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  • Doctrine Monroe

    Le "corollaire Roosevelt" à la Doctrine de Monroe

    6a0ce210.jpg06 décembre 1904 : Theodor Roosevelt, le belliciste américain, ajoute le fameux « corollaire Roosevelt » à la Doctrine de Monroe, proclamée en 1823. Il s’agit d’une interprétation expansionniste de cette Doctrine. Elle complète la précédente batterie de principes agressifs et bellicistes qu’avait énoncé trois ans auparavant « Teddy » Roosevelt, sous le nom de « Doctrine du Big Stick » ou « Doctrine du gros bâton ».

    Cette doctrine réfute le principe même de neutralité, qui existe en droit international. Les États-Unis déclaraient, par la bouche de leur futur président, ne pas accepter qu’une puissance, quelle qu’elle soit, puisse s’opposer frontalement à leurs intérêts ni même puisse se déclarer tout simplement neutre et se désintéresser, sine ira nec metu, du point de vue américain, puisse ne pas applaudir à chaque geste agressif de Washington contre une autre nation de la planète. Roosevelt justifiait ainsi l’agression commise en 1898 contre l’Espagne, à Cuba et aux Philippines, et anticipait ses projets d’expansion dans la zone du Canal à Panama. Roosevelt ne cachait pas ses visées pan-américanistes sur l’Amérique latine, ce qui a immédiatement soulevé une vague d’indignation en Europe, évidemment non suivie d’effets.

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    Le monothéisme comme système de pouvoir en Amérique latine

     

    Considéré comme le bastion traditionnel du catholicisme, l'Amérique latine est actuellement l'enjeu de luttes d'influence entre différents groupes religieux chrétiens dont le prosélytisme atteint son paroxysme. Vivement encouragés par les dirigeants politiques du continent, le développement des sectes protestantes permet d'assurer le contrôle politique de populations misérables qui constituent le terreau des guérillas anti-américaines et dont quelques prêtres catholiques, adeptes de la Théologie de la Libération ont pris la défense. Particulièrement visés par cette stratégie, les Indiens constituent en effet une menace pour le système car ils associent revendications sociales et défense de leur identité culturelle et religieuse. D'où l'intéret d'une religion associant individualisme, universalisme et soumission à I'ordre établi, valeurs par excellence d'une société soumise à I'hégémonie américaine.

     

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    Buste du dernier général inca Rumiñahui sur la Plaza Indoamerica à Quito en Équateur. La pensée indigéniste en fait le héros de la liberté contre le colonisateur espagnol


     

    Un continent soumis depuis cinq siècles à l'hégémonie européenne, puis américaine

     

    sam10.gifAvec l'accession à l'indépendance des anciennes colonies de la couronne d'Espagne, l'Amérique latine connaît tout le contraire d'un processus d'émancipation durant le XIXe siècle. Ses élites politiques, essentiellement espagnoles, ne parviennent pas à contrer les plans de l'Angleterre qui impose le morcellement de l'empire en une kyrielle de petits États. C'est ainsi qu'ils font échouer, en 1839, le projet de Grande-Colombie initié par Simon Bolivar, et font exploser les Provinces-Unies d'Amérique centrale en plusieurs petits États de taille ridicule. Conformément à sa logique de thalassocratie, l'Angleterre empêche ainsi la constitution de toute puissance continentale qui pourrait contester les règles commerciales et financières qu'elle impose facilement à de petits États clients.


    Les États-Unis, malgré la politique de solidarité panaméricaine annoncée par la doctrine de Monroe datant de 1823, se méfient aussi de l'émergence d'une puissance ibéro-américaine. La création du micro-État panaméen en 1903 est la mise en application la plus éloquente de ce principe, les Américains fomentant une révolte contre la Colombie pour obtenir la sécession du Panama, afin de se faire concéder la souveraineté sur le canal par un régime panaméen faible et soumis à l'Oncle Sam.


    L'éclatement de l'Amérique latine en une vingtaine d'États ouvre pour le continent une ère de chaos et d'anarchie entretenue par les grandes puissances. Des conflits meurtriers opposent ainsi de jeunes nations ; tels que la guerre du Pacifique des années 1880, entre le Pérou et la Bolivie d'une part, et le Chili d'autre part. Les dépôts de nitrate du désert d'Atacama suscitaient en effet la convoitise des trois États mais les capitalistes européens ont soutenu financièrement le Chili, vainqueur du conflit, car le gouvernement péruvien avait appliqué une politique spoliatrice à leur égard. La stratégie américaine du Big Stick (gros bâton) et de la diplomatie du dollar vient concurrencer les Européens, surtout vers la fin du XIXe siècle, lorsque les États-Unis chassent les Espagnols de Porto-Rico et de Cuba, îles dans lesquelles ils avaient investi dans les plantations de canne à sucre. En 1901, l'amendement Platt voté par le Sénat transforme Cuba en un protectorat de fait, Haïti et Saint-Domingue subissant le même sort en 1916 et en 1923. Quant à la diplomatie du dollar, elle s'applique aux États plus solides ou plus éloignés de la sphère d'influence américaine.


    Le sous-développement endémique dont a toujours souffert l'Amérique latine s'explique donc en partie par sa dépendance politique. La composition ethnique des États de la région, héritage de la colonisation espagnole, ne fait qu'aggraver le phénomène car, face à une masse indigène, noire ou métisse, une élite créole affiche un sentiment de supériorité sociale et ne montre guère d'intérêt pour le développement économique. Lorsqu'une mine est exploitée à l'aide de capitaux et d'ingénieurs européens, il est fréquent que la ligne de chemin de fer qui achemine le minerai destiné à l'exportation vers le port ne soit même pas connectée à la ville la plus proche.


    La Révolution mexicaine de 1912 est sans doute la première réaction notable à cette situation de pillage du pays par les capitalistes étrangers et leurs collaborateurs locaux. Le Mexique était en effet dépossédé de ses champs pétrolifères dont la concession était accordée aux compagnies anglo-saxonnes ; tandis que lrs terres se concentraient entre les mains de quelques familles au détriment des communautés indiennes. Cette Révolution est l'aboutissement d'un mouvement pour l'émancipation des Indiens et contre le capital étranger, s'accompagnant de la lutte contre le clergé catholique qui est considéré comme le meilleur allié du régime. Le rôle de ce dernier a été déterminant dans les conflits qui ont ponctué l'histoire de l'Amérique latine, surtout au XXe siècle, période de remous et de mutations pour l'Église catholique.


    L'Église catholique dans la tourmente révolutionnaire


    Les sociétés latino-américaines ont longtemps été dominées par la trilogie Évêque-Général-Propriétaire terrien. Cette alliance du sabre et du goupillon est conforme à la définition de la religion, certes restrictive — mais particulièrement pertinente lorsque l'on analyse le rôle de l'Église catholique sur ce continent — du sociologue français Pierre Bourdieu. Selon lui, le religieux se caractérise par sa fonction de conservation et de légitimation de l'ordre social. Si les diverses religions polythéistes traditionnelles encore pratiquées à travers le monde ont rarement pour objectif de conquérir et d'influencer le pouvoir, les monothéismes chrétien et musulman ne font quant à eux pas preuve de la même faiblesse, s'appuyant largement sur les régimes politiques en place, quelle que soit leur nature.


    Le Vatican joue d'ailleurs un rôle direct dans la politique latino-américaine, tel le nonce apostolique négociant la reddition de Noriega à Panama ou le cardinal de Managua qui œuvre à la recomposition politique d'une opposition au gouvernement sandiniste. Si l'Église a constitué la première force d'opposition au régime du général Pinochet, la majorité de la hiérarchie catholique conservatrice du Brésil contribue à la chute du président J. Goulard en 1964 et à l'instauration du gouvernement militaire. En organisant « une marche avec Dieu pour la famille et la liberté »,en mars 1964, avec le financement de la CIA et du patronat, elle assène un coup décisif au régime civil. Son but est en effet de mettre un terme aux réformes sociales entamées par le régime, assimilées à une évolution vers le communisme et soutenues par la minorité réformiste du clergé s'inspirant de Dom Helder Camara.


    L'Église est aussi au centre des conflits qui ensanglantent l'Amérique centrale depuis des années, où elle torpille le projet réformiste du président Arbenz au Guatemala. Au nom de l'anti-communisme, le Congrès eucharistique réunit 200.000 personnes en 1951dans une croisade pour la «défense de la propriété». Par la suite, le cardinal Casariego restera muet sur les atrocités commises par les juntes au pouvoir à partir de 1954. Quant à la famille Somoza, elle a bénéficié aussi du soutien de l'Église nicaraguéenne, l'archevêque de Managua sacrant, en 1942, la fille du dictateur reine de l'armée avec la couronne de la Vierge de Candelaria.


    La Théologie de la libération rompt avec l'attitude traditionnelle de l'Église catholique


    Le changement d'attitude de l'Église date de la fin des années cinquante, à la suite du choc causé par la révolution cubaine de 1958. Bien avant la convocation du Concile Vatican II, le pape Jean XVIII manifeste en effet la volonté que l'épiscopat latino-américain sorte de son inertie et s'adapte aux réalités du continent, soulignant l'urgence d'une réforme des structures sociales. Selon lui, l'Église doit retrouver l'appui des masses en adoptant un discours différent de celui de l'acceptation des rapports sociaux, idée développée lors du congrès de Medellin de 1968.


    Le Concile Vatican II développe ainsi plusieurs thèmes devant réconcilier le peuple et son Église, qui doit désormais se considérer comme le «peuple de Dieu». Le rôle du laïc est revalorisé afin de rendre plus active la parti­ci­pa­tion de tous les fidèles aux célébrations liturgiques et à l'enseignement du catéchisme. Les paroisses sont décentralisées pour que des «commu­nautés de base» s'auto-organisent dans le monde rural et dans les bidon­villes. L'intérêt que présentent ces communautés est double: d'une part elles intègrent dans les chants et les rituels certains éléments de la reli­gio­si­té populaire, d'autre part elles sont le lieu où les populations pau­vres dis­cu­tent des problèmes quotidiens avec des animateurs.


