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Nimier

Mousquetaires et libertins : l'itinéraire des “Hussards”

« Nous sommes quelques-uns dont les traits communs sont un certain sérieux, un besoin de vérité, un air sombre. Mais les choses sont établies de telle sorte que nous faisons figure d’esprits légers. Nous ne respectons ni les lois ni les êtres qui nous gouvernent. Nous ne faisons pas leurs prières : lecture quotidienne et suivie des journaux de la République, discours hebdomadaires sur le Cours des Choses, contribution à la conscience morale universelle... Nous sommes les libertins du siècle » (Roger Nimier)

dyn00710.jpgDans le portrait fraternel qu’il trace de Nimier, l’écrivain Jean Mabire cite ce beau passage de la Lettre d’un fils à son père : ces lignes de 1950 n’ont pas pris une ride, à l’instar des livres d’un seigneur des Lettres françaises trop tôt disparu. Depuis l’article célèbre de B. Frank, tout le monde ressasse le mythe des Hussards, quarteron d’écrivains qualifiés de “fascistes”, personnages faibles et légers, évidemment suicidaires, friands d’alcool (ce n’est pas toujours faux), de voitures et de salons, etc. Ce cliché, simpliste et réducteur, masque toute la réalité, que décrit fort bien un livre récent de Christian Millau, qui, avant de devenir un chroniqueur gastronomique mondialement connu, fréquenta Nimier et sa bande.

Au galop des hussards, publié par l’un de ces “hussards”, à savoir Bernard de Fallois, retrace les années 50, devenues mythiques : l’intelligentsia de gauche, Sartre en tête, dominait lourdement Paris et faisait régner, déjà, une sorte de politiquement correct, moins larmoyant que celui que nous connaissons, plus brutal, moins subtil (les communistes, déclarés ou cryptés, constituaient encore une force) et sans doute moins efficace. Nimier, jeune surdoué, eut le courage de faire front aux pions et aux flics de salon, réhabilitant des aînés “suspects”, dont Céline, Morand, Chardonne ou Jouhandeau. L’époque était féroce : lorsqu’en 1950, Le Hussard bleu est pressenti pour le Goncourt, de braves humanistes font courir le bruit que l’auteur serait un ex-milicien. Or, Nimier s’était engagé en janvier 1945, à 20 ans, pour l’Extrême-Orient. Vu son jeune âge, il dut rester en France, où il faillit périr d’ennui.

Nimier, tel Déon ou Laurent, ne fut jamais fasciste pour une raison bien simple : comme l’avait pressenti Malraux, pour être fasciste, il faut être pessimiste et actif — ce qui est le propre des âmes de qualité — mais, surtout, dénué d’un principe auquel rester fidèle, ce qui est ici le propre des nihilistes. Or Nimier est fidèle à la civilisation française classique, celle des mousquetaires, de Ronsard, de Balzac et de Dumas. Monarchiste, nostalgique d’une France aimable et paysanne, à la gentillesse racée, il ne pouvait qu’être rétif aux emportements totalitaires, trop fin pour céder aux sombres séductions des cathédrales de lumière. S’il joua parfois au fasciste de salon, c’était, comme nombre de ses cadets, par dégoût, pour ne pas devoir expliquer à des limaces en quoi consiste le principe de légitimité. Posture baroque, certes, mais point trop fatigante et qui permet de déplaire au plus grand nombre, ce qui n’est jamais à négliger. Voilà sans doute la principale leçon du rebelle Nimier : à chaque lecture, il nous réapprend la hauteur, le style. Never explain, never complain.

En quelques années, ce jeune prodige publie une rafale de romans et d’essais brillants qui font de lui l’un des grands de sa génération : romancier, critique à l’immense culture, analyste de la décadence française, homme d’influence. Nimier est partout, aide tout le monde, sans sectarisme. Comme le dit Millau :

« Roger ne sera jamais du côté des vainqueurs mais toujours des perdants. Il porte en lui le goût de l’échec et l’échec est sa noblesse. C’est un rebelle qui n’a que faire de la victoire. Elle l’ennuie. C’est un solitaire couvert d’amours et d’amitiés mais qui ne courbe pas le cou, comme les autres, vers le collier et la laisse ».

En quelques lignes, Millau nous dépeint les qualités, une raideur de la nuque, et les tares, une fascination morbide pour la défaite, d’une certaine droite française. Faisons tout de même remarquer que, sur le plan littéraire, cela donne de beaux résultats. Nimier, Drieu, Morand ou Céline, bien plus que maints théoriciens, sont passionnément lus des dizaines d’années après leur mort et continuent d’inspirer de jeunes rebelles... En est-il de même avec Robbe-Grillet, Sartre ou de Beauvoir, la donneuse de leçons qui parlait sur Radio-Vichy fin 43 ?

Millau nous rend son ami très proche et fait bien comprendre à quel point l’homme était supérieur : rien de vil chez lui, du courage et une belle capacité de travail (Nimier était un lecteur infatigable et un découvreur hors pair). Son livre de souvenirs, très pudique, nous présente d’autres grands comme Céline :

« Pour faire un roman, j’écris dix mille pages et j’en tire huit cents. Céline qui parle avec les mots de tous les jours... Tu rigoles ? C’est du travail, c’est un métier, la transposition. Le lecteur s’attend à un mot et moi, je lui en colle un autre. C’est ça le style. Le sujet, ça ne compte pas ».

Ou Morand, un très grand lui aussi, dont l’épouse, ex-princesse Soutzo s’exclame dans les dîners : « je n’ai jamais vu autant de Juifs que depuis qu’on les a exterminés. N’est-ce pas extraordinaire ? ». Précisons que, contrairement à tant d’admirateurs des Juifs après la tourmente (et plutôt inactifs sous l’Occupation), Hélène Morand en sauva au moment opportun, quand c’était réellement dangereux. Mais ce genre de déclarations incendiaires ne devait pas aider Paul Morand à rentrer à l’Académie, d’autant plus qu’il avait contre lui la grande Zorah et Monseigneur Mauriac.

Millau apporte aussi d’utiles précisions sur la guerre d’Algérie, notamment sur certains milieux militaires hostiles au mythe absurde de l’Algérie française et à la négociation avec les progressistes, dont on connaît aujourd’hui les résultats. Lors de la crise algérienne et de la petite guerre civile qui s’ensuivit, nombre de “hussards”, adeptes de la littérature dégagée (mais qui avaient déjà pris parti avant et après 1939), se retrouvent partisans. Déon, Laurent, Laudenbach, se muent en conspirateurs, se lancent dans la bagarre avec un panache inimitable.

Le mérite du livre de Millau est de nous restituer cette après-guerre, qui vit une kyrielle d’irréguliers ferrailler contre les croisés du progressisme. Millau annonce, à la fin de son livre, l’ordre classique pour le prochain siècle. Puisse-t-il être entendu par les dieux car face à l’homogène qui semble aujourd’hui triompher, face à tous ceux qui abdiquent ou pactisent, une nouvelle bouffée d’air pur est urgente, vitale même.

♦ Recension : C. Millau, Au galop des hussards, éd. de Fallois, 1998.

► Patrick Canavan, Vouloir n°146-148, 1999.

• NB : Sur l’époque, il faut lire l’essai de P. Louis, La Table ronde : une aventure singulière, La Table ronde, 1992, et la belle dérive d’O. Frébourg, Nimier. Trafiquant d’insolence, éd. du Rocher, 1989.

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