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KOSOVO

Le Kosovo : nouveau protectorat américain ?


figure10.jpgLe Kosovo, que les Allemands nomment aussi l’Amselfeld, le « Champ des Merles », est une région au centre de la péninsule balkanique, dont les frontières touchent au sud-ouest l’Albanie, au nord-ouest le Monténégro, au nord et à l’est la Serbie aujourd’hui réduite et, au sud-est, la Macédoine. Après la guerre de 1999, le Kosovo a reçu, par le truchement de la résolution 1244 des Nations Unies, le statut d’un territoire autonome à l’intérieur de la Serbie et a été placé sous l’administration de l’ONU.

Les frontières occidentales et méridionales du Kosovo sont constituées de zones montagneuses. Au centre de cette cuvette, nous trouvons deux plaines : celle du Champ des Merles, avec Pristina pour capitale, et la Métochie à l’Ouest, dont le centre est Prizren. Les deux plaines sont séparées par une zone de collines, semi-montragneuse. Le Kosovo, avec ses 10.877 km², a une superficie a peu près égale au tiers de celle de la Belgique. Sa densité démographique de 175 habitants par km² en fait un territoire à la population relativement dense. On estime que la population du Kosovo est d’environ 1,9 million d’habitants. Cette population est très jeune : 33 % a moins de 15 ans ; 6 % seulement a plus de 65 ans. Entre 350.000 et 400.000 Kosovars vivent à l’étranger, surtout en Allemagne, en Autriche et en Suisse. D’après des estimations récentes de l’OSCE, 91 % de la population du Kosovo est albanaise, 5% est serbe et les derniers 4 % sont constitués d’autres minorités, surtout des Tziganes et des Turcs. À la suite des élections parlementaires du 17 novembre 2007, que les Serbes ont boycottées, le PDK, ou « Parti Démocratique du Kosovo », formation du chef de l’opposition Hashim Thaçi, est devenu la principale force politique du pays. Une semaine après ces élections, ont commencé les ultimes négociations entre Serbes et Albanais du Kosovo à Baden près de Vienne. Elles se sont terminées le 28 novembre 2007 sans qu’un accord n’ait été conclu. Après cet échec, le Président Sejdiu a exclu toute poursuite des négociations avec la Serbie et a annoncé que la seule alternative serait de proclamer bien vite l’indépendance du Kosovo.

C’est ainsi que l’indépendance du Kosovo est devenue une probabilité toujours plus grande, même si la Serbie, et son allié traditionnel, la Russie, ont annoncé que ce ne serait pas sans conséquences. Les Albanais du Kosovo reçoivent le soutien des États-Unis et de l’Union Européenne. Même l’ancien ministre allemand des affaires étrangères, l’écologiste Fischer, n’hésite pas à transgresser certaines règles diplomatiques et à propager l’idée d’un Kosovo indépendant. Mais l’histoire nous enseigne toutefois que le Kosovo est le cœur même de la Serbie.

Une histoire sanglante

Ce n’est pas sans raison qu’un homme politique macédonien, il y a quelques années, qualifiait les Balkans de « débris d’empires ». Longtemps peuplé de populations de souche illyrienne, le Kosovo est devenu la patrie des Serbes, une population slave méridionale. Au départ, le Kosovo a été le centre de la Serbie médiévale. Le biographe de Charlemagne, Eginhard, mentionne déjà la Serbie en 822. L’Albanie n’apparaîtra dans les textes médiévaux qu’en 1272, après qu’elle eût été fondée par Charles d’Anjou. Avant l’occupation ottomane à la suite de la défaite serbe du Champ des Merles en 1389, aucune chronique n’évoque d’Albanais en Serbie. Ce n’est qu’après l’occupation complète de la Serbie par les Turcs musulmans que les Albanais pénètrent dans cette région située au nord de leur zone de peuplement, après avoir adhéré en masse à la religion islamique. Les historiens albanais voient dans les Albanais des descendants des Illyriens, ce qui est cependant contesté. Les Serbes quittent le pays par vagues, ce qui diminue leur pourcentage au sein de la nouvelle population.

À la suite des avancées des troupes du Prince Eugène de Savoie-Carignan, qui battent les Turcs, les Serbes se soulèvent au Kosovo et font payer cher aux occupants ottomans les avanies que ceux-ci leur avaient fait subir. La « Grande Migration » de 1690 mena beaucoup de Serbes sur le territoire de l’actuelle Croatie, où les souverains autrichiens les utilisèrent comme paysans-colons et garde-frontières, dotés de privilèges, le long de la frontière militaire austro-ottomane, afin de prévenir et contenir toute nouvelle invasion turque.

En 1871, le rapport était de 318.000 Serbes pour 161.000 Albanais au Kosovo. Tandis que la Serbie était devenue complètement indépendante en 1878, la domination turque au Kosovo ne se termina qu’en 1912. Dans les dernières années de l’occupation ottomane, la terreur anti-serbe alla crescendo, tant et si bien que peu avant que n’éclate la première guerre mondiale en 1914, il n’y avait plus que 90.000 Serbes dans la région. Pendant la seconde guerre mondiale, la Kosovo appartenait à l’Albanie qui était protectorat italien. Tandis que les Serbes sont demeurés jusqu’à nos jours assez germanophobes, l’Allemagne était généralement adulée chez les Albanais. Il y eut même une division de Waffen-SS constituée de volontaires albanais (la Division « Skanderbeg »).

Après 1945, le chef de la nouvelle Yougoslavie communiste, Tito, interdit aux Serbes de revenir sur le territoire du Kosovo, alors qu’il laissait les frontières entre la Serbie et l’Albanie ouvertes, ce qui entraîna l’immigration de 100.000 Albanais sur le territoire kosovar, sous souveraineté yougoslave. Sous Tito régnait un véritable embargo sur toutes les informations en provenance du Kosovo. Finalement, la minorité serbe subit ouvertement attaque sur attaque, ce qui, d’après des sources américaines, a entraîné l’exode hors du Kosovo de quelque 60.000 Serbes entre 1972 et 1982. En 1974, le régime titiste accorde une autonomie élargie aux Albanais du Kosovo. Cette autonomie fut annulée en 1989 après l’énorme vague d’indignation qui secoua la Yougoslavie après que les Albanais eurent commis des viols en masse et des voies de fait contre des concitoyens non albanais au Kosovo.

Dans les années 90, l’UçK se constitue grâce aux appuis que lui procurent les services secrets américains. L’UçK entendait systématiser la terreur pour parvenir à un Kosovo indépendant. L’appareil policier serbe riposta, avec toute la rigueur voulue, en 1999. L’exode des Albanais du Kosovo vers l’Albanie fut le prétexte saisi par l’OTAN pour intervenir militairement contre la Serbie. En Allemagne, le gouvernement rouge-vert de l’époque participa allègrement à cette violation flagrante du droit des gens, déguisée en « action de représailles », alors qu’un pays de l’OTAN comme la Grèce a eu le courage d’exprimer à l’égard de la Serbie sa « solidarité orthodoxe » et de rester neutre. Depuis 1999, 16.000 soldats de la KFOR, sous le commandement de l’OTAN, sont stationnés au Kosovo, dont 3500 militaires de la Bundeswehr allemande. Malgré cette présence, personne ne s’attend à une relance économique de la province, vu le taux de chômage de 70 % qui y règne.

Aujourd’hui, on parle d’installer au Kosovo un protectorat américain supplémentaire, après que l’expérience bosniaque se soit, elle aussi, avéré un fiasco total. Dans le nouveau cabinet kosovar, on constate, par exemple, que le ministère de l’énergie sera confié à l’économiste Justina Pula-Shikora, qui avait travaillé jusqu’ici à la fameuse Fondation Soros à Pristina. L’État du Kosovo ne sera donc jamais qu’une marionnette aux mains de Washington. Pour amadouer le gouvernement de Belgrade, on promet aux Serbes qu’ils pourront adhérer à l’UE. Le contribuable allemand ira bien entendu de sa poche pour financer ce marché de dupes.

Un avenir sanglant ?

Il serait tout à fait incongru d’appliquer des critères centre-européens dans une région comme les Balkans. Sur le plan historique, le Kosovo a appartenu politiquement, depuis toujours, à la Serbie. Mais la Voïvodine, très fertile sur le plan agricole, appartenait jadis ethniquement à la Hongrie et est aujourd’hui peuplée majoritairement de Serbes. Quant aux Serbes de Bosnie, qui menacent de proclamer leur propre État indépendant sur le territoire bosniaque, ils ne sont arrivés là qu’à partir du XVIe siècle. Beaucoup d’entre eux venaient d’ailleurs du Kosovo. Il faut aussi se rappeler qu’une grande partie des 600.000 Serbes qui ont vécu pendant plusieurs siècles en Krajina, un territoire croate, ont quitté la Croatie après l’opération « Tempête » du Général Ante Gotovina en 1995.

Le mieux, à l’évidence, est de trouver des solutions pacifiques à cet imbroglio, prévoyant des entités ethniquement homogènes et cohérentes sur le plan territorial. On pourrait éventuellement procéder à des « échanges territoriaux » et à des compensations matérielles. Or ce sont précisément des solutions pacifiques de ce type-là que l’Occident, avec les États-Unis en tête, a sans cesse torpillé. Car finalement l’existence d’entités étatiques fragiles sert l’hégémonisme global. Les faiblesses intérieures entraînent la dépendance en politique extérieure. Cette réalité vaut sur le plan de la domination culturelle comme sur celui de la domination économique, ce que démontrent notamment les privatisations au profit de consortiums étrangers en Bosnie et au Kosovo. Ce dernier détient, soulignons-le, les plus grandes ressources en minerais divers d’Europe. Les Balkans ont toujours eu une grande importance géopolitique et, au beau milieu de ceux-ci, le Kosovo réunit à lui seul tous les atouts stratégiques de la péninsule. Il est à la croisée des voies de communications, à cheval sur les lignes de fracture de demain, quand il s’agira de maîtriser les sphères d’influence politiques et les réserves de matières premières.

L’offre serbe d’accorder une très large autonomie au Kosovo, d’accepter que se constitue une équipe de football kosovar indépendante et que la province aujourd’hui majoritairement albanophone dispose de représentations diplomatiques a été une offre correcte, une ouverture au dialogue intelligente et posée. Mais les Kosovars, excités par les Américains, ont exigé l’indépendance totale. Même si l’on raisonne en termes d’ethnies, de patries charnelles ou d’appartenance linguistique, on doit alors partir du principe minimal d’une partition possible et nécessaire du Kosovo entre la Serbie et l’Albanie. En effet, au nord de la rivière Ibar, la majorité de la population est serbe. En revanche, si l’on raisonne en termes d’histoire et de culture, cette partition est impensable pour les Serbes car la plupart des monuments religieux et des monastères serbes se situent au-delà de la rive sud de l’Ibar.

