Germains et sacré
Le “destin” dans la pensée germanique des origines
d'après le Dr. Friedrich Murawski
Le divin dans la pensée des anciens Germains ne s'exprimait pas par la bouche de prêtres ou par le biais d'une église ou dans l'exiguïté d'un temple. Le divin est au-dessus de toute organisation hiérarchique de la religion ; de ce fait, cette dernière est superflue car elle institue un espace circonscrit à côté de la vie, espace qui est seul considéré comme sanctifiant. Dans les religions ecclésiales, la vie et ses expressions multiples sont subordonnées et opposées à une organisation religieuse qui s'arroge le droit de détenir à elle seule le sens du sacré.
Comme les païens de l'ancienne Germanie se passaient d'église, leur religiosité ignorait forcément la “révélation” (du “juste chemin” qu'indique l'Église) ou la dogmatique ou encore le péché, la prière et la grâce. Ces absences ont induit les chrétiens à croire que les Germains avaient une conception fataliste du destin. Celui-ci envoyait arbitrairement heurs et malheurs et les hommes avaient à subir passivement ces lubies, sans jamais pouvoir les contre-carrer. Une analyse philologique méticuleuse des mots signifiant destin dans les plus anciennes langues germaniques pulvérise cette critique issue de la propagande chrétienne.
Le mot allemand Schicksal est récent ; il contient la racine schick, du verbe schicken (envoyer), et présuppose donc l'existence préalable d'une personne divine qui "envoie" des aléas favorables ou défavorables. Avant que n'ait été forgé le mot Schicksal, les Germains et les Scandinaves utilisaient les termes sköp ou skap et örlög ou urlac, signifiant "détermination originelle" ou "loi originelle". Ces mots dérivent des verbes skapu (créer) et lagu (déposer). Cette loi ou détermination originelle désigne la nécessité de toutes les choses qui deviennent, existent et passent, mais elle est impersonnelle ; pour les choses non humaines, elle correspond à ce qu'est la destinée (heil) pour les hommes. Le cours de toute vie humaine est donc déterminé par la rencontre du destin (des faits incontournables) et de la destinée (trajectoire personnelle).
Mais le destin ne peut être lu ou deviné. Il n'est pas inscrit en chiffre dans les astres : contrairement à la civilisation sémitique de Babylone, le centre et le nord de l'Europe ne connaissent pas la superstition de l'astrologie, déviation abâtardie de la croyance proche-orientale en la révélation. La révélation et l'astrologie trahissent un déficit de la personnalité proche-orientale, aux yeux du Dr. Murawski. En effet, celle-ci semble incapable de prendre une décision et d'accepter des responsabilités parce que trop faible ou trop couarde. Il lui faut un support extérieur à elle : en l'occurrence le signe hypothétique qui voguerait entre les astres.
Le destin ne concerne donc que les choses extérieures à l'homme; il n'est pas une personne ni une force impulsée par une personne mais il est le tout, la totalité cosmique, qui porte en soi toutes les lois qui la régissent. Le chemin de chaque homme dépend de sa hamingja (heil), de sa destinée. L'homme ne reçoit donc pas une "grâce" par la générosité d'une divinité extérieure à lui mais exprime dans tous les actes de son existence ce qu'il porte au fond de lui. La destinée d'une vie n'est donc pas quelque chose qui est offert, donné, envoyé, mais quelque chose qui croît en l'intérieur même du corps et du cerveau qui la portent et qui sont plongés dans la lutte éternelle et quotidienne contre les défis du destin, du monde, des choses, du cosmos. Cette lutte exige un lourd tribut : les meilleurs peuvent gagner ou perdre.
Mais gagner ou perdre sont des destinées individuelles. Ce qui compte en dernière instance, ce qui est essentiel, c'est de maintenir intacts l'honneur et la paix intérieure du peuple auquel on appartient. La sauvegarde de ce peuple, sa perpétuation dans le temps, constituent un bonheur vraiment essentiel qui transcende tous les bonheurs ou malheurs individuels, au-delà de la mort des corps. Quand cette conviction est profondément ancrée, quand elle est vécue même dans le cœur du plus humble ressortissant du peuple, on ne peut parler, comme les chrétiens, de fatalisme sombre. C'est là un mensonge historique. Une telle attitude devant la vie, au contraire, est le gage le plus solide de la joie créatrice. D'une joie créatrice qui n'a pas besoin de sauveur, de parousie.
Un tel sens du divin est incommensurablement plus profond que la misérable caricature de divin personnalisé qui transparaît dans les platitudes dogmatiques du judéo-christianisme. Le sens du destin permet d'affirmer majestueusement la vie dans toute sa plénitude. Il interdit par ailleurs de cultiver la peur de Dieu et son corollaire, l'humilité servile, l'auto-amoindrissement masochiste.
• Source : Dr. Friedrich Murawski, Das Gott : Umriß einer Weltanschauung aus germanischer Wurzel, Faksimile Verlag, Bremen, 1981.
► Nouvelles de Synergies Européennes n°17, 1996.
La trifonctionalité de la caste sacerdotale chez les Germains
Armement de guerrier de l'Âge du Bronze danubien ou centre-européen, influencé de façon déterminante par la civilisation du Bronze nordique. Ces armes se retrouveront plus tard en Grèce et en Crète, ce qui prouve une migration de peuples selon l'axe Jutland / Panonnie / Grèce.
