Ukraine
Un atout manqué : l'Ukraine
[Ci-contre : Officier nationaliste ukrainien, Roman Chokevitch, surnommé Tarass Chuprynka, prend, sous le signe du Trident de St. Vladimir, la tête d’une légion ukrainienne pour aider les Allemands à terrasser l'URSS. Il sera rapidement déçu et rejoindra les rangs de l'UPA (armée insurrectionnelle ukrainienne), combattant les Allemands, les Soviétiques et les Polonais. Cette armée de 200.000 volontaires continuera le combat contre Moscou pendant plusieurs années et Chuprynka ne tombera les armes à la main qu'en 1950 !]
Rappel
En Occident, on écrit et on parle comme si l'Union Soviétique était un bloc uniformément russe. C'est faux. Même si les Russes y sont le peuple fondateur de l'État, s'ils en dominent le fonctionnement et donnent le ton. L'Empire du Goulag est une véritable mosaïque de peuples, grands et petits. Le peuple numériquement le plus important, après les Russes, ce sont les Ukrainiens.
Après la fausse révolution des Bolchéviks de 1917, le Conseil Central ukrainien proclame l'autonomie du pays. Le 16 novembre 1917, les Ukrainiens prennent le pouvoir chez eux et, 3 jours plus tard, déclarent officiellement l'indépendance de la République Ukrainienne. Cette indépendance, la Russie elle-même la reconnaît le 16 décembre 1917. Mais les Soviets lancent un ultimatum à la nouvelle république et le 20 décembre 1917, les troupes russes pénètrent dans le territoire. « Le 22 janvier 1918, la République Nationale Ukrainienne proclame l'existence d'un État indépendant, inféodé à nulle puissance étrangère, libre et souverain du peuple ukrainien ». Dans cette même proclamation, on peut lire : « Mais entretemps, le gouvernement des commissaires du peuple de Petersbourg a déclaré la guerre à la République d'Ukraine et a envoyé ses forces armées dans notre pays » (Document n°1).
Rappelons toutefois que pendant cette guerre – car c'était une guerre entre 2 États – la France d'abord, l'Angleterre ensuite, reconnurent de facto la nouvelle république. Celle-ci a continué à exister jusqu'en novembre 1920. La plus grande partie du territoire tomba sous contrôle soviétique le 30 décembre 1922. La partie occidentale, moins vaste, fut annexée à la Pologne, tandis que la Bucovine échut à la Roumanie. L'Ukraine sub-carpathique tomba dans l'escarcelle de la Tchécoslovaquie. En 1929, des ressortissants ukrainiens fondent à Vienne l'Organisation des Nationalistes Ukrainiens (ONU). Ce mouvement cherchait des alliés à l'étranger.
Le national-socialisme et l'Ukraine
Déjà avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, il y avait de l'eau dans le gaz entre les nationaux-socialistes, arrivés au pouvoir en 1933, et les nationalistes ukrainiens, même si l'on pouvait croire que l'Allemagne allait tenter de fragmenter l'État unitaire russe en accordant son appui aux peuples soumis à la férule de Moscou. Ce ne fut pas le cas. Hitler a mené une politique nettement étatiste et impérialiste à l'Est. Tour à tour, il soutiendra l'État polonais puis l'État hongrois contre les aspirations du peuple ukrainien. Lorsque des nationalistes ukrainiens commettent en 1934 un attentat contre le Ministre polonais des affaires étrangères, la police allemande livrent plusieurs nationalistes ukrainiens à la Pologne, ce qui suscite des réactions anti-alle-mandes chez les membres de l'ONU. Détail typique de cette époque, manifestation de l'idéologie allemande d'alors : une note interne souligne que les personnalités dirigeantes ukrainiennes ont épousé des femmes juives. Pendant la crise de 1938/39, on constate également que Hitler, envers et contre toute logique, adopte une position anti-ukrainienne. Le 15 mars 1939, au lieu sinon de reconnaître, du moins de tolérer de facto l'indépendance de l'Ukraine sub-carpathique, le Führer marqua son accord pour que cette province soit annexée à la Hongrie, alors qu'indépendante, elle aurait pu servir de point d'appui pour amorcer un processus de fissuration du bloc soviétique. Pourtant le point de vue de l'ONU ukrainienne était sans ambiguïtés : « Nous considérons les États qui sont en guerre avec Moscou et qui ne sont pas hostiles à l'Ukraine comme des alliés naturels » (Document n°14 d'avril 1941).
