Löser
Adieu au Général-Major Jochen Löser
Le Général Major Jochen Löser est décédé le 13 février 2001, à l'âge de 83 ans. J'ai rencontré Jochen Löser le 6 octobre 1984, lors de ma toute première visite à la Foire de Francfort. J'arpentais ses immenses corridors à la recherche de livres pertinents, capables d'ouvrir à mes lecteurs des horizons nouveaux, en prenant appui sur des faits tangibles, capables aussi de crever la croûte des ronrons de la pensée imposée par les médias. Dans le grand stand de Bertelsmann, mon vœu a été exaucé. Bien en vue, plusieurs dizaines d'exemplaires de Neutralität für Mitteleuropa s'alignaient sur les présentoirs. J'ai tendu la main, saisi un de ces exemplaires, que j'ai compulsé un peu fébrilement, pour découvrir une démarche qui était la mienne depuis la lecture du fameux ouvrage de Jacques Droz sur l'Europe centrale (paru chez Payot) et du livre collectif de Helmut Bering (Wirtschaftliche und politische Integration in Europa im 19. und 20. Jahrhundert, Vandenhoek & Ruprecht, Göttingen, 1984), où les auteurs abordaient également les questions relatives à la Mitteleuropa.
Jochen Löser replaçait la question de l'Europe centrale dans l'actualité la plus brûlante, sur le fond d'une contestation générale de l'installation des missiles américains sur le territoire de la RFA. L'ouvrage que je tenais entre les mains était un traité rationnel, réclamant l'élargissement de la zone neutre en Europe centrale. Les non-alignés n'auraient plus été seulement la Yougoslavie, l'Autriche, la Suisse, la Suède et la Finlande, mais tous ces pays soustraits à la logique binaire de Yalta, plus les 2 Allemagnes, le Bénélux, le Danemark, la Pologne, la Tchécoslovaquie et la Hongrie. Ce que je découvrais là était enfin une alternative cohérente au statu quo, qui correspondait à notre volonté de dépasser le duopole mis en place à Téhéran, à Yalta et à Postdam, entre 1943 et 1945.
J'ai aussitôt demandé un exemplaire de presse à la préposée du stand, qui m'a dit : « Si ce livre vous intéresse, repassez cet après-midi, l'auteur sera présent sur le stand ». C'est ainsi que j'ai rencontré Jochen Löser et que nous avons tout de suite sympathisé. Le Général Löser était un homme affable, doux, d'une extrême gentillesse, avec un sourire extraordinaire. Une sorte de complicité est née dans ce stand, où œuvrait également le frère de la militante écologiste radicale, Jutta von Ditfurth, fille du biologiste Hoimar von Ditfurth.
Notre visite chez le Dr. Otto Zeller
Nous avons travaillé ensemble pendant 2 ans, en tentant de diffuser au maximum des alternatives au statu quo imposé par l'OTAN en matières de défense. Les réunions de travail se déroulaient principalement à Bonn, au domicile de Jochen Löser, à proximité du Rhin et d'une falaise magnifique, couverte de vignobles en terrasse depuis l'époque des Romains. Un jour, pour finaliser l'édition des souvenirs de guerre du Général Löser, nous nous sommes rendus à Osnabrück chez l'éditeur Otto Zeller. Un personnage extraordinaire, dont je garderai éternellement le souvenir. Le Dr. Zeller, aujourd'hui décédé, était un grand linguiste, traducteur d'Homère et des Védas, auteur d'une fresque brossant l'histoire indo-européenne depuis les plus lointaines origines. Une fois la version définitive du manuscrit du Général acceptée sans discussion et la remise des dernières photographies de l'épopée de Löser et de ses soldats, Otto Zeller nous a invités chez lui, où il vivait seul — et très triste — depuis le décès de son épouse, un être qui lui avait été très cher. Le Dr. Zeller habitait une vieille ferme nord-allemande de type traditionnel, dont il avait scrupuleusement respecté l'aménagement, axé sur le foyer central. L'architecture traditionnelle — repérable depuis la culture danubienne du Michelsberg (entre -4500 et -2750 av. JC) — de cette bâtisse m'a profondément impressionné. Nos plus lointains ancêtres avaient un sens de l'espace — un feng shui occidental— beaucoup plus développé que nos modernistes en quête perpétuelle de sensationnel. Après une visite de cette superbe ferme, nous nous sommes retrouvés à 3, Löser, Zeller et moi, autour de 2 seaux, en train de peler les pommes de terre pour le repas du soir, comme si nous étions en bivouac. Scène d'une extrême simplicité et d'une grande chaleur humaine. Car mes 2 aînés, le militaire et le philologue, hommes façonnés et ciselés par des expériences extraordinaires, ont profité de ce moment pour se raconter leurs souvenirs. Et j'ai écouté.
