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KR - Page 17

  • Tioutchev

    TioutchevFiodor Tioutchev [également translittéré par Tiouttchev] (1803-1873) est un grand poète russe ainsi qu'un diplomate De famille noble, il fit ses études à l'université de Moscou et choisit en 1822 la carrière diplomatique, qui le conduisit à Munich et à Turin. Il avait, en fait, reçu une éducation très française, et ses œuvres politiques, de teneur slavophile (La Russie et la Révolution, 1849), furent écrites en français. Mais il subit l'influence des romantiques allemands, de Schelling, de Goethe, de Heine. L'ensemble de son œuvre poétique tient dans un petit volume qui parut en fragments en 1836 et en 1838 dans la revue de Pouchkine, sans attirer l'attention. Ce n'est qu'en 1850 qu'il fut révélé par Nekrassov – mais le grand public continua de l'ignorer – et, par la suite, il exerça une influence considérable sur les symbolistes. Poète de la solitude et des ténèbres, il tient une place exceptionnelle dans la poésie russe en unissant un classicisme formel – d'abord très oratoire, puis, à partir de 1848, plus simple et plus familier – à une angoisse métaphysique d'inspiration romantique. Son œuvre traduit le déchirement d'une âme dédoublée entre le jour et la nuit, avide d'harmonie mais fascinée par les forces chaotiques, naturelles ou humaines, qui menacent le monde. L'amour, dans les poèmes de Tioutchev, en particulier ceux que lui inspira sa passion pour l'institutrice de ses filles, M. A. Denisova, morte prématurément, apparaît également comme une puissance destructrice.

    Pour Tioutchev, le monde extérieur n’est pas la réalité ; il s’en sert seulement pour traduire l’univers impalpable. Souvent les thèmes de ses poèmes sont basés sur des variations du chaos du monde. Ce chaos est présente dans la nuit, la nature menaçante, la Russie appauvrie – au-dessus desquelles l’artiste réussit parfois à survoler, au delà desquelles il trouve parfois une croyance, au Christ, en la Russie. Sa poésie des années 1810-1820 est une poésie traditionnelle, vers des 1830, il est influencé par romantisme, surtout du romantisme allemand. C’est une poésie méditative. Ses sujets sont généralement : la cosmogonie, la condition humaine, la nature. Slavophile, Tioutchev considère la Russie comme la seule incarnation dans le monde d’un État chrétien. Selon lui la Russie doit remplir sa mission de défense de la chrétienté par une politique ambitieuse – la conquête de Constantinople et la libération des Slaves des Balkans.

    Bibliographie :

    • Je traversais le pays Lettons (1830)
    • Vie qu’ici menaient jadis les hommes (1871)
    • Soir d’automne (1830)
    • D’un sommeil magique bercé (1850)
    • Silentium (1830)
    • Ô mon âme prophétique (1855)
    • Le Jour et la Nuit (1839)
    • L’esprit ne peut te concevoir (1866)
    • Sur la foule amorphe, abrutie (1857)


    « On ne comprend pas la Russie avec la raison ;
    — on ne la mesure pas avec le mètre commun.
    — Elle a pour soi seule un mètre à sa taille ;
    — on ne peut que croire à la Russie. »

     

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    Fiodor Tioutchev

    ♦ Recension : Fjodor Tjutschew, Russland und der Westen : Politische Aufsätze, Verlag Ernst Kuhn, Berlin, 1992, 112 p.

    Totalement oublié, bien qu’il fut l’inspirateur de Dostoïevski et de Tolstoï, qui ne tarissaient pas d’éloges à son égard, Fiodor Ivanovitch Tioutchev (1804-1873) a été, sa vie durant, une personnalité écartelée entre tradition et modernité, entre l’athéisme et la volonté de trouver ancrage et refuge en Dieu, entre l’Europe et la Russie. L’éditeur berlinois Ernst Kuhn propose une traduction allemande des 3 principaux textes politiques de Tioutchev, rédigés au départ en français (la langue qu’il maîtrisait le mieux) ; ces 3 textes sont : La Russie et l’Allemagne (1844), une réponse au pamphlet malveillant qu’avait publié le Marquis de Custine sur l’Empire de Nicolas Ier, La Russie et la révolution (1849), une lettre adressée au Tsar rendant compte des événements de Paris en 1848, La question romaine et la Papauté (1849) qui est un rapport sur la situation en Italie.

    Dans ces 3 écrits, Tioutchev oppose radicalement la Russie à l’Europe occidentale. La Russie est intacte dans sa foi orthodoxe ; l’Europe est pourrie par l’individualisme, issue de l’infaillibilité pontificale, de la Réforme et de la Révolution française, trois manifestations idéologiques qui ont épuisé les sources créatrices de l’Ouest du continent. La Russie est le dernier barrage qui s’opposera à cette “maladie française” (allusion à la syphilis). Cette vision prophétique de l’histoire, apocalyptique, le rapproche d’un Donoso Cortès : au bout du chemin, la Russie, incarnation du principe chrétien (orthodoxe) affrontera l’Occident, incarnation du principe antichrétien. Cette bataille sera décisive. Plusieurs idées-forces ont conduit Tioutchev à esquisser cet Armageddon slavophile. Pour lui, le besoin de lier toujours le passé au présent est “ce qui a de plus humain en l’homme”. On ne peut donc regarder l’histoire avec l’œil froid de l’empiriste ; il faut la rendre effervescente et vivante en y injectant ses émotions, en lui donnant sans cesse une dimension mystique. Celle-ci est un “principe de vie” (“natchalo”), encore actif en Russie, alors qu’en Europe occidentale, où Tioutchev a passé 22 ans de sa vie, règne la “besnatchalié” (l’absence de principe de vie). C’est ce principe de vie qui est Dieu pour notre auteur. C’est ce principe qui est ancre et stabilité, pour un homme comme lui, qui n’a guère la fibre religieuse et ne parvient pas à croire vraiment. Mais la foi est nécessaire car sans Dieu, le pouvoir, le politique, n’est plus possible.

    Mais cette mobilisation du conservatisme, qu’il a prônée pendant le règne de Nicolas Ier, a échoué devant la coalition anglo-franco-turque lors de la Guerre de Crimée. Ces puissances voulaient empêcher la Russie de parfaire l’unité de tous les Slaves, notamment ceux des Balkans. L’avènement d’Alexandre II le déçoit : « Que peut le matérialisme banal du gouvernement contre le matérialisme révolutionnaire ? », interroge-t-il, inquiet des progrès du libéralisme en Russie.

    Tioutchev n’a pas seulement émis des réflexions d’ordre métaphysique. Pendant toute sa carrière, il a tenté d’élaborer une politique russe à l’intérieur du concert européen, s’éloignant, dans cette optique, de l‘isolationnisme des slavophiles. Ceux-ci exaltaient le paysannat russe et critiquaient la politique de Pierre le Grand. Tioutchev, lui, exaltait cette figure car elle avait établi la Russie comme grande puissance dans le Concert européen. Il optait pour une alliance avec la Prusse, contre la France et l’Autriche. Il voulait mater le nationalisme polonais et favoriser l’unité italienne. En ce sens, il était “moderne”, à cheval entre deux tendances.

    Un auteur à méditer, à l’heure où la Russie, une nouvelle fois, est écartelée entre deux volontés : repli sur elle-même ou occidentalisation.

    ► Robert Steuckers, Vouloir n°105/108, 1993.