Les événements de la dernière guerre
Citons quelques passages d'un manifeste ukrainien, publié immédiatement après l'entrée des troupes allemandes : « Les soldats du Reich, lors de leur progression en Ukraine, ont évidemment été salués comme des libérateurs. Mais cet état de choses changerait très rapidement, s'il apparaissait que l'Allemagne rejette le principe d'un État ukrainien propre », („,), «Toute réorganisation de l'Europe sans Ukraine indépendante est impensable ». (...). « Une occupation militaire permanente de l'Europe orientale est impossible sur le long terme. Seule une réorganisation politico-étatique, s'appuyant sur le principe ethniste, peut garantir une évolution saine des choses ». (...) « L'État ukrainien indépendant doit aussi être économiquement indépendant». (…) « Conclusion : seule une puissance militaire indépendante – qui serait en esprit et en substance ukrainienne – garantirait l'alliance germano-ukrainienne, capable de prévenir et d'absorber la pression russe sur l'Europe » (Document n°16, juin 1941).
Le 30 juin 1941, sept jours après l'entrée des troupes allemandes en URSS et immédiatement après la chute de Lemberg, Bandera proclame l'indépendance de l'Ukraine et place ainsi les Allemands devant un fait accompli. Un gouvernement se forme sous la direction de Stezko. Notre propos n'est pas d'expliciter en détail tous les événements qui ont eu lieu à cc moment-là, avec toute la confusion qu'ils ont engendrée. Signalons simplement que les Allemands n'ont pas seulement rejeté sans appel l'indépendance ukrainienne mais ont fait arrêter les dirigeants nationalistes ukrainiens. Résultat : le mouvement de Bandera combattra simultanément par les armes et les Soviétiques et la Wehrmacht. Pas de « principe ethniste » chez Hitler...
Lors d'une conversation avec Rosenberg, Göring, Keitel et Lammers, Hitler rejettera résolument l'idée suggérée par Rosenberg, de prévoir un statut d'autonomie limitée pour l'Ukraine. « II s'agit – dixit Hitler – de partager habilement notre immense butin de façon à ce que nous puissions, premièrement dominer, secondement diriger, troisièmement exploiter ». Sur le plan militaire, il a formulé cette directive qui aura des conséquences tragiques : « Seuls les Allemands pourront porter les armes, pas les Slaves, pas les Tchèques, pas les Cosaques, pas les Ukrainiens » (Document n°29, 16 juillet 1941).
Un rapport du SD, en date du 5 décembre 1941, résume parfaitement la situation : « Les intentions allemandes, qui sont désormais connues du gros de la population, soit de ne pas reconnaître l'indépendance de l'Ukraine, ainsi que l'attitude concrète des Allemands vis-à-vis de la population ukrainienne, ont suscité de la grogne. Les Ukrainiens pensent que les Allemands n'auraient pas dû les considérer comme des ennemis mais, au contraire, comme des amis libérés. Ils sont profondément déçus d'être traités par les Allemands comme appartenant à une humanité inférieure. Ils se posent la question : cette situation sera-t-elle provisoire ou définitive ? » (Document n°62, 5 décembre 1941).
L'Allemagne a persisté dans son attitude irresponsable : elle sera fatale sur le plan pratique. Le mouvement de Vlassov butera contre la même incompréhension. Il n'obtiendra qu'un maigre soutien mais trop tard et trop chiche, quand le sort de la guerre était déjà décidé.
En guise de conclusion, citons un rapport d'OKH (Oberkommando des Heeres) du 9 février 1944 : « Le mouvement national-ukrainien de Bandera est actif dans la partie de la Galicie qui est peuplée d'Ukrainiens. Son organisation de combat est l'UPA (Armée de l'insurrection Ukrainienne). Ses forces compteraient au total quelque 80.000 hommes en Galicie et en Ukraine. Son ennemi principal en Galicie est, outre l'Administration allemande, le Polonais ! L'UPA s'apprête, en cas d'évacuation allemande de la Galicie, à neutraliser implacablement les Polonais et à prendre elle-même le pouvoir » (Document n°123).
