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  • Archange Michel

    Michel, l’Archange impérial germanique

    podcast

    Sur les pèlerins et les combattants michaëliques dans l’histoire allemande

    abb_ha10.gifMai 1945 : l’Allemagne est au fond de l’abîme. Le pays est en grande partie détruit. Des millions de soldats ont été tués au combat, sont portés disparus, sont prisonniers ou ont péri en fuyant les provinces de l’Est ou en en étant expulsés. Pour bon nombre d’Allemands, cette année fatidique signifie aussi l’effondrement de tout un monde spirituel. Beaucoup de catholiques allemands, qui suivaient alors scrupuleusement les étapes du cycle liturgique, ont tout de suite remarqué que les Alliés ont imposé la capitulation inconditionnelle de la Wehrmacht à la date du 8 mai. C’est le jour où l’Église fêtait l’apparition de l’Archange Michel dans les montagnes de Gargano en Apulie. Saint Michel, que beaucoup d’Allemands considéraient alors comme “l’Ange des Allemands” et l’honoraient à ce titre, se serait-il  détourné de son peuple, à l’heure fatidique où il était livré à des vainqueurs sans pitié ?

    Dans la situation de guerre si critique de l’année 1945, certains avaient encore placé des espoirs en “l’Ange des Allemands”. Franz Führmann, originaire du Pays des Sudètes, national-socialiste qui passera après guerre au communisme, pour devenir un auteur à succès en RDA, nous rappelle dans son œuvre une scène étonnante : son père, national-socialiste convaincu,  avait intériorisé, lors des combats du Volkssturm, les conceptions religieuses contenues dans un Chant à Saint Michel du prêtre-poète autrichien Ottokar Kernstock :

    « ... zieh voran dem Heere, es gilt die deutsche Ehre, St. Michael, salva nos ! »
    (... marche en tête de l’armée,  car l’honneur allemand est en jeu, Saint Michel, sauve-nous !).

    Franz Führmann rappelle que son père lui avait confié en 1945 son espoir : l’Archange ferait un geste en ultime instance pour sauver le Reich en perdition ; c’est en ces mots qu’il rappelle les paroles paternelles : « L’Ange des Allemands fendera le ciel de son épée et descendra pour sauver son peuple, à la dernière heure, au moment où la nuit sera la plus noire ».

    Cet engouement allemand  pour l’Archange remonte loin, aux débuts du Moyen-Âge. Sur le Monte Sant’Angelo, dans les montagnes de Gargano en Apulie, l’Archange Michel serait apparu entre 490 et 493. Dans une grotte de la montagne, en cette région où avaient prospéré les cultes antiques, l’archéologie peut prouver des correspondances entre ces cultes païens et le culte ultérieur et christianisé de Saint Michel. Un sanctuaire michaëlien s’est établi là, qui attire encore les pèlerins de nos jours (et aussi les touristes...). Parmi les innombrables pèlerins qui ont porté leurs pas là-bas, nous comptons quelques empereurs allemands.

    Les Empereurs pèlerins au Monte Sant’Angelo

    Othon le Grand a escaladé la montagne dédié à l’Archange lors de son troisième voyage en Italie. Il avait tenu à remercier l’Archange car, en 955, il avait pu battre définitivement les Hongrois à Lechfeld près d’Augsbourg. Il avait préservé ainsi les peuples christianisés de notre continent de la peur des raids dévastateurs des Hongrois. Lors de la bataille, l’image de l’Archange avait été portée à l’avant, sur l’étendard impérial du Roi des Allemands. La victoire de Lechfeld, qu’emporta Othon et ses guerriers michaëliques, jetta les bases d’une rénovation complète de l’institution impériale en Europe de l’Ouest, portée désormais par les Allemands (Translation Imperii ad Germanos).

    Le deuxième pèlerin impérial allemand à Gargano fut Othon III. En février 999, le jeune Othon, âgé de 19 ans, escalada la montagne pieds nus depuis la plaine jusqu’à la grotte, en empruntant des sentiers abrupts et caillouteux : une épreuve très douloureuse pour un jeune monarque délicat et sensible. Cet exercice de pénitence cadrait bien avec la religiosité exaltée et enthousiaste de cet empereur, surtout à un moment de l’histoire européenne où les esprits étaient hantés par l’idée d’une fin du monde : en l’an 1000, le monde devait s’écrouler, croyait-on, et, lui, l’Empereur romain-germanique aurait alors pour tâche de conduire la chrétienté dans son ensemble vers le Christ apparaissant pour prononcer le Jugement Dernier.