Il y a plusieurs décennies, presque un siècle déjà, que les Européens ont retiré de l'oubli les héros des temps vikings, leurs vieux dieux païens, leurs figures de dragons et autres forces sombres pour leur redonner vie. Le paganisme connaît un vrai revival. Mais avant que tout cela ne fût possible, il a fallu livré un rude combat pour la revalorisation intellectuelle des anciennes structures de la pensée indo-européenne et pour que soient redécouverts les principes sous-jacents des institutions de nos ancêtres lointains mais directs. Ce combat fut long, jalonné d'embûches : des figures comme les Prof. Jan De Vries et Georges Dumézil ont attendu longtemps la reconnaissance que méritaient amplement leurs travaux. Prétexte : l'ombre du national-socialisme planait sur les études indo-européennes, ainsi que le souvenir des manipulations qu'il leur avait fait subir. Malgré cela, ces études ont percé ! Les thèses de De Vries et de Dumézil semblaient si bien étayées que, rapidement, plusieurs courants universitaires ont repris leurs idées et positions à leur compte. Tant et si bien que nous devons reconnaître aujourd'hui que le structuralisme ethnologique d'un Dumézil et la phénoménologie typologique d'un De Vries ont eu beaucoup plus d'impact sur les sciences religieuses que la perspective psychologique, au demeurant très intéressante, des Spencer, Gillen et Neumann, et que l'orientation sociologique de Malinowski et Caillois. Ce succès est dû aux travaux préparatoires de l'école de la Kulturkreislehre (théorie des cycles de culture) qui, la première, dans le domaine des sciences religieuses, exigea le respect de toute spécificité.
Mais revenons à notre propos : la trifonctionalité chez les Indo-Européens. L'idée de trifonctionalité est née, en fait, grâce à la collaboration étroite entre 2 indo-européanistes éminents, Stig Wikander et Georges Dumézil. C'est ce dernier qui a travaillé l'idée à fond et lui a donné sa pleine maturité. Jan de Vries a reconnu d'emblée l'importance de ces travaux et en a recueilli l'essentiel pour façonner ses thèses séduisantes sur les Germains de l'Antiquité. Dumézil s'est toujours insurgé contre les tentatives de vulgarisation de ses thèses, c'est pourquoi nous avons quelques scrupules à n'en livrer ici que les grandes lignes, car notre temps et notre espace sont hélas limités. Ceux qui veulent étudier ces matières en détail, doivent bien sûr lire et méditer directement les œuvres de Wikander, De Vries et Dumézil.
Les tablettes de Bogazköy
La découverte des tablettes de Bogazköy a donné le coup d'envoi de ces études indo-européennes. En les étudiant, Dumézil remarque une tripartition, dont il s'était déjà aperçu par ailleurs, mais qu'il avait pu difficilement ériger au rang de théorie. Il s'agissait de Mithra-Varuna, Indra et des jumeaux Nâsatya. Il devinait que cette distinction était d'ordre fonctionnel. C'était repérable dans le premier groupe, celui de Mithra-Varuna, avec Mithra (fonction juridique) et le dieu borgne Varuna (fonction religieuse). Le deuxième groupe ne comprenait que le dieu Indra, associé parfois à Agni pour devenir Indrâgni (fonction de combat). Le troisième groupe était constitué de jumeaux (fonction de fertilité). Cette tripartition était un reflet de la vie quotidienne, où les 3 castes jouaient un rôle absolument dominant, notamment les Brâhmanes (prêtres et connaisseurs du droit), les Ksatriya (les guerriers) et les Vaisa (les producteurs).
Un étude comparative des structures propres aux peuples apparentés confirma immédiatement qu'il s'agissait là d'un phénomène typiquement indo-européen. En effet, on connaissait déjà, chez les Germains, la tripartition entre Tyrr-Oddhin, Thórr et Njörd. Tyrr est l'ancien dieu du ciel (Dyaus, Tiwaz) ; il est manchot et juge suprême. Odhinn est le grand chamane et le dieu suprême en matières religieuses. Comme Varuna, il est borgne. Thórr est le guerrier-type et est très souvent associé avec un autre dieu étrange, Loki, dont le nom est étymologiquement apparenté à celui de Lykè (la lumineuse île septentrionale des Grecs) et à celui de Lucifer (le dieu romain de la lumière, dont les chrétiens ont fait un ange déchu). Dans ce cas, ce dieu double s'appelle Utgardloki (Utgard étant un autre nom pour désigner Thórr). Le parallèle est évident, ici, avec l'Indrâgni indien. La dernière fonction, celle de la fertilité, est représentée par l'androgyne Njörd et amplifiée par ses enfants, les jumeaux Freyr-Freyja, dieu et déesse des amours, de l'amour et donc de la fertilité. Chez d'autres peuples indo-européens, on trouve un parallélisme identique, aussi clair.