Si d’aventure le Kosovo devenait définitivement indépendant, les mouvements sécessionnistes auraient le vent en poupe dans le monde entier, ce qui constituerait un désavantage évident pour la Russie, principal adversaire géopolitique des États-Unis. La problématique du Kosovo montre, de manière exemplaire, que tout assemblage étatique multiculturel est, à terme, menacé d’éclatement et, qu’en fin de compte, seules les puissances extérieures à l’espace (raumfremde Mächte) profitent de leurs tensions intérieures. La protection qu’accordent les États-Unis aux Albanais musulmans du Kosovo ne tiendra qu’aussi longtemps que cela conviendra aux intérêts des cénacles dominants de New York et Washington. Si, un jour, les Albanais du Kosovo décidaient de mener leur politique à leur guise, ils devront vite déchanter et il ne leur resterait plus qu’à méditer un adage jadis forgé par Ernst Niekisch : « Celui qui a l’Amérique pour amie, n’a plus besoin d’ennemis ! ».


► Safet BABIC, Deutsche Stimme, fév. 2008. (tr. fr. : RS)

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Réflexions sur la proclamation unilatérale de l’indépendance du Kosovo

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◘ Synergies Européennes – Communiqué – 20 février 2008

 

La question se pose : faut-il ou ne faut-il pas reconnaître l’indépendance du Kosovo ? En d’autres termes, peut-on reconnaître le droit d’une population, disposant d’un parlement infra-étatique, à proclamer son indépendance, si la majorité de ses représentants sont en faveur d’une telle démarche ?

Dans ce questionnement, deux principes se télescopent :
  1. Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, le droit de toute identité, reposant sur des critères objectifs et des bases concrètes (ethniques, linguistiques, historiques, etc.), à se doter d’un système de représentation politique propre dans un cadre spatio-temporel déterminé, que ce soit dans le cadre d’un État multiethnique (selon le modèle helvétique) ou dans un État qui prévoit un fédéralisme, plus ou moins étendu, selon d’autres modèles, comme le fédéralisme allemand ou l’État de communautés autonomes qu’est actuellement l’Espagne. Ce droit à l’autonomie donne-t-il le droit à l’indépendance ? La question peut demeurer ouverte dans le cadre européen.
  2. Le droit des peuples européens à refuser toute balkanisation qui affaiblit le continent dans son ensemble, génère en son sein des conflits exploitables par des puissances tierces, généralement étrangères au territoire européen (selon la terminologie de Carl Schmitt : des « raumfremde Mächte »).
Le premier de ces principes est un principe de droit. Le second de ces principes est un principe géopolitique. La déclaration unilatérale de l’indépendance du Kosovo suscite une contradiction : elle oppose, du fait même d’avoir été proclamée unilatéralement, le droit à la géopolitique, alors qu’en Europe droit et géopolitique ne devraient pas s’opposer mais former, de concert, une unité indissoluble. Le droit doit aider à consolider l’ensemble territorial, à barrer la route à toute tentative de dislocation et non à sanctionner des pratiques débouchant sur l’affaiblissement ou le démantèlement.

Le droit à l’autonomie, même la plus étendue qui soit, voire à l’indépendance étatique, est inaliénable dans la perspective jadis dessinée par Herder, défenseur philosophe des identités populaires, dans le monde germanique, comme dans les Balkans, justement, où il a compté beaucoup de disciples. Cependant, ce jeu dialectique complexe entre l’identité locale et particulière, d’une part, et, d’autre part, la nécessité d’assurer un cadre solide où toutes ces identités locales et particulières pourraient se déployer en paix et en harmonie implique de bâtir, tous ensemble en Europe, un cadre commun tiré des expériences vécues, souvent tragiquement, par les peuples d’Europe au fil des siècles. Ce cadre commun devrait être l’avatar contemporain d’une unité initiale commune, qui a pris son envol et son essor à partir d’un territoire centre-européen dès la fin de la préhistoire, dans les prémisses de la proto-histoire. Le fait ethno-historique européen s’est diffusé au départ d’un centre, principalement haut-danubien (territoire des cultures du Michelsberg, puis des civilisations de La Tène et de Hallstatt), qui s’est, en suivant les rives du grand fleuve, propagée ensuite dans les Balkans (cultures de Lipinski-Vir, de Starcevo, etc.). Les Balkans sont nôtres, s’ils sont notre Ergänzungsraum immédiat, notre tremplin vers la Méditerranée orientale, l’Égypte, l’Anatolie, le Croisant Fertile.

Ce droit à l’autonomie est certes un droit, mais uniquement pour ceux qui reconnaissent pleinement l’unité primordiale de nos peuples avant leur diffusion dans leurs vastes périphéries. L’albanité, comme l’hellenité, la celticité ou l’italité, n’échappent pas à cette règle. Nous reconnaissons donc totalement le principe d’une albanité européenne, en marche vers le Sud, vers la Méditerranée orientale et vers l’Égypte (Mehmet Ali était d’origine albanaise). Mais le Kosovo, en devenant musulman après la conquête ottomane, cesse d’être cette albanité capable de se projeter vers ce Midi et cet Orient pour agrandir l’ager europeus. C’est la trahison par rapport à l’esprit du grand héros Skanderbeg, capitaine en Adriatique au XVe siècle, aux portes de la Méditerranée orientale, contre les Ottomans. En devenant ottomane et musulmane, l’albanité tourne ses forces contre le centre de l’Europe, se fait fer de lance de deux directions géopolitiques étrangères et donc ennemies de l’Europe : la direction des peuples turco-mongols (qui part de Mongolie vers la puszta hongroise et vers l’Adriatique) et la direction des peuples hamito-sémitiques (qui part de la péninsule arabique vers tous les azimuts).

Indépendant, le Kosovo deviendrait le troisième État musulman dans les Balkans après l’Albanie et la Bosnie. Il formerait avec elles une avant-garde pantouranienne (turco-mongole) et arabo-musulmane (hamito-sémitique) au beau milieu d’une région qui fut toujours le tremplin de l’Europe vers sa périphérie est-méditerranéenne et égyptienne. Une Europe verrouillée en cette région même des Balkans n’aurait plus de réelle ouverture sur le monde, serait condamnée au sur-place et à l’implosion. Que l’on se souvienne des peuples pré-helléniques qui feront la gloire de la Grèce antique : ils ont d’abord transité par les Balkans, y compris les Macédoniens de Philippe et d’Alexandre. Que l’on se souvienne de Rome, qui a d’abord dû pleinement maîtriser les Balkans avant de passer à l’offensive en Asie Mineure et de jeter son dévolu sur l’Égypte. L’Europe ne peut tolérer de corps étranger dans cette région hautement stratégique. Tout corps étranger, c’est-à-dire tout corps qui entend appartenir à des ensembles qui ne respectent pas les directions géopolitiques traditionnelles de l’Europe, empêche le développement actuel et futur de notre continent. Dans les luttes planétaires qui se dessinent en cette aube du XXIe siècle, accepter un tel affaiblissement est impardonnable de la part de nos dirigeants.

Dans les querelles qui ont animé, au cours de ces dernières années, la petite scène intellectuelle parisienne, certains polémistes ont argué qu’il y a, ou avait, alliance implicite entre le germanisme centre-européen et l’ottomanisme, puis entre le germanisme et les indépendantistes bosniaques et albanais, pendant les deux grandes conflagrations mondiales de 1914-1918 et de 1939-1945. Cet argument ignore bien évidemment le changement de donne. Le pôle majeur de puissance, qui se projetait en ces époques, se situait justement au centre de notre continent, dans les bassins fluviaux parallèles du nord de l’Europe et dans le bassin danubien, et entraînait le pôle ottoman dans une dynamique dirigée vers le Sud, vers l’Océan Indien. Dans le conflit balkanique qui a émergé dans les années 90 du XXe siècle, le centre de l’Europe n’était plus du tout un pôle de puissance ; il était divisé (balkanisé !) et vassalisé. La réactivation des particularismes bosniaques et albanais n’était plus le fait d’un pôle de puissance européen, cherchant à se projeter vers le bassin oriental de la Méditerranée ou vers la Mésopotamie et l’Océan Indien, en neutralisant positivement, par une politique de la main tendue, quelques minorités musulmanes. Cette nouvelle réactivation, dans la dernière décennie du XXe siècle, était le fait de l’alliance entre Wahhabites saoudiens et Puritains d’Outre-Atlantique cherchant, de concert, à créer une « dorsale islamique » (selon la terminologie des géopolitologues serbes, dont notre ami tant regretté Dragos Kalajic) dont la fonction géostratégique devait être double : 1) bloquer le Danube à hauteur de la capitale de la Serbie et 2) installer sur la ligne Belgrade-Salonique un bloc territorial soustrait à la souveraineté serbe, parce que cette ligne est la voie terrestre la plus courte entre le centre danubien de l’Europe et le bassin oriental de la Méditerranée.

Un bloc territorial de cette nature, recevant l’appui wahhabite et américain, est inacceptable d’un point de vue européen, même si la galerie des traîtres, des crétins et des écervelés qui se piquent de représenter l’Europe à Bruxelles ou à Strasbourg prétend le contraire. Cette galerie d’idiots raisonne en dissociant le droit de la géopolitique, alors qu’il faudrait les penser en fusion et en harmonie.

Le Kosovo, qui plus est, outre cette position centrale qu’il occupe sur la ligne Belgrade-Salonique, est l’ancien « Champ des Merles », site de la bataille sanglante qui a opposé l’armée médiévale serbe aux envahisseurs ottomans. Sur ce sol sacré, l’aristocratie serbe a versé tout son sang pour la sauvegarde de l’Europe. Le « Champ des Merles » est donc devenu, par le sacrifice de cette chevalerie, un territoire sacré, hautement symbolique, non seulement pour la Serbie et pour les autres peuples balkaniques en lutte contre la barbarie ottomane, mais aussi pour les Hongrois, Bourguignons et Impériaux qui ont tenté des croisades infructueuses pour rendre nulle et non avenue la victoire turque du Champ des Merles. L’oublier constitue une autre faute cardinale et impardonnable : c’est désacraliser l’histoire, désacraliser le politique, privilégier le procédurier et le "présentisme" (idolâtrie du fait) dans les raisonnements et les démarches politiques et géopolitiques ; c’est oublier, en amont comme en aval, le long terme au profit de l’immédiat et du superficiel. Non possumus : nous ne basculerons jamais dans de tels travers.