    En 1022, Henri II se rend à son tour à la grotte de Gargano. En 1137, Lothaire III de Supplinburg se trouve à proximité du site michaëlien avec une armée allemande. Le 8 mai de cette année, le jour même où l’Archange serait apparu à Gargano auparavant, Lothaire parvient à battre les Normands et à leur arracher le castel solidement fortifié du Monte Sant’Angelo et, ainsi, à garantir la domination impériale-germanique en Italie du Sud.

    Très probablement, l’Empereur Frédéric II Hohenstaufen aurait, lui aussi, visité le sanctuaire de la montagne dédiée à l’Archange. Frédéric, qui, selon les critères médiévaux, était un “libre-penseur” sur le trône impérial, a donc été fasciné par la grotte cultuelle, qui, rappelons-le, attire encore et toujours pèlerins et touristes.

    Le culte de Michel, le guerrier qui terrasse Satan, est venu du Sud, par l’intermédiaire des Lombards qui l’ont transposé en Bavière, et de l’Ouest, par l’intervention des missions irlandaises et anglo-saxonnes, qui l’ont généralisé dans l’Empire franc. La caste guerrière des Lombards, peuple germanique, avait été vivement impressionnée par la figure lumineuse de l’Archange, vigoureux combattant contre le Dragon et maître dirigeant des batailles. Les Lombards s’élançaient au combat avec son effigie sur leurs étendards. Chez les autres peuples germaniques de l’Empire franc puis du Saint Empire Romain de la Nation Germanique, le souvenir d’Odin, maître dirigeant des batailles lui aussi, a sûrement facilité l’adoption du culte michaëlique.

    L’histoire du culte de Saint Michel est une thématique extrêmement complexe ; quoi qu’il en soit, l’idée d’un “Ange des Allemands” s’est propagée en Allemagne aux XIXe et XXe siècles.

    Pendant la Deuxième Guerre mondiale, de nombreux jeunes Allemands qui avaient, dans les organisations de la jeunesse catholique, appris de leurs aumôniers l’importance de Saint Michel, ont servi dans la Wehrmacht, portés par les vertus que représentait l’Archange : la bravoure et la fidélité dans la défense de la patrie. Ces vertus correspondaient à celles que l’on a toujours traditionnellement attribuées à l’Archange, patron des Allemands. En  septembre 1939, on pouvait lire dans un journal de l’Église catholique, dans le ton de l’époque :

    « Toujours, quand des temps durs ont frappé notre peuple... lorsque l’âme et le corps du peuple ont tremblé sous les coups puissants du destin, alors, du fond du cœur du peuple allemand, une figure s’est dressée, qui, par décret divin, est l’ange protecteur de ce peuple, et, par suite, est intimement apparenté à l’essence la meilleure de ce peuple. Alors se dresse Saint Michel, flamboyant dans sa volonté de défendre le peuple qui est sous sa protection, avec son épée et son bouclier, le voilà lumineux à la tête des Allemands. Ceux-ci, alors, le suivent et, sous sa direction, partent vers le combat et la victoire ».

    Le père jésuite Friedrich Muckermann qui, de son exil, avait durement combattu Hitler, parfois en se fourvoyant terriblement, voyait encore, après la guerre, en l’Archange Michel, “l’Ange des Allemands” : « Tous ceux qui ont lutté pour une Allemagne chrétienne, avant Hitler, et sous Hitler, mèneront encore ce bon combat après Hitler. Car telle est la Voie allemande ! Avec Dieu et avec Saint Michel ! ».

    Dans les milieux protestants, la figure de “l’Ange des Allemands” était connue également. Ainsi, par ex., Bernt von Heiseler, qui appartient à la “génération du front”, publie un poème en 1957 dédié “À l’Archange Michel”. La dernière strophe dit :

    « Hilf den alten Kampf bestehen
    den dein Volk schon oft bestand,
    Erzanfänglicher der Engel
    Michael, bewahr dies Land ! »

    (Aide-nous à soutenir l’antique combat
    que ton peuple à si souvent mené,
    toi, l’Ange des débuts immémoriaux,
    toi, Michel, protège ce pays !).

    ► Manfred Müller. (article paru dans DNZ n°25/2001, Munich ; tr. fr. : Robert Steuckers)

     

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