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wilhelm stapel

  • Stapel/Communauté cultuelle

    Wolfgang SAUR:

    Wilhelm Stapel, théoricien de la “communauté cultuelle”

     

    Le brillant essayiste allemand Sebastian Maass nous dresse un portrait de Wilhelm Stapel, publiciste politique de la révolution conservatrice

     

    wilhelm stapel, Armin Mohler garde surtout un grand mérite, et non des moindres: il a montré, dès 1950, comment l’héritage des idées de droite s’était transformé de manière originale pour produire un nouveau type révolutionnaire, immédiatement après la première guerre mondiale; il a baptisé ce processus de métamorphose “révolution conservatrice” et ouvert ainsi un formidable champ de recherches. Karlheinz Weissmann, pour sa part, a reformulé et réécrit le texte de base de l’ouvrage cardinal de Mohler en 2005; il souligne, dans la biographie qu’il a récemment consacrée à Armin Mohler, combien l’ouvrage “Die konservative Revolution in Deutschland - 1918-1932” a eu un “effet épocal”, tant sur les contemporains que chez ceux qui se réclament de sa postérité. Les retombées de l’ouvrage de Mohler se repèrent encore aujourd’hui.

     

    Le travail d’un autre historien des idées, Sebastian Maass, qui appartient résolument à cette postérité de Mohler, s’inscrit bel et bien dans cette même veine. En peu de temps, Maass a exploré une part considérable des auteurs du filon “jeune-conservateur” (“jungkonservativ”) et a analysé leurs idées. L’une après l’autre, plusieurs monographies sont parues: sur Edgar Jung (2009), sur Arthur Moeller van den Bruck (2010) et sur Othmar Spann (2010). Aujourd’hui, Maass vient de sortir de presse un travail sur Wilhelm Stapel et sur son “Hamburger Kreis” (= “Cercle de Hambourg”).

     

    Maass ne se contente pas d’évoquer la personnalité de l’auteur auquel il consacre une monographie ni d’exposer les seules idées qu’il a véhiculées. Outre une biographie, une analyse de l’oeuvre, une analyse détaillée des thèmes avancés et une insertion de l’oeuvre dans l’histoire générale des idées, les quatre volumes produits par Maass traitent également des collègues et disciples de l’auteur, ce qui permet de mettre bien en exergue le caractère collégial de ces producteurs d’idées nouvelles à une époque cruciale de l’histoire allemande. Cette manière de structurer les monographies se retrouve également dans le livre consacré à Stapel. En procédant de la sorte, Maass fait bien ressortir les principaux contours du paysage idéologique et intellectuel de la droite allemande au temps de la République de Weimar: ce paysage est structuré par des clubs et des associations comme le “Cercle de Hambourg” (autour de Stapel), le “Juni-Klub” et le cercle de la Motzstrasse à Berlin, le cercle regroupé autour de Jung à Munich, et le groupe de Othmar Spann à Vienne. Maass ajoute des documents pour compléter ses analyses. Ces documents sont importants comme par exemple l’apologie que prononce Stapel devant la “chambre de dénazification” en 1946 ou sa correspondance avec Armin Mohler.

     

    L’angle d’attaque, que s’était choisi Mohler, était de nature herméneutique et fascine encore aujourd’hui bon nombre d’interprètes de la “konservative Revolution”. Cela vaut également pour Maass, qui reste fidèle aux leitmotive nietzschéens de Mohler comme l’image (plutôt que le concept – Bild statt Begriff), le cycle et la sphère (en lieu et place de la “linéarité”), le paganisme postchrétien. Ce regard nietzschéen s’avère parfois encombrant quand il faut aborder des auteurs qui ont un profil religieux (chrétien, catholique ou protestant). C’était d’ailleurs l’objet de la querelle épistolaire entre Mohler et Stapel dans l’immédiat après-guerre.

     

    Malgré le nietzschéanisme mohlérien de Maass, celui-ci est malgré tout parvenu à rendre un formidable hommage à Stapel, figure importante de la “révolution conservatrice” d’inspiration protestante et auteur d’un ouvrage aujourd’hui oublié et méconnu, “Der christliche Staatsmann” (= “L’homme d’Etat chrétien”). Wilhelm Stapel (1882-1954) avait étudié l’histoire de l’art, la philosophie et l’économie politique. Il passe son doctorat en 1911 sous la houlette d’Edmund Husserl. Jusqu’en 1917, il occupe le poste de rédacteur-en-chef de la revue “Kunstwart”, un organe de “pédagogie populaire/folciste” créé par Ferdinand Avenarius et le “Dürerbund” (= la ligue Dürer). Après une querelle portant sur le patriotisme avec Avenarius, Stapel devient en 1917 rédacteur-en-chef du “Volksheim” de Hambourg, qui avait pour objet de former intellectuellement la jeunesse ouvrière; en 1919, il est rédacteur-en-chef du “Deutsches Volkstum”. Sous sa direction, cette revue, qui, à l’origine, véhiculait les idées des syndicalistes nationaux-allemands, s’est muée en un organe de la droite intellectuelle. Avec l’appui de Hans Bogner et des frères Albrecht-Erich et Gerhard Günther, Stapel inscrit la majeure partie de son travail éditorial dans le sillage d’une maison d’édition de la grande ville portuaire hanséatique, la “Hanseatische Verlagsanstalt”, qui édite de nombreux ouvrages dus à la plume de publicistes de droite. C’est dans cette maison d’édition que paraîtra d’ailleurs l’ouvrage principal de Stapel, “Der christliche Staatsmann” (1932).