Plusieurs pays européens refusent de reconnaître l’indépendance du troisième maillon de la « dorsale islamique », dont l’Espagne, et les pays majoritairement orthodoxes comme la Roumanie et la Bulgarie. En France, dans la sacro-sainte « République » posée comme la parangonne indépassable de toutes les vertus philosophiques, les deux nouveaux plastronneurs burlesques de la politique, l’universaliste médiatomane Kouchner et son président, Sarközy, surnommé le « nain hongrois », s’apprêtent bien entendu à reconnaître, trompettes pétaradantes et tambours battants, l’entité wahhabito-américaniste qu’est le Kosovo. On se demande comment Voltaire ou Robespierre, dévots de la Déesse Raison, concilieraient leur laïcisme et la bigoterie des Wahhabites et de leurs alliés américains. Mais la reconnaissance par Sarko et Kouchner du Kosovo est au moins une bonne nouvelle, car on se demande ce que les deux larrons pourraient bien rétorquer si demain une brochette de puissances européennes ou autres acquerrait brusquement l’envie de reconnaître une république corse, un nouveau duché de Bretagne ou un nouvel État insulaire dans les DOM-TOM ou, plus facilement encore, le retour à l’indépendance savoisienne qui existe de jure. L’indépendance de la Savoie pourrait devenir très légalement le premier levier pour réanimer l’existence politique et étatique de la Bresse (province savoisienne), de la Lorraine (grand-duché impérial), de la Franche-Comté, etc. De fil en aiguille, la vieille Lotharingie reprendrait forme, reprendrait pied le long du Rhône en Provence et dans le Dauphiné, rendant tout à coup actuel le Testament de Charles-Quint (que nous n’aurions jamais dû oublier, ni à Munich ni à Vienne ni à Rome ni à Madrid ni à Bruxelles).

La Russie, pour sa part, pourrait, par le biais d’une interprétation jurisprudentielle de l’indépendance du Kosovo, faire accepter l’indépendance de deux provinces géorgiennes : l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud, disloquant du même coup le principal pion américain et otanesque dans le Caucase.

Quelle que soit l’issue de l’indépendance kosovar en Europe, elle nous offre des possibilités d’action :

1) si personne ne la reconnaît ou si de fortes résistances s’opposent à sa pleine reconnaissance, il n’y aura pas de « dorsale islamique » ni de bloc territorial obstruant sur la ligne Belgrade-Salonique.
2) Si tous reconnaissent le Kosovo indépendant, nous avons un prétexte pour disloquer la France et reconstruire le flanc occidental et roman du Saint Empire défunt mais dont seule la restauration permettrait à l’Europe de se redonner une épine dorsale politico-spirituelle. Cette restauration signifierait simultanément la mort définitive de l’idéologie républicaine, cette nuisance pernicieuse qui atteint le sommet du ridicule avec le binôme Sarközy-Kouchner. Le seul danger d’une reconnaissance générale de l’État kosovar serait de donner prétexte aux Musulmans des presidios de Ceuta et Melilla de réclamer une indépendance analogue, avec la bénédiction des mêmes parrains wahhabites et yankees. Raison pour laquelle l’Espagne refuse de reconnaître le nouvel État auto-proclamé (outre le fait basque).

Dans tous les cas de figure, nous aurons l’occasion de militer en faveur de notre vision de l’Europe. De demeurer des combattants. De véritables « zoon politikon ». Les Vestales d’un inéluctable Grand Retour de la tradition impériale.

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[illustations : drapeau traditionnel et actuel]

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Regard rétrospectif sur un conflit inhabituel

Entretien avec le Professeur em. Erik SUY (KUL)

 

◘ SYNERGIES EUROPÉENNES
Atelier MINERVE — Section "Actualités Internationales" — Bruxelles, Metz, Milan, le 22 décembre 1999

Erik Suy a été longtemps professeur de droit des gens à l'Université Catholique de Louvain (KUL) et, pendant les années 80, il a été secrétaire-général adjoint des Nations Unies. Il fut l'un des premiers en Belgique à condamner l'intervention de l'OTAN dans le ciel du Kosovo. Par des formules acerbes, il a fustigé l'action de l'alliance occidentale, en toute connaissance de cause, comme on peut s'y attendre de la part d'un homme de sa trempe. Il nous a expliqué son point de vue dans son bel appartement bruxellois.

• Q. : Votre réaction face à l'intervention de l'OTAN pendant la crise du Kosovo n'a pas été tendre. Vous avez parlé du retour de la politique de la canonnière. Qu'entendez-vous exactement par là ?

ES : Je suis parti du point de vue que la Charte des Nations Unies n'était pas un vulgaire chiffon de papier. Elle est, au fond, la loi fondamentale de la communauté internationale et il ne me paraît pas licite de la prendre par-dessus la jambe, car personne ne songerait à agir de la sorte face à la loi fondamentale d'un État national. Une loi fondamentale n'est pas comparable à un menu où nous choisissons ce qui nous plait. Si nous jetons un coup d'œil sur le texte de cette Charte, nous lisons, dans l'art. 2, paragraphe 4, que le principe de base est le suivant : les États s'engagent, dans leurs relations internationales, à s'abstenir de menacer les autres ou de recourir à la violence. Dans cette même charte figurent également les deux seules exceptions à cette règle générale avec, d'une part, l'art. 51 qui prévoit le droit de se défendre et, d'autre part, le chapitre VII qui dit explicitement que le Conseil de Sécurité prend la décision de recourir à la violence en cas de "menace contre la paix, de contravention à la paix ou d'actes d'agression". Telles sont et restent les règles, même si, dans de nombreux cas, elles n'ont pas été respectées. Question : ces nombreuses entorses doivent-elles conduire à une modification de la règle ? Le vol est également interdit, mais, comme il est un délit très fréquemment commis, doit-on pour autant l'accepter ?

• Q. : Mais, vu ses nombreuses exceptions, n'est-il naïf de croire que la Charte des Nations Unies contribue à canaliser la violence dans le monde ?

ES : Bon nombre d'États prétendent qu'il existe encore d'autres exceptions que les 2 qui sont prévues dans la Charte. Notamment, l'usage préventif de la violence ou, en d'autres termes, l'utilisation de la violence pour éviter la violence. L'exemple classique en ce domaine est le bombardement israélien d'un réacteur atomique irakien au début des années 80. En s'appuyant sur ce précédent, on cherche d'autres exceptions et on en est arrivé à affirmer que les interventions humanitaires doivent être rendues possibles. Je ne suis pas contre ce type d'interventions et je vais vous donner quelques exemples d'interventions humanitaires qui sont acceptables à mes yeux. Prenez par ex. l'intervention des troupes belges à Stanleyville en 1964 ou la libération des otages de l'aéroport d'Entebbe par les Israéliens. Cette dernière action a été fortement critiquée comme tout ce qu'entreprend Israël, toutefois, sous des conditions très strictes, cette sorte d'opérations m'apparaît acceptable. Entre-temps, on a fait un pas de plus et on en arrive au cas du Kosovo.

Q. : L'intervention au Kosovo peut être ou ne pas être fondée sur une procédure via les canaux classiques prévus par les Nations Unies. L'argument définitif contre l'application de cette procédure n'est-il pas de dire qu'elle risque constamment d'être annulée par un veto russe et peut-être aussi chinois ?

ES : En effet, c'est l'argument classique, mais on n'a même pas essayé. Je peux aussi comprendre qu'on se soit attendu à un veto russe ou chinois, mais alors, je suis obligé de faire référence à un précédent, quand les Américains, en 1950, lors de l'Assemblée générale des Nations Unies, on réagit face à cet argument en approuvant la résolution "united for peace", qui est bien connue. En vertu de cette résolution, et quand le Conseil de Sécurité est paralysé, l'Assemblée générale peut prendre en charge les tâches des Nations Unies. C'est une procédure qu'on aurait pu essayer et on peut penser que l'Assemblée générale aurait réuni une majorité asses large pour légitimer l'usage de la violence, mais les Américains n'ont pas appliqué cette méthode, qu'ils avaient pourtant élaborée eux-mêmes jadis. Dire que cette procédure alternative aurait duré trop longtemps est absurde, car le Conseil général, aujourd'hui, est en réunion permanente.

• Q. : Si je puis m'exprimer de manière un peu cavalière, cette "négligence de procédure" n'est-elle pas largement compensée par une intention pieuse et louable, celle d'éviter une "catastrophe humanitaire" ?

ES : Cette catastrophe humanitaire ne s'est produite qu'après l'intervention. On a calculé qu'au moment de l'intervention, environ 150.000 Kosovars de souche albanaise étaient en fuite, aujourd'hui un nombre égal de Serbes errent sur les routes ou végètent dans des camps de réfugiés, mais on ne parle pas d'eux ! L'argument "humanitaire" est de plus en plus avancé pour légitimer des opérations militaires. En avril dernier, le prétexte humanitaire était mûr et les bombes ont commencé à tomber dru ; cependant, la décision d'intervenir avait déjà été arrêtée en août 1998. À cette époque-là, le Conseil de l'OTAN avait pris la décision d'intervenir militairement, décision suivie de plusieurs mois de tergiversations sur les fondements juridiques qu'il fallait apporter pour justifier l'opération, et qu'on ne trouvait pas... Finalement tout le monde s'est rallié à la légitimation "humanitaire". Je voudrais attirer votre attention sur le fait que Louis Michel, notre propre ministre des affaires étrangères, a dit, il y a quelques semaines, devant l'Assemblée Générale des Nations Unies, qu'avec la résolution 1244 la légalité avait été rétablie. Donc le ministre belge des affaires étrangères admet que l'intervention au Kosovo a été illégale. Je ne suis donc pas un révolutionnaire quand j'affirme considérer cette intervention comme infondée sur le plan juridique.

• Q. : Pendant les mois qui ont précédé l'intervention, on a assisté à une campagne médiatique rudement bien orchestrée contre la Serbie en général et contre Milosevic en particulier. Dans quelle mesure les informations qui nous parvenaient de cette manière étaient-elles conformes à la vérité ?

ES : En octobre 1998, Milosevic a rompu l'accord convenu précédemment avec l'envoyé spécial des États-Unis, Richard Holbrook ; aussitôt les médias ont crié au meurtre. Et Milosevic a effectivement rompu l'accord, mais là n'est pas toute l'histoire. Dans un rapport du Secrétaire général des Nations Unies – où l'on désigne notamment l'UÇK comme une organisation "terroriste" – on peut lire qu'au fur et à mesure que les troupes serbes se retirent, leurs positions sont occupées par l'UÇK. À ce moment, Milosevic a organisé une contre-attaque, dirigée contre l'UÇK et non pas contre la population du Kosovo ; à ce moment-là, les choses ont pris une tournure plus tragique. La rupture de l'accord convenu avec Holbrook a eu lieu précisément parce que la partie adverse ne respectait pas la convention.

• Q. : C'est alors que nous avons eu la conférence de Rambouillet...