On mesure là l'irréalisme allemand ! Pour les Soviétiques, les hommes de Bandera étaient des suppôts de Hitler et pour les Allemands, des partisans à combattre ! Illustrons cette absurdité en citant 2 rapports militaires allemands de la mi-1944 : « Lors d'une opération contre la bande de Mikolaïov, appartenant à l'UPA, 29 bandits ont été tués, 250 pris prisonniers ; 2 canons, des munitions, des appareils radio, 5 camions, des voitures et des chevaux ont été pris comme butin. Les rescapés de la bande ont fui vers le NE. Environ 300 bandits, revêtus d'uniformes allemands et russes, se dirigeaient vers le SE en direction de Kaïonka-Stroumilova » (Document n°124). « Environ 100 à 200 bandits nationaux-ukrainiens (de l'UPA) ont attaqué près de Hrubieszow un commando de la Sipo et du SD. Plusieurs bandits ont été abattus. Selon le rapport d'un indicateur, il y aurait dans la région de Kranystaw-Cholm des bandes d'environ 12.000 hommes » (Document n°125).
Au lieu de mobiliser l'énorme potentiel offert par les peuples opprimés du pays des Soviets, l'Allemagne a pris la place des Staliniens. Le commissaire rouge a simplement été remplacé par un commissaire brun. Résultat : l'Allemagne n'a pas mené une guerre européenne à l'Est mais simplement une guerre impérialiste et chauvine, en dépit de toute la propagande grande-européenne. La guerre des occasions perdues...
► Bert Van Boghout, Vouloir n°65/67, 1990. (texte tiré de Dietsland-Europa n°6/7, 1986)
♦ Source de tous les documents cités : Wolodymijr KOSYK, Das Drille Reich und die ukrainische Frage : Dokumente 1934-1944, Ukrainische Institut, München).
◘ Pour en savoir plus sur le nationalisme ukrainien, la question ukrainienne et le mouvement des partisans :
- Wolodymyr Kosyk, La politique de la France à l'égard de l'Ukraine, Mars 1917 - Février 1918, Publications de la Sorbonne, Paris, 1981.
- Zbigniew Kowalewski, « L'Ukraine : réveil d'un peuple, reprise d'une mémoire », in Hérodote n°54-55, juil.-déc. 1989.
- Witalij Wilenchik, « Die Partisanenbewegung in Weißrußland 1941-1944 », in Forschungen zur osreuropäischen Geschichte, Band 34, Osteuropa-Institut an der Freien Universität Berlin, Verlag Otto Harrassowitz, Wiesbaden, 1984 (Witalij Wilenchik évoque tous les réseaux de partisans : des communistes aux nationalistes en passant par les groupes juifs ; son étude est très fouillées et permet de comprendre divergences et antagonismes).
◘ L'Ukraine : une périphérie en mouvement
L'Ukraine, peuplée de 50 millions d'habitants, est un enjeu important pour la Fédération de Russie. Jadis, elle était le grenier à blé de l'empire. Aujourd'hui, elle commande l'accès de la Russie à la Méditerranée et des réseaux d'acheminement des hydrocarbures passent par son territoire.
On peut y distinguer 2 grands ensembles :
• L'Ukraine occidentale avec sa capitale, Lviv, tournée vers l'ouest. Elle abritait une importante communauté juive exterminée par les nazis. Sa langue dominante est l'ukrainien et sa religion, le catholicisme de rite byzantin, l'église uniate liée à Rome.
• À l'est, en revanche, l'Ukraine est tournée vers la Russie. Les Russes y représentent 40% de la population, on y parle russe. Les grands groupes énergétiques russes, tel Gazprom, y sont fortement implantés. En Crimée, qui bénéficie d'un statut d'autonomie, les Russes représentent les 2/3 de la population.
La Russie est le principal partenaire commercial de l'Ukraine, elle représentait 35,2% de ses importations en 2003. Elle est son unique fournisseur pour le gaz et le pétrole. Par ailleurs, 80% du gaz russe vendu en Europe transite par l'Ukraine. Cette dépendance a d'ailleurs incité Moscou à diversifier ses voies d'exportation en acheminant la production du gisement de Yamal (dans le nord de la Russie), par un gazoduc contournant l'Ukraine via la Biélorussie, la Pologne et l'Allemagne.
