Guillaume II
Réflexions sur le voyage de Guillaume II en Palestine
En 1898 l’empereur Guillaume II, accompagné de son épouse et de toute une suite accomplit un voyage de près d’un mois dans l’empire ottoman, perpétuant ainsi les bonnes relations de ses ancêtres avec la Sublime Porte. Il signa un traité d’amitié, de commerce et de navigation avec le sultan Abdul Hamid II et assura la poursuite de la construction du chemin de fer de Bagdad. Le "pèlerinage" de l’empereur culmina dans son discours de Damas dans lequel il se proposait comme protecteur des 300 millions de musulmans vivant alors dans le monde. Après Constantinople et Damas, le couple impérial se rendit à Jérusalem qui, pour Guillaume II, était le point de contact géographique naturel entre le christianisme et l’islam. Il visita de nombreux lieux saints et inaugura l’église du Rédempteur, une église luthérienne construite non loin du Saint-Sépulcre sur un terrain offert dans ce but au Kaiser par le sultan. La permission des Turcs de construire une église protestante en un emplacement si prestigieux symbolisait l’alliance toujours plus étroite entre l’Allemagne et l’Empire ottoman.
Lorsque l’on prononce les mots « Palestine » et « Proche-Orient », on songe immédiatement à l’Intifada, à une guerre perpétuelle, surtout pour l’enjeu pétrolier. Le pétrole, en effet, fut l’un des motifs principaux du voyage en Palestine de l’Empereur d’Allemagne Guillaume II du 11 octobre au 26 novembre 1898.
Inauguration de la Basilique Saint Sauveur
Au cours de ce voyage, l’Empereur visita également Constantinople, Haïfa, Jérusalem, Jaffa et Beyrouth. La visite visait plusieurs objectifs : elle entendait consolider la position du Sultan turc Abdoul Hamid II et renforcer le poids de l’église protestante, évangélique et luthérienne au Proche-Orient (car, à cette époque, quasi la moitié des chrétiens vivant en Palestine venaient d’Allemagne). Enfin, l’Empereur voulait inaugurer la Basilique Saint Sauveur à Jérusalem.
Scepticisme des Français
Dans l’opinion publique française, ce fut un tollé : on s’est très vite imaginé que Guillaume II voulait, par son voyage, miner la protection traditionnelle qu’offrait la France aux catholiques de Palestine. Ce reproche était dénué de tout fondement, de même que l’allusion à une éventuelle volonté allemande de s’approprier la Palestine.
Un sermon plein de reproches aux églises…
Le 25 octobre 1898, Guillaume II arrive en Palestine, premier Empereur du Reich allemand à y remettre les pieds depuis 670 ans (quand Frédéric II avait débarqué à Saint Jean d’Acre). Après avoir reproché amèrement aux représentants du clergé dans un sermon plein de reproche à Bethléem, où l’Empereur morigénait la désunion entre chrétiens (à maintes reprises, des soldats turcs avaient dû intervenir pour apaiser les querelles entre les diverses confessions chrétiennes).
Panorama de Jérusalem ("En souvenir du voyage en Orient du couple impérial allemand en octobre et novembre 1898"). D’abord région périphérique de l’Empire ottoman, la Palestine devient progressivement l’enjeu de rivalités croissantes entre puissances européennes. Mais la collaboration germano-ottomane, au-delà des mythes, reste déficiente, et entraîne sa défaite lors de la Première Guerre mondiale.
Le rejet de l’idée d’un État juif
Le 31 octobre, enfin, eut lieu l’événement majeur du voyage de Guillaume II : l’inauguration de la Basilique Saint Sauveur à Jérusalem. Le 2 novembre, une délégation sioniste rend visite à l’Empereur dans le camp militaire, composés de tentes, qu’il occupe : elle est présidée par Theodor Herzl. L’Empereur spécifie clairement à la délégation qu’il est prêt à soutenir toute initiative visant à augmenter le niveau de vie en Palestine et à y consolider les infrastructures mais que la souveraineté du Sultan dans la région est à ses yeux intangible. L’Empereur, en toute clarté, n’a donc pas soutenu le rêve de Theodor Herzl, de créer un État juif en Palestine, rêve qui ne deviendra réalité qu’en 1948.
