Russie
Immixtion américaine en Russie
Après le vote pour la Douma, les États-Unis n’ont pas hésité à s’immiscer dans les affaires intérieures de la Russie
Les élections pour le parlement russe du 4 décembre ont suscité quelques turbulences politiques. Sous prétexte qu’il y aurait eu manipulations, les manifestations se multiplient à Moscou et à Saint Pétersbourg. L’Occident en profite pour tirer à boulets rouges sur les dirigeants russes. Pour ce motif, le Premier ministre russe Vladimir Poutine a annoncé que des mesures de rigueur seront prises contre ceux qui se mêlent de la politique russe « sur ordre de l’étranger ». « Nous sommes obligés de protéger notre souveraineté et nous nous sentons contraints d’y réfléchir », a souligné Poutine, tout en reprochant à la ministre américaine des Affaires étrangères Hillary Rodham Clinton d’avoir donné le signal pour que se déchaîne la vague de protestations et de manifestations. Ensuite, Poutine a ajouté, sur un ton très critique, « le travail actif a commencé avec le soutien du ministère américain des affaires étrangères ».
Tandis que bon nombre de commentateurs, dans les médias occidentaux inféodés au système, déclaraient que le Premier ministre russe souffrait de paranoïa, nous pouvons tout de même objectivement constater que les reproches formulés par Poutine ne sont pas dénués de fondements. En effet, qui a joué un rôle-clef dans cette effervescence protestataire, tant avant qu’après le scrutin ? Indubitablement, l’association Golos (La Voix), soi-disant indépendante et posée comme “organisation non gouvernementale”. Ses “experts” (auto-proclamés) ont bénéficié de vastes colonnes dans les journaux occidentaux quelques jours avant les élections pour décrire le système semi-autoritaire de Poutine comme une abominable tyrannie obscurantiste. Golos a agité les esprits en Occident sous prétexte que des manifestants avaient été arrêtés.
En fait, Golos est tout autre chose qu’une ONG indépendante. Ainsi, on peut lire sur le site internet de l’International Republican Institute, une fondation du Parti Républicain : « Golos est une association qui a été fondée en 2000 pour protéger les droits des électeurs ; elle reçoit des subsides des autorités américaines responsables du développement à l’échelle mondiale (USAID), du groupe National Endowment for Democracy et de l’ambassade britannique. Le National Democratic Institute offre la formation des cadres et l’International Republican Institute fournit une aide en offrant des vidéos d’information pour les électeurs ». Les autorités américaines de l’USAID sont directement inféodées au ministère américain des affaires étrangères et ont toujours joué un rôle prépondérant quand il s’est agi de s’immiscer dans les affaires intérieures de pays tiers. En règle générale, les subsides transitent par la NED (National Endowment for Democracy), considérée comme le bras civil de la CIA. La NED “sponsorise” soit directement des projets de “soutien à la démocratie” à l’étranger soit verse l’argent aux fondations des partis démocrate et républicain qui, à leur tour, apportent un soutien financier à des instances proches d’eux, émanant de la “société civile” du pays étranger placé dans le collimateur.
Le processus appliqué à la Russie pouvait se lire dans le “plan stratégique” de l’USAID pour les années de 2007 à 2012. Dans le texte de ce plan, les auteurs reprochent au Kremlin de court-circuiter les projets américains en Europe orientale, dans les Balkans et dans le Caucase, c’est-à-dire dans des régions qui doivent à terme être “ancrées” dans les structures euro-atlantistes. Washington s’insurge également contre la politique de Poutine au cours de ses 2 premiers mandats : il a en effet visé et fait progresser l’indépendance économique et énergétique de son pays. Pour torpiller cette politique étrangère, économique et énergétique, il convient donc d’importer en Russie “les valeurs de la démocratie, des droits de l’homme et de la liberté”, tout en tentant d’imbriquer la vaste Fédération de Russie dans “l’économie mondiale”, c’est-à-dire dans l’ordre économique et dans le projet de globalisation ébauchés par la Maison Blanche et par Wall Street.
En 2009, la NED a versé 75.234 dollars à Golos pour organiser des “audits officiels” et des campagnes de signatures. En 2007, la NED avait déjà versé 49.500 dollars à l’association russe. Le CIMA (Center for International Media Assistance), une branche de la NED, joue un rôle de premier plan dans tout appui aux forces politiques visant à instaurer quelque part dans le monde la “démocratie libérale” de type américain : depuis des années, ce centre apporte son soutien à des journalistes pro-américains, en les formant ou en leur offrant des programmes d’échange.
Le NDI (National Democratic Institute) démontre l’importance des fondations des partis américains dans l’immixtion constante de Washington dans les affaires intérieures russes. La NDI déclare officiellement qu’elle est active en Russie depuis le début des années 90, afin d’y « renforcer les institutions démocratiques », en déployant quantité d’incitants pour qu’à terme il y ait « une plus grande participation des citoyens aux processus décisionnels » et pour que certaines organisations civiles et certains partis politiques soient renforcés en Russie grâce à « des échanges internationaux d’expériences acquises ». Golos, dans ce vaste complexe d’opérations stratégiques, est un partenaire importants de la NDI : l’association subversive russe coopère effectivement avec la NDI depuis le jour même de sa fondation. Aujourd’hui, Golos est en mesure d’aller observer les élections dans 48 régions de la Fédération de Russie.
Mutatis mutandis, la situation observable aujourd’hui en Russie ressemble à celle que l’on pouvait constater en Ukraine lors de la “révolution orange”, il y a 7 ans. En Ukraine aussi, on a évoqué des “fraudes électorales” pour mettre le feu aux poudres et pour déclencher la révolte. Et une fois de plus, on a vu se pointer à l’horizon le spéculateur boursier Georges Sörös. L’organisation que ce personnage soutient, le Human Rights Watch, vient d’entamer une campagne de presse, où elle se plaint que Golos est victime d’une « campagne de dénigrement » orchestrée par les autorités russes...
► Bernhard Tomaschitz, article paru dans zur Zeit n°50/2011.