Les souvenirs du Dr. Zeller
Le Dr. Zeller était juriste et philologue-linguiste ; j'avais été le lecteur attentif de son ouvrage Problemgeschichte der vergleichenden (indogermanischen) Sprachwissenschaft (1967 ; Histoire de la problématique des sciences linguistiques indo-européennes comparées), où il retraçait avec précision l'évolution de la recherche linguistique des humanistes de la Renaissance à Hirt, en passant par Leibniz, Bopp, Rask, les frères Grimm, Schleicher, Schrader, etc. Autour de nos 2 seaux, le Dr. Zeller a encore évoqué d'autres souvenirs : j'en ai retenu 3. Sanskritologue, il avait été chargé d'accompagner dans Berlin le fils d'un Maharadjah, volontaire dans le bataillon indien de la Wehrmacht, qui sera stationné à Bordeaux. Il nous a brossé avec humour les anecdotes de cette visite, véritable choc entre 2 civilisations. Ensuite, prisonnier de guerre, Zeller a dû servir d'interprète dans un tribunal militaire anglais, qui condamnait à la chaîne de pauvres diables de Polonais, de Russes et d'Ukrainiens, cherchant à rentrer à pied dans leur pays, mourant de faim sur les routes du Reich dévasté et chapardant des victuailles dans les casernes britanniques ; des rixes éclataient parfois avec les gardes, à qui il arrivait de prendre un coup fatal. Inévitablement, ces bougres affamés, qui avaient tué pour pouvoir manger, étaient condamnés à la corde d'un gibet de sa Très Gracieuse Majesté. Cette fonction d'interprète, imposée par la contrainte, avait été pour notre philologue particulièrement horrible. Enfin, le début de sa carrière d'éditeur ; le pouvoir communiste est-allemand vidaient les bibliothèques publiques et privées et vendait à l'Ouest des wagons entiers d'ouvrages rares et anciens. Zeller les rachetait au kilo, sélectionnait les meilleurs titres pour en faire des réimpressions, amorce de sa “Biblio Verlag”.
Le lendemain, Zeller m'offrait le livre qu'il venait d'écrire pour ses enfants et ses petits-enfants, Am Nabel und im Auftrag der Geschichte. Où les titres des chapitres étaient déjà une grande leçon : « Vouloir vivre sans histoire, est une utopie » ; « Seul ce qui a une histoire est réel ». Deux préceptes à retenir en toutes circonstances. Am Nabel und im Auftrag der Geschichte est ensuite un vaste synopsis de l'épopée indo-européenne dans l'histoire, depuis les mégalithes jusqu'à la conquête spatiale.
Cette journée à Osnabrück m'a dévoilé l'extrême modestie de 2 hommes exceptionnels, sur des plans différents. Une grande leçon. Que je n'oublierai jamais.
Stratégie du hérisson et défense civile
Sur le plan politique, ce bout de chemin fait avec Jochen Löser au beau milieu des années 80 m'a permis de développer des idées originales en matières de défense, diamétralement différentes des doctrines officielles de l'OTAN et des thèses pacifistes maniées par une certaine gauche de conviction donc d'irresponsabilité. Juste avant d'avoir écrit Neutralität für Mitteleuropa, Jochen Löser, avec le concours d'Harald Anderson, avait apporté une réponse originale aux conférences de Genève entre l'Est et l'Ouest, qui avaient débouché sur un échec (cf. Antwort auf Genf : Sicherheit für West und Ost, Olzog Verlag, Munich, 1984). Demeurant dans la logique théorique qui avait toujours été la sienne, y compris dans les coulisses de la FDP qui cherchait une position originale au temps où elle était isolée dans l'opposition, Jochen Löser préconisait une “stratégie du hérisson”, calquée sur les modèles helvétique et yougoslave, permettant de rendre un territoire hermétique, imprenable, par recours à des moyens strictement conventionnels. Cette stratégie avait ensuite pour corollaire d'assurer une protection maximale des populations civiles (abris anti-atomiques, etc.), exposées aux opérations aériennes et terrestres de tout conflit susceptible d'éclater.