    En Amérique centrale, ces théologiens de la libération sont même à l'origine du développement de plusieurs mouvements révolutionnaires, effectuant un travail de conscientisation des masses et brisant le tabou de l'incompatibilité entre chrétiens et marxistes. Che Guevara est le symbole de cette pensée christo-marxiste qui reconnaît le droit à l'insurrection. En outre, le “Che” fait figure de martyr dans les églises populaires. En disant que la révolution latino-américaine serait invincible quand les chrétiens deviendraient d'authentiques révolutionnaires, il prouvait que ce basculement idéologique de l'Église risquait de déstabiliser des régimes politiques privés de réels soutiens populaires.


    Au Nicaragua, où les communautés de base diffusent la propagande du front sandiniste, le Père Ernesto Cardenal est converti par les Cubains aux thèses révolutionnaires et prône l'idée que le royaume de Dieu est de ce monde. Les chrétiens seront d'ailleurs représentés dans le gouvernement san­diniste dans lequel ils auront quatre ministres. Au Guatemala, la jeunes­se d'action catholique rurale se rapproche des communautés paysannes in­diennes en révolte dans les années 60, l'accentuation de la ré­pres­sion militaire contribuant à ce phénomène.


    C'est au Salvador que la solidarité entre les guérilleros et les chrétiens progressistes est la plus frappante, ces derniers étant plus nombreux que les marxistes dans le mouvement de guérilla. Le réseau des centres de for­ma­tion chrétienne mobilise les paysans salvadoriens, combinant évan­gé­li­sa­tion, alphabétisation, enseignement agricole et éveil socio-politique. Le par­cours de Mgr Romero, l'archevêque de San Salvador constitue presque l'ar­chétype de cette prise de conscience politique de certains hommes d'É­glise. L'élection au siège archiépiscopal de cet évêque conservateur proche de l'Opus Dei avait enchanté les dirigeants du pays, le Vatican l'ayant choisi pour faire contrepoids à son prédécesseur, Mgr Chavez, qualifié d'« ar­che­vê­que rouge ». Mais, suite à l'un des nombreux assassinats de prêtres par les militaires survenu en 1977, il rejoint les rangs des révolutionnaires avant de se faire à son tour assassiné. Étant devenu le martyr de la révolution sal­va­dorienne, il est l'un des symboles d'un phénomène qui inquiète de plus en plus le Vatican.


    La mise à pieds des chrétiens progressistes par Jean-Paul II


    La Théologie de la libération, impulsée par des intellectuels occidentaux et par des prêtres latino-américains venus étudier dans les universités euro­péen­nes, a donc trouvé dans les réalités socio-politiques du continent le ter­reau favorable à son expansion. Dès le début des années 80, Jean-Paul II, pa­pe farouchement anticommuniste, tente cependant de juguler ce mou­ve­ment. En 1984, une “instruction sur quelques aspects de la Théologie de la li­bération” fait le point sur ce phénomène en évitant de le condamner en bloc mais en critiquant certaines de ses dérives. Dans ce document, le car­di­nal Ratzinger, préfet de la congrégation de la foi met en garde contre le ris­que de perversion de l'inspiration évangélique par la philosophie mar­xiste.


    Par peur de se couper définitivement d'un mouvement dont il espère toujours récupérer les bénéfices, il ne condamne pas ouvertement les prêtres progressistes mais il adresse des critiques régulièrement à ceux qui confondent christianisme et marxisme. C'est ainsi qu'il avait demandé, sans succès, de se retirer aux quatre prêtres membres du gouvernement sandiniste. De même, il entretenait des relations difficiles avec Mgr Romero à qui il reprochait son zèle excessif dans l'action sociale, demandant quand même au président Carter de cesser son aide à une armée salvadorienne “qui ne sait faire qu'une chose: réprimer le peuple et servir les intérêts de l'oligarchie salvadorienne”. Au Nicaragua, alors qu'il célèbre une messe à Managua en 1983, il fait une prière pour les prisonniers du régime mais passe sous silence les crimes des contras.


    Dans son “instruction sur la liberté chrétienne et la libération” en 1986, le cardinal Ratzinger ne renie pas la préférence de l'Église pour les pauvres, le discours du Vatican tentant en fait de s'approprier la théologie de la li­bé­ra­tion mais en aseptisant le discours de ses aspects les plus révolution­nai­res. La seconde stratégie adoptée par Jean-Paul II consiste à nommer systé­matiquement des évêques conservateurs de l'Opus Dei à la tête des diocèses progressistes. En Équateur, il a ainsi contenu l'influence grandis­sante d'une partie du clergé catholique qui militait en faveur de la cause indigène, incarné depuis les années 50 par Mgr Leonidas Proano, sur­nom­mé l'“évêque des Indiens”.


    Le catholicisme latino-américain subit la concurrence croissante des sectes protestante


    L'engagement d'une partie du clergé en faveur des guérillas d'Amérique centrale ou de ceux qui luttent contre les latifundistes en faveur des paysans sans terres au Brésil a généré de nouvelles formes de religiosité convenant mieux aux intérêts des régimes pro-américains de la région. Il s'agit essentiellement d'églises relevant du pentecôtisme (assemblée de Dieu, Église de Dieu, de l'Évangile complet, Prince de la paix) ou de diverses variétés du néo-pentecôtisme (Église Élim, du Verbe, Club 700 de Pat Robertson ou club PTL). Ces mouvements reçoivent donc une aide importante de leur nation d'origine, les États-Unis, où ils sont dirigés par les anticommunistes les plus fanatiques formant l'aile droite du parti républicain.


    On comprend dès lors pourquoi les oligarchies et les militaires ont favorisé ces sectes protestantes dont l'influence grandit sans cesse auprès des couches populaires les plus misérables. Leur message va dans le sens d'un désengagement vis-à-vis de la sphère publique en prônant une interprétation individualiste du christianisme, centré sur le perfectionnement de l'individu. Comme les protestants européens, ils assèchent la religion qui se réduit à un simple moralisme, fondé sur l'honnêteté, le refus de l'alcoolisme. Ce désintérêt pour le salut collectif se double d'une action efficace menée en direction des populations déshéritées à qui les protestants prodiguent des aides grâce à l'argent venu des États-Unis. Le soutien apporté aux victimes du tremblement de terre qui a frappé le Guatemala en 1976 s'est accompagné d'une vaste campagne de conversion, Jerry Faldwell et Pat Robertson venant évangéliser les foules dans les stades de football. La même année, l'Alliance évangélique se range du côté d'un régime qui a massacré entre 100.000 et 200.000 Indiens en prônant le respect des autorités. En 1982, c'est un chrétien conservateur de l'Église du Verbe, le général Rios Montt, qui accède au pouvoir à la suite d'un coup d'État. Avec lui, répression et massacres d'Indiens s'accentuent tandis que des hameaux stratégiques poussent comme des champignons. Bâtis sur le modèle des villages stratégiques de la guerre du Viet Nam, ces hameaux ont pour but de déstructurer les communautés indiennes afin de détruire les bases de la guérilla. Les États-Unis jouent un rôle actif en fournissant capitaux et experts à l'armée guatémaltèque.


    Au Salvador, les militaires se servent également des évangélistes pour donner un contenu idéologique à leur action contre-révolutionnaire. Ces sectes protestantes font aussi une percée dans des pays où règne la paix. Au Brésil, ils ont supplanté les adeptes de la Théologie de la libération. Leur succès auprès des pauvres est immense car on estime qu'ils représentent près de 14% des électeurs contre seulement 2% pour les prêtres progressistes. En 1994, ils contribuent à la défaite électorale du candidat de gauche, Lula, qui est assimilé au diable. En constituant un groupe parlementaire évangélique, ils sont ainsi en mesure de négocier des aides pour leur église.


    Un christianisme de plus en plus négateur de l'identité indienne


    Les églises protestantes mènent aussi une politique d'éradication du «paganisme» indien avec lequel les catholiques avaient dû composer. Ce syncrétisme indien-chrétien est visible dans toutes les manifestations de la vie religieuse et dans les lieux de culte, telle l'église du village de Mixtèque s'appelant «maison du soleil» et les saints étant appelés les dieux, alors que seul le mot espagnol désigne Dieu. Les rites et les offrandes pratiqués sont d'ailleurs souvent à mi-chemin entre le sacrifice et la prière chrétienne.


    Chez les Afro-Brésiliens, le catholicisme s'est transformé en une religion magique faite de croyance en des êtres surnaturels, de communication avec les âmes des défunts. Un rôle important est donné à l'interférence des saints dans la vie terrestre, le Dieu ne revêtant pas l'image du Père dominateur et puissant habituel.


    Les catholiques, qui s'érigent en défenseurs des Indiens, poursuivent aussi leur vieille stratégie d'acculturation, obligeant ainsi les Amazoniens récemment convertis à adopter un mode de vie sédentaire, prélude à leur prolétarisation. Le mythe de Bartolomé de las Casas, fondateur de la pensée indigéniste, illustre l'ambiguité de ce rôle de protecteur, car, selon lui, il n'existait ni Espagnols ni Indiens, mais un seul populus christianus. La défense des Indiens se limitait donc au domaine social mais se gardait bien d'aborder le problème de l'identité.


    Le monothéisme latino-américain a donc été le complément indispensable à la domination socio-politique des Indiens dont la renaissance ne pourra se réaliser que par un retour aux sources de leur religion, ce que les révolutionnaires marxistes n'ont jamais compris.

     

     

    ► Jacques-Olivier MARTIN, Vouloir n°142/145, 1998.