ES : On parle beaucoup des accords de Rambouillet, mais qui a vraiment lu le texte de ces accords ? La Serbie, en vertu de ces propositions de paix ne devait pas seulement accepter la présence de troupes de l'OTAN au Kosovo mais sur l'ensemble du territoire serbe. Cette proposition était inacceptable pour Belgrade donc elle devait aboutir à un échec. Avec les bombardements, on voulait contraindre Milosevic à accepter ces accords envers et contre tout. Attention, en vous disant cela, je ne vous raconte pas des secrets : on peut le lire dans les journaux de l'époque. À ce moment, j'ai comparé Rambouillet aux accords de Munich en 1938. La France et l'Angleterre ont exercé une pression sur la Tchécoslovaquie pour qu'elle donne un certain degré d'autonomie au Pays des Sudètes, à la suite de quoi Hitler a exigé l'indépendance complète et a menacé de bombarder Prague s'il n'obtenait pas satisfaction. L'OTAN a agi d'une manière identique. On ne doit pas oublier que, selon les règles du droit international, les traités qui sont signés sous la menace sont nuls et non avenus. On retrouve ce principe dans le Traité de Vienne relatif au droit des traités (1969), où les juristes ont réfléchi aux accords de Munich, qui furent leur principale source d'inspiration.

• Q. : Le chiasme profond qui existe entre l'idée que se font les gens de la crise du Kosovo et le récit que vous nous faites ici n'est-il pas inquiétant ?

ES : Dans le passé, j'ai dit, dans plusieurs entretiens, que l'on ne pourrait convaincre la population de la justesse d'une intervention qu'au moment où Milosevic et sa clique seraient suffisamment démonisés. Une fois cette œuvre de démonisation achevée, on pouvait commencer l' "intervention humanitaire", mais de quelle manière ? Est-il nécessaire, dans le cadre d'une intervention humanitaire, de bombarder des ponts et des réserves de pétrole situés à 200 km du lieu frappé par la misère ? Ces bombardements ont eu des répercussions économiques très lourdes, tant pour la Yougoslavie que pour la Bulgarie, l'Autriche et la Bavière. Était-il nécessaire, toujours dans le cadre de cette intervention "humanitaire" de frapper l'ambassade de Chine, en toute conscience comme cela semble être le cas depuis peu ? Je comprends l'argument qui dit que le respect de la souveraineté d'un État ne peut pas constituer une excuse pour tolérer les entorses portées à l'encontre des droits de l'homme, mais il s'agit ici de juger les moyens employés..

• Q. : Quel a été le motif réel de l'intervention ?

ES : Il y a deux véritables raisons. Si vous jetez un coup d'œil sur la carte de l'Europe, vous vous apercevrez que l'OTAN est en train de s'élargir considérablement, avec les adhésions de la Hongrie, de la Tchéquie et de la Pologne. À l'Est de ces trois pays, vous avez la Grèce et la Turquie. Vous remarquerez aussitôt qu'il y a un "chaînon manquant" dans la continuité territoriale. L'OTAN est présent en Macédoine, en Bosnie, en Albanie et au Kosovo donc l'occupation du "chaînon manquant" territorial sert à l'encerclement de la Russie. Cette dernière éprouve un fort ressentiment en constatant cette manœuvre d'encerclement, mais elle est aujourd'hui très faible, pourtant, un jour, tôt ou tard, elle redeviendra forte, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Deuxième explication : la nouvelle stratégie que l'OTAN a acceptée fin avril. L'optique de cette deuxième stratégie est de se donner la possibilité d'intervenir "en dehors de sa zone" ("out of area") pour protéger des intérêts vitaux ; concrètement, l'OTAN veut dire que le Kosovo est une position clef en ce qui concerne le transport du pétrole en provenance du Caucase. Les États-Unis veulent que ce transport s'effectue via la Turquie, mais les Russes donnent la préférence à un tracé situé plus au nord. La capitale de la Tchétchénie, Grozny, se situe aussi sur une position charnière. Dans ces régions, la question du pétrole est toujours présente. Tout tourne en réalité autour du pétrole : c'est ce qu'il faudrait dire à l'opinion publique. Personne ne doit s'imaginer que cette intervention avait pour objectif les droits de l'homme, ce serait de la pure niaiserie. En plus, un troisième facteur doit entrer en ligne de compte : l'Albanie et le Kosovo constituent, territorialement parlant, la plus grande région de transit pour le transport de cocaïne et d'héroïne en provenance de la Turquie.

• Q. : À la lumière de tout ce que vous venez de me dire, n'est-il pas logique que l'Europe, dans un proche avenir, tente de se donner davantage d'indépendance au sein de l'OTAN et d'avoir droit au chapitre ?

ES : Il est évident que si l'Europe veut parler d'une voix plus forte dans toutes les affaires de sécurité relatives à notre propre continent, elle devra faire un choix stratégique en ce qui concerne son armement et toutes les implications qui en découleront. Si nous voulons tout laisser aux mains des États-Unis et ne pas avoir droit au chapitre, alors nous devons poursuivre la voie que nous empruntons aujourd'hui. En revanche, si l'Europe veut une voix, à l'intérieur ou à l'extérieur de l'OTAN, et sans doute plutôt à l'intérieur de l'OTAN, – et la réponse, ici, devrait être "oui" – elle doit se doter d'un pilier militaire que l'on puisse prendre au sérieux. Il va falloir investir davantage en armements et une plus grande part de nos BNP devra aller à la défense. La question est de savoir si monsieur-tout-le-monde sera d'accord...

 

► propos recueillis par Michaël VANDAMME pour le magazine Ons Leven, 111ème année, n°1/oct. 1999.

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L'UÇK, milice islamiste pro-américaine et anti-européenne

 

◘ SYNERGIES EUROPÉENNES
Junge Freiheit (Berlin) – Minerve (Metz) – NdSE (Bruxelles) — Mai 1999

Foreign Affairs, revue diplomatique américaine de réputation internationale consacre beaucoup d'articles à l'UÇK dans sa livraison de mai-juin 1999. L'auteur de ce dossier, le spécialiste de Balkans Chris Hedges, constate d'emblée que l'UÇK, dans sa lutte pour un Kosovo indépendant revendique cette indépendance maintenant pour arriver ensuite à une Grande Albanie. Ce projet n'admet aucune compromission. L'UÇK a repoussé le leader de la majorité des Albanais du Kosovo, Ibrahim Rugova, et les diplomates de Washington en ont été atterrés. L'UÇK se pose désormais comme le seul interlocuteur des Albanais du Kosovo. Hedges est assez discret quand il évoque l'orientation idéologique de l'UÇK ; il dit vaguement que des fonctionnaires américains ont constaté que l'UÇK entretient des rapports avec des organisations islamiques, qui la financent. Des associations de bienfaisance, basée dans le Golfe, auraient ainsi versé des millions de dollars à l'UÇK. Mais Hedges omet de dire dans son rapport que l'UÇK était classée comme organisation terroriste par les Américains jusqu'en 1998, immédiatement avant l'intervention de la police serbe. Un article paru dans l'hebdomadaire conservateur Human Events, le 5 mars 1999, rappelle qu'en juin 1998, des unités de l'armée yougoslave avaient eu un accrochage avec un groupe de mudjahiddins à la frontière albanaise. Ce groupe avait tenté de pénétrer en territoire serbe par des chemins de montagne. Lors de cet accrochage, les Yougoslaves ont abattu un guerillero du nom d'Aliya Rabie, un Albanais membre de l'UÇK. Les documents découverts sur son corps prouvaient qu'il était à la tête d'un contingent de 50 mudjahiddins venus apporter la "Guerre Sainte" contre les Orthodoxes au Kosovo.

Human Events évoque ensuite une publication anglaise, Jane's International Defense Review. "Jane" est une institution basée en Grande-Bretagne et proche de l'OTAN. Elle se spécialise dans l'observation des États dits "terroristes" et travaille étroitement avec les services américains. "Jane", pourtant, qualifie l'UÇK de mouvement dangereux et peu fiable, poursuivant essentiellement 3 objectifs : 1) l'assassinat des Musulmans qui refusent de coopérer avec l'UÇK ; 2) l'assassinat de policiers serbes ; 3) enfin, but le plus important, déchaîner la terreur contre la minorité orthodoxe du Kosovo. Cette terreur vise 2 buts : l'abandon de la province par les Serbes ; provoquer la répression policière serbe pour la faire condamner par les observateurs de l'OSCE.

Human Events rejette dès lors la politique de Clinton. "Quelle politique menons-nous donc, dit la revue, si nous soutenons un mouvement d'indépendance nationaliste qui recourt à des méthodes terroristes, se sert de guerilleros islamistes financés par des États arabes, le tout dans les frontières historiques d'un État européen ?". Mais Human Events n'est pas la seule source qui souligne le caractère fondamentaliste-islamiste de l'UÇK. Ainsi Chris Stephen, dans The Scotsman, le 30 novembre 1998, rapporte depuis Pristina que les fondamentalistes islamistes sont bien établis en Albanie, en dépit des interventions ponctuelles de la CIA et de l'armée albanaise, qui ont capturé 5 personnages clé de la "Djihad Islamique" ainsi que d'autres membres de groupes islamistes issus du Moyen Orient. Les forces de sécurité albanaise soulignent, d'après Stephen, l'influence croissante des extrémistes islamistes venus de divers États musulmans au Kosovo. Fatos Klosi, directeur des services de renseignement albanais, constate, dit Stephen, une forte influence venue not. d'Égypte, d'Algérie, de Tunisie et du Soudan.

Stephen poursuit : les États-Unis, dit-il, craignent que le mouvement rebelle de l'UÇK ne s'oriente davantage sur l'extrémisme islamiste, notamment sous l'influence de l'ennemi n°1 des États-Unis, Osama Bin Laden. Ses hommes seraient déjà actifs en Albanie. Stephen se réfère à un rapport de l'Associated Press du 29 novembre 1998, où Fatos Klosi explique qu'Osama Bin Laden monte un réseau, afin de mettre des unités à la disposition de ceux qui combattront au Kosovo. Mais le rapport le plus détaillé sur les menées de Bin Laden nous est fourni par Steve Rodan dans le Jerusalem Post du 14 septembre 1998. Rodan explique que l'Iran et l'Arabie Saoudite fournissent des fonds pour l'UÇK. Il évoque aussi Bin Laden. Les services de renseignement américains ont également constaté que l'UÇK reçoit un soutien de Bin Ladin, qui serait derrière les attentats de Nairobi et Dar-Es-Salam contre les ambassades américaines !