Löser nommait Raumdeckende Verteidigung (Défense couvrant l'espace), ce système de défense efficace, de type traditionnel, inspiré du modèle suisse, que d'autres, comme le Général français Brossolette, appelaient “défense par maillage territorial”. L'adoption d'un tel mode de défense impliquait l'organisation d'une armée de citoyens, une milice territoriale (Löser : Friedensmiliz, Heimatdienst & Heimatschutz), appelée à couvrir les tâches non directement combattantes, de même qu'à assurer les missions de soutien logistique, de protection des installations militaires sur les arrières du front, les transports et la surveillance des côtes. In fine, un maillage complet du territoire permet d'assurer la suprématie du feu sur le mouvement, donc des systèmes de défense sur les stratégies d'attaque frontale.
Neutralité, finlandisation et “Blockfreiheit”
Une telle vision de la défense du territoire allemand permettait effectivement de le verrouiller contre toute attaque venant de l'Est soviétisé, parce qu'à partir du Brandebourg le territoire européen devient plus densément peuplé et structuré, donc moins ouvert comme l'est en revanche la plaine de l'Est, qui, elle, permettait hier le déploiement de masses de cavaliers et permet aujourd'hui celui de divisions de chars d'assaut. La densité du territoire allemand et ouest-européen permet de doter les défenseurs d'armes anti-chars très performantes, filoguidées ou à guidage électronique, descendant en droite ligne des Panzerfäuste et des Panzerschrecke de la Wehrmacht. Simultanément, ce verrouillage et ce maillage militaire du territoire centre-européen induisaient une remise en question de l'inféodation de la RFA aux structures de l'OTAN et de l'Alliance atlantique. Le statut de neutralité — décrié par les services de Washington maniant le (faux) spectre de la “finlandisation” — redevenait une option possible.
Du terme polémique “finlandisation”
Neutralität für Mitteleuropa contient justement une critique serrée de ce concept de “finlandisation” que critiquaient et rejetaient les atlantistes. Löser commençait par poser les termes “neutre” et “neutralité” comme des concepts positifs du droit international, même s'il admettait que “neutraliste” et “neutralisme” recelaient une connotation propagandiste, qui n'était ni positive ni objective. La neutralité est un droit des États, garanti par l'art. 2, §2, de la Charte des Nations Unies. La neutralité est assortie d'obligations : ne pas faire partie d'une alliance constitué à des fins de belligérance, ne pas céder la moindre parcelle du territoire national pour en faire un point d'appui pour une puissance voisine belligérante, armer le pays de façon à dissuader tout ennemi de pénétrer sur son territoire. La neutralité implique donc, ipso facto, d'armer la nation et de choyer l'armée, qui l'incarne. La neutralité, au sens juridique du terme, n'est donc pas un pacifisme, un anti-militarisme, que ceux-ci se camouflent ou non derrière le terme “neutralisme”. La Finlande n'échappait pas à cette règle, même si cette neutralité devait tenir compte de ses relations conflictuelles avec l'URSS entre 1917 et 1945.
Le projet de Löser était donc d'élargir le statut de neutralité de l'Autriche à un espace centre-européen plus vaste, permettant de le dégager de la logique bellogène des blocs. Cette logique n'est donc pas celle d'une “finlandisation”, comme le proclament et l'entendent les défenseurs de l'OTAN ; parce que les États concernés n'ont pas les mêmes rapports de voisinage que ceux de la Finlande et de l'URSS. Elle est plutôt une “austrialisation” ou une “helvétisation”, donc un renforcement de souveraineté par désengagement vis-à-vis d'une alliance téléguidée par une seule super-puissance, de surcroît étrangère à l'espace européen (“eine raumfremde Macht”, auraient dit Carl Schmitt et Karl Haushofer).
Droits de l'homme et Armageddon
Autre atout majeur de Neutralität für Mitteleuropa : la critique du néo-machiavélisme occidental, camouflé derrière les discours sur les droits de l'homme. Avec la forte et élégante concision du militaire qui se consacre à l'écriture, Jochen Löser, dans le chapitre IV de cet ouvrage, critique vertement la volonté américaine de se poser comme l'incarnation du “bien” absolu, en lutte contre le “mal” absolu. Un bien qui proclame et défend les “droits de l'homme” et un mal qui les nie. Une telle attitude, explique-t-il, est une incongruité à l'âge des armes nucléaires. La puissance de destruction de ces armes est telle qu'on ne peut, dans un pareil contexte, tenir un langage d'apocalypse, car déclencher l'apocalypse devient possible mais n'est évidemment pas souhaitable, puisque la riposte de l'adversaire reste tout de même en mesure de réduire les bases territoriales du vainqueur à néant, le ramenant ipso facto à l'âge de la pierre. Contrairement à Reagan qui parlait d'Armageddon, Löser raisonne au départ de Clausewitz : les intentions de la politique doivent correspondre aux moyens mis en œuvre ; l'objectif politique souhaité ne peut être un despote ; il doit s'adapter à la nature des moyens. À l'âge des armes nucléaires, les moyens sont théoriquement absolus, en pratique, les puissances atomiques ont une marge de manœuvre très réduite. Le règlement des différends passe donc par la diplomatie et les négociations.