Il nous semble important d'analyser en détail, à la suite de De Vries, la tripartition au sein de la première caste chez les peuples germaniques. Il semble donc qu'il n'y ait pas eu tripartition seulement entre les 3 grandes castes mais qu'à l'intérieur de chacune de ces castes, il y ait eu aussi une répartition fonctionnelle. Dumézil avait attiré notre attention sur la tripartition au sein de la caste supérieure chez les Romains. Il distinguait parmi les flamines majores, le flamen dialis (adjectif dérivé du nom de l'ancien dieu du ciel, Dyaus, et attribué aux prêtres que ne concernent que la première fonction), le flamen martialis (adjectif dérivé du dieu Mars, dieu de la guerre, et attribué aux prêtres qui ne font fonction que pour la deuxième caste) et le flamen quirinalis (consacré au dieu Quirinus, qui n'entre en fonction que lors des fêtes paysannes). Très probablement, cette répartition des tâches existait aussi chez les autres peuples indo-européens, à quelques nuances près.
César écrit, dans son De Bello Gallico (VI, 21) : « Chez les Germains, les us et coutumes sont tout autres (que chez les Celtes) ; ils n'ont pas de druides pour veiller au culte et ne font guère de cas des sacrifices ». De Vries a pu démontrer que cet avis de César est inexact et induit en erreur. Strabon et Ammien Marcellin, au contraire, étaient d'avis qu'il existait un parallèlisme très net entre ces différents peuples. Tous deux ont remarqué que chez les Gaulois 3 groupes de personnages exercent les fonctions spirituelles. Ils font d'abord mention des drasidaedryidae ou druidae). Les historiens les appellent tantôt "philosophes" tantôt "explorateurs de la nature". Diogène Laërce les place entre les magi perses, les chaldéens babyloniens et assyriens et les gymnosophes indiens. Remarque importante : les druides comme les gymnosophes indiens devaient entreprendre une longue période d'études s'ils voulaient exercer cette fonction (20 ans chez les druides, 36 ans chez les Brâhmanes) ; ensuite, il leur était interdit, comme aux ressortissants de la caste religieuse indienne, de consigner par écrit leurs enseignements. (vraisemblablement une déformation de [...]
Le second groupe, celui des bardi ou bardoi, avait pour tâche de chanter les actes et gestes des héros, des guerriers. Ils entrent bien ainsi dans la seconde caste du schéma trifonctionnel. Le clan des prêtres consacrés à la troisième fonction est celui des euhagis (chez Ammien) ou ouateis (chez Strabon). C'est la graphie grecque pour désigner les vates. Leur fonction est décrite comme suit : "sublima naturae pandere" (expliquer la nature sublime) et "scrutare sacruficandi" (la connaissance des sacrifices). Sans doute, ces vates ressemblaient-ils fort aux augures, qui prédisaient l'avenir à partir d'événements naturels. Quoi qu'il en soit, ces prêtres se trouvaient en rapport plus direct avec la nature, les paysans, le peuple, que les druides et bardes et ne pouvaient vraisemblablement être consultés que par des ressortissants de ces strates-là de la population. Du point de vue étymologique, le terme vates est également très important. Les linguistes sont d'accord pour dire que l'origine de ce mot est indo-européenne et est analogue à celle du gotique woths, du vieil-anglais wodh, du vieux-norrois ódhr, de l'allemand Wut et du moyen-néerlandais woed, ce qui signifie “animé”, “possédé”. En grec, ce terme se traduit par ouateis, en latin, par vatesfaíth. Françoise Le Roux nous donne un bon résumé de ce qui précède en expliquant que le druwid est le prêtre qui sait ; que les ueletos (fili, bard) sont ceux qui voient (les poètes sont des voyants et des annonciateurs de l'avenir) ; que le uates (faíth) est le prêtre qui agit. Cette tripartition gauloise, que nous retrouvons chez les Irlandais avec les druí, fili et faíth, nous pouvons également la découvrir chez les Germains. et en irlandais par
Le terme gaulois gutuater
Lors de la grande assemblée qui eut lieu pendant la septième année de la guerre des Gaules, où les tribus gauloises décidèrent de tenir tête à César, il est question d'un chef de cette résistance celtique, un certain Gutruatus. L'assemblée a eu lieu à Carnutum, la cité des druides. Le nom gutruatus apparait également sur une inscription de Mâcon, sur laquelle nous apprenons quelqu'information sur un certain Sculpicius. Celui-ci y est nommé aussi bien flamen Augusti que gutuater Martis. Comme le remarque Ausone, il ne s'agit pas d'une dénomination locale ; Ausone explique le terme gutuater comme stirpe Druidarum satus (tout-à-fait druide d'origine). Si nous analysons attentivement le terme gutuater, nous découvrons en fait gutu-pater (le père qui invoque Dieu), terme qui correspond entièrement au gudja germanique (gotique : gudja ; vieux-norrois : godi). Le terme indien hotar (classe royale de Brâhmanes, chargée des rituels et cérémonies officielles) y est également apparenté. L'origine indo-européenne du mot est donc indubitable. Tacite nous apprend que le gutuater remplit une fonction juridique et détient des pouvoirs magiques. Il jettait également le sort en jetant les runes. C'était donc un prêtre lié à la première fonction, celle assumant le droit et le système magico-religieux. Les Germains disposaient également de prêtres chanteurs, les skaldes. Ils chantaient les galdr, les chants magiques et éternisaient ainsi les gestes des héros tombés au combat. Le dernier groupe est à peine perceptible chez les tribus germaniques mais nous disposons encore de suffisamment de traces pour en affirmer l'existence. C'était le groupe des pulr. Mot apparenté : pylja (parler indistinctement, marmonner). Même si la fonction des pulr nous est inconnue, il est tout de même important de savoir que leurs chants, les thulur, sont souvent synonymes des dits blótsögn, les chants d'offrandes, propres à la troisième fonction, celle de la fertilité.