L'indépendance de l'Ukraine, parfois appelée la "Petite Russie", a été entérinée le 1er décembre 1991 par référendum. Dans la mythologie russe, Kiev est le berceau de la Russie : la principauté de Kiev fut longtemps le centre religieux et culturel de la Russie, jusqu'aux invasions mongoles du XIIIe siècle.
Puis l'Ukraine a été ballottée entre les puissances régionales : Pologne, Lituanie, Autriche-Hongire, Russie. Au lendemain de la Révolution d'octobre, l'Ukraine devient indépendante. Mais, en novembre 1920, à l'issue d'une guerre civile opposant forces communistes "rouges" d'une part, et, d'autre part, une coalition des forces "blanches" soutenues notamment par la Pologne et des forces anarcho-paysannes, les forces bolcheviques occupent l'Ukraine. L'Ukraine a payé cher son intégration forcée à l'URSS : terribles famines successives au cours de la guerre civile puis au moment de la collectivisation à la fin des années 20 [Holodomor] ; purges des intellectuels ukrainiens et exils de masse au Goulag dans les années 30. Aussi les ukrainiens ont-ils espéré retrouver leur indépendance à la faveur de la Seconde guerre mondiale. Comme en Lituanie, la guérilla a continué en Ukraine jusqu'au début des années 1950. N. Khrouchtchev a mis au pas l'Ukraine occidentale avant de devenir Premier secrétaire du PCUS. Après l'indépendance acquise grâce à l'éclatement de l'URSS en 1991, et le rapprochement avec l'Alliance atlantique en 1997 [mise en place du COU], l’élection présidentielle de fin 2004, puis celle de 2010, ont marqué de nouvelles étapes des relations entre l'Ukraine et la Russie.
Pour en suivre les enjeux, et comprendre en quoi cela renvoie à l'Europe, voici une série de textes sur l'actualité récente :
Les présidentielles ukrainiennes signalent le recul de l’hégémonie américaine
Le 13 février dernier [2010], l’ambassadeur e. r. K. Gajendra Singh, correspondant de la revue italienne « Eurasia », a publié son commentaire sur le résultat des dernières présidentielles en Ukraine. Le texte qui suit en est une synthèse, due à la plume d’Andrea Bogi.
Les résultats du second tour des présidentielles ukrainiennes ont sanctionné la victoire du candidat pro-russe Viktor Yanoukovitch, avec 48,95% des voix, contre Ioulia Timochenko, avec 45,47%. Environ 70% des citoyens inscrits ont exercé leur droit de vote lors de ces élections qui revêtaient une importance capitale dans la lutte stratégique qui oppose, en Ukraine, le camp occidental au « camp oriental ».
Le déroulement régulier de cette élection a été confirmé par plus d’un organisme international et par tous les observateurs, tant russes qu’américains, malgré les protestations de Mme Timochenko, que le vainqueur des élections a accusé, dans un entretien accordé à CNN, de trahir ses propres principes, avancés lors de la fameuse « révolution orange » de 2004 (financée et téléguidée par les États-Unis et par les organisations, fondations et marionnettes qu’ils manipulent partout en Eurasie).
Dans les commentaires que publiait le New York Times, on pouvait lire : « Timochenko a œuvré à diffuser la révolution orange qui a apporté, pour la première fois, la démocratie de type occidental en Ukraine. Sa défaite pourrait suggérer un reflux des principes de cette révolution orange, mais le fait que le pays a réussi à assumer des élections présidentielles controversées, qu’on considère désormais comme parfaitement régulières, nous fait au contraire croire que l’héritage de la révolution orange a survécu ».
Cet avis est partagé par le Professeur Olexej Haran, qui enseigne la politique comparée à l’Université Mohyla de Kiev : il souligne que la démocratie a obtenu un grand succès parmi les Ukrainiens, qui ont été fortement déçus de l’échec des réformes sociales et économiques qu’on leur avait pourtant promises.
Le Président américain Barack Obama a félicité à son tour Yanoukovitch, en lui adressant le commentaire suivant : « Le pas en avant en direction du renforcement de la démocratie en Ukraine est un pas positif », ce qui, pour Obama, constitue simultanément l’affirmation de la nécessité de continuer la coopération réciproque dans le but «d’étendre la démocratie et la prospérité, de protéger la sécurité et l’intégrité territoriale, de renforcer la légalité, de promouvoir la non prolifération et de soutenir les réformes économiques et énergétiques en Ukraine ».