    (Conférence prononcée lors de l'Université d'été de Synergies européennes, Varese, 1997)

     

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    *** EXTRAITS D'UN MANIFESTE INDIGÉNISTE ET ANDINISTE ***

    zoocal10.jpgL'andinisme est l'amour de la terre, du soleil, des fleuves et des rivières, des montagnes. C'est le pur sentiment de la nature. Il glorifie le travail qui vainc tout. Il est le droit à une vie simple et pacifique. Il est le devoir de faire le bien et de partager son pain avec son frère. (...) L'andinisme proclame le retour à la pureté originelle, à la plénitude de l'âme paysanne. L'andinisme est un agrarisme : il est le retour des fils prodigues au travail raisonnable, qui est béni sous le grand ciel, il est la purification par le contact avec la terre, que nos vieux ancêtres les Incas ont fertilisée par le travail de leurs mains. (...) La culture inca était un or­ganisme originel. Dans le monde précolombien,  cette culture inca apparaît avec toutes les caractéristiques de ces créations sublimes, exprimant les noces sans cesse répétées de la Terre et de l'Homme. Isolée des autres continents, elle s'est développée par un processus autogène, elle s'est nourrie elle-même [de ses propres forces], sans recevoir l'influence d'autres races ou groupes [ethniques]. Elle a atteint une splendeur et une grandeur avec une vitalité et une fécondité que seules les cultures  qui n'ont pas coupé le cordon ombilical qui les lie à la Terre peuvent déployer. Les Andes sont une source inépuisable de vitalité pour la culture du Pérou. Ni les Incas ni les Indiens d'aujourd'hui n'ont perdu leurs liens tel­luriques. Ils vivent avec la montagne et avec les fleuves, ils prolongent leur sociabilité dans l'infra-humain et se mêlent au Tout, dans la lumière crépusculaire qui les entoure, en des noces panthéistes. (...) La race maternelle survit dans les Andes. Elle est nourrie par des géants. Si la lumière de l'Empire inca s'est éteinte, les lumières de ses restes humains continuent à briller, comme les derniers rayons du soleil sur un haut sommet. Sur le plateau an­din, sur les hauts plateaux du Pérou, la grande culture indigène n'est pas morte. (...)

    La doctrine andiniste constitue une tentative de formuler une idéologie (amér)indienne. (...) La race crucifiée se transfigure (...) Virakocha, le Dieu des sommets montagneux et de l'eau, descend à nouveau lentement des hauteurs de l'Olympe andin ; là où il pose ses pas, les hommes brisent les pierres de leur esclavage millénaire, ils se dressent comme le La­zare de la Bible. Leur voix retentit dans les cavernes de granit comme gronde le tonnerre. Et la terre tremble.

     

    Luis VALCÁRCEL, Tempête dans les Andes (1927). Dans ce manifeste, cet anthropologue et théoricien de l'indigénisme base sa conception de la société indienne sur le système des clans (dénommé "Ayllu"). Le colonisateur aurait détruit ce dernier, soumettant les Indiens à l'arbitraire du pouvoir.

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    pièces-jointes :

    De la théologie politique américaine

    C’est un paradoxe apparent de l’histoire de voir comment un nationalisme précis (et particulièrement puissant) se déclare non seulement « prophétique » mais aussi universel, tout en se matérialisant dans de nombreux actes d’expansion ou d’interventionnisme.

    Anders Stephenson*

     

    L’éminent juriste allemand Carl Schmitt a ca­rac­térisé l’idéologie de l’expan­sion­nisme et de l’im­périalisme américains comme une théolo­gie politique, à la fois totali­tai­re, dogmatique et proclamée universaliste, et qui s’in­gé­nie — avec le zèle et la fer­veur d’un Torquemada — à rendre équivalents in­térêt particulier in­ter­national des États-Unis et in­té­rêt du genre humain.

    Hans Morgenthau (1904-1980) remarque que l’universa­lis­me est une idéologie qui répond aux besoins de l’impéria­lis­me et de l’expansionnisme. L’ex­pansionnisme est sans cesse en opposition avec l’ordre international dominant et le statu quo existant. L’expansionnisme tend à prouver que le statu quo qu’il cherche à vaincre mérite d’être vaincu et que la légitimité morale qui, dans l’esprit de beaucoup, est attachée aux cho­ses telles qu’elles sont, sera finalement ob­ligée de céder face à un principe de plus gran­de moralité faisant appel à une nou­velle distribution de pouvoir (1).

    « Dans la mesure où les idéologies typiques de l’impé­ria­lisme usent de concepts de droit, elles ne peuvent aisément faire référence de manière correcte au droit international positif, c’est-à-dire au droit international tel qu’il existe aujourd’hui. Dans le do­mai­ne du droit, c’est la doctrine du droit naturel, c’est-à-dire du droit comme il de­vrait être [et non pas tel qu'il est, ndt], qui répond aux besoins idéo­lo­giques de l’im­péria­lisme… Lorsque la politique impé­rialiste expan­sionniste n’est pas dirigée contre un sta­tu quo particulier résultant d’une guerre perdue mais fait fond sur un vacuum de puissance s'offrant à la conquête, l'arsenal idéologique moralisateur, faisant de la conquête un devoir inévitable, prend le relais d'une loi naturelle juste invoquée contre une loi positive injuste. »

    La doctrine de la « Destinée manifeste »

    L’objectif principal de l’idéologie impérialiste est d'identifier aspirations po­litiques d’une nation précise, d’une part, et lois morales qui gou­vernent l’univers, d’autre part ; nous avons là une idéologie spécifique­ment anglo-saxonne pour habiller les aspi­ra­tions particulières et les actions impérialistes d’un objectif moral, qui correspondrait aux lois de l’univers. Cette idéologie a d’abord été ty­pi­quement britannique, mais elle a été perfec­tion­née et parachevée par les États-Unis.

    « Le fait que savoir que les nations soient soumises à la loi mo­rale est une chose, mais prétendre sa­voir avec as­surance ce qui est bon et mauvais dans les relations entre les nations, est d’un au­tre ressort. Il y a un mon­de de différence en­tre la croyance que toutes les nations sont sous le couvert du jugement de Dieu, impéné­trable au genre humain, et la conviction blas­phé­matrice que Dieu est toujours de son côté et que ce que cette puissance alliée à Dieu veut pour elle-même ne peut pas connaître l’é­chec, parce que cette volonté est aussi celle de Dieu » (3).

    mckinl10.jpgL’exemple d’école d’un tel blasphème se re­trou­ve dans l’assertion du Président McKinley [ci-contre] qui affirmait que l’annexion des Philippines (et la série de mas­sacres de civils qui s’ensuivit) était un signe de la Providence divine. Cette con­quête et ces massacres avaient été entre­pris après que le président ait reçu un signe de la Providence. L’Amiral Dewey reven­di­quait le fait que la conquête des Philippines était un ga­ge d’approbation divine. « Il me faut dire que la main de Dieu y prenait part » (4).

    Les arguments avancés pour justifier la con­quê­te des Philippines étaient centrés sur des thèmes re­ligieux. « Ces thèmes s’exprimaient par les mots De­voir et Destinée. Selon le pre­mier terme, refuser l’annexion des Philippines au­rait signifié manquer de remplir une obliga­tion solennelle. Selon le second ter­me, l’annexion des Philippines en parti­culier et l’expansion en général étaient inévitables et ir­ré­sistibles » (5). Ainsi entendu, l’expan­sion­nis­me impérial américain était une « Desti­née manifeste » sous le signe de la Providence.

    Une doctrine calviniste

    La doctrine calviniste devint de facto une arme idéo­lo­gique pour la guerre d’agression et l’ex­pansion­nis­me. « Les victoires rapides gagnées par les forces américaines ont renforcé les po­si­tions psycholo­gi­ques des impérialistes. L’im­pres­sion de commettre un acte répréhensible ne se renforce que si l’action contestable est suivie de revers. Inversement, la mauvaise cons­cience diminue ipso facto si le projet est exécuté avec brio. L’échec s’interprète comme une punition de la Providence ; mais la réus­si­te, telle que la décrit le schéma calviniste, est considéré comme le signe extérieur d’un état de grâce intérieur… »

    « Le devoir, disait le Pré­si­dent McKinley, détermine la destinée ». Tandis que le devoir signifie que nous avons une obli­gation morale, la destinée signifie que nous al­lons certainement remplir cette obligation, que la capacité à le faire nous est inhérente. « Notre histoire a toujours été une histoire ininterrom­pue d’expansion ; notre pays était toujours par­­venu autrefois à s’étendre, ainsi il était cer­tain qu’il réus­sirait de la même façon dans le fu­tur. La force d’ex­pansion est un héritage na­tio­nal et "racial", uneprofonde et irréductible nécessité intérieure... La Providence a été si in­dulgente envers nous, en nous pro­curant une telle abondance de succès, que nous nous rendrions coupables si nous n’acceptions pas les res­ponsabilités qu'elle nous exhorte à as­sumer » (6).

    L’impérialisme américain a développé une puis­­­sante théologie de l’élection. L’idée améri­caine d’élection historique ou providentielle, in­hérente à la Doctrine de la Destinée Mani­fes­te, fusionne Dieu et la géopolitique en un tout parfaitement instrumen­ta­lisable et apporte ainsi « légi­ti­mi­té » à la conquête et à l’expansionnisme.

    Un charabia moraliste et religieux

    Le charabia moral et religieux de la Doctrine de la Destinée Manifeste, si typiquement américain dans son profond primitivisme, est aisé à écarter tant il n’est qu’un bric-à-brac idéo­logique. Et pourtant, nonobstant sa nature de bric-à-brac, cet abominable bricolage est devenu l’assise de la théologie politique et de la politique étrangère américaines [s'accordant avec la vision américanocentrée du monde transmise par l'éducation au citoyen américain]. L’expansionnisme impéria­lis­te se voyait élevé au rang d’obligation positive, de devoir. Plus l’expansionnisme était im­pi­toyable, plus on le justifiait par une appro­ba­tion divine. La volonté des impérialistes amé­ricains était d’égaler la volonté de Dieu. L’im­pé­rialisme de­vint « une vertu dérivée de l’ap­pel de Dieu ». Rester en deçà équivalait à « re­jeter la direction divine ».

    Le Sénateur Al­bert J. Beveridge déclara un jour que « Dieu n’a pas passé son temps pour rien durant un millier d’années à préparer les peuples anglo­pho­nes pour qu’ils ne se livrent à rien d’autre qu’à une vaine et ridicule contemplation et à une au­to-admiration. Non ! Il a fait de nous les maî­tres-organisateurs du monde pour établir des systèmes ordonnés là où régnait le chaos. Il a fait de nous des virtuoses de la bonne gou­vernance pour que nous puissions, le cas é­chéant, gérer la politique chez les peuples sau­vages ou séniles » (7).

