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Gilbert Durand / Chasse

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Entretien avec Gilbert Durand sur la chasse

propos recueillis par Xavier Cheneseau

Gilbert Durand est un des grands intellectuels français de ce siècle. Il est l’un des fondateurs -en compagnie de Paul Deschamps et de Léon Cellier- du Centre de recherche sur l’imaginaire. Intellectuel de renommée mondiale, Gilbert Durand a été Membre du Comité national du CNRS et pendant 20 ans des Commissions nationales de recrutement de l’Enseignement supérieur. Commandeur des Palmes académiques, ses travaux sur les symboles, le mythe et l’imaginaire sont traduits en plus de dix langues. Ce grand penseur de cette fin de siècle a aussi un grand résistant et il a même été comme “ Justes parmi les nations. Gilbert Durand est notamment l’auteur de Les structures anthropologiques de l’imaginaire (1992), Dunod ; Les grands textes de la sociologie moderne (1969), Bordas ; L’imaginaire symbolique (1984), PUF ; Science de l’Homme et Tradition (1974), Dunod ; L’âme tigrée, les plurielles de Psyché (1981, Denoël ; La foi du cordonnier (1984), Denoël ; L’imaginaire, essai sur les sciences et la philosophie de l’image (1994), Hatier ; Introduction à la mythodologie. Mythe et Société (1995), Albin Michel…

Pourquoi chassez-vous ? 

J’ai chassé jusqu’en 1995, date à laquelle j’ai “ raccroché le fusil ” devant l’invasion cynégétique du sanglier et de sachasse. Le “ pourquoi chasser ? ” est complexe : amour du plein air automnal en Savoie/Ain, affection pour mes chiens successifs, surprises délicieuses devant le lièvre qui déboîte ou la bécasse qui froufroute… Je partage peu les plaisirs collectifs de la battue cochonnière. J’aime la traque solitaire derrière le chien. La chasse est pour moi cure d’animalité solitaire !

 

Quel est votre rapport avec la nature, et quelles sont les sensations spécifiques que vous procure la chasse ?

Durand.JPGJ’ai toujours été un “ rural ” mal à l’aise dans les villes bien que j’ai été “ visiting professor ” en d’inhumaines mégapoles comme Sao Paulo ou Tokyo. À mon âge, je cultive encore mon potager. Certes, il y a des “ sensations spécifiques ” de la chasse, surtout au chien d’arrêt. Sensation de vigilance attentive, sensations des pisteurs et des aléas de la piste, satisfaction devant le travail du chien, bien être du casse-croûte en plein air par un radieux midi de septembre savoisien…

 

Selon vous, où se trouve le juste milieu entre les propos et attitudes des “extrême chasse” et les propos et attitudes des anti-chasse ?

 

Il me semble facile de trouver un “ juste milieu ” entre la “ viandardise ” et les niaiseries anti-chasse ! Vrais chasseurs et amoureux sincères de la campagne sont tributaires d’une même éthique : la protection du milieu naturel, son entretien et sa gestion. Je milite avec mes amis d’Action paysage contre la pollution publicitaire ! Le concept de “ plein air ” me semble un dogme fondamental pour tous ceux qui rencontrent l’enfermement citadin !

 

Comprenez-vous comment nous en sommes arrivés au climat défavorable ambiant qui plane sur la chasse ?

 

Comme en beaucoup de choses ce sont des “ médias ” mal informés, incultes, qui ont dégradé le climat ! Les mensonges médiatiques, en matière de chasse, comme dans maints domaines (déforestation amazonienne, “ trou ” polaire de la couche d’ozone, holocauste du bétail atteint de fièvre aphteuse ” etc…etc !) ont perverti les réels problèmes. Les médias ”, surtout les plus rapides, et audiovisuels, purs produits urbains, sont loin du journal agricole qui prend son temps pour réfléchir !

 

Comprenez-vous que ce climat fasse qu’un certain nombre de chasseurs en arrivent à êtres gênés d’avouer leurs pratiques ?