Nous pouvons en déduire que les Germains, comme les Indiens, les Romains et les Celtes, avaient une caste bien structurée de prêtres et que l'expression sacerdos civitatis, utilisée par Tacite pour désigner la communauté germanique, cadrait bien avec la réalité.
Si nous comparons avec les dieux, nous obtenons la répartition suivante :
Groupe de prêtres / Dieux / Fonctions
♦ Chez les Celtes ♦
a) les Gaulois
druides / Nodens-Teutates / fonction juridique, religieuse
bardes / Taranis / culte des guerriers
uates / Borvo / guérison, fertilité
b) les Irlandais
druí / Dagda-Ogme / fonction juridique, religieuse
fili / Morrígan / fonction guerrière
faíth / Diancecht, Oengus / guérison, jeunesse
♦ Chez les Germains ♦
godi / Tyrr, Odhinn / fonction juridique, religieuse
skald / Thórr / fonction guerrière
pulr / Njörd, Freyr-Freyja / fertilité, amour(s)
♦ Chez les Romains ♦
flamen dialis / Jupiter / fonction juridique, religieuse
flamen martialis / Mars / fonction guerrière
flamen quirinalis / Quirinus / culte des hommes à l'intérieur de la gens (curies = co-uir-ia)
Nous pouvons donc affirmer qu'il s'agit d'une répartition typiquement indo-européenne, posée selon un ordre social fonctionnel. Mais ici nous n'avons qu'effleurer très superficiellement le sujet. Une étude très approfondie de ces matières mérite d'être entreprise.
► Koenraad Logghe, Vouloir n°68/70, 1990. (allocution prononcée lors du séminaire annuel des rédacteurs de Vouloir et d'Orientations, mai 1990)
◘ Bibliographie :
— De J. de Vries :
-
Kelten und Germanen, München, 1960.
-
La religion des Celtes, 1984.
— De Régis Boyer :
-
Sagas islandaises, 1987.
-
Le monde du double, 1986.
— De F. Le Roux & CH.-J. Guyonvarc'h :
-
Les Druides, Rennes, 1986.
-
La souveraineté guerrière de l'Irlande, Rennes, 1983.
— D. Éribon, Entretiens avec Georges Dumézil, 1987, Folio/Gal.
— L. Frédéric, Dictionnaire de la civilisation indienne, 1987.
Les avatars chrétiens de Wodan après la conversion des Germains
Wodan était l'une des principales figures divines au temps de la christianisation des Germains. Il était le dieu qui donnait la sagesse aux hommes. Il était aussi le dieu des guerriers et des héros tombés au combat. Son importance était grande parmi les Germains comme le prouve la formule d'abjuration que les convertis devaient prononcer avant de recevoir le baptême. En effet, les Germains, comme tous les païens, avaient d'innombrables dieux et la formule n'en reprend que 3 : Donar (Thor), Ziu (dieu primordial indo-européen ; Zeus et Ziu ont la même racine) et Wodan lui-même.
Précisons que, pour les premiers Chrétiens de Germanie, les dieux ancestraux n'étaient pas perçu comme des superstitions mais comme des forces ennemies, maléfiques, qu'il s'agissait de combattre. Le spécialiste de la question Erich Jung nous l'explique : « Pendant longtemps, l'Église germanique primitive n'a pas nié l'existence et l'action des dieux ancestraux, mais a combattu ces derniers comme des esprits maléfiques, des monstres, des démons. Donc, pour eux, Wodan gardait toute son influence sur les âmes non baptisées. Son Armée (Heer), sa horde, était principalement composée d'âmes d'enfants morts ».
C'est la raison pour laquelle l'Église demandait aux anciens Germains d'abjurer leurs dieux ancestraux. Mais cette injonction ne fut pas immédiatement suivie d'obéissance : le peuple continuait d'honorer ces anciens dieux. L'Église fut donc obligée de changer de politique et de les christianiser, d'en faire des saints. Wodan est par conséquent le dieu qui a connu le plus d'avatars chrétiens.
Il a été transformé en archange Michel, que l'on représente tantôt avec l'attribut de Ziu (l'épée), tantôt avec l'attribut de Wodan (le manteau). À son propos, Cäsarius von Heisterbach (1180-124?), chroniqueur médiéval, cite une légende allemande, où Wodan, très manifestement, entre en scène. C'est la légende du Chevalier Gerhard von Holenbach. Un jour, le diable lui apparaît, déguisé en pélerin. Il frappe à la porte du Chevalier et lui demande l'aumône. Comme il faisait froid, le Chevalier le fit entrer et, pour la nuit, lui offrit son manteau en guise de couverture. Au petit matin, le pélerin avait disparu avec le manteau. Peu après, le Chevalier décide d'entreprendre un pélérinage au tombeau de St. Thomas en Inde. Avant de partir, il brise son anneau en 2 morceaux et en donne un à sa femme, afin qu'elle conserve un signe de reconnaissance. S'il ne revient pas avant cinq ans, elle sera libre. Mais le Chevalier n'atteint le tombeau de St. Thomas qu'au jour où il aurait dû rentrer chez lui. C'est alors qu'apparaît le diable vêtu de son manteau qui, en un tour, le ramène d'un coup chez lui. Gerhard retrouve sa femme en train de célébrer son repas de fiançailles avant un autre Chevalier et lance son anneau dans une coupe. Sa femme le reconnaît et le Chevalier reprend sa place.