    Pris dans la spirale du destin

    arm10.jpgLe thème de la Destinée était un corollaire du thè­me du Devoir.  Il fut régulièrement dé­cla­ré que l’ex­pansion était le résultat d’une « tendance cosmique », que « c’était le destin », que c’était « la logique ine­xorable des événe­ments », etc. La doctrine affir­mant l’ex­pan­sion comme inévitable était bien sûr depuis long­temps familière aux Américains ; nous savons tous ô com­bien la Destinée Manifeste fut invoquée au cours du XIXe siècle. Albert Weinberg souli­gne, toutefois, que cette expression prit un sens nouveau dans les années 90. Auparavant, Destinée si­gnifiait, dans son sens premier, que l’ex­pansion a­mé­ricaine, quand on le voulait, pou­vait être con­tre­carrée par d’autres qui pou­vaient se mettre en tra­vers de notre chemin.

    Au cours des années 90, elle en vint à signifier que « les A­méricains ne pouvaient pas, par leur propre volonté, refuser cette expansion », car ils étaient pris, qu’ils le veuillent ou non, dans la spi­rale du destin. Toute tentative de réti­cence se trouve réfrénée : « ce n’était pas tout à fait ce que nous voulions faire ; c’était ce que nous de­vions faire. Notre agressivité conquérante se vo­yait implicitement définie comme obligatoire, — le produit non de nos propres volontés mais de la nécessité objective (ou de la volonté de Dieu) »(8). La Destinée avait toujours une desti­na­tion, cette dernière étant identifiée à l’ex­pan­sion­nisme géopolitique, et donc la source de l’impé­ria­lisme américain était la volonté de Dieu confiée aux élus en tant que Destinée.

    La mythologie politique de la Doctrine Monroe

    monroe10.jpgKenneth M. Coleman définit le corollaire politi­que (et géopolitique) de la doctrine de la Des­tinée Manifes­te, avatar de la doctrine Monroe, com­me une mythologie po­litique : « Une mytholo­gie politique a émergé par­mi les Nord-Amé­ri­cains pour justifier la réalité de leur hégémonie dans les Amériques. La doctrine Mon­roe con­sti­tue un exemple de création d’un mythe politique qui a accompagné la création de l’empire américain. Il apparaissait néces­saire, à l’époque, de trouver un vé­hicule rhétorique qui sug­gèrerait non point une intention expansionniste mais une abné­gation… Dès sa genèse, la doctrine Monroe a été un artifice rhétorique con­çu pour réconcilier les valeurs proclamées de désin­té­res­se­ment et d'esprit de sacrifice des Américains avec leurs intentions expansionnistes réelles qui vi­sent à réaliser leurs intérêts stratégiques et éco­nomiques majeurs. Ainsi la première carac­té­ri­stique dans la définition d’une mythologie po­litique est son actua­lité… L’hégémonie, à l'instar d'un Empire, requiert la création d’une my­tho­logie légitimante… Dans le cas d’un Empire, la mythologie doit faire raisonner les Améri­cains comme suit : « Nous vous dominons parce qu’il est dans votre intérêt que ce soit nous qui le fassions »… Dans le cas d’une hégémonie, la my­thologie doit générer la croyance que les re­lations existantes sont mutuellement bénéfiques aux parte­nai­res et que ceux qui ne les perçoivent pas ainsi sont soit  dans l'erreur soit malveillants… » (9).

    Le message normatif de la Doctrine Monroe

    « La mythologie politique de l’hégémonie se distingue en ce qu'elle nie l’existence de la do­mination politique et éco­no­mique. Elle rejoint néanmoins la mythologie de l’im­périalisme en ce qu’elle affirme que les re­la­tions existantes sont justes, appropriées, i­né­vitables ou encore normativement défendables ». La doctrine Monroe véhicule un mes­sa­ge normatif selon lequel « les cau­ses actuelles, dé­fendues par l’Amérique, sont ju­stes, moralement dé­fendables, et en accord avec les principes les plus élevés d’un ordre poli­ti­que supérieur à tout autre » (10) et pour lequel l’impérialisme américain sert un dessein moral plus grand : la Destinée Ma­ni­feste prédestinée par Dieu lui-même.

    Kenneth M. Coleman cite Sal­va­dor de Ma­da­riaga qui décrivit la nature de la doctrine Monroe dans les termes suivants : « Je sais seulement deux choses à propos de la doc­trine Monroe : l’une est qu’aucun Américain que j’ai rencontré ne sait ce que c’est ; l’au­tre est qu’aucun Américain que j’ai rencontré ne consentirait à ce que l’on tergiverse à son pro­pos… J’en conclus que la doctrine Monroe n’est pas une doctrine mais un dogme… pas un seul dogme, mais, à bien y regarder, deux, à savoir : le dogme de l’in­faillibilité du Pré­sident américain et le dog­me de l’immaculée con­ception de la politique étrangère américaine » (11).

    Les intérêts des États-Unis sont les intérêts de l’humanité toute entière

    costpl10.gifLa croyance selon laquelle les Américains sont un peuple choisi par Dieu pour amorcer une expansion sans fin était in­hérente tant à la doctrine de la Des­ti­née Manifeste qu’à la doctrine Monroe. « L'expression qui exprimait ce sens de certitude morale de l’expansion géo­graphique — la« Destinée Ma­ni­fes­te » trahissait la certitude calviniste assurée que Dieu révélera au monde ceux qui assureront Sa grâ­ce en les rendant prospères ». Si les États-Unis re­pré­sentent la Terre Promise du Peuple Élu, alors « il est presque impossible de concevoir une si­tua­tion dans laquelle les in­té­rêts du genre humain ne sont pas hautement similaires à ceux des États-Unis. En faisant mon­tre d’une telle présomption, l’oppo­si­tion à la Destinée Manifeste (des États-Unis) n’était pas une simple opposition politique — elle ne re­pré­sentait pas même une quelconque différence d’o­pinion , elle se posait plutôt comme une hé­ré­sie contre le peuple élu par Dieu lui-même… Si les autorités des États-Unis — les autorités choisies par le peuple favorisé par Dieu lui-même — étaient en faveur d’u­ne politi­que donnée, alors critiquer la justice ou la mo­­ra­lité de cette politique s’avérait moralement im­possible » (12).

    À cet égard on peut rappeler la conclusion  de Werner Sombart pour qui « le calvi­nis­me est la victoire du judaïsme sur la chrétienté » et « l’Amérique est la quin­tessence du judaïsme ». L’immoralité politique de la doctrine de la « Destinée Manifeste », l’ex­pansionnisme géopolitique derrière la doctrine Monroe conquérante de territoires et l’impérialisme économique, tel qu’il se manifeste sous la for­me de la politique des « portes ouvertes » (Open Doors Po­licy), deux options qui ont été par la suite combinées sous la dénomination de « wil­so­nisme » (Doctrine Wilson), sont en fait des traductions historiquement mal­ignes de la vieil­le immoralité talmudique, re­pérable dans l’his­toire.

    C. Schmitt a fait ressortir que la transformation de la doctrine Monroe, à partir d’un Grand espace (Großraum) concret en un principe universel, autrement dit la « théologisation » d’un im­périalisme américain spécifique et particu­lier en un Monde universel et à forte puissance capitalistique, servant prétendument les intérêts du genre humain, est aussi le com­men­cement de la « théo­lo­gisation » des objectifs de la politique étrangère améri­caine (13).

    Ce pro­ces­sus de « théologisation » débu­ta au cours de la présidence de Théodore Roosevelt, mais le Président Woodrow Wilson fut le premier à élever la doctrine Monroe au rang d’un prin­cipe mon­dial (Weltprinzip), à véritablement « mondialiser » une doctrine qui, auparavant, était censée se li­miter au seul hé­misphère occidental, pana­mé­ricain. Dans la moralité calviniste, talmudi­que et axée sur la Prédestination de Woodrow Wilson, l’idée-projet de règne mondial (Weltherrschaft) de l’Amérique devient la substance même de son plaidoyer pour une doctrine Monroe à ap­pliquer au monde entier.

    L’immoralité foncière de Wilson le « moraliste »

    myboy510.jpgUn cas d'école est le slogan américain de la « De­s­tinée Manifeste » servant à accroître l’ai­re d’ap­pli­cation de la Doctrine Monroe par le biais du prin­cipe de l’autodétermination des peuples. C'est ce dernier dont usa le Président Wilson lors de la Conférence de paix de Paris (Versailles), pour étendre de fait — et sub­tilement — les sphè­res d’influence anglo-saxonne et pour créer un Cordon Sanitaire en Europe, composé d’États-tampons, autour de l’Alle­ma­gne et de la Russie Soviétique. Évi­demment, le Président Wilson, dans son em­pressement à faire va­loir en Europe le droit à l’autodétermination, n’a jamais dénoncé la doc­trine Monroe qui incarnait, à son épo­que, dans l’hémisphère américain, la né­ga­tion absolue de ce droit qu’il proclamait au bénéfice des petits peuples des anciens môles impé­riaux d’Eu­­rope centrale et orientale.

    En fait, ce qu’il entendait par droit à l’auto­dé­termination était déjà clairement apparu en 1914, lorsque les États-Unis, corrompant le gou­vernement élu du Mexique, bombardèrent la cité portuaire mexicaine de Vera Cruz, tuant ain­si des cen­taines de civils. Après le bombardement, qui conduisit finalement à la chute du gou­ver­ne­ment mexicain et à l’installation d’un pantin à la solde des États-Unis, le Président Wil­son, soulignant avec emphase l'iden­tité entre politique américaine et jus­tice universelle, assura au mon­de que « les États-Unis se rendirent au Mexique [renverser le gouvernement] pour rendre service à l’humanité » (14) (sic !). Le Président Wilson croyait sincèrement au rô­­le assigné aux États-U­nis par la Providence pour diriger le monde.