Yanoukovitch a pourtant déclaré qu’il ne prendrait pas en considération l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN : « L’Ukraine s’intéresse aujourd’hui au développement d’un projet visant la création d’un système collectif de sécurité européenne. Nous sommes prêts à en faire partie et à soutenir l’initiative du Président russe Dimitri Medvedev ». C’est là une indication des plus claires : Yanoukovitch veut restaurer les liens avec la Russie, rompus à partir de 2004 à cause des politiques pro-occidentales de Youchtchenko.
Suite à la défaite de Yanoukovitch, il y a 5 ans, Youchtchenko avait opté pour une politique d’opposition à Moscou pour plaire à ses « mécènes », c’est-à-dire, aux États-Unis, au Royaume-Uni et aux autres, ce qui a causé de profonds dommages et pertes pour le pays. La situation qui en a résulté fut une querelle permanente avec Moscou pour fixer le prix du transit gazier vers l’Europe centrale et occidentale, querelle où les Ukrainiens n’ont vraiment pas gagner grand chose. Cette dispute a en outre permis aux organes de propagande occidentaux, comme la BBC et CNN, d’inventer force arguments pour médire de la Russie parce que celle-ci avait manifesté l’intention de fournir son gaz au prix du marché à l’Ukraine qui, en réaction, subtilisait ce gaz ou jugulait sa livraison aux pays d’Europe centrale et occidentale.
L’Allemagne entendait garder des relations économiques stables et fructueuses avec la Russie pour échapper à l’emprise de l’arrogance américaine. Berlin a garanti pour un milliard d’euro le coût du projet North Stream, qui veut faire passer un gazoduc sous la Baltique pour éviter tout transit par le territoire ukrainien ou par d’autres pays jugés peu sûrs ; l’ancien Chancelier Gerhard Schroeder a ainsi accepté d’être nommé par Gazprom au poste de chef du conseil d’administration. Le changement à Kiev est de bon augure pour les Ukrainiens, qui n’étaient plus que de simples pions sur l’échiquier Est/Ouest.
Immédiatement après la victoire de Youchtchenko, il y a 5 ans, les marines américains faisaient leur apparition dans la région pontique pour un exercice naval en Crimée, un territoire russe qui a été donné à l’Ukraine par le leader soviétique Nikita Khrouchtchev, d’origine ukrainienne et où stationne encore la flotte russe. La population russophone avait protesté et chassé les Yankees, les obligeant à quitter rapidement le terrain.
◘ K. G. Singh a été ambassadeur de la République Indienne en Turquie, en Azerbaïdjan, en Jordanie, en Roumanie et au Sénégal. Aujourd’hui, il préside la Foundation for Indo-Turkic Studies. Ce texte est tiré du site de la revue italienne Eurasia.
Ukraine : triste fin de la « révolution orange »
Youchtchenko n’a plus guère de chances pour les prochaines présidentielles : on s’attend à un duel Timochenko/Yanoukovitch
Le 17 janvier 2010, l’Ukraine se choisira un nouveau président. L’actuel président Voctor Youchtchenko, qui lutte pour sa réélection, n’a pas beaucoup de bonnes cartes dans son jeu. Dans les sondages, il ne fait pas de scores mirobolants et doit se contenter de taux d’approbation qui frisent les pourcentages à un seul chiffre ! Celui qui a le vent bien en poupe est l’ancien concurrent de Youchtchenko lors de la fameuse « révolution orange » de décembre 2004 et janvier 2005, Victor Yanoukovitch, qui approche les 30% dans les sondages, suivi par le chef du gouvernement, Mme Julia Timochenko, qui, elle, dépasser légèrement les 30%. D’après les études réalisées par l’Institut Centre Razoumkov, Yanoukovitch aurait les meilleures chances de succès. Toutefois, on ne peut pas prévoir à 100% la victoire du président du « Parti des Régions ». Pour quels motifs ? Selon le Centre Razoumkov, l’incertitude demeure à cause « du pourcentage relativement élevé de ceux qui sont contre tous les candidats, de même à cause du pourcentage tout aussi élevé de ceux qui expriment leur ‘déception générale’ à l’endroit de tous les candidats ». En tout et pour tout, quatorze candidats vont briguer la plus haute fonction de l’État.