Le Diable joue ici très nettement le rôle de Wodan. Cäsarius von Heisterbach a sans doute transformé une vieille légende wotanique. Plus tard, au XVe siècle, la chronique suisse des Seigneurs von Stretlingen, de la région du Thurnersee, remplace, dans la même légende, le Diable par l'Archange Michel.
La Sainte Lance est, elle aussi, un ancien attribut de Wodan et même l'un des principaux. Avec sa lance, Wodan désignait les guerriers les plus braves, avant que les vierges-pages ne viennent les chercher pour les conduire au Walhall. Cette sainte lance fit partie, plus tard, des insignes de la cérémonie du couronnement des Empereurs du Saint-Empire, sous le nom de Lance de St. Maurice. À la bataille du Lechfeld contre les Hongrois, on apporta à l'Empereur Othon I la lance dite de St. Michel. La Sainte Lance joua encore un rôle décisif lors d'une bataille de la première croisade quand, en 1098, devant Antioche, les guerriers francs et normands, découragés, minés par la fatigue, ne se relancèrent à l'assaut qu'après l'apparition de la Sainte Lance.
Wodan était le protecteur de Siegfried, lorsque ce dernier terrassa le dragon. Dans la Saga de Wolfdietrich, c'est St. Georges qui reprend ce rôle. Plus tard, St. Georges lui-même tue le dragon, de la même façon que St. Michel. St. George (dont l'existence historique n'est pas prouvée) est devenu ultérieurement le protecteur des armuriers et des guerriers. Son amulette protégeait contre les coups de lance malencontreux.
Les anciennes églises dédiées à St. Michel se situent toutes au sommet de montagnes ou de collines, lieux de résidence privilégiés par Wodan. C'est particulièrement patent dans le cas du Michelsberg près de Kleebronn en Allemagne. Avant que l'on ne parle de Wodan, c'est-à-dire avant la germanisation, il y avait déjà là un lieu de culte celtique. Wodan a tout simplement remplacé la divinité celtique et, après la christianisation, St. Michel a pris le relais. Wodan et St. Michel sont tous deux des détenteurs de lances miraculeuses. Tous deux tuent des dragons et servent de guide aux âmes. Les paysans de la région nomment toujours le Michelsberg de son ancien nom : Gudinsberg ou Wudinsberg, selon les variations dialectales.
L'ethnologue Gößler précise : « Cette persistance des cultes païens s'observe partout où il y a des monts ou collines portant le nom de Michel, surtout s'il s'agit de hauteurs occupées depuis la nuit des temps, comme, par exemple, sur le fameux Michelsberg près de Bruchsal, où l'on a découvert des poteries typiques de la préhistoire, poteries qui ont permis de déterminer la civilisation préhistorique indo-européenne du Michelsberg. Idem pour le Michelsberg près de Gundelsheim, le Heiligenberg de Heidelberg et le Michelsberg-en-Zabergäu ».
L'histoire du Heiligenberg près de Heidelberg signale effectivement un passage direct de Wodan à St. Michel. Un acte de Konrad I, d'août 912, en parle comme d'une colline sainte, dédiée à un archange "tout-puissant". Or, pour l'église chrétienne, les archanges ne sont jamais "tout-puissants". Cet adjectif trahit la transposition...
St. Martin est aussi un avatar de Wodan. Souvent on le représente flanqué d'une oie, l'oiseau dont le sacrifice plaisait à Wodan. M. Ninck écrit : « La transposition des traits wotaniques a dû être facilitée par l'étymologie même du nom de Martin, signifiant en fait "guerrier de Mars". St. Martin est en effet Chevalier servant et, plus tard, un exorciste qui parcourt les campagnes. Sous sa forme chevaleresque, il porte un manteau, comme tous les chevaliers, mais le caractère particulièrement sacré de son manteau prouve nettement les origines wotaniques de son culte ».
Les légendes prouvent, elles aussi, le rapport étroit qui existe entre Wodan et St. Martin. Dans la région de Coblence, l'homme qui blesse une cigogne (dans la symbolique païenne, animal qui équivaut au cygne, oiseau dédié à Wodan), est menacé de la Lance de St. Martin. En Bavière, lors des moissons des dernières semaines de l'été, les paysans laissent une gerbe pour le cheval de St. Martin, comme jadis ils en laissaient une pour le cheval de Wodan. Au Tyrol, la "Chasse Sauvage" s'appelle la Martinsgestämpe et l'on dit aussi que, derrière la Horde Sauvage, trotte une oie difforme, animal lié à St. Martin.