    Aujourd’hui, si l’on regarde la situation de la You­go­slavie, on peut constater qu’une fois en­co­re le prin­cipe pseudo-universel du droit à l’au­todétermination a été utilisé comme un mo­yen idéologique pour ren­verser un statu quo existant, via un règlement fron­talier en Europe, alors que les frontières euro­péennes a­vaient été définitivement reconnues et ac­ceptées comme telles par les Accords d’Hel­sin­ki. De même, ce fameux droit à l’autodéter­mi­nation, in­ven­té jadis par Wilson, a servi à lé­gi­timer les atrocités musulmanes lors de la guer­re en Bosnie d’abord, puis celles, innom­ma­bles, des bandes armées des Albanais du Ko­sovo, en fait un équivalent européen des « Contras » du Ni­cara­gua, armés, entraînés et financés par les États-U­nis. [ndt : L’Europe est désormais traitée de la même ma­nière que les anciennes ré­pu­bliques latino-amé­ri­cai­nes. Pire, dans le cas de la Bosnie et du Ko­sovo, les dirigeants des principales puissances euro­péennes ont ap­plaudi et participé à ces horreurs, en po­sant, via les relais médiatiques, les assassins bos­niaques et albanais comme des héros de la li­berté ou des défenseurs des droits de l'hom­me]

    Quand l’Allemagne hitlérienne reprenait à son compte les concepts forgés par Wilson

    Ironie historique : l’Allemagne nazie em­prun­ta, en son temps, de nombreux concepts idéo­logiques venus d’Amérique. Ainsi elle fonda en un premier temps ses requêtes pour réviser le statu quo du Traité de Versailles sur le principe d’égalité que le Traité de Versailles avait violé. Comprenant que le droit international en place n’était rien d’autre que l’universalisation de l’hé­gémonie anglo-saxonne ainsi que la « théo­lo­gi­sation » d'un intérêt national par­ticulier, les juristes allemands se sont donc mis à parler d’un nouveau droit interna­tio­nal qui servirait l’intérêt national allemand, comme le droit en place servait les intérêts na­tio­naux américains. Ils usèrent égale­ment du concept d’un « Nouvel Ordre mondial juste » destiné à justifier l’expansionnisme ger­ma­nique et à préparer le renversement du sta­tu quo international, qui s’était établi après la guerre de 14-18.

    Délégitimer les intérêts nationaux des autres pays

    Les principes de bases de la théologie politique a­mé­ricaine peuvent se résumer comme suit :

    ◊ a) L’intérêt national des États-Unis est univer­sa­lisé jusqu'à devenir l’intérêt universel du genre humain ou de la communauté inter­na­tio­nale. Par conséquent, l’expansionnisme im­périaliste américain est alors considéré comme un avancement de la race hu­maine, une promo­tion de la démocratie, une lutte con­tre le totalita­ris­me, etc. Les intérêts américains, le droit in­ter­national, et la moralité internationale de­vien­nent équivalents. Ce qui sert les intérêts a­mé­ri­cains est posé, avec morgue, com­me faisant progresser la morale et le droit dans tous les cas de figure (15).

    b) En conséquence de l’universalisation de l’inté­rêt na­tio­nal américain et de sa légitimation transna­tio­nale dans les institutions servant de façade de supra-légitimité, survient la délégiti­mation visible des intérêts natio­naux d'autres pays. Du fait de la doctrine Mon­roe, les pays latino-américains se virent dénier tout intérêt national distinct ou opposé à celui américain, bien qu'une analyse his­torique objective montre clairement que l’authentique intérêt na­tio­nal de ces pays  est op­po­sé, en règle générale et par nécessité, à l’intérêt national des États-Unis. L’effet de la Doctrine Mon­roe fut de contraindre ces pays à cesser d’exister po­li­tiquement, en devenant des protecto­rats et des nations captives au vrai sens du ter­me.

    c) Avec le Pacte Briand-Kellog, les États-Unis amor­cèrent l’étape suivante dans la globalisa­tion de leur théologie politique. Les guerres me­nées pour des intérêts nationaux diffé­rents de ceux des États-Unis sont dénoncées comme des « guerres d’agression », tan­dis que les guerres agressives me­nées par les États-Unis sont considérées comme des « guerres justes ». Les réserves américaines concernant le Pacte de Kellog revêtent une im­portance particulière : les États-Unis se ré­servent le droit d’être seuls juges de ce qui constitue une guer­re d’agression. La doctrine américaine de reconnais­sance et de non-re­con­naissance des États est éga­le­ment signifi­ca­tive : les États-Unis se réservent le droit d’ê­tre seuls juges pour décider quel État doit être reconnu ou non et les raisons pour reconnaître un État sont son adéquation aux intérêts nationaux des États-Unis. Pour constater à quel dégré d'absurdité dangereuse mais aussi grotes­que cela peut me­ner, serait éloquent l’exemple historique de la non-reconnaissance par les États-Unis de la Chine après 1949, alors qu’ils re­connaissaient le régime fantoche de Tchang Kaï-chek qu’ils avaient installé et contribué à main­te­nir. Les États-Unis ont utilisé leur doctrine de non-reconnaissance, bloquant l’admission de la Chi­ne aux Nations Unies, dans le but précis de sa­boter cette organisation et aussi plus concrètement pour s’assu­rer, par cet ar­tifice, deux sièges au Conseil de Sé­curité des Na­tions Unies, la Chine de Tchang Kaï-chek leur étant dévotement inféodée.

    d) L’appropriation idéologique du concept de guer­re — et des principes de reconnaissance et de non-recon­naissance — conduit également à la dés­hu­manisation médiatique des adversaires de l’Amérique : d'ennemi qui défend des inté­rêts nationaux équivalents, il est devenu un paria international.

    e) La conséquence finale du développement de la théo­logie politique américaine est l’identifi­ca­tion du droit international — le Droit des Na­tions — avec le sy­stème de l’impérialisme amé­ri­cain. Car la source de ce droit n’est, dans le « Nouvel Ordre mondial », plus rien d’autre que la volonté géo­politique et stratégique des États-Unis. Un tel « droit international » n’est assurément plus le Droit des Nations, au sens classique et habi­tuel du terme, mais bien le droit du pays le plus fort une incarnation de l’hégémonie et de l’ex­pansionnisme amé­ricains. Dans le « Nouvel Ordre mondial », l’intérêt national des États-Unis a été universalisé jusqu’à être l’intérêt de la communauté internationale. En outre, les États-Unis eux-mêmes, en tant que sujet transnational et omnipotent, ont été universalisés, sans pourtant cesser d’être eux-mê­mes et rien qu’eux-mêmes, en tant que représentant sans médiation la communauté mondiale elle-même.

    Les autres États n’existent plus que comme entités non politiques

    La théologie politique américaine est intrinséquement incom­pa­tible non seulement avec le principe d'égalité des États et celui de leur souve­rai­neté, mais aussi avec toute or­ganisation entendant tenir un rôle international véritable, telle que les Nations U­nies. Dans le « Nouvel Ordre mondial », un État n'a droit d'exister seulement comme entité non-po­li­tique ; les prérogatives de toute instance po­li­tique concrète, telle que définies par la ter­mi­nologie de Carl Schmitt, sont réservées uniquement aux États-Unis, de même que le droit afférent de les exercer. Et une organisation internationale ne peut exister que si elle n’est plus rien d’autre qu’un équivalent fonctionnel de l’Organisation des É­tats A­méricains (OAS soit Organization of American States), à savoir seulement une façade multilatérale pour la lé­gitimation de la volonté hé­gémonique américaine.

    carr10.gifL’hi­sto­rien britannique Ed­ward Hallet Carr (1892-1982), dans son livre, The Twen­ty Years’ Crisis – 1919-1939, publié pour la première fois en 1939, remarqua que, peu avant l’entrée des États-Unis dans la Première Guerre mondiale, dans un dis­cours au Sénat sur les objectifs de la guerre, le Pré­sident Wilson, expliquant d'abord que les États-Unis avaient été « fondés pour le bien de l’hu­ma­nité » (16) (sic !), affirmait catégori­que­ment : « Ce sont des principes américains, ce sont des politiques amé­ricaines… Ce sont les principes du genre humain et ils doivent pré­valoir » (17). Carr souligne qu' « on observe que des dé­cla­rations de ce genre proviennent presque exclusivement d’hommes d’État et d’é­cri­vains anglo-saxons. Il est vrai que lors­qu’un éminent natio­nal-socialiste affirmait que "tout ce qui bénéficie au peuple al­lemand est juste, tout ce qui cause du tort au peu­ple allemand est mauvais", il pro­posait qua­siment la même équation entre intérêt na­tional et droit universel que celle déjà établie par Wilson pour les pays de langue an­glaise ».

    Les deux explications de Carr : mystification idéologique et impérialisme culturel

    Carr donne deux explications alternatives à ce pro­ces­sus d’universalisation d'un intérêt na­tional particu­lier. La première se re­trouve fréquem­ment dans la littérature poli­ti­que des pays continen­taux : elle avance que les peuples de langue anglai­se sont passés maîtres dans l’art de dissimuler leurs intérêts na­tionaux égoïstes sous le masque du bien général, et que ce genre d’hy­­po­crisie est une particularité spéciale et carac­té­ristique de l'esprit anglo-sa­xon.

    La seconde explication est plus sociolo­gi­que : les discours théoriques sur la moralité sociale sont tou­jours le pro­duit d’un groupe dominant, qui s’i­dentifie d’emblée à la communauté dans son ensemble et qui pos­sède des facilités déniées aux groupes ou individus subordonnés pour imposer sa vision des choses à la communauté. Les théories de la moralité internationale sont, pour les mê­mes rai­sons et en vertu du même processus, le produit des nations ou groupes de nations dominantes. Durant les cent dernières années, et plus particulièrement de­puis 1918, les nations de lan­gue anglaise ont formé le groupe dominant dans le monde ; les théories actuelles de moralité inter­na­tio­na­le ont été conçues par eux pour perpétuer leur suprématie et se sont généralement d’a­bord ex­primées dans l’idiome qui leur est pro­pre (18).

    Le vocabulaire de l’émancipation

    Autre aspect important de la théologie politi­que : la pratique de mythifier et d’idéaliser l’ex­pansionnisme américain pour en faire une mo­ralité internationale u­ni­verselle. Quelles sont les caractéristiques de la my­thologie uni­ver­saliste ? C’est de transformer la si­gni­fication de la réalité politique classique pour n’en faire qu’une illusion répres­sive et ainsi vider de sens et de lé­gitimité tout discours [politique] ou tout acte de ré­sistance  attenant. En d’au­tres termes, la my­tho­logie universaliste con­siste toujours à confisquer le réel, à l’é­liminer et à l’évacuer. Dans ce contexte, tout discours politique solidement construit, voire tout acte de ré­sistance, refusant cette logi­que universaliste, offrent peu de ré­sistance, car leur contenu s'est vu neutralisé.