Clausewitz et Bismarck
Cette perspective clausewitzienne interdit de placer la politique internationale sous le diktat des émotions, comme celles qu'éveillait dans les médias le nouveau culte des droits de l'homme, annoncé dès le discours inaugural de Carter en 1977. La politique internationale ne peut fonctionner que si l'on jauge objectivement, avec sérénité, les faits, les intérêts, les divergences entre États. Löser rappelait une parole forte de Bismarck : « Agir selon des principes est une attitude qui, selon moi, revient à courir dans la forêt en tenant en bouche une barre de fer dans le sens de la longueur ». Par conséquent, le diplomate ne peut agir sous la dictée de ses sympathies ou de ses antipathies pour des situations en vigueur dans le territoire d'une puissance voisine ou adverse, ou pour des personnes y exerçant une fonction souveraine. Les émotions suscitées par les antipathies ou les sympathies n'ont pas leur place dans la sphère du politique. Les juristes extrémistes et les moralistes échevelés n'ont pas de rôle à jouer dans la sphère austère du politique.
Certes, les dissidents d'une puissance voisine ont droit à l'asile politique, à écrire et à œuvrer chez nous s'ils y sont accueillis, mais leur sort ou leur sécurité ne doit pas troubler le jeu subtil de la diplomatie classique. Si l'engagement des moralistes ou des juristes pour la liberté d'expression est un devoir moral, que personne ne va leur contester, les diplomates ont, eux, le devoir politique et la responsabilité de ne pas déclencher d'apocalypse ou de conflit au nom de doctrines éthiques vagues ou instables.
Voilà donc les thématiques que nous avons abordées entre 1984 et 1986. Mon discours à Versailles, lors du colloque du GRECE du 16 novembre 1986, est le résultat (succinct) de ces travaux. Pourquoi notre chemin s'est-il arrêté là ? Tout simplement parce que l'accession de Mikhaïl Gorbatchev à la fonction suprême en URSS, remettait tout en question : et le duopole en place et l'ordre né de Yalta. Avec la perestroïka, les événements vont se précipiter : les accords “4 + 2”, la réunification allemande, le dégel à Moscou, les manifestations de Prague, le démantèlement du Rideau de fer le long de la frontière austro-hongroise. Löser et moi avions l'intention de sortir, avec d'autres, un livre manifeste, mais chaque jour apportait sa part d'innovations ou de changements, si bien que toutes nos planifications étaient réduites à néant. De l'accession de Gorbatchev au pouvoir à Moscou en 1985 jusqu'au triomphe d'Eltsine en août 1991, l'Europe a vécu une succession de bouleversements auxquels nous n'étions pas préparés. Impossible dans de telles conditions d'achever un livre collectif, un tant soit peu substantiel. Il a fallu abandonner. Et nos relations se sont interrompues. À mon vif regret.
De la vieille leçon du Taciturne
Quinze ans ont passé depuis nos derniers échanges épistolaires ou téléphoniques. Quinze années de bouleversements inimaginables au jour de notre première rencontre, le 6 octobre 1984. Mais quinze années où l'Europe n'a pas été capable de trouver une solution rationnelle à ses problèmes de défense, comme nous le préconisions. Cet échec, dû à la piètre qualité intellectuelle et morale du personnel politique en place, est une tragédie. Notre civilisation s'est délibérément engagée dans une impasse. Le politique est mort. La citoyenneté, dont on parle à grands renforts de trémolos dans la voix, est devenue une illusion sinon une farce. Mais ce n'est pas une raison pour abandonner le combat : « Il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer ». Vieille leçon du Taciturne. En souvenir du Général-Major Jochen Löser, nous allons continuer le combat. Pour une Europe libre et forte, bien à l'abri de piquants, pareils à ceux du hérisson.
► Robert Steuckers, Nouvelles de Synergies Européennes n°50, 2001.