St. Martin est aussi magicien et sa fête, le 11 novembre, est célébrée à une époque de l'année où, jadis, on fêtait Wodan. Cette fête a repris à son compte bon nombre de traits du culte wotanique. Elle se célèbrait de nuit, avec des feux. On tuait des oies et l'on buvait la Minne de Wodan, comme on boit aujourd'hui la Minne de St. Martin.
Lors de la bénédiction des chiens à Vienne, célébration qui remonte au Xe siècle et est également une transposition d'un vieux rite wotanique, on évoque St. Martin comme patron protecteur des chiens (car Wodan, jadis, était accompagné de loups ou de chiens). À Bierdorf dans le Westerwald, se trouvent des tumuli germaniques, autour d'une colline nommée Martinsberg, jadis vouée à Wodan.
St. Oswald est sans doute aussi un avatar de Wodan, dont l'un des surnoms était précisément Oswald. Le passage du dieu païen au saint chrétien (?) est facilement repérable : une colonne de la nef principale de l'église abbatiale d'Alpirsbach dans le Württemberg nous montre encore Wodan accompagné de ses 2 corbeaux Hugin et Munin. Une gravure sur bois datant de 1500 environ, nous présente, elle, St. Oswald avec 2 corbeaux...
St. Cuthbert de Durham est représenté avec la tête tranchée d'Oswald : autour de lui, des cygnes, animaux wotaniques. Rappelons-nous que Wodan, dans l'Edda, enmenait toujours avec lui la tête tranchée de Mimir. Les cygnes sont, eux, inséparables des Walkyries, les vierges-pages de Wodan.
Mais l'avatar le plus aimé de Wodan est sans conteste St. Nicolas, qui offre des cadeaux aux enfants. Sa fête, le 6 décembre, n'a pratiquement rien à voir avec le saint historique, un évêque d'Asie Mineure. St. Nicolas est un saint qui a même réussi à résister au protestantisme dans le Nord des pays germaniques. Dans certains régions, il est assimilé à la vieille figure de Knecht Rupprecht (le "Gaillard Robert"), dans lequel on reconnaît sans difficulté Wodan. St. Nicolas porte souvent, comme lui, un bonnet de fourrure, une longue barbe soyeuse et il voyage dans un traîneau tiré par des rennes. Dans les régions catholiques, il est encore habillé comme un évêque, avec une mitre et une crosse et il accompagne Krampus, avatar du Diable.
L'Église chrétienne a donc pratiqué 2 politiques à l'égard de Wodan : d'une part, elle a conservé son souvenir sous les oripeaux d'une quantité de saints ; d'autre part, elle en a fait un diable et un méchant démon. Son surnom glorieux des temps païens, der Rabenase (l'Ase aux corbeaux), est devenu une injure, Rabenaas (carogne). Wodan est devenu le meneur de la terrible chasse sauvage, le seigneurs des démons. Dans quelques régions d'Allemagne, on brûle des effigies de Wode, Gode ou Gute lors du solstice d'été, devenu, sous l'impulsion de l'Église, les feux de la St. Jean. Mais Wodan, dans l'âme du peuple, a résisté à toutes les tentatives de christianisation.
[Ci-haut : illustration de Fidus]
Les avatars chrétiens de Thor/Donar après la conversion des Germains
Donar était en premier lieu un dieu des paysans. Or les paysans tiennent plus farouchement à leurs croyances et à leurs traditions que les autres catégories de la population. Raison pour laquelle les Chrétiens ont eu beaucoup de mal pour extirper le culte de Donar. Comme Wodan, Donar a donc été christianisé : il est devenu un saint du "panthéon" chrétien. Le célèbre Jan de Vries constatait, dans sa Altgermanische Religionsgeschichte (1956/57) :
« Le Saint Élie (Elias en all.) des Chrétiens peut être considéré comme leur dieu du tonnerre ; dans bon nombre de lieux de culte importants en Grèce, il a remplacé Zeus tonnant. En Europe orientale, on le vénère presque partout, ce que nous rapportent les chroniques des Varègues. En Scandinavie, surtout en Norvège et en Islande, Saint Olaf prend le relais de Thor. Nous avons surtout remarqué le sceau de la ville de Thorshälla et l'effigie d'Olaf dans l'église de Simrishamm en Scanie, qui porte dans la main une hache amovible. Le 29 juillet, pèlerins et paroissiens se frappent neuf fois avec cette hache, mais après chaque série de trois coups, ils remettent la hache dans la main de la statue, de façon à ce qu'elle reçoive de celle-ci de nouvelles forces. Enfin, le successeur de Thor au Danemark est Saint Knud et en Suède, Saint Erik ».
Jan de Vries n'évoque pas Saint Pierre qui, avec sa clef, rappelle curieusement Donar au marteau : « Pierre lève la clef du ciel, dont la forme trahit nettement son origine : le marteau [de Thor]. Le saint avait pour attribut l'attribut du dieu païen nordique qui portait le nom de Donar » (Hamkens). « La clef céleste de Pierre rappelle le marteau de Donar ; de plus, la clef est signe et symbole du tonnerre en Allemagne » (Wuttke).