Les faibles chances que les sondages accordent à Youchtchenko prouvent aussi l’échec misérable de la « révolution orange », déclenchée il y a 5 ans grâce à l’appui financier et logistique considérable de la fondation Open Society du milliardaire américain d’origine hongroise, Georges Soros. Cela n’étonnera personne : au cours de ces dernières années, la politique intérieure ukrainienne n’a pas été marquée par des bonds en avant mais par une querelle constante entre le président et son ancienne compagne de combat, Julia Timochenko.
Pour conserver encore le gouvernail du pouvoir, le président, aujourd’hui âgé de 55 ans, ne cesse plus de jouer la carte anti-russe, qui ne fait de l’effet que dans l’Ouest du pays. Courant novembre, il a demandé au gouvernement de revoir les contrats d’achat et de transit du gaz qui ont été signés antérieurement entre Gazprom et « Naftogas Ukrainy ». En réclamant une telle révision, il espère déclencher une nouvelle « guerre du gaz » avec la Russie. Selon les experts russes, cette démarche de Youchtchenko peut engranger des résultats parce que Moscou ne fermera pas les robinets de gaz, surtout pendant les élections ukrainiennes. Si les Russes le faisaient, ils procureraient à Youchtchenko un argument de choix, celui de dire que la Russie pratique à l’égard de l’Ukraine « une politique inamicale », explique Konstantin Simonov, directeur général de la Fondation pour la Sécurité Energétique Nationale, basée à Moscou.
Sur le plan de la politique extérieure, Youchtchenko n’a commis que des dégâts, en voulant à tout prix imposer sa vision d’une Ukraine totalement inféodée à l’OTAN. Les relations entre Moscou et Kiev, qui devraient normalement être cordiales, sont aujourd’hui tendues ; or le changement survenu à la Maison Blanche à Washington, début 2009, a fait perdre au président ukrainien des interlocuteurs importants. « Sous George Bush, Youchtchenko, qui suivait une politique pro-OTAN, était l’enfant chéri de la politique américaine. Depuis l’avènement de Barack Obama, nous n’avons plus rien entendu des Américains qui, vraisemblablement, attendent », explique le politologue ukrainien Nikola Primouch.
Entretemps, le gouvernement de Kiev cherche à normaliser ses relations avec le Kremlin. Le principal point de discorde entre les 2 pays réside dans le stationnement de la flotte russe de la Mer Noire en Crimée. Youchtchenko veut mettre un terme le plus rapidement possible à l’accord qui fixe la présence de cette flotte jusqu’en 2017, afin d’éliminer la principale pierre d’achoppement qui empêche l’Ukraine de devenir membre à part entière de l’OTAN. En octobre dernier, cependant, le ministre russe des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, lors d’une rencontre avec son collègue ukrainien Petro Porochenko à Moscou, a marqué son accord pour que « toutes les questions litigieuses soient réglées par les voies de la négociation sans politisation inutile et en tenant compte des intérêts des 2 parties ». La flotte russe de la Mer Noire, basée en Crimée, y resterait donc dans les prochaines années à venir. « Ni Kiev ni Moscou ne veulent une révision de l’accord-cadre en vigueur sur la flotte de la Mer Noire », a fait savoir Porochenko. L’accord avait été signé en 1997 et devait durer 20 ans, prévoyant, en l’une de ses clauses, un éventuel prolongement. Les Ukrainiens n’ont pas fait savoir s’ils accepteraient ce prolongement, désiré par le Kremlin.