    Pour pa­raphraser Roland Barthes (19), la théologie politique est expansive ; elle s’invente el­le-mê­me sans cesse. Elle s'empare de tout ce qui compte pour elle, aussi bien des aspects des relations internationales, de la di­plomatie, que du droit international. Les pays opprimés ne sont rien : ils ne peuvent produire qu’un seul langage, celui de leur é­mancipation le cas échéant, or cette éman­cipation a par avance déjà été dé­légitimée. L’oppres­seur, en l’oc­cur­rence les États-Unis, sont tout, son langage politico-théologique a été élevé au rang de dog­me. En d’autres termes, dans le cadre de la théo­logie politique, les États-Unis ont le droit exclu­sif de produire un méta-langage, celui qui vise à pérenniser l’hégémonie américaine. La théo­logie politique, en tant que mythe, nie le caractère empirique de la réa­lité politique. Par conséquent, toute résistance à celle-ci se doit de reprendre à nouveaux frais la réalité em­pirique et de l'émanciper.

    Un méta-langage qui accepte pour argent comptant les slogans de la propagande

    propag10.jpgAu cours de l’expansion­nis­me a­mé­ricain, déjà tout entier contenu dans la doctrine Monroe et ses nombreuses extensions, en particulier durant la Guerre Froi­de avec sa justifi­ca­tion idéologique donnée dans des documents tels le NSC-68, une destruction et une idéolo­gi­sation du langage politique furent accomplies. L’histoire de la Guerre Froide est l’histoire de l’effondrement de l’anglais américain en un jargon propagandiste pan-américain, avec sa propension à prendre pour ar­gent comptantpour les slogans, les simplifications, les mensonges et les clichés pompeux tels que le « totalitarisme », la « défense de la dé­mo­cra­tie », le « péril rouge », etc.

    L’expansionnisme américain, propagande de guerre des machina­tions co­lo­niales de la perfide Washington, formata le langage de manière à répondre précisément au besoin de laisser libre cours à sa sauvagerie déguisée en universalisme au service de l’humanité. L'objectif préventif était de délégitimer toute résistance potentielle et de légitimer sa soif de conquête et d'hégémonie. Les États-Unis ont imposé une subversion planétaire du lan­gage et c’est sur la base de cette gigan­tes­que falsification que l’Améri­que contemporaine a été éduquée.

    Un gigantesque mur de mythes

    Pour paraphraser George Steiner, les diri­geants de l’Amérique ont élevé entre l’es­prit américain et la réalité empirique un gigan­tesque « mur de mythes ». Progressivement les mots ont perdu leur sens ori­ginel et acquis les contenus sémantiques propres à la théologie politique universaliste. Le langage est devenu une falsi­fi­cation générale, à tel point qu’il n’est plus ca­pable de saisir ou de restituer la vérité. Les mots sont devenus des instruments de men­son­ge et de désinformation, des convoyeurs de fausseté, servant à bétonner l’hégé­monie.

    « Le langage n’a pas seulement été contaminé par cette bestialité déchaînée, il a été sommé d’imposer les innombrables mensonges [de la propagande] » (20), de persuader, jusqu'à l'endoctrinement, les Amé­ricains que les nombreux actes de subversion des nations et du droit international ainsi que les a­gressions militaires et les crimes de guerre en Co­rée, au Vietnam et, plus récemment, au Panama et en Irak, ont ser­vi la cause des grands principes « hu­manitai­res ». La subversion du langage par la théo­logie politique américaine n'a pas seulement rendu la vérité empirique inexprimable, elle a aussi érigé une enceinte de non-dits et de duperie et aussi facilité l’effondrement de la langue anglaise, héritée de l’histoire, au profit du jar­gon panaméricain, pure fabrication récente. Et lorsque la langue « a été infectée de faussetés, seule la vérité la plus drastique peut la purger » (21).

    Des torrents de parlottes moralisantes

    annuit11.gifIl existe un phénomène américain très particulier que l’on ne retrouve pas en Europe : un Hom­me de Dieu — d’ordinaire un prêcheur — qui s’a­vère escroc. Eh bien, dans l’arène politique, après la fin de la Pre­mière Guerre mondiale, le Président Wilson était un de ces « Hommes de Dieu » qui voilait l’expansionnis­me américain par des torrents de parlottes morali­santes. Pour Wilson, les États-Unis détenaient un rôle assigné par la Providence, celui de di­riger le monde. Le wilsonisme fut l’origine et la per­sonnification du totalitarisme améri­cain universa­liste.

    À présent, dans l’après-Guer­re Froide et l’a­près-Yalta, nous avons af­faire à un nouveau Wilson, un petit Wilson, soit le Président Clinton, qui, à son tour, ré­veil­le le torrent de parlottes moralisantes de son prédécesseur ; lui aussi se pose comme « Hom­me de Dieu », et a pris sa place dans la cour­se à l’ex­pan­sionnisme universaliste, de fac­ture néo-wilsonienne, en utilisant la même vieille notion de Destinée Ma­nifeste et la mê­me théologie politique, cette fois sous les ori­peaux du « Nouvel Ordre mondial ». Mais une fois de plus, les concepts de la théologie poli­ti­que universaliste américaine se dévoilent pour ce qu’ils sont : l’opium de la communauté in­ter­na­tio­nale.

     

    ► Nikolaj-Klaus von KREITOR [1946-2003] (tr. fr. remaniée : LA, 2007) [1ère VF] [Version anglaise].

    ◘ Notes :

    * Anders Stephenson, Manifest Destiny. American expansion and the Empire of Right (Hill and Wang, New-York, 1995).

    • (1) Hans J. Morgenthau, Politics Among Nations, A. Knopf, New-York, 1948, p. 64.
    • (2) H. J. Morgenthau, ibid., p. 65.
    • (3) H. J. Morgenthau, Politics Among Nations, aux édi­tions Stanley Hoffman ; Contemporary Theory in Inter­natio­nal Relations, Prentice Hall, Inc, Englewood Cliffs, 1960, p. 61.
    • (4) Louis A. Coolidge, An Old Fashioned Senator : Orville H. Platt, New-York, 1910, p. 302.
    • (5) Richard Hofstadter, The Paranoid Style in American Poli­tics, Univ. of Chicago Press, 1965, p. 174.
    • (6) R. Hofstadter, ibid., pp. 175-177.
    • (7) Claude G. Bowers, Beveridge and the Progressive Era, New-York, 1932, p. 121.
    • (8) R. Hofstadter, ibid., p. 177.
    • (9) K. M. Coleman, « The Political Mythology of the Monroe Doctrine : Reflections on the Social Psychology of Hegemony », in Latin America, the United States, and the Inter-American system, Westview Press, 1980, pp. 99, 100, 110.
    • (10) M. Coleman, ibid., pp. 97, 103.
    • (11) M. Coleman, ibid., p. 102. Coleman cite Salvado de Madariaga, Latin America Between the Eagle and the Bear (Praeger, New-York, 1962) p. 74.
    • (12) Coleman, ibid. pp. 105, 109.
    • (13) C. Schmitt, « Großraum gegen Universalismus : Der völkerrechtliche Kampf um die Monroe-Doktrin » (article de 1939), in : Positionen und Begriff : im Kampf mit Weimar - Genf - Versailles 1923-1939 (Hamburg, 1940) ; tr. fr R. Kirchhof : « Grand espace contre universalisme. Le conflit sur la doctrine de Monroe en droit international » in : Du politique : « Légalité et légitimité » et autres essais, Pardès, 1990, pp. 127-136. Cf. également Völkerrechtliche Grossraumordnung, Berlin, Deutscher Rechtsverl., 1939, p. 43 : « En droit international, les concepts généraux, universels, qui embrasent le monde entier sont les armes typiques de l’interventionnisme. »
    • (14) Edward Hallet Carr, The Twenty Year’s Crisis 1919-1939 (Harper Torchbooks, New-York, 1964) p. 78 ; aussi R.S. Baker, Public Papers of Woodrow Wilson : The New Democracy.
    • (15) Voir sur ce sujet : Kenneth W. Thompson, Toynbee and the Theory of International Poitics, aux editions Hoffman, Contemporary Theory in International Relations, ibid., p. 97.
    • (16) Public Papers of Woodrow Wilson : The New Democracy, Ed. R. S. Baker, pp. 318-319.
    • (17) E. Hallet Carr, The Twenty Year Crisis, ibid. p. 79 ; aussi Toynbee, Survey of International Affairs, 1936, p. 319.
    • (18) E. Hallet Carr, ibid., pp. 79, 80.
    • (19) Roland Barthes, Mythologies (Hill and Wang, New-York, 1987) pp. 131, 148, 149.
    • (20) Georg Steiner, A Reader (Oxford Univ. Press, New-York, 1984), p. 212. Tr. fr. : « Le miracle creux » (The Hollow Miracle, 1959), repris dans Langage et silence.
    • (21) G. Steiner, ibid. p. 219.
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    Amérique latine : lumière révolutionnaire


     

    10431610.jpgWashington a toujours considéré l’Amérique latine comme une sorte d’arrière-cour et le territoire des nations sud-américaines comme des espaces à dépouiller de leurs énormes ressources, par l’intermédiaire des multinationales américaines, sans que ces États n’aient à se préoccuper de politique étrangère. Certes, de temps en temps, la pure volonté populaire a triomphé dans certains de ces États mais toujours la seule CIA a suffi pour remettre les choses “en ordre”, comme ce fut par ex. le cas au Chili, où l’expérience Allende fut promptement coulée par le coup d’État de Pinochet, “sponsorisé” par les États-Unis.


    En pratique, jusqu’à nos jours, l’unique exception a été Cuba, gouverné depuis presque un demi siècle par Fidel Castro, qui n’a jamais capitulé, ni après la tentative d’un coup de force militaire ni à la suite d’un embargo ininterrompu et criminel. A cause de cette résistance, jamais aucun président américain n’a pu “encaissé” le cas cubain, à commencer par le faux “bon” Kennedy mais, en fin de compte, Cuba n’est jamais qu’une petite île proche des côtes de la Floride.