 

Oui, bien sûr ! La chasse, comme toute activité humaine exige une mise en ordre disciplinaire, un agencement quasi rituel des gestes et des comportements. Or, trop de “ porte-fusils ” manquent totalement d’éducation, y compris cynégétique !

 

Pourtant, depuis toujours, l’homme a eu besoin de chasser pour se nourrir…

 

Incontestablement. Outre que tout rassemblement humain crée du social (certains disent du sociétal) la société des chasseurs dessine des hiérarchies ( ” rangs d’âge ”, habilité des tireurs, “ flair ” des pisteurs, etc…) ce qui est la marque de toute société humaine ou animale !

 

Par là même, vous reconnaissez-vous un rôle social à la chasse ?  Ne pensez-vous pas qu’à l’instar du service national, la pratique de la chasse participe à un “brassage” important du Peuple Français ?

 

Bien sûr ! Je suis de ceux qui déplorent la catastrophe de la suppression de tout “ service national ” (pas forcément “ militaire ” effectuant le brassage fécond des populations et des stratifications sociales. Comme je viens de le souligner la société cynégétique, par son ample éventail d’âges, par son égalisation fonctionnelle (ce n’est pas le plus riche qui tire le mieux, et un bon bâtard vaut mieux qu’une pure race !) est bien ressentie par tout sociétaire comme un lieu –et même un centre- important de cohésion social…

 

Si je vous dis que la chasse fait partie intégrante de notre culture, vous êtes d’accord avec cette affirmation ?

 

Oui, certes, la chasse est une culture, avec son langage, son vocabulaire, ses rites et ses coutumes. Toutefois l’urbanisation intensive de nos populations européennes contraint la chasse à n’être qu’une “ réaction rurale ” d’où le refuge urbain –et trompeur-- des écologismes. La chasse disparaît bien lorsque disparaît la campagne !

 

Êtes vous d’accord avec moi si je vous dis que l’écologisme prospère faute d’une offre idéologique concurrente qui pour s’élaborer, ne saurait se limiter à “une réaction rurale” dont la base sociologique est en voie d’extinction et qui ne porte aucun projet même si elle ébauche une sensibilité ?

 

L’écologisme est un palliatif urbain et très fantasmatique à l’extinction d’une population rurale qui vivait dans et par, pour et contre la nature.

 

Vous sentez-vous écologiste ?

 

Bien sûr ! Toutefois il faut bien préciser : être “ écologiste ” c’est-à-dire protéger, conserver, gérer l’environnement naturel de l’espèce humaine n’est pas du tout pratiqué le culte idolâtrique d’une nature qui existerait en soi et pour soi ! Je ne suis pas de ceux qui ici, lors des aménagements hydroélectriques du Haut Rhône par la C.N.R. ont exigé, et obtenu, de cette dernière qu’elle repeigne en vert les lignes bétonnées du nouveau lit du Rhône, dans l’ignorance totale de ce que le ciment prend une “ patine ” rocheuse au bout de 3 à 4 années !

 

Selon-vous, quelle évolution pourrait connaître la chasse française et européenne dans les années à venir ?

L’évolution de la chasse, spécialement en France, doit suivre pas à pas les contraintes nouvelles, hélas, qu’imposent les aménagements, trop souvent incontrôlés et anarchiques, de l’environnement… Bétonnages, goudronnages, rectifications des voies de communication qui s’accroissent avec la vitesse de liaison. À la raréfaction des sites naturels, donc cynégétiques, doit correspondre une réglementation de plus en plus contraignante et surtout, surtout, de plus en plus sectorielle et localisée.

Chaque espace naturel et aménagé dicte des exigences propres. Il est totalement absurde de vouloir légiférer pour de trop vastes surfaces européennes… Encore plus absurde de vouloir délimiter politiquement et bureautiquement des sites qui ne se définissent que par leur contenu naturel : écologique, climatique, botanique, etc… C’est par “ massifs ” qualitatifs, régions typiques, habitat botanique et zoologique, que doivent se définir les “ lieux ” européens de la chasse, non par länder, départements, provinces bureaucratiquement administratives. Les fonctions de la nature ne sont pas passibles de l’autorité d’un préfet ou d’un maire !