Si Yanoukovitch gagne les présidentielles, comme semblent l’indiquer les sondages, alors la flotte russe de la Mer Noire restera en Crimée au-delà de l’année 2017. En effet, l’ancien président, qui a ses assises électorales dans les régions orientales de l’Ukraine majoritairement peuplées de Russes ethniques, est considéré comme le candidat du Kremlin. En revanche, si Mme Timochenko devient présidente, les Russes demeureront dans l’incertitude. Celle-ci cherche aujourd’hui à nuire à Youchtchenko pour des considérations de politique intérieure et opte donc, en apparence, pour une politique russophile. Il faut cependant savoir que cette dame blonde et élancée, avec ses longues tresses ramenées à l’avant de la tête, et qui lui font une étonnante couronne, a longtemps défendu une politique antirusse. Il y a 2 ans et demi, Mme Timochenko réclamait, dans un article publié dans Foreign Affairs à Washington, « que l’Occident se mêle ouvertement des affaires intérieures des pays de l’ancienne sphère d’influence et d’intérêt de la Russie et opère une politique d’endiguement contre elle , parce qu’à cause de ‘ses traditions impériales impitoyables’, elle harcelait ses voisins, États issus de la dissolution de l’ancienne Union Soviétique ». Et pour citer encore Timochenko : « Les relations entre la Russie et les États issus de l’ancienne URSS doivent être considérées comme un problème international, soumis aux règles reconnues de la politique internationale et non pas comme un problème qui ne concernerait que la seule Russie ». Pour cette raison, ajoutait-elle, l’Occident devait s’efforcer de créer « un contre-poids à l’expansionnisme de la Russie ».
► Bernhard TOMASCHITZ (article paru dans zur Zeit n°46/2009, Vienne ; tr. fr. : RS)
Ukraine : l’exécutif philo-atlantiste est dissous
La coalition philo-atlantiste, au pouvoir à Kiev, a été dissoute. Le président du parlement ukrainien, Arseny Yatseniouk, l’a annoncé, en même temps que la fin du gouvernement formé naguère par les putschistes de la révolution orange. La coalition avait été composée par le parti “Notre Ukraine” du président Viktor Youchtchenko et par le “Bloc” (BYUT) de Ioulia Tymochenko, l’actuel premier ministre. Les déclarations du président du Parlement ont confirmé le divorce entre les 2 partis du gouvernement, celui de Youchtchenko et celui de Tymochenko, tous 2 alliés lors de la fameuse “révolution orange” mais devenus, ces derniers temps, des rivaux absolus. Malgré toute cette effervescence, le président ukrainien a néanmoins manifesté son espoir de voir la majorité orange se reconstituer. La coalition, espère-t-il, pourrait se voir élargie aux centristes de Vladimir Litvine qui, pourtant, avait déclaré récemment, qu’il ne serait disponible que pour une coalition formée avec le “Parti des Régions” de l’ancien chef de l’exécutif, le pro-russe Viktor Yanoukovitch, et avec le BYUT.
À peu de mois avant la nomination de Mme Tymochenko à la direction du gouvernement de Kiev, qui, rappellons-le, avait été prévue pour décembre 2007, la coalition avait immédiatement montré ses faiblesses : elle n’avait qu’une majorité très juste, avec seulement 2 sièges de plus que l’opposition. Le gouvernement de Mme Tymochenko a tout de suite essuyé les critiques, non seulement de l’opposition, mais aussi de l’intérieur de sa propre coalition, en l’occurrence de la part du président Youchtchenko lui-même. Ce gouvernement, instable, a failli entrer plusieurs fois en crise. En juillet, son exécutif a perdu la majorité au Parlement, après le départ de 2 députés.
En août, sur fond du conflit russo-géorgien, Mme Tymochenko a essuyé bon nombre de critiques pour ne pas avoir soutenu ouvertement la Géorgie et pour n’avoir guère émis de critiques à l’endroit de la politique de Moscou. Le 3 septembre dernier, Youchtchenko a menacé de provoquer des élections anticipées après que le Parlement ait approuvé diverses mesures visant à réduire les pouvoirs du président au profit de ceux du premier ministre. C’est la quatrième crise politique d’envergure que connaît l’Ukraine depuis ces toute dernières années. Les causes du dissensus sont liées aux prochaines élections présidentielles, prévues pour l’année 2010, mais dont la campagne est censée commencer l’an prochain. C’est pour cette raison que le premier ministre est accusé de vouloir gagner les sympathies de Moscou, de façon à obtenir le soutien de la Russie pour sa candiudature à la présidence. Pour toute réponse, Mme Tymochenko, dans un entretien récemment accordé au quotidien de la City londonienne, le Financial Times, a nié les accusations de Youchtchenko en rappelant qu’elle ne contestait nullement l’intégrité territoriale de la Géorgie et qu’elle soutenait les positions de l’UE dans les négociations avec