     

    C’est dans ce livre que Stapel va présenter et illustrer son concept de “Volksnomos”, de “nomos populaire/folciste”, en s’appuyant sur les idées que Hans Bogner avait élaborées sur la Polis antique des Grecs. Dans la figure mythologique du dieu de la Polis, affirmait Bogner, se trouve “l’esprit vital, la puissance unificatrice du peuple, qui doit être considéré comme une individualité concrète et centrée sur elle-même” et, par là même, une “personne”. Le nomos, c’est-à-dire l’ensemble des lois et des héritages, apparaît dès lors comme un “commandement divin” et le respect de ce que ce nomos exige, un devoir sacré. Le peuple est donc perçu comme ayant été, initialement, une “communauté cultuelle”. C’est dans une telle communauté cultuelle que s’enracine le nomos et c’est celui-ci qui fait le peuple. Chaque peuple a son nomos particulier et la pluralité des “nomoi” relève de la volonté divine. D’où la différence substantielle entre les cultures.

     

    De cette façon, on peut classer la théologie du nomos, théorisée par le penseur de Hambourg, entre la pensée historique de Ranke et l’ethnopluralisme actuel. La théologie du nomos populaire/folciste a interpellé bon nombre d’adeptes du filon “jungkonservativ”, dont Max Hildebert Boehm, qui rédigera le livre le plus profond sur la question: “Das eigenständige Volk” (1932). Il s’agit bel et bien d’un développement de la notion de “Volkheit” chez Stapel.

     

    Selon Boehm, la “Volkheit” n’est pas seulement une “forme typique” ou un “type” mais une norme tout à la fois éthique et esthétique. Elle englobe la polarité Etre/Vérité, relève d’une dimension tout à la fois ethnique et éthique et constitue, de fait, la puissance créatrice/génératrice d’histoire. Le peuple, en tant que sujet de l’histoire, est donc une “idée de Dieu”; l’on pourrait tout aussi bien dire: “une idée de la nature ou une apparition de la chose en soi” (dixit Stapel). Phrase qui souligne la philosophicité de l’idée de “nomos”. Celle-ci n’offre pas seulement un modèle pour définir l’identité mais se réfère à Kant et à ses antinomies tout en marquant la polarisation de l’expérience et de l’idée, de l’Etre et du devoir, des faits et des normes. Malgré la priorité accordée au “Volk”’ par rapport à l’Etat (c’est-à-dire l’auto-organisation politique d’une communauté), Stapel traite à fond du gouvernement (de la gouvernance) et des hommes politiques. Ce qui doit caractériser l’homme d’Etat, c’est la force qu’il irradie, celle qui crée l’ordre, soutient l’ardeur au combat et justifie l’autorité qu’il est amené à exercer.

     

    Comment Stapel comprend-il le phénomène de la sécularisation? En y réfléchissant au départ de cette citation: “la domination des pères a été dissoute au profit de l’administration rationnelle”, ce qui signifie, par voie de conséquence, que la communauté guerrière, capable d’opérer des distinctions discriminantes au profit de la solidité communautaire, a cédé la place à une société civile pacifiste; en même temps, le charisme fécond de l’homme d’Etat a été aboli au profit du vote démocratique. Le libéralisme apparaît ainsi comme un contre-modèle fondé sur la critique dissolvante et sur un modèle anthropologique dont les représentants sont les produits d’une dégénérescence historique. L’homme libéral se pose comme “libéré du poids du passé et de la tâche de forger l’avenir”. Pour lui, “le passé est un chaos fumeux au-dessus duquel il s’est hissé” et “l’éternité n’est plus qu’une angoise de l’homme qui se sait créature”. Stapel s’est trompé quant au national-socialisme. En 1933, il a tenté, dans un premier temps, d’intervenir pour lui donner forme. Cette illusion s’est vite évanouie dès que des publicistes agressifs, inféodés au parti, lui ont rperoché ses “déficits” idéologiques, en l’occurrence l’absence de tout biologisme chez lui. Stapel s’est alors replié sur sa foi et a perçu Hitler comme “sotériologue” hostile aux vrais dieux de la Cité et porté par un orgueil déplacé.

     

    Wolfgang SAUR.

    (article-recension paru dans “Junge Freiheit”, Berlin, n°10/2012; http://www.jungefreiheit.de ).

     

    Sebastian MAASS, Starker Staat und Imperium Teutonicum: Wilhelm Stapel, Carl Schmitt und  der Hamburger Kreis, Regin Verlag, Kiel, 2011 (190 S., 18,95 euro).