Pourtant cette présence fondamentaliste en Bosnie et au Kosovo n'est guère dénoncée dans les médias dominants, déplore Rodan. Il nous donne une explication : comme le monde arabe et islamique constitue un immense marché pour la plupart des pays européens, l'intervention des États islamiques est minimisée, car une dénonciation claire de leurs actions au Kosovo risquerait de nuire aux bonnes affaires. Pourtant le soutien apporté par ces réseaux islamistes à l'UÇK est perçu en Europe comme extrêmement dangereux pour l'ensemble des Balkans et pourrait avoir des retombées en Europe occidentale. Rodan cite un certain nombre d'indices : des gardes révolutionnaires iraniens auraient entraîné des miliciens de l'UÇK. Des chargés d'affaires iraniens et saoudiens auraient créé des filiales permettant de financer l'organisation de l'UÇK. Une banque islamique a ainsi été fondée à Tirana en Albanie. À Skadar en Albanie, une " Société Ayatollah Khomeini " aurait été mise en place.

Dans les rangs de l'UÇK, il y aurait beaucoup d'instructeurs et de guerilleros iraniens, qui avaient déjà été actifs en Bosnie au début des années 90. Les services de renseignements occidentaux estiment que leur nombre est d'environ 7.000. Bon nombre d'entre eux auraient épousé des femmes bosniaques. Ensuite, dans les unités de l'UÇK, on trouverait beaucoup d'Afghans, d'Algériens, de Tchétchènes et d'Égyptiens. Rodan rappelle les paroles d'un collaborateur du Congrès américain qui se plaignait que le gouvernement Clinton était parfaitement conscient des activités iraniennes en Bosnie et au Kosovo. Mais cet état de choses est passé sous silence. Ce collaborateur du Congrès disait aussi comprendre l'inquiétude des Européens.

Un autre article, d'Uzi Mahnaimi dans le Sunday Times de Londres, en date du 22 mars 1998, dénonce le fait que les révolutionnaires iraniens et le milliardaire Bin Laden coopèrent pour soutenir l'armée clandestine des Albanais du Kosovo. Ils viserait l'établissement d'une base pour toutes les activités islamiques armées en Europe. Mahnaimi dit que le State Department américain est parfaitement au courant du fait que Bin Laden monte des bases opérationnelles en Europe orientale. Le 22 septembre 1998, USA Today abonde dans le même sens : l'UÇK entretiendrait bien des liens étroits avec des réseaux terroristes dont celui de Bin Laden, qui a déclaré la "Guerre Sainte" aux États-Unis. En conclusion, nous pouvons affirmer que le gouvernement américain est parfaitement informé de toutes ses connexions.

Le Cheik Mohammed Stubla, Président de la société albanaise-islamique de Londres, a expliqué clairement ce qu'incarnait l'UÇK et quels objectifs politiques elle poursuivait, dans un entretien accordé au magazine Nida'ul Is-lam, en avril-mai 1998 : l'UÇK est une organisation albanaise et islamique qui se donne pour objectif de défendre son peuples, sa patrie et sa religion par tous les moyens ; l'objectif de l'UÇK est la libération du sol national de la présence de l'ennemi et l'indépendance du pays. Tout ce que déploiera l'ennemi contre l'UÇK pour annuler l'influence de l'Islam et des musulmans dans les Balkans ne servira à rien, car la puissance de l'Islam est telle, qu'ils obtiendront le contraire de ce qu'il voudront imposer. Mohammed Stubla formule ensuite de sombres prévisions, surtout pour la Grèce, qui, dit-il, a coopéré à la préparation du génocide perpétré par les Serbes. Quand Mohammed Stubla parle d'utiliser "tous les moyens", il sait de quoi il parle ; il suffit de dresser le terrible bilan du terrorisme de l'UÇK. Depuis les premiers actes de violence commis, il y a 8 ans, l'UÇK, d'après Associated Press, United Press International, Pristhina Media Center et Kosova Information Center, a assassiné 135 policiers serbes, 124 civils albanais (soi-disant des "collaborateurs") et 115 autres civils (serbes et ressortissant d'autres minorités du Kosovo). Au cours de la même période, 101 personnes ont été grièvement blessées et 125 autres l'ont été légèrement par les miliciens de l'UÇK. En 1998 et 1999, l'UÇK a kidnappé 179 Serbes ou Monténégrins, 104 Albanais, 14 Tziganes et 6 ressortissants d'autres nationalités. Un étranger a également été pris prisonnier. 125 personnes ont pu s'échapper ou ont été libérées par l'UÇK. Les autres sont considérées comme mortes ou leur sort est demeuré inconnu.

Nous devons au moins évoquer les liens de l'UÇK avec les réseaux de criminalité organisée, surtout dans le trafic de l'héroïne. L'argent du trafic de drogues est utilisé pour soutenir le combat de l'UÇK, comme le soulignait le quotidien italien Corriere della Sera, le 19 janvier 1999, qui commentait l'arrestation du roi de la drogue à Milan, Agim Gashi (35 ans), natif de Pristina. Il avait mis à la disposition de ses "frères du Kosovo" en lutte contre les Serbes, une partie des milliards et des milliards de lire, qu'il avait tirés du commerce de stupéfiants. On peut facilement accumuler les informations de cet acabit. Le 6 juin 1994 déjà, l'International Herald Tribune expliquait que les trafiquants albanais de drogues entraient en concurrence avec leurs homologues turcs, surtout en Allemagne. La police de la RFA en savait peu de choses. Ces Albanais travaillaient surtout avec des mafieux géorgiens ou arméniens, qui se méfiaient des Turcs. Le 10 décembre 98, le quotidien londonien The Independent, signalait que les Albanais contrôlaient 70 % du marché suisse de l'héroïne. 2.000 Albanais du Kosovo croupissaient dans les prisons helvétiques pour des délits liés à la drogue. Le 15 mars 1999, le Philadelphia Inquirer constatait que l'Italie allait devoir affronter bientôt une nouvelle vague de criminels, issus du Kosovo albanais ! Le journaliste américain ajoutait que la brutalité de ces mafieux dépassait largement celle de la mafia italienne. Un policier italien lui avait dit que, dès le début du conflit du Kosovo, les gangs kosovars et albanais, qui ne s'étaient jusqu'alors intéressé qu'à la drogue, avaient commencé à lorgner du côté des trafics d'armes.

Ces quelques exemples doivent suffire à démontrer à quelles catégories d'individus l'OTAN, et surtout les États-Unis, ouvrent la voie à coup de bombes au Kosovo. Cette guerre ne sert en rien les intérêts de l'Europe, mais offre au fondamentalisme islamiste une nouvelle base opérationnelle sur notre continent, qui appuiera et contribuera à radicaliser les minorités islamiques déjà présentes en Europe, mais, en sus, tissera des liens logistiques avec la criminalité organisée.

 

► Michael WIESBERG (article paru dans Junge Freiheit n°20/1999).

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Kosovo : mission accomplie !

Les flux de réfugiés kosovars ont créé la "dorsale islamique"


Le projet est de créer une enclave islamique s'enfonçant en Bosnie et dans le Sandjak.

◘ SYNERGIES EUROPÉENNES
Atelier Minerve – Bruxelles, Paris, le 17 mars 2000

Il y a un an, lorsque, pour la première fois, nous avons traité du problème de la "dorsale islamique", on nous a traité de visionnaires et de partisans des théories du complot. Pourtant, aujourd'hui que la Guerre du Kosovo est achevée, le projet de "dorsale verte" ou de "dorsale islamique" est bel et bien entré dans sa phase d'actualisation. Le Kosovo est devenu dans les faits l'anneau principal dans la chaîne d'entités politique qui forment un corridor islamique à travers toute la péninsule balkanique, un corridor qui s'enfonce profondément en direction des portes historiques de l'Europe. Ce corridor est ce que nous appelons la "dorsale verte" ou "dorsale islamique". Ce projet vise à constituer un espace géopolitique unitaire pour tous les musulmans de l'ancienne fédération yougoslave et d'Albanie. L'objectif est donc de reconstituer l'Albanie ethnique et de l'étendre au Sandjak et à la Bosnie, laquelle est d'ores et déjà sous le contrôle des Musulmans grâce à la garantie que leur accordent les États-Unis. Le Kosovo est en réalité la dynamo qui alimente le processus de déstabilisation des territoires prévus pour être annexés à la future Grande Albanie ethnique.

La voie magistrale pour parvenir à unifier tous les territoires albanais a été d'abord exposée par l'UÇK puis réalisée par l'aide de l'OTAN : elle consistait à prendre dans un premier temps la province serbe pour en faire en quelque sorte une rampe de lancement. Par le biais de la "libération" manu militari de ce territoire, on visait à provoquer un effet domino qui déclencherait ensuite une série de processus de déstabilisation plus ou moins traumatisants en Serbie, au Monténégro et en Albanie même. La tactique était claire. Elle est devenue rapidement tragique quand on voit que, dans le processus de guerre, on a cyniquement instrumentalisé les flux de réfugiés quittant la Serbie. L'UÇK et les États-Unis, dès leurs premiers contacts, avaient déjà émis la possibilité d'une solution militaire, comme celle qui a été concrétisée, dans une étude bien planifiée dans tous ses détails.

L'exode en masse des Kosovars a de fait régionalisé la crise. La façon dont cet exode a été canalisé (vers le Monténégro, la Macédoine et l'Albanie) nous montre, sans craindre de nous tromper, que les dirigeants de l'UÇK et leurs protecteurs américains avaient l'intention d'utiliser les réfugiés pour renforcer les bases de la future "dorsale islamique". L'UÇK a ainsi simultanément invité formellement les Kosovars à rester au Kosovo, pour "défendre la patrie", et a dirigé les flux de réfugiés le long des axes envisagés par le projet. Le comportement des Américains, ensuite, ne laisse aucun doute, même aux plus hésitants. Les Américains ont bombardé le Kosovo en sachant très bien qu'ils allaient ainsi créer un flux ininterrompu mais très manœuvrable de réfugiés et ont joué la carte de l'urgence humanitaire et sanitaire pour avoir les mains libres et gérer le "crise" de la manière la plus utile à leurs desseins. En premier lieu, ils ont inclus dans leur projet "idéal", le trafic des stupéfiants, très prosaïque mais très rémunérateur.

Avant le conflit qui a secoué la Bosnie, les canaux classiques des trafics illicites, en particulier des drogues en provenance de l'ex-URSS et de la Turquie étaient deux: ceux que contrôlait la mafia serbe et celle qui était organisée par les clans kosovars et albanais. L'implication directe de la Serbie dans le conflit a bouleversé les équilibres, faisant basculer l'axe en faveur d'un reforcement des 5 "cartels" du Kosovo. En même temps, la Macédoine, devenue indépendante, s'est muée de fait en un point névralgique pour la transformation de l'héroïne et le trafic d'armes. Ensuite, les réseaux kosovars s'occupaient du placement de cette drogue et de ces armes sur les marchés (comme l'a constaté les services de renseignement italiens DIA de Brindisi), en utilisant 3 corridors bien définis. Ces 3 routes sont de fait de véritables pistes sacrées, dans le sens où elles traversent des territoires étroitement contrôlés par les Musulmans des diverses régions balkaniques. Nous avons affaire là à un phénomène très important pour revenir à l'actualité. Les racines du problème résident dans le fait, qu'au cours de ces dernières années, des centaines de missionnaires islamiques sont arrivés en Bosnie, accompagnés de fonctionnaires de diverses organisations humanitaires musulmanes. Utilisant et exploitant la solidarité religieuse dans la région, ces missionnaires ont été les moteurs de l'intervention des mudjahiddins contre les Serbes et les Croates. Missionnaires et humanitaires ont permis la prolifération de mosquées, d'écoles coraniques et de centres sociaux confiés à des enseignants de confiance, provenant d'institutions religieuses orthodoxes.