    Les choses commencent cependant à changer : les idéaux “bolivaristes”, le rêve d’une grande nation latino-américaine, pourraient devenir réalité.


    Le guide éclairé de cette révolution bolivariste, celui qui pourrait faire jaillir l’étincelle d’un changement radical et “épocal” sur tout l’échiquier géopolitique mondial, s’appelle Hugo Chavez, président de la “République bolivarienne du Venezuela”. Chavez devient une référence pour tout le continent. Tout récemment, la Bolivie, lassée de devoir subir de continuelles tentatives de déstabilisation institutionnelle sous l’impulsion des services américains, a décidé d’expulser l’ambassadeur des États-Unis de La Paz. Chavez  a  immédiatement décidé de ne pas laisser seul son collègue Evo Morales et a fait aussitôt expulser l’ambassadeur américain en poste à Caracas et a menacé Washington de fermer les robinets du pétrole si les États-Unis persistaient à mener des actions hostiles aux gouvernements du Venezuela et de la Bolivie. Chavez est même allé plus loin : il a relancé une collaboration militaire avec Moscou ; dans un passé fort récent, il avait déjà conclu des liens d’amitié solides avec l’Iran, créant ainsi les prémisses d’un accord international qui déciderait de facturer le pétrole en euro, acte qui marquerait le début d’une crise irréversible pour les États-Unis.


    Les liens entre le Venezuela et la Bolivie sont désormais très forts et Chavez peut compter sur l’appui, plus ou moins sincère, plus ou moins déterminé, de quasi tous les gouvernements latino-américains et certainement d’un grande majorité populaire sur tout le continent. Chavez a démontré au monde que les hommes libres de la planète peuvent se dégager du régime mondialiste, que de nouvelles alliances entre les peuples sont possibles et que la lutte de l’un peut devenir la bataille de tous. Le régime globalitaire, jusqu’ici, avait pu détruire un à un ses ennemis, de Saddam à Milosevic, mais la roue tourne.... et “el pueblo unido jamàs serà vencido”.

     

     

    ► Paolo EMILIANI (éditorial du quotidien romain Rinascita, 13-14 sept. 2008 ; tr.  fr. : RS).

     

    21410.jpgL'AMÉRIQUE LATINE EN RÉBELLION
    Mouvements antisystémiques et mort de la politique moderne

    Carlos Antonio Aguirre Rojas (tr. : N. Solari) -
    L'Harmattan • 2008 • 158 p. 15 €

    L'historien mexicain analyse ici dans le contexte mondial, mais aussi continental et national, l'émergence de mouvements tels que les sans terre du Brésil, les piqueteros argentins ou les néozapatistes au Mexique qui font de l'Amérique latine le nouveau pôle de la rébellion anticapitaliste mondiale.

    Quelle est aujourd'hui la situation de l'Amérique latine, harcelée par le maccarthysme des États-Unis en contexte de crise économique, sociale, politique et culturelle que traverse actuellement le monde entier ? Quels rôles jouent les nouveaux mouvements antisystémiques : néozapatistes mexicains, Sans Terre au Brésil, piqueteros argentins, communautés indigènes de Bolivie et d'Équateur ? Comment est vécu en Amérique latine le processus mondial de la mort de l'activité politique, processus déclenché depuis quinze ou vingt années ? Quel rôle joue et peut jouer la civilisation latino-américaine, la plus jeune de la planète ? En se plaçant dans une perspective de longue durée, et à partir d'un horizon critique et global, cet essai tente de fournir quelques clefs importantes pour décrypter ces interrogations fondamentales.

     

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    Le réveil américain des identités

    Enracinement et multiculturalisme

     

    15630610.jpgLa réélection triomphale d’Evo Morales à la présidence de la Bolivie, début décembre 2009, n’a que vaguement attiré l’attention des médias français surtout préoccupés par l’état de santé d’un chanteur hospitalisé en Californie. Quelle erreur ! car ce nouveau succès électoral pour Morales, s’accompagnant d’une majorité absolue au Parlement, inaugure un changement profond dans la vie institutionnelle de la Bolivie, surtout qu’entre en vigueur la nouvelle constitution, entérinée en janvier 2009 par référendum, qui fait de l’État une République plurinationale avec des autonomies régionales, départementales, municipales et communautaires (ou indigènes). Cette transformation radicale marque particulièrement l’aboutissement d’un long processus revendicatif commencé à l’orée des années 1960 sur l’ensemble du continent : le retour des Indiens d’Amérique.

    Ce réveil est fort bien étudié par Yvon Le Bot dans La grande révolte indienne. Mêlant sociologie, sciences politiques, histoire, philosophie politique, ethnologie et géographie, il relate les heurs et malheurs des mouvements d’affirmation identitaire amérindiens tant en Californie qu’au Chili, au Mexique qu’au Pérou. Une fois le livre refermé, on arrive à se demander si les autres manières de désigner l’Amérique centrale et du Sud telles que « Amérique romane », « Amérique ibérique » ou « Amérique latine » demeurent toujours bien pertinentes. En effet, « les mouvements indiens ont contribué à modifier l’image d’une Amérique qui n’est plus uniformément latine, où le modèle de l’État-nation homogène s’est affaibli, la société civile s’est affirmée, les acteurs ont acquis plus d’autonomie, en même temps que se creusaient les inégalités et que des pans entiers de ces pays glissaient dans les flux et les réseaux globalisés ».


    En suivant l’auteur dans ses enquêtes sur le terrain, on apprend que les mouvements indiens ont commencé à défendre leurs cultures menacées, puis à se lancer, parfois, en politique (Équateur, Pérou, Bolivie, Mexique avec les zapatistes du fameux sous-commandant Marcos).

     

    Yvon Le Bot évoque, il va de soi, l’influence du président vénézuélien Chavez, mais il en relativise la portée. « Hugo Chavez assaisonne sa “ révolution bolivarienne ” d’innovations d’un passé indien alors même que Bolivar défendait des positions jacobines hostiles à la diversité culturelle (1). » Le réveil indien ne se conçoit d’ailleurs pas comme un « retour à la tradition, [un] revival précolombien ou [un] néo-indianisme new age ». Les luttes indigènes « visent à l’intégration des Indiens dans la nation sur un pied d’égalité, sans qu’ils aient à renoncer à leur identité. […] Elles mettent en cause, en revanche, les modèles verticaux et étatistes et participent à l’émergence d’une société civile et d’une culture politique qui ne gravite plus de manière aussi exclusive autour de l’État et des partis, qui se reconstruit dans les rapports entre la société et le pouvoir. Elles tissent des réseaux en deça et au-delà des institutions de l’État-nation ». Bref, par leur action, « les luttes indiennes dessinent-elles des orientations culturelles, sociales et politiques différentes de celles qui se sont imposées depuis la Renaissance et la Découverte, Descartes et le traité de Westphalie ? Ouvrent-elles la voie à des recompositions ? »

     

    S’affranchir de l’assimilation

     

    Judicieux questionnements, d’autant que l’auteur rappelle que si ce phénomène ne se veut jamais exclusif et « ethniciste », sauf pour l’ethnocacérisme péruvien des frères Humala et le Mouvement indien Pachakuti (M.I.P.) de Felipe Quispe en Bolivie. Ce réveil s’oppose principalement aux politiques étatiques nationales-populaires mises en œuvre d’intégration des minorités via une économie protégée, de substitution des importations, d’industrialisation, de réformes agraires et d’extension des infrastructures et des services publics d’enseignement et de santé. On oublie trop souvent qu’avant de pâtir d’une décennie au moins de régimes militaires néo-libéraux et atlantistes, l’Amérique du Sud se caractérisa par de singulières expériences nationales-révolutionnaires (2). C’est d’ailleurs dans cette continuité que s’inscrit le président Chavez dont « la politique […], précise Yvon Le Bot, est plus d’intégration par assimilation que de promotion de la différence » alors que la quasi-totalité des forces autochtones en recherchent le dépassement qu’elles axent vers un « multiculturalisme tempéré ». « De nombreuses organisations indiennes se sont efforcées de faire reconnaître le caractère multiculturel, pluri-ethnique, voire plurinational, des sociétés et des États nationaux et d’inscrire cette réalité dans les institutions. » On aura compris que le multiculturalisme ici mentionné n’a aucun rapport avec celui que vante la société globale occidentale.

     

    Les mouvements amérindiens contestent le modèle, hérité des Lumières, de l’État-nation. Leur démarche se veut identitaire et communautaire. Elle puise dans « le territoire [qui] est, avec la langue vernaculaire, l’une des principales composantes de cette identité. Pour un paysan, la terre n’est jamais seulement un moyen de production. Cela est particulièrement vrai pour les Indiens. Qu’il s’agisse de groupes amazoniens vivant de l’horticulture, de la cueillette, de la chasse et de la pêche ou de paysans indiens des Andes ou de Mésoamérique, le territoire et l’environnement sont des éléments essentiels de la représentation du monde, de la communauté et de soi. Les Andins l’exprimèrent dans le culte de la Pachamama (Terre Mère). Tout au long du XXe siècle, cette dimension avait été bannie par les mouvements populistes qui prônaient le métissage et l’effacement de la différence indienne, par les réformes agraires et les mouvements paysans visant l’intégration et la modernisation. Elle était combattue également par les organisations d’inspiration marxiste qui s’efforçaient de faire entrer les Indiens dans le schéma de la lutte des classes, fondé sur le développement des forces productives et sur les rapports sociaux de production (3). » Ne serait-ce pas les timides esquisses d’une « troisième voie » continentale ?

     

    Prolongement révolutionnaire-national ou avancée identitaire ?

     

    Yvon Le Bot ajoute que « dans certains cas, […] le multiculturalisme tempéré et le national-populisme identitaire ont contribué à élargir le champ démocratique, le premier en l’étendant aux droits culturels, le second en promouvant la participation sociale et politique des Indiens. Une troisième orientation, différente des précédentes, vise à changer la société et la culture politique depuis le bas, sans prendre le pouvoir. La figure emblématique en est le zapatisme ». Les modalités d’action et d’intervention varient donc suivant les circonstances, la période et le lieu. En Bolivie par exemple, le politologue Hervé Do Alto explique qu’« on assiste à un véritable bouleversement de la société bolivienne. Mais plus qu’un projet révolutionnaire, c’est un processus nationaliste qui place en son cœur les paysans et les indigènes (4) ».