En souvenir d'un soldat politique de la Bundeswehr :
le Général-Major Hans-Joachim Löser
La Bundeswehr n'a jamais connu de généraux politisés à la façon latino-américaine. Elle a eu la chance, cependant, d'avoir eu, dans ses rangs, quelques généraux capables de combiner leurs compétences militaires à un instinct politique sûr et à une intelligence aiguë des conséquences directes de la politique de sécurité pour leur peuple. Ces officiers reconnaissaient le primat du politique, c'est-à-dire la responsabilité des hommes politiques démocratiquement élus, mais se réservaient toutefois la liberté d'exposer aux responsables politiques leurs convictions politiques solidement étayées par un savoir factuel et technique éprouvé, surtout lorsque ces convictions ne concordaient pas avec les idées des politiques, ce que ceux-ci n'aiment guère entendre. Parmi ces officiers allemands, capables de penser politiquement au meilleur sens du terme, il y avait le Général-Major e.r. Hans-Joachim (Jochen) Löser, qui vient de nous quitter, ce 13 février 2001, dans sa 83ème année.
Jochen Löser était issu d'une famille de Thuringe et de Saxe, bien ancrée dans les traditions. Après avoir passé son Abitur [baccalauréat] en 1936 dans une école NAPOLA de Berlin-Spandau, il rejoint comme aspirant (Fahnenjunker) le 68ème Régiment d'Infanterie du Brandebourg. Au début de la guerre, il est Adjudant de Bataillon, plus tard, lors de la campagne des Balkans et de la campagne de Russie, il est promu Adjudant régimentaire auprès du 230ème Régiment d'Infanterie. Quand commence la terrible bataille de Stalingrad, il la vit et l'endure avec le grade de commandant de bataillon. Il est grièvement blessé et reçoit la Croix de Chevalier. Après avoir reçu une formation d'officier d'état-major et avoir servi à ce titre dans les Carpathes et sur le Front de l'Arctique, il évite en avril 1945, face aux troupes américaines, la bataille de défense de sa ville natale, Weimar, mission impossible et désormais dépourvue de sens. Après la guerre, il gère pendant dix ans une entreprise qui occupe des invalides de guerre. En 1956, il entre au service de la Bundeswehr. Il y exerce les fonctions de maître de conférence à l'école militaire de Hardthöhe, de chef d'état-major d'une Division puis d'un Corps d'armée, finalement il accède au grade de commandeur d'une Brigade et d'une Division. En 1974, de son propre chef, il décide de quitter le service des armes et reçoit la Grande Croix du Mérite de la RFA.
Quand la FDP proposait une vraie alternative
J'ai connu Jochen Löser en 1967, quand je dirigeais le “Cercle de travail I” de la fraction FDP du Bundestag, qui s'occupait également des questions de défense. À l'époque, le noyau de la politique de défense de la FDP était le suivant : il nous paraissait inutile d'équiper les troupes allemandes placées sous le commandement de l'OTAN d'armes atomiques coûteuses, alors que les munitions ad hoc ne seraient jamais placées entre des mains allemandes. Nous nous posions la question : ne serait-il pas plus intelligent de concentrer nos moyens pour améliorer la défense conventionnelle de l'Allemagne et de laisser la dissuasion nucléaire aux puissances qui pourrait l'utiliser en cas d'urgence ? C'est donc surtout grâce aux conseils de Jochen Löser que la FDP, guidée par son expert en questions de défense, Fritz-Rudolf Schultz, a pu présenter une alternative en politique de sécurité, face à la Grande Coalition de l'époque ; c'était une alternative inattaquable sur le plan des faits, qui tenait nettement mieux compte des intérêts du peuple allemand divisé en cas de guerre que les plans habituels de l'OTAN.
Après 1969, la FDP, malheureusement, a abandonné ses préoccupations en matières de défense et n'a plus manifesté d'intérêt pour ces réflexions. En tant que commandeur, Jochen Löser ne voyait plus aucune possibilité de diffuser ses compétences techniques. Cela a sans doute motivé son départ de la Bundeswehr. Il a alors commencé une fructueuse carrière d'écrivain politique, où il a couché sur le papier ses réflexions en matières de défense, qui, chaque fois, tenaient compte des intérêts de l'adversaire potentiel. Des ouvrages comme Gegen den Dritten Weltkrieg (Contre la Troisième Guerre mondiale), Weder rot noch tot (Ni rouges ni morts), Neutralität für Mitteleuropa (Neutralité pour l'Europe centrale), Kämpfen können, um nicht kämpfen zu müssen (Savoir combattre pour ne pas avoir à combattre), puis, finalement, cette magnifique histoire de la 76ème Division d'Infanterie de Berlin-Brandebourg, intitulée Bittere Pflicht (Notre amer devoir), où Jochen Löser, le soldat qui défendait les intérêts de son peuple, rassemblait tous ses souvenirs, sans perdre de vue les intérêts des autres peuples.
► Detlef Kühn, Junge Freiheit, février 2001.