Dans les croyances populaires, Saint Pierre est, aujourd'hui encore, responsable du temps
Dans la Cathédrale de Fritzlar, non loin d'un endroit où les missionnaires avaient abattu un chêne consacré à Donar, se dresse une statue de Pierre, aussi haute qu'un homme réel ; elle date de l'époque pré-gothique. Le saint tient dans la main une clef immense, grande comme la moitié de sa taille, et qui ressemble à une massue. Est-ce naturel de porter une clef à la façon dont on porte une massue ? Ou bien doit-on penser que l'artiste a songé à un marteau plutôt qu'à une clef quand il a sculpté sa statue ?
Ensuite, dans certaines églises, on a représenté Donar lui-même. Sur la tour de l'Eglise Pierre et Paul de Hirsau, près de Calw en Baden-Wurtemberg, on aperçoit Donar, accompagné de ses deux boucs. À Oberröblingen près de Halle-sur-la-Saale, on trouve également son effigie, en dehors de l'église, au-dessus de la porte. Ce sont également les boucs qui permettent de le reconnaître. Souvent, Donar est représenté comme un Dieu cornu (plus tard, seul le diable sera représenté de cette façon) ou comme un Dieu porte-marteau, comme, par exemple, dans la cathédrale de Worms. Bien sûr, la plupart de ces représentations servent à exorciser les "mauvais démons" des païens, à démoniser leurs dieux favoris, ce qui est assez souvent le cas pour Donar, dieu très populaire et difficilement déracinable. Conséquence : on le représente cornu pour lui ôter ses traits humains. Dans le livre des sorcières d'Ulrich Molitor (mort après 1501), nous trouvons l'image d'une sorcière à tête de chèvre. Or la chèvre était l'animal par excellence de Donar. Son char traversait le firmament, tiré par des boucs.
Beaucoup de vieilles gens, dans nos campagnes, tracent une croix sur le pain, avant de le couper et de le manger. Mais lequel de ces ruraux, encore bien enraciné dans l'immémorial, pense, qu'en fait, il trace le signe du marteau sur sa miche fraîche, comme le faisaient déjà les paysans de la Germanie antique. Ils consacraient leur pain à Donar, pour qu'il leur offre encore de riches moissons.
La plupart des chênes consacrés à la Vierge Marie sont en fait des chênes de Donar christianisés
Mais l’Église a surtout démonisé tout ce qui rappelait le vieux dieu des paysans germaniques ; ce fut aussi le cas de Wodan (cf. Combat païen n°8). Ainsi, le balai, autre attribut de Donar, est devenu le balai des sorcières : « Le balai des sorcières est à coup sûr une démonisation, perpétrée par les prêtres, du balai de Donar, lequel n'est en fait que l'instrument par lequel le dieu germanique du tonnerre empêchait la foudre de tomber » (Erich Jung). Explication parfaitement compréhensible : Donar ne se contentait pas d'envoyer le tonnerre ; il pouvait aussi en protéger les hommes.
Dans le langage quotidien, le souvenir de Donar s'est également perpétué. Le terme allemand Tor (le sot) dérive de la désignation scandinave de Donar, Thor. Pour les Chrétiens, Thor/Donar, déprécié en tant que dieu païen, est devenu synonyme de sot, d'idiot, de simplet. De cette façon, l’Église dénigrait le dieu et ses vénérateurs, les paysans. Ceux-ci, sous la pression de l’Église qui prend le pouvoir culturel au Haut Moyen-Âge, ne sont plus considérés comme libres et respectables, mais comme des simples, des rustauds bornés, qui retombent trop vite dans leurs anciens errements. Sur le plan social, la christianisation, en terres germaniques, a conduit tout droit au servage.
(Cf. Otto Rudolf Braun, Germanische Götter, Christliche Heilige, Verlag Hohe Warte, D-8121 Pähl, 1979).
► Otto Rudolf Braun, Combat païen n°22, 1992.
Le culte solaire chez les peuples germaniques
Contrairement aux Grecs et aux Romains, qui adoraient des divinités solaires, les Germains considéraient que la puissance du soleil, qui donnait vie à tous les êtres, était, pour eux, une des puissances les plus sacrées. Les innombrables symboles solaires que l’on découvre sur les parois rupestres du Nord de l’Europe depuis l’Âge du Bronze, souvent sous la forme de roues solaires, en témoignent de manière fort éloquente. Certains d’entre ces symboles ont plus de 3.500 ans. Jusqu’ici, il a été quasiment impossible d’interpréter avec précision ces signes gravés dans les rochers. Par ailleurs, le déchiffrement des signes trouvés, au nombre d’environ 7.500, sur un rocher canadien, à Petersborough dans la province d’Ontario, nous donne l’espoir d’un jour pouvoir déchiffrer les milliers de grafittis de l’Ultima Thulé scandinave. C’est un professeur britannique, Barry Fell, qui nous a donné la clef d’un tel déchiffrement. Les 2 alphabets de runes primitives, qu’il est parvenu à déchiffrer, il les a appelés “Tifinag” et “Ogham”. Son œuvre peut se comparer au dévoilement du mystère des hiéroglyphes égyptiens par le Français Champollion et à la découverte du sens des anciens alphabets grecs du “Linéaire A” et du “Linéaire B” par Michael Ventris. Grâce à Champollion et à Ventris des pans entiers de la culture antique et protohistorique nous sont désormais accessibles.
Les spécialistes allemands des religions et des mythologies, le Dr. Wolfram Goegginger et le Prof. Gustav Mensching ont, dans un ouvrage reproduit récemment en facsimilé, Volksreligion und Weltreligion im deutschen Brauchtum (Religion populaire et religion universelle dans les coutumes allemandes ; Faksimile-Verlag, Brème, 266 p., 1996) ont surtout mis en exergue les cultes solaires germaniques et souligné leur grande importance. Le livre, dans sa première édition, date de 1944 et avait été publié auprès d’une maison d’édition de Riga en Lettonie. L’ensemble du stock avait été détruit lors d’un bombardement allié, alors qu’on le transportait vers l’Allemagne. La nouvelle édition fait donc œuvre utile. On considère désormais ce travail comme un ouvrage standard dans la littérature sur l’histoire des religions.
Thèse initiale du travail : au départ de la religion populaire germanique primitive, on peut évoquer diverses fêtes du printemps, du soleil et de l’hiver, assorties de traditions précises, tant et si bien que la pratique de cette religion populaire peut être considérée comme une création purement germanique. On ne s’étonnera pas, dès lors, que l’Église, au moment où le christianisme pénétrait dans l’espace germanique et scandinave, ait tout mis en œuvre pour détruire ces traditions mythiques bien ancrées depuis la nuit des temps, comme d’ailleurs toutes les autres coutumes et monuments “païens” de nos lointains ancêtres.
On comprendra aisément que des populations contraintes de vivre dans de sombres forêts pendant près d’une demie année d’obscurité vont adorer l’astre solaire avec une vénération plus forte que les peuples du Sud.
En partant d’une présentation de l’essence de la religion chrétienne, pour laquelle, comme pour l’islam et le bouddhisme, l’individu est central, nos 2 auteurs montrent, dans leur ouvrage, que la religiosité des anciens Germains est affirmatrice de la vie au contraire de la religion chrétienne qui méprise le monde et s’affirme anti-vitaliste.
Nous n’avons pas la place ici d’énumérer, même sommairement, toutes les coutumes principales de la liturgie annuelle pratiquée par nos ancêtres, raison pour laquelle il conviendrait d’acheter et de lire ce livre remarquable, qui comble une formidable lacune dans l’histoire des pratiques religieuses en Europe.
Nos auteurs évoquent notamment les combats printaniers contre les dragons, représentant les puissances hivernales et mortifères, des fêtes de la fertilité et des rites liés aux plus anciennes divinités (Odin, Thor, Frigga, etc.), ainsi que les fêtes de l’Ostara et du Huld, qui, elles, évoquent la reprise de parole de Dieu. Parmi les cultes commentés, signalons le “labourage sacré”, au moment où commence le printemps ; ces cultes indiquent que ces peuples avaient acquis un degré élevé de culture comme le montrent aussi les nombreux dessins rupestres où figurent des chariots et des nefs à haute étrave ou haut étambot. Ces populations n’étaient donc pas des nomades primitifs en état d’errance perpétuelle, comme le prétendaient les missionnaires chrétiens, en pensant qu’ils leur apportaient les premiers éléments de religion.
Les dessins rupestres représentent souvent, dans un contexte religieux, des arbres de vie (apparemment l’Arbre du Monde, le Frêne Yggdrasil), ce qui implique un culte des arbres et de la forêt omniprésente sous ces latitudes. L’arbre de Noël en est un écho, surtout lorsqu’il est décoré d’artifices lumineux, ainsi que la fête qu’il célèbre, celle du Jul. On sait que ces coutumes ne viennent pas d’Orient mais de l’espace germanique et scandinave, à partir duquel elles se sont répandues dans le monde. Ce n’est pas un hasard si le missionnaire Boniface fit abattre le chêne dédié à Thor à Hohengeismar en Hesse dès son arrivée en Germanie en l’an 724! De même, l’Arbre de Mai, dénommé soit Maistande (mât de Mai) ou Maibaum / Meiboom est le symbole de la nouvelle vie en phase de germination. Les jeux festifs du moment solsticial sont encore considérés en Scandinavie comme la plus importante des fêtes de la Lumière, placée sur le même plan que la Noël. L’Église a débaptisé cette fête du solstice d’été en l’appelant “feux de la Saint Jean”.
Dans ce livre magnifiquement relié et reproduit en facsimilé sur les cultes et les traditions, la première partie est due à la plume de W. Goegginger, tandis que la seconde, dont l’auteur est G. Mensching, traite de l’opposition qui existe naturellement entre religiosité populaire (ou naturelle) et religiosité universaliste, en assortissant cette distinction de premier ordre de réflexions fort profondes. Mensching oppose donc les religiosités purement naturelles aux religiosités qui se borne à n’exercer qu’un culte. Les religiosités naturelles représentent dès lors l’idéal de communauté, de dimensions tribales ou populaires ; les religiosités universalistes, elles, reposent sur une anthropologie strictement individualiste. Dans sa conclusion, Mensching écrit : « La vie, et non pas les dieux, est ce qui est relève réellement du divin dans le domaine de la religiosité germanique... Au-dessus de nous, il y a immanquablement le Dieu éternel, le waltand got, l’incompréhensible, celui qui nous envoie notre destin, qui nous prodigue notre salut, la force originelle de toute religion et de toute force ».
► Frithjof Hallmann (recension parue dans Mensch und Mass n°2/1998).