     

    Pour sa part, l’auteur constate que « naguère, l’idée que les mouvements indiens mettent en danger la cohésion nationale était formulée principalement par les défenseurs de la souveraineté de l’État-nation. […] Aujourd’hui ce sont plutôt les mouvements indiens qui défendent la nation face au marché globalisé, contre les logiques de fragmentation et de désarticulation portées par les groupes économiques dominants. En Bolivie, ils soutiennent Morales contre les secteurs autonomistes animés par le patronat de Santa Cruz ».

     

    Hormis par conséquent l’ethnocacérisme et le M.I.P. qui « prépare le rétablissement de l’empire inca du Tawantinsuyu ; le Qollasuyu, qui correspond grosso modo à l’actuelle Bolivie andine, en est l’une des quatre parties. Le Manifeste de Jach’ak’achi, charte du mouvement, prône l’autodétermination, l’autonomie territoriale, la reconnaissance de l’identité culturelle et religieuse dans la perspective » d’un État séparé et ethnocentré, Yvon Le Bot avance qu’« aucun indianisme radical, du type de l’islamisme politique ou d’un quelconque nationalisme à base ethnique ou religieux, n’a prospéré dans la région. Ce qui n’exclut ni les conduites communautaristes exacerbées comme celles des Chamulas traditionalistes au Chiapas, ni l’engouement des Indiens pour des intégrismes religieux, pentecôtistes ou autres (il existe même, au Mexique, des groupes indiens islamistes !) (5) ». Mieux, on a l’impression à la lecture de l’essai que les mouvements indiens semblent s’être parfaitement adaptés à l’hypermodernité, à la liquidité et aux fluctuations de notre ère. Ils « s’inscrivent effectivement dans la globalisation, mais à partir des conflits et des orientations culturelles qu’ils construisent ». Il s’en suit une perception d’« identités locales, régionales, nationales et transnationales [qui] s’empilent, s’emboîtent sur le modèle des poupées russes ou forment des cercles concentriques et mouvants », d’où des contentieux en gestation. Le journaliste Paulo A. Paranagua rapporte les dissensions actuelles entre les Indiens de Tinguipaya (département de Potosi) et le gouvernement bolivien. « Nous voulons conserver nos us et coutumes, mettre en valeur notre tradition indigène et notre territoire, déclare le chef traditionnel Pedro Tabonda, tandis que le gouvernement prône la syndicalisation des paysans et méconnaît nos autorités » (6).


    Maintien de l’État ou renaissance des communautés ?

     

    Avec la victoire d’Evo Morales en décembre 2005, pour la première fois, un mouvement indien prenait la direction d’un État. Certes, d’autres avaient déjà participé à des coalitions gouvernementales comme le Mouvement Pachakutik en Équateur ou contribué à la lutte armée (l’Armée zapatiste de libération nationale au Mexique ou le Quintin Lame colombien) (7), mais aucun n’avait eu jusque-là la charge écrasante de diriger une entité étatique, la Bolivie en l’occurrence, comme il revient au Mouvement vers le socialisme (M.A.S.).


    Outre une histoire politique et géographique mouvementé (8), l’originalité de l’exemple bolivien vient aussi que l’actuel parti au pouvoir, le M.A.S., est « plus qu’un parti, […] un conglomérat ou au mieux une fédération d’organisations sociales. […] Plus qu’un parti, [il] se veut l’instrument politique de rassemblement des mouvements sociaux ». C’est en cela que Hervé Do Alto estime que Morales est l’héritier du M.N.R. et de la révolution de 1952. Le M.A.S. est d’ailleurs « plus populiste que socialiste, insiste Yvon Le Bot. Il combine thèmes populistes et thèmes identitaires. Il mobilise de larges couches de la population, indiennes ou métisses, imprégnées de culture et de valeurs andines ».


    Par La grande révolte indienne, tout en examinant un sujet spécifique, Yvon Le Bot aborde des questions qui nous concernent tout autant dans une perspective postmoderne et non relativiste. « Comment concilier l’égalité et la différence, l’universel et le particulier ? Comment s’articulent les mouvements sociaux et les mouvements culturels ? Les affirmations identitaires sont-elles nécessairement porteuses de violence ? Quelles relations s’établissent entre communauté et modernité ? Que deviennent les identités et l’action collective à l’ère de la globalisation et des migrations transnationales massives ? » Intéressantes problématiques pour la réflexion des prochaines années…


    Des Européens persistent encore à voir dans l’Amérique du Sud un « Extrême-Occident ». L’ouvrage d’Yvon le Bot démontre avec brio qu’il serait temps d’abandonner cette vision convenue et de découvrir que « mouvements identitaires et politiques multiculturelles ont fait que l’Amérique latine n’apparaît plus comme simplement “latine”, mais aussi indienne, noire… » Assisterions-nous donc aux prémices d’une nouvelle civilisation ?

     


    ► Georges Feltin-Tracol (europamaxima)

     

    Yvon Le Bot, La grande révolte indienne, Robert Laffont, coll. « Le monde comme il va », 2009, 364 p., 21 €.


    Notes


    1 : Rappelons que Simon Bolivar (1783 – 1830) était un enfant des Lumières triomphantes et que son dessein de maintenir les anciennes colonies espagnoles d’Amérique en une très Grande Colombie s’apparentait au projet continental de son modèle : Napoléon Ier.

    2 : À part les cas brésilien et argentin avec Vargas et Peron, l’Amérique du Sud connut trois autres expériences originales. Créé en 1943 par des vétérans boliviens de la Guerre du Chaco (1932 – 1935), le Mouvement nationaliste révolutionnaire (M.N.R.) fomente en avril 1952 une révolution nationale soutenue par les mineurs, les paysans et les classes moyennes contre l’oligarchie en place. Le gouvernement national-révolutionnaire de Victor Paz Estensoro accorde le suffrage universel, fait une réforme agraire, autorise les communautés indiennes à reprendre les terres usurpées, légalise les syndicats et nationalise les trois grandes compagnies minières. Entre 1968 et 1975, le régime nationaliste, corporatiste et progressiste du général Juan Velasco Alvarado dirige le Pérou. De 1972 à 1976, l’Équateur vit avec une junte de militaires nassériens présidée par le général Guillermo Rodriguez Lara. Promoteurs d’un programme « nationaliste, militaire et révolutionnaire », ces officiers, aussi influencés par le phalangisme, s’opposent aux compagnies pétrolières. Juan Velasco Alvarado et son expérience nationaliste sont des références revendiquées et assumées par Hugo Chavez.

    3 : On ignore trop souvent en Europe que les jeunes républiques sud-américaines menèrent des politiques d’indifférenciation ethno-culturelle bien souvent reprises par l’ensemble des partis, y compris les plus radicaux. Ainsi, l’intégralisme brésilien – qu’on assimile un peu trop vite à une forme locale de fascisme – célébrait le passé indien du Brésil et encourageait la naissance d’une race brésilienne issue du métissage des différents groupes ethniques présents dans le pays. Pour plus de détails, voir Hélgio Trindade, La tentation fasciste au Brésil dans les années trente, Éd. de la Maison des sciences de l’homme, 1988.

    4 : in Libération, 5 et 6 déc. 2009.

    5 : Yvon Le Bot semble surpris par l’existence d’un islam amérindien. On pourrait y voir une influence de Frithjof Schuon et de sa confrérie soufie hétérodoxe installée aux États-Unis. En fait, même si les conversions restent très minoritaires, de nombreux Mexicains, Indiens, Latinos ou Chicanos, rejoignent l’islam après avoir découvert que l’Ibérie fut l’Al-Andalus pendant au moins sept siècles. Sur ce phénomène, cf. Frédéric Faux, « Les Indiens Chamulas déracinés séduits par l’islam », Le Figaro, 2 janvier 2006.

    Ajoutons par ailleurs que l’Amérique du Sud accueille depuis la fin du XIXe siècle des communautés venues du Proche-Orient qui sont appelées « Turcos ». Certains de leurs descendants sont parvenus à la présidence de l’Argentine (Carlos Menem) et de l’Équateur (Abdala Bucaram et Jamil Mahuad Witt). L’un de ces enfants de « Turcos » était le colonel patriote argentin Mohamed Ali Seineldin (1933 – 2009) dont on lira le bel hommage nécrologique de Christian Bouchet, « Seineldin, ce catholique qui se prénommait Mohamed Ali », 23 octobre 2009, sur le site Vox N.R. (http://www.voxnr.com/cc/etranger/EkVyFEpFFukjYmGlgM.shtml).

    6 : in Le Monde, 6 et 7 décembre 2009.

    7 : Dans le cadre d’un État colombien déliquescent et en prise avec diverses guérillas telles que les marxistes des F.A.R.C. (Forces armées révolutionnaires de Colombie), les guévaristes de l’E.L.N. (Armée de libération nationale), les maoïstes de l’E.P.L. (Armée populaire de libération), les narcotrafiquants et les paramilitaires, une association indienne, le Conseil régional indigène de Cauca, fondée dans les années 1960, crée et organise sa propre force d’autodéfense, le Quintin Lame (Q.L.) ainsi baptisé en mémoire de Manuel Quintin Lame qui œuvra en faveur de la cause autochtone au début du XXe siècle. Bien que suscité et encadré par des Indiens, le Q.L. avait un Noir pour principal chef militaire. Allié aux guérilleros du M.19, un mouvement de gauche nationaliste, il participe en 1986 à une ébauche de guérilla continentale d’inspiration bolivarienne, Batallon America. Le Q.L. qui ne pratiqua jamais le terrorisme se dissout en 1991.

    8 : Il faut garder à l’esprit que le Bolivie est le pays qui a connu depuis son indépendance en 1825, le plus grand nombre de coups d’État et de révolutions au monde. Par ailleurs, entre 1825 et 1940, le territoire bolivien s’est rétréci de 2 340 000 km2 à 1 090 000 km2 au profit du Brésil, du Paraguay et du Chili. L’annexion de la province océanique d’Antofagasta par le Chili demeure encore un traumatisme vivace si bien que La Paz persiste à maintenir une marine pour un pays sans littoraux !