 

Pour vous, la chasse est donc avant tout un art de vivre…

 

C’est certain ! Or mieux : la chasse entre dans un art de vivre qui dépasse de beaucoup la pire ressource alimentaire et même cynégétique. Elle entre dans une harmonie d’activités humaines variées et même contrastées : labeurs agricoles, jardinage, loisirs et plein air, sports, gastronomie, élevage, etc…

 

La chasse fait donc partie de nos traditions…

 

Incontestablement . Malgré l’industrialisation de l ‘élevage, la chasse persiste en Europe et au Canada, qui ont éradiqué depuis deux siècles disettes et famines…

 

Pour vous, la nature est-elle source d’inspiration ?

La “ nature ” a toujours été, pour l’activité humaine, paradigme d’inspiration. Déjà nos ancêtres de Lascaux ou de Cro-Magnon ne se contentaient pas de tuer et manger bisons et aurochs : ils les dessinaient, les peignaient, et probablement les chantaient…

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                       1515-- En quoi, selon vous la tradition peut-elle être une nostalgie de l’avenir ?

 

Toute “ tradition ” est commémoration : elle assure, et rassure, que l’avenir aura la sécurité et les stabilités d’hier…

 

Que pensez-vous de l’expression politique qui s’exprime dans le vote CPNT ?

 

La philosophie des “ votations ” CPNT, C et P sont légitimement du côté prédateur de l’animal humain, N et T du côté conservateur. La philosophie de CPNT exige que prédation et conservation soient solidaires sous peine de s’anéantir l’une et l’autre.

 

Quel est votre rapport à l’arme ?

 

Il est bien banal ! Pas plus que je n’ai jamais eu le culte –qui se respecte-- de la “ bagnole ”, je n’ai le culte du beau fusil. Certes, ayant déjà chassé avec des armes haut de gamme (Purden, Holland/Holland…) j’en ai apprécié les commodités, en particulier celle du système “ à platine ”. Mais une commodité presque semblable à la promptitude qu’accorde la platine, je le retrouve dans la grande légèreté du populaire Baby-Bretton.

 

Certes, moi chasseur de “ plume ” et au chien d’arrêt, j’ai quelquefois tué de grosses bêtes : 6 ou 7 sangliers ! 3 ou 4 chevreuils, mais par pure solidarité et civilité pour mon groupe de “ copains ” chasseurs.

 

Que répondez-vous à ceux qui affirment que ce plaisir est malsain ?

 

Je vous renvoie la question : Qu’est-ce donc qu’un “ plaisir malsain ” ? Je pense que c’est celui qui peut nuire à autrui… Le gibier, on le sait est “ res nullius ”, il n’appartient à personne. Alors, comment sa mort, par acte de chasse autorisé, sur un terrain privé (c’est -à-dire où est lié le droit de chasser…) pourrait nuire à quelqu’un ? La malséance n’apparaît que si la chasse s’érige en “ solution finale ” destructive tendant à anéantir une population, alors il y a privation de tout “ fruit ” pour autrui, même celui si modeste de contempler l’animal sauvage… Or tout chasseur qui respecte son action cynégétique et son droit se charge au contraire de protéger (j’ai jadis fait interdire totalement le tir de la gelinotte sur notre territoire…) faire croître, multiplier un gibier qu’il prélève de façon précautionneuse.

J’ai connu peu de chasseurs qui jouissent du seul meurtre de l’animal. La plupart du temps la joie du “ déduit de chasse ” vient soit de l’habileté satisfaite d’un tir, du pistage et de ses aléas bien accomplis, du travail des chiens récompensant un bon dressage, de la poétique des guérets, de la forêt, du marais, de l’étang à l’automne. Ce n’est jamais le tué qui prime, mais bien le pister, l’arrêter, le lever, le tirer…

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