche.

    Le désir toujours inassouvi de Washington de pomper des données étrangères est lié aussi à la prétention d’être “la Cité lumineuse sur la colline”, appelée à gouverner le monde. Pour exprimer cet état de choses en termes profanes, il s’agit tout simplement de pérenniser l’hégémonisme américain, volonté qui ne peut se concrétiser que si l’on contrôle étroitement les rivaux existants ou potentiels. C’est dans cette optique que Paul Wolfowitz a ébauché un “Defence Planning Guidance” (DPG) en 1992, dernière année du mandat du Président George Bush (le Père). Wolfowitz a été, plus tard, le principal architecte de la guerre contre l’Irak. Dans ce DPG, l’un des trois “éléments-clefs” qu’il fallait à tout prix traduire en pratique était le suivant: l’état d’unipolarité devait être maintenu et il fallait empêcher l’émergence d’une superpuissance rivale que ce soit en Europe, en Asie ou ailleurs. Car, précisait ce DPG comme aussi le projet néo-conservateur de l’an 2000, baptisé “Project for the New American Century”, l’Amérique “se trouve à la tête d’un système d’alliances qui englobe aussi les autres principales démocraties du monde”.

    La stratégie mise au point en 2002 par la NSA a dès lors posé les bases de la “grande offensive d’écoute”. Le Président George W. Bush (le Fils), sous l’effet des attentats du 11 septembre 2001, constatait: “L’espionnage, tel que nous le pratiquons, constitue notre première ligne de défense contre les terroristes et contre les dangers émanant d’Etats ennemis”. Pour défendre les Etats-Unis sur le front intérieur, “On a poursuivi le développement de nouvelles méthodes pour rassembler des informations, afin de maintenir les avantages dont disposent déjà nos services de renseignement”. Tel était l’objectif. Le directeur des services secrets américains a pu élargir ses compétences et déployer dans une ampleur maximale ses activités à l’étranger.

    Les recommandations stratégiques de la NSA ont été traduites dans la réalité au cours des années suivantes. Les Etats-Unis espionnent donc leurs propres citoyens et leurs soi-disant “alliés”, dans une ampleur toujours croissante: cette pratique a commencé sous Bush-le-Fils; elle s’est poursuivie sans retard sous la présidence d’Obama.

    Bernhard TOMASCHITZ.

    (article paru dans “zur Zeit”, Vienne, n°29/2013; http://www.zurzeit.at ).