Pendant les quelques jours qu’il passa à Jérusalem, Guillaume II rencontra le journaliste Théodore Herzl (1860-1904), l’initiateur du mouvement sioniste (et son ambassadeur après le congrès de Bâle en 1897) qui était venu en Palestine précisément pour y rencontrer le Kaiser. L’audience eut lieu le 2 novembre 1898, dans le camp de l’empereur installé près de la porte de Jaffa. Herzl expliqua sa vision d’un État juif qu’il voulait construire en Palestine sous le protectorat de l’empereur allemand. Guillaume II écouta avec bienveillance et promit d’examiner l’affaire (défense de la population juive de Jérusalem). En dépit de 2 rencontres en 1898, Herzl ne parvint pas à convaincre l’empereur allemand de l’intérêt que ce dernier aurait à appuyer la création d’un État pour les juifs en Palestine. Guillaume II lui objecte un argument hautement diplomatique : il ne souhaite pas entrer en conflit avec l’empire ottoman. La Palestine est, en effet, administrée par les Turcs depuis XVIe siècle. C’est donc vers le sultan turc Abdul Hamid II que se tourne naturellement l’idéologie sioniste. Mais cette seconde rencontre avec un homme d’État n’aboutit pas non plus. Le sultan craint légitimement que l’immigration juive en Palestine ne provoque des tensions au sein des populations arabes, donc au sein de son empire. Tout aussi peu convaincu par Herzl, le pape Pie X sera même sévère à l’égard du leader du mouvement sioniste, à qui il dira, en 1904, que « la terre de Jérusalem a été sanctifiée par la vie du Christ. Les juifs n’ont pas reconnu notre seigneur ; nous nous pouvons pas reconnaître le peuple juif ». C’est finalement la Grande-Bretagne qui sera la plus réceptive aux doléances de Herzl. Lord Chamberlain, ministre du britannique des Colonies, proposera l’Ouganda, en Afrique, comme terre d’accueil provisoire des juifs. Le diplomate anglais est d’abord soucieux de trouver une solution à l’arrivée massive de juifs russes, depuis 1881, au Royaume-Uni. Sur l’étonnante proposition de diriger l’immigration juive vers l’Ouganda, Max Nordau, intellectuel hongrois qui fonda avec Herzl l’Organisation sioniste mondiale, admettra « qu’avant d’atteindre le but inaltérable de l’établissement juif en Palestine, il ne doit y avoir qu’une halte en chemin ». En définitive, du circuit diplomatique d’Herzl, aucun résultat concret n’en sortira. Au contraire épuisé par de nombreux voyages, le défenseur du sionisme s’épuisera et mourra d’une crise cardiaque à Vienne le 3 juillet 1904, à 44 ans. Le flambeau du sionisme sera repris notamment par un certain David Ben Gourion. Si l’idée de créer un État pour les juifs n’a pas encore abouti, elle s’est grandement popularisée grâce aux voyages d’Herzl.
En grande pompe…
Le 4 novembre, Guillaume II embarque à Jaffa pour revenir finalement le 26 novembre à Berlin et s’y faire fêter triomphalement, ce qui ne se fit pas sans certaines contestations (sa propre sœur n’approuva pas l’ampleur des festivités).
Sur le plan politique, cette visite ne fut pas un succès
Le voyage de Guillaume II en Palestine ne fut pas un grand succès politique. Certes, les rapports avec le Sultan furent améliorés, condition essentielle pour la réalisation du chemin de fer vers Bagdad et pour la future alliance avec l’Empire ottoman lors de la première guerre mondiale. Cependant, l’Empereur n’a pas pu assurer à l’Allemagne l’octroi de bases ou de zones d’influence. De même, les Allemands et les Juifs allemands installés en Palestine ont certes reçu un appui indirect par la construction de routes et de ponts, de façon à avantager les initiatives des sociétés touristiques mais tout cela ne constituait pas un appui politique direct, que l’Empereur n’accorda pas. En Europe, ce voyagea se heurta à bon nombre de contestations. En Allemagne même, ce voyage, sans résultats à la clef, n’a pas bénéficié de soutiens inconditionnels.
Sur le voyage : rapports positifs
L’Empereur d’Allemagne a toutefois réussi à présenter son voyage de manière attrayante et populaire, en diffusant au sein de la population des rapports positifs et flatteurs sur son voyage au Proche-Orient. Il y a 120 ans, toute politique proche-orientale faisait déjà l’objet d’un travail médiatique et n’était pas assurée de succès durables.
► Alois PRESSLER (article paru dans Der Eckhart, Vienne, oct. 2007 ; tr. fr. : RS, fév. 2010).