Parallèlement à cette pénétration religieuse, les réseaux criminels ont fait leur chemin et la portée de ce phénomène est très dangereuse, comme le confirme les rapports du département d'État américain concernant le Sheik terroriste Bin Laden. Ces rapports confirment la présence de groupes organisés de son obédience en Bosnie, dès la fin du conflit, groupes qui activent le holding musulman que nous venons de décrire. Mais le Sheik terroriste a étendu son bras avide depuis longtemps déjà sur la périphérie islamique des Balkans et sur l'Albanie naturelle, tête de pont maritime vers l'Europe. Dans le pays des Aigles, Laden contrôle la très puissance Islamic Arab Bank, qui finance les commandes publiques. Le projet est aussi clair qu'inquiétant : construire, par l'intermédiaire d'une présence disséminée sur le territoire et dans les réseaux de trafic illicites (le ciment le plus fort et le plus adhésif !), une nation islamique unissant tous les frères musulmans de l'ex-Yougoslavie et de l'Albanie, de façon à avoir une Grande Albanie ethniquement pure. C'est clair : l'expansion des activités criminelles dans les Balkans n'est pas entièrement déductible des projets d'affirmation musulmane dans cette région, même si ces projets ont de fait aplani la voie et permis des accords avec les réseaux mafieux autochtones, surtout dans le Sud de l'Albanie, zone exclue du projet musulman de "dorsale islamique", parce qu'elle n'est pas ethniquement compatible.

Mais si pour l'Europe occidentale, aveugle et esclave quand elle le veut, la menace de ces réseaux mafieux et d'une avancée de l'Islam dans les Balkans est claire, pour les États-Unis, rien ne change vraiment. Pour les Américains, les Balkans sont une terre lointaine. L'instabilité balkanique peut être un prétexte, pour Washington, d'étendre dans l'avenir l'OTAN jusqu'aux frontières russes (il suffit de penser que l'armée américaine songe à acquérir l'ancien quartier général de l'aéronautique yougoslave à Krolovac en Macédoine). Quant aux mafias balkaniques et à leurs contacts directs avec les structures du terrorisme fondamentaliste, elles ne préoccupent guère les États-Unis, car elles sont moins dangereuses pour eux que les cartels colombiens ou chinois. L'Amérique, toutefois, craint Bin Laden et ses activités qui échappent à son contrôle. Le gouvernement américain, avant toute chose, cherche à ne pas heurter la susceptibilité de la Turquie et de ses alliés dans le Golfe, dont l'Arabie Saoudite est le principal. Turcs et Saoudiens, en effet, soutiennent les communautés musulmanes dans les Balkans. Aux yeux des Américains, ensuite, la Serbie reste l'unique puissance capable de concrétiser une revanche russe dans les Balkans. Dans leur optique, redonner un équilibre aux Balkans consisterait à leur donner une gestion néo-ottomane, sous l'œil bienveillant de la Turquie, capable de tempérer les exagérations de l'islamisme fondamentaliste, tout en restant la pierre angulaire de l'OTAN dans le Sud-Est de l'Europe.

 

► Mauro BOTTARELLI (article paru dans La Padania, 9 mars 2000).

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Réflexions sur la crise du Kosovo

Entretien de Robert Steuckers avec le journal Le Baucent (Metz)

 

◘ SYNERGIES EUROPÉENNES
Le Baucent (Metz) — Minerve (Metz) — NdSE (Bruxelles) — Avril 1999

◘ Depuis 5 semaines que l'OTAN s'acharne à briser ("normaliser", selon le jargon du Pentagone) la résistance du peuple serbe dressé derrière Slobodan Milosevic ; SEUL CONTRE TOUS, comment réagissez-vous :
• à l'acharnement médiatique qui fait du Serbe un barbare sanguinaire, pire qu'un nazi ?
• à la soumission de l'Europe aux prétentions hégémoniques américaines, qui la réduisent à bombarder son propre sol, à l'heure de l'Union Européenne ?
• à l'humanitarisme affiché qui légitime les frappes sur Pristina et, désormais, Belgrade ?

L'acharnement médiatique fait partie depuis longtemps de l'arsenal de la guerre psychologique. On sait depuis longtemps que l'Occident américain se positionne comme l'agent du Bien moral sur la Terre : ses adversaires doivent donc incarner le Mal absolu. Souvent, depuis 1945, ce Mal absolu est mis en équation avec Hitler et le nazisme. C'est d'autant plus vrai après la disparition du Rideau de Fer. Ceaucescu a échappé à l'équation hitlérienne. Saddam, deux ans plus tard, n'y a plus échappé. Milosevic est considéré comme le maître d'œuvre de la "purification ethnique", une méthode que quelques pseudo-historiens parisiens attribuent aux érudits qui ont fondé le nationalisme serbe au XIXe siècle : Vuk Karadzic (que l'on ne confondra pas avec le chef des Serbes de Bosnie) et Ilya Garasanine. Malheureusement pour ces terribles simplificateurs, ces érudits étaient des humanistes populistes, soucieux d'établir une république paysanne et émancipatrice dans leur pays, qu'ils espéraient hisser dans une confédération fraternelle de tous les Slaves, les Grecs et les Albanais catholiques et orthodoxes des Balkans ! Toutes les sources relatives à ces auteurs les décrivent comme des hommes politiques scrupuleux, opposés à l'arbitraire des Princes et des roitelets locaux, reconnus par leurs pairs à Vienne, Berlin, Paris et Moscou, agissant dans des circonstances difficiles, face à la toute-puissance de l'Empire ottoman. Wolfgang Libal, écrivain viennois de confession israëlite, longtemps correspondant de presse à Belgrade, a dressé récemment, dans un livre consacré à l'histoire de la Serbie, un portrait très différent et élogieux de ces deux hommes. Sur la place de Paris, ils sont des "monstres", ancêtres d'autres "monstres". D'un côté, l'analyse, de l'autre, la propagande.

L'intervention de l'OTAN contre la Yougoslavie a démontré que l'Europe était morte politiquement. Ma thèse est la suivante : l'objectif des États-Unis est triple dans cette opération. Contenir l'Europe loin de l'Égée et du bassin oriental de la Méditerranée. Contenir la Russie et l'empêcher d'intervenir de quelque façon que ce soi dans ce bassin oriental. Juguler le trafic Rhin-Main-Danube, qui branche l'Europe industrielle sur le système de la Mer Noire, donnant accès aux pétroles du Caucase et de la Caspienne. L'Allemagne de Kohl a dépensé des milliards de marks pour assurer le creusement du canal Main-Danube et celle, inconséquente, de Schröder et Fischer laisse les avions américains bombarder les ponts du Danube, qui s'écroulent dans le lit du fleuve et bloquent la circulation. Les journaux allemands et autrichiens parlent de la ruine de tous les armateurs bavarois ou viennois qui ont investi dans des flottes fluviales destinées à acheminer du fret le long de ces voies d'eau paneuropéennes. Soixante pousseurs et péniches appartenant à une seule société autrichienne sont coincés à l'Est de la Yougoslavie. Ensuite, comme le soulignaient le porte-parole de la SABENA (compagnie aérienne belge) et un éditorialiste du quotidien milanais Il Giornale, l'espace aérien dans le Sud-Est européen est complètement perturbé : l'Est de l'Italie est très difficilement accessible, la Grèce est quasi isolée et le tourisme estival de cette année n'y donnera rien, fragilisant encore plus l'économie grecque, déjà précaire. De même, pour la Bulgarie et la Roumanie. Il est donc tout simplement inadmissible de voir le personnel politique européen accepter sans sourciller une telle situation qui va à l'encontre de l'intérêt de tous les Européens et de la société civile de notre continent. Le personnel politique qui a accepté cette guerre, cette occupation de notre espace aérien, n'est plus un personnel politique au service de la population, de ses travailleurs et de ses entreprises. Constat dont il faudra très vite tirer les conséquences.

Quant à l'humanitarisme, il est d'abord un instrument médiatique nécessaire à l'auto-légitimisation de l'Empire du Bien. Ensuite, il est évident que les opérations actuelles font partie d'une stratégie mise au point depuis fort longtemps. Mais cette stratégie a été tenue secrète. Il a fallu la financer autrement que par des crédits votés légalement dans les parlements. On chuchote évidemment que les réseaux mafieux ont contribué ainsi à blanchir l'argent de la prostitution, du jeu, des "pyramides financières", de certains hold-ups sanglants ou d'attaques de fourgons postaux (avec mort d'hommes). L'humanitarisme, et l'appel à la charité, est la stratégie qui consiste à masquer le financement non démocratique voire crimino-politique de cette opération préparée de longue date. Et à faire financer toute la logistique militaire et civile (hôpitaux, etc.) sur le terrain par le biais de la charité de la population ahurie et abrutie par des images télévisées qui risquent bien vite de s'avérer aussi illusoires que celle de Timisoara, lors de l'affaire Ceaucescu... Notons aussi que bon nombre d'organisations humanitaires se montrent très réticentes à collaborer avec les militaires de l'OTAN. La Croix-Rouge Internationale craint par ex. de perdre sa neutralité habituelle.

◘ Le spectre d'une guerre terrestre, pour incertain, hante les salles de réunion de l'état-major de l'OTAN à Bruxelles. Les préparatifs des belligérants, largement diffusés par les télévisions, prouvent que tout risque n'est pas écarté. Quelles seraient d'après vous les conséquences, à terme, d'une telle radicalisation du conflit ?

La perspective d'une guerre terrestre est acceptée avec plus de légèreté depuis que les armées ne sont plus composées de conscrits ou de mobilisés. Les interventions directes des armées occidentales seront donc réduites. Je pense qu'on surarmera les volontaires de l'UCK et les Albanais pour constituer le gros des troupes d'infanterie. Il ne semble pas que les Turcs interviendront, même si, dans l'OTAN, ils disposent des plus gros bataillons de chair à canon disponible. L'armée yougoslave, avec l'appui occidental sous Tito, a organisé le pays pour rendre possible la guerre des partisans. Via l'Albanie, que l'on songe à accepter au sein de l'OTAN plus rapidement que la Slovénie ou l'Estonie, l'OTAN, et donc les États-Unis et la Turquie, vise à faire de ce pays et du Kosovo une immense base militaire entre la Méditerranée et le Danube. Pire, les États-Unis visent à créer un vide dans le Sud-Est européen, comme l'Irak (donc la Mésopotamie) est aujourd'hui un vide, un pays avec qui personne ne peut coopérer sur les plans civil, industriel et commercial. Nous aurions en Europe une zone neutralisée, gênant tous les trafics, empêchant le continent de se structurer. Un conflit sanglant rapidement terminé (même au bout de 6 mois) n'empêcherait pas cette structuration, il la retarderait tout simplement. Clinton ne craint rien sur le plan électoral : il a 2 mandats derrière lui et ne peut plus en briguer un troisième. Il peut déclencher une opération qui coûtera des milliers de vies américaines, mais, à terme, ce n'est pas ce qui intéresse les stratèges qui décident bien au-dessus de lui. En revanche, un conflit tiré en longueur, fait d'avancées et de reculades, de négociations sans fins, de frappes ciblées, avec dégâts collatéraux de plus en plus importants, suivi de poses ou d'autres opérations, va dans l'intérêt des stratèges du Pentagone et nuit aux intérêts européens. L'intérêt américain va vers un très long pourrissement de la situation, vers l'entretien d'un abcès purulent sur le flanc sud-oriental de l'Europe, ne permettant pas le déploiement d'une nouvelle dynamique continentale, initiée par la perestroïka, le creusement du canal Main-Danube, le redressement potentiel (mais très lent) de l'Ukraine, la proximité des pétroles du Caucase et de la Caspienne.

◘ Que souhaiteriez-vous dire aux citoyens européens incrédules devant l'énormité de la démonstration de force "otanienne", si un organe de presse conséquent vous ouvrait ses colonnes ?

Je demanderais aux Européens d'ouvrir les yeux, de relire leur histoire, surtout celle qui s'est déroulée pendant des siècles dans les Balkans. Je leur demanderai de bien saisir les enjeux des voies de communication en Europe, de bien percevoir leurs intérêts économiques, de refuser toutes les logiques que véhiculent les médias manipulés, de prendre en considération la vacuité de leurs gouvernants et de se mobiliser en conséquence, de créer de nouveaux partis politiques au-delà de toutes les idéologies en place sur les échiquiers européens actuels. J'appellerai à la constitution d'une internationale européiste et fédéraliste, dans la mesure où chaque communauté nationale ou régionale doit prendre en charge ses propres problèmes et viser à généraliser ce fédéralisme à l'échelle de tout notre espace civilisationnel. Enfin, je demanderai au public de bien réfléchir sur le principe de Carl Schmitt : pas d'intervention chez nous de puissances étrangères à notre espace et/ou à notre civilisation.

 

► Propos recueillis par Laurent Schang, 1999.

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KOSOVO : Une guerre dont l'enjeu est l'Europe !

 

◘ SYNERGIES EUROPÉENNES
Junge Freiheit (Berlin) – Minerve (Metz) – NdSE (Bruxelles) — Avril 1999

Le gouvernement fédéral allemand et le Bundestag ont entraîné l'Allemagne dans le conflit le plus risqué depuis la Seconde Guerre mondiale. L'Allemagne entre donc dans le cadre de l'alliance nord-atlantique dans sa première guerre depuis l'effondrement du Reich en 1945. L'attaque aérienne lancée contre la Serbie sous le drapeau de l'OTAN par l'Allemagne, l'Italie, la Grande-Bretagne, la France et les États-Unis est une guerre commencée à la légère, mais elle aura de sérieuses conséquences. Cette agression menée sous la houlette des États-Unis signifie la faillite politique de l'Europe. Les pays porteurs de l'Union Européenne (France, Grande-Bretagne, Italie, Allemagne) n'ont pas voulu agir dans l'indépendance et se sont avérés incapables d'organiser une initiative européenne autonome pour stabiliser les Balkans, alors qu'il s'agit d'une affaire strictement européenne. La réputation qu'avait acquise l'Allemagne, celle d'être une puissance d'apaisement en Europe centrale et sud-orientale, est définitivement perdue. Les affects germanophobes des Serbes vont être bétonnés pendant des générations.

L'objectif proclamé – éviter une "catastrophe humanitaire" au Kosovo – n'a pas été atteint. Au contraire, les Serbes ont beau jeu de chasser sans hésitation les Albanais du Kosovo de leur patrie, à l'ombre des bombardements de l'OTAN. Conséquence pour les pays de l'UE et plus particulièrement pour l'Allemagne : des flots de réfugiés se déverseront dans nos pays à la suite de ce conflit, ce qui contribuera à aggraver la problématique des immigrations. Mais la guerre contre la Serbie arrache surtout le masque à cette Allemagne, qui s'est développée dans le bien-être matériel. Ils sont bien oubliés aujourd'hui les défilés aux flambeaux des pacifistes, les avertissements solennels contre tout "nationalisme exagéré" et contre la "xénophobie". Les médias allemands, ces derniers jours, dépourvus d'instinct et d'intuition, appellent à la guerre contre le "boucher Milosevic", qui, bien entendu, est aussi un "fou" voire un "givré". Avec une ivresse indescriptible, les télévisions abreuvent les téléspectateurs d'images soigneusement censurées par les militaires. Les journalistes allemands s'exposent ces jours-ci au jugement de leurs contemporains, mais honte sur eux. Les politiciens verts, qui conspuaient naguère les militaires allemands et en faisaient a priori et sans nuances des "assassins" réels ou potentiels, les politiciens de la social-démocratie, qui avaient ouvert, il y quelques mois, une exposition itinérante pour stigmatiser les soldats de la Wehrmacht, que font-ils ? Eh bien, à grands renforts de trémolos et d'effets de manche, ils évoquent la possibilité d'envoyer des unités sur le terrain dans les Balkans, comme s'il s'agissait de transporter des castors...

Nous appartenons au camp du néo-conservatisme ou du néo-nationalisme et on nous reprochera sans doute de citer ici Gregor Gysi du PDS néo-communiste, en l'approuvant. Tant pis. Nous prenons le risque d'essuyer des critiques. Gregor Gysi avait raison, la semaine dernière, quand il déclarait au Bundestag : "Si l'on entend mener une guerre, sans avoir soi-même été agressé, alors cette guerre est bel et bien une guerre d'agression et non pas une guerre défensive. Or c'est précisément ce type de guerre d'agression que nous interdit de mener la Loi fondamentale de la République Fédérale d'Allemagne". L'issue de cette aventure militaire qui, d'après les calculs de la Frankfurter Allgemeine Zeitung, engloutit chaque jour près de 500 millions de DM, est totalement incertaine. Ensuite, ce qui a déjà été engagé n'a permis d'obtenir aucun résultat. Les experts militaires avaient bien vu qu'on ne pourrait pas limiter ce conflit à des frappes aériennes au Kosovo et avaient conseillé de préparer l'intervention de troupes au sol. Ces experts savaient comment les Serbes réagiraient aux attaques aériennes de l'OTAN. Dès lors, l'absence de concept réaliste dans le camp occidental devient chaque jour, au fil des bombardements, plus patente : rien n'y est envisagé pour donner aux Balkans un ordre politico-territorial cohérent.

Cette absence de clarté de vue et de projet réaliste est proprement aberrante. Surtout quand on sait que les États-Unis, dans le passé, n'ont jamais hésité à renverser voire à éliminer physiquement les hommes d'État qui leur déplaisaient. Dans les Balkans, les puissances avaient jusqu'ici opté pour le long terme. La France et l'Angleterre menaient une politique serbe uniquement dans l'espoir d'empêcher l'Allemagne d'étendre sa légitime influence dans son arrière-jardin balkanique. La question des droits de l'homme ne préoccupait guère Londres et Paris. Les intérêts des États-Unis sont différents. L'ancien conseiller de l'Administration Carter, Zbigniev Brzezinski, dans son livre The Grand Chessboard, a esquissé très clairement et sans le moindre détour les ambitions géopolitiques des États-Unis. Ses arguments rythment la mise en œuvre actuelle de la politique américaine dans le monde. La tâche principale des États-Unis aujourd'hui, pour Brzezinski, c'est de contenir tous les nouveaux challengeurs, surtout dans le grand espace eurasiatique. Il est important, à ses yeux, de garder comme vassaux certains États (comme l'Allemagne et le Japon), en limitant l'expression politique de leur puissance, et de les maintenir dans des fonctions utiles à la politique américaine. L'objectif prioritaire, du point de vue américain, est de conserver une certaine main-mise sur et un accès direct aux réserves énergétiques, non seulement au Proche-Orient, mais aussi dans les nouveaux États d'Asie centrale et du bassin de la Caspienne, où, semble-t-il, d'immenses réserves d'énergie et de matières premières attendent d'être exploitées.

On notera que Brzezinski parle à ce propos de "Balkans eurasiens" (= l'Asie centrale entre la Caspienne et le Pamir, ndt), dans lesquels il faut empêcher la Russie d'intervenir et d'agir, alors que Moscou tente d'y maintenir vaille que vaille sa sphère d'influence traditionnelle. Dans la logique de Brzezinski, une stabilisation des Balkans ne va pas dans l'intérêt des États-Unis. À juste titre, le ministre de la recherche scientifique de la RFA, Andreas von Bülow, constate qu' "une stabilisation de cette région, permettant à l'Europe industrielle d'avoir accès à ces Balkans d'Eurasie, si riches en énergies et en matières premières, n'est pas dans l'intérêt dissimulé (donc réel) des États-Unis". L'action américaine au Kosovo, secondée par la Grande-Bretagne, par une France inconséquente et par une Allemagne qui cherche, en tâtonnant maladroitement, un rôle à jouer dans le monde qui bouge, confirme les thèses de von Bülow. En priorité, les États-Unis veulent que les Balkans restent une zone de tensions, manipulables de l'extérieur. L'intérêt géopolitique de Washington explique les contradictions de la guerre au Kosovo. Les Albanais du Kosovo auront du mal à rester dans la Fédération yougoslave, vu la situation actuelle et ses conséquences. Ensuite, chaque jour qui passe rend plausible une intervention des troupes terrestres de l'OTAN, afin de "protéger les Albanais non fugitifs contre les attaques serbes". Mais avec l'intervention de troupes terrestres, le conflit s'éternisera ad infinitum dans les Balkans. Les Américains auront ainsi obtenu ce qu'ils voulaient : les Balkans seront plongés pendant longtemps dans la guerre, où des soldats allemands devront verser leur sang aux côtés de leurs camarades d'autres nationalités. Afin, bien sûr, de garantir un "ordre" et une "paix" voulus par les États-Unis.

Il est grand temps que les pays européens pratiquent une politique commune, correspondant aux intérêts réels de l'Europe. Ce serait par ex. une tâche immédiate pour le gouvernement allemand qui assure actuellement la présidence l'UE. L'agression de l'OTAN contre la Serbie ne correspond donc ni aux intérêts de l'Allemagne ni aux intérêts de l'Europe. Il faut donc qu'elle cesse sans délai. La médiation russe, en revanche, constituerait un premier pas positif. Apaiser les conflits dans les Balkans est une tâche qui doit être réservée aux seules puissances de la région.


► Dieter STEIN & Michael WIESBERG (éditorial de Junge Freiheit n°14/avril 99).

 

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La crise du Kosovo et le rôle des États-Unis

 

◘ SYNERGIES EUROPÉENNES
La Padania (Milan) — Minerve (Metz) — NdSE (Bruxelles) — Mars 1999

La crise du Kosovo a été créée de toutes pièces par les États-Unis. Ils ont financé et armé l'UCK. Le financement s'est opéré de la manière désormais classique par laquelle les États-Unis financent "leurs" mouvements de guerilla (les Contras, l'Unita, les Talibans, etc.) : ils insèrent ces mouvements dans le trafic de drogues. Ils peuvent agir de la sorte parce qu'ils sont la puissance qui contrôle les principales zones de production que sont l'Amérique latine pour la cocaïne et le Triangle d'Or pour l'héroïne. Indubitablement l'Amérique latine est une colonie américaine depuis des décennies. Le Triangle d'Or est une zone montagneuse et difficilement accessible, s'étendant sur les territoires de la Birmanie, de la Thaïlande et du Laos, mais où les dirigeants de ces pays n'ont pas accès. En 1949, quand Tchang Kai Tchek perd la guerre civile en Chine, les États-Unis récupèrent 2.000 hommes de son armée, celle du Kuomintang. Ils les aident à s'emparer des plantations d'opium. Ce groupe s'est perpétué et s'est accru en nombre, se mêlant aux tribus locales. Aujourd'hui encore cette armée fantôme contrôle cette zone pour le compte des États-Unis, auxquels elle rend d'autres services (par ex., sous le nom de Mong Thai Revolutionary Army, elle mène une guerilla constante contre des objectifs militaires et civils birmans). La distribution du gros de ces drogues, cocaïne ou héroïne, s'effectue par l'entremise de la mafia italo-américaine Cosa Nostra, sur base d'accords jadis conclus avec Lucky Luciano. Le recyclage de l'argent se fait via des banques installées en Floride, toujours sous la protection de fait du gouvernement. La raison pour laquelle les États-Unis veulent maintenir et contrôler ce trafic est essentiellement politique ; ainsi, ils font participer qui ils veulent dans des opérations douteuses et obtiennent le concours d'alliés quasiment sans rien débourser et aux dépens des seuls consommateurs de drogues...  La subversion et la néo-colonisation du tiers monde sont garanties de cette façon. Mais pas seulement du tiers monde, aussi de l'Europe comme nous allons le voir. L'UCK trafique de la drogue (héroïne) en provenance du Triangle d'Or (!).

C'est par ces canaux que l'armée de l'UCK a été mise sur pied. L'UCK a reçu l'ordre de Washington de ne pas négocier avec Belgrade, de ne jamais trouver un accord avec le gouvernement yougoslave. Mais de continuer sans cesse les provocations. Et de faire des morts... Ainsi, les Européens ont été bernés, l'OTAN a été mobilisée pour intervenir militairement en Yougoslavie et "arrêter les massacres". Pourquoi cette opération ?

Revenons à 1989, quand tombe le Mur de Berlin. Depuis lors, l'établissement économique américain (les multinationales) n'a plus eu qu'une seule obsession : empêcher tout accord entre l'Europe occidentale et la Russie. Ces deux entités ont des atouts et des lacunes. L'Europe dispose d'un potentiel industriel et commercial énorme, mais n'a pas une puissance militaire suffisante pour disputer aux États-Unis la maîtrise des marchés internationaux. En effet, les États-Unis sont les ennemis économiques naturels de l'Europe. Celle-ci, effectivement, n'a pas les armes qu'elle devrait avoir et qui comptent dans les arsenaux actuels, c'est-à-dire des forces nucléaires stratégiques équivalentes à celles des Américains. La Russie, elle, dispose de telles forces nucléaires mais son économie est un désastre. Si Européens et Russes mettent leurs atouts en commun, ils éliminent leurs lacunes et résolvent leurs problèmes réciproques. La Russie prend une cure de jouvence sur le plan économique et industriel au contact de l'Europe occidentale. L'Europe occidentale bénéficie des armes de la Russie pour affronter les États-Unis ailleurs dans le monde.

Les États-Unis se sont rapidement rendus compte du danger mortel qui risquait à terme de les menacer. Il leur fallait boycotter tout rapprochement euro-russe. La crise du Kosovo a été fabriquée de toutes pièces pour troubler les relations euro-russes. Elle a débouché sur une intervention de l'OTAN contre la Serbie, protégée historique de la Russie. Ainsi une pomme de discorde a été jetée entre l'Europe et la Russie, ce qu'ont voulu les Américains dès le départ.

Attention : il faut savoir que les Américains ont toujours voulu régler le sort de l'Europe à leur guise. Il faut se rappeler que le Pentagone a conçu depuis plusieurs dizaines d'années un plan prévoyant de provoquer artificiellement une guerre nucléaire en Europe entre l'OTAN et la Russie au cas où se serait dessinée une alliance entre l'Europe occidentale et l'URSS. Dans mon livre de 1991 (Vecchi trucchi ; = Les vieux trucs), j'avais appelé ce plan "L'Europe occidentale sera nôtre ou ne sera à personne". Pour les Américains, l'Europe occidentale doit rester sous leur contrôle et se contenter des miettes de l'impérialisme occidental ou elle doit être détruite.

Donc l'intervention de l'OTAN en Serbie pourrait être la première manche de ce plan : si la Russie intervient militairement pour défendre la Serbie, les Américains feront tout pour arriver rapidement à l'escalade nucléaire, en la limitant bien entendu au théâtre européen, ce qui serait facile et correspondrait à leurs objectifs. Mieux : la Russie serait peut-être dans le camp des vainqueurs mais serait tellement affaiblie qu'elle ne pourrait plus protéger la Chine, qui tomberait dans l'orbite américaine comme l'Amérique latine et d'autres grandes zones de la planète. Le monde aurait ainsi un unique patron.

Telle est la situation sur fond de crise du Kosovo. On me dira sans doute que les dirigeants européens sont au courant de ces dynamiques et ne tomberont pas aussi facilement dans ces pièges grossiers tendus par Washington. Je n'en suis pas si sûr. Déjà pendant la Guerre Froide, les dirigeants européens ont montré qu'ils n'étaient pas à la hauteur des Américains. "La guerre froide était une comédie mise en scène par les Américains dans le seul but d'avoir les mains libres pour organiser la subversion et la néo-colonisation de la moitié du monde, avec l'excuse de lutter contre le communisme. Les Européens ne semblent pas l'a'voir compris. Aujourd'hui, ils ne sont pas davantage à la hauteur de la situation. Comment auraient-ils dû réagir dès le départ ? C'est simple : ils auraient dû dire aux Américains : "Vous semblez tellement scandalisés par les quelques dizaines de morts au Kosovo (alors que vous faites des milliers et des milliers de morts chaque fois que vous intervenez quelque part dans le monde), vous vous apprêtez à attaquer la Serbie, en compagnie de votre valet habituel, la Grande-Bretagne. Et si la Russie réagit et déclenche une guerre nucléaire ? Nous en ferons les frais. Voilà qui aurait été logique. Mais personne en Europe n'a osé dire cela !

 

► John KLEEVES (article paru dans La Padania, 23 mars 1999).

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Kosovo : l'opinion de Zoran Jeremic, ambassadeur de Yougoslavie à Vienne

 

SYNERGIES EUROPÉENNES
Zur Zeit (Vienne) - Minerve (Metz) - NdSE (Bruxelles) — Mars 1999

Répondant aux questions de Karl P. Gerigk, pour la rédaction de Zur Zeit, Zoran Jeremic indique la voie à suivre pour l'Europe et la Russie dans le dernier conflit qui ravage les Balkans :

• Q. : L'OTAN veut étouffer le conflit au Kosovo. Que pensez-vous de l'envoi de troupes terrestres allemandes là-bas ?

ZJ : C'est la dernière chose que l'on puisse espérer, après l'histoire commune qu'ont connue les Allemands et les Serbes en ce siècle. Je plaide pour que l'Allemagne prenne conscience de ses res-ponsabilités, vis-à-vis de sa propre histoire. Nous, Serbes, ne voulons pas de soldats étrangers au Kosovo et en Métohija. Nous ne voulons pas de soldats allemands non plus, ni de leurs armes. Au lieu de militaires, nous avons besoin d'investisseurs allemands, de spécialistes. Nous voulons coopérer avec l'Allemagne et l'UE. Pourquoi l'Allemagne suivrait-elle aveuglément la politique unilatérale des États-Unis ? Les Américains veulent mettre au pas leurs alliés. En suivant cette politique américaine, l'Allemagne met la construction européenne en danger. Nous avons été les témoins des trucs et des expédients avec lesquels les Américains ont forcé les Allemands à accepter une participation militaire au Kosovo, lorsque Fischer (ministre vert des affaires étrangères) et Schröder (chancelier) se sont rendu chez Clinton avant le changement de gouvernement en Allemagne.

• Q. : L'Europe devrait-elle jouer un rôle plus important dans les Balkans ?

ZJ : La grande faute politique de l'Allemagne et des autres États européens, c'est de céder face aux intérêts américains et de ne pas avoir jouer un rôle indépendant dans les Balkans, qui se serait avéré plus rentable. Alors que le plus grand intérêt de la Serbie, c'est l'Europe. Nous sommes une partie de cette Europe. C'est une erreur énorme de pousser la Serbie dans un coin. Cette politique est menée intentionnellement, pour chasser les Européens et les Allemands de notre région.

• Q. : La Russie n'est-elle pas votre grand allié en coulisse et l'adversaire des États-Unis dans les Balkans ?

ZJ : Nous considérons que la Russie fait partie intégrante de l'Europe. Elle devrait contribuer à empêcher les puissances de suivre inconditionnellement l'Amérique dans ses errements. Si la Russie défend notre point de vue au Kosovo en Métohija, elle défendra ses propres intérêts.

 

◘ Nos commentaires : Cet entretien, paru dans une revue nationale-conservatrice autrichienne, prouve que tous les adeptes de cette orientation idéologico-politique n'adoptent pas des points de vue rabiquement anti-serbes, comme le laisse accroire une certaine presse parisienne, nationaliste ou bernard-henry-léviste (source : Zur Zeit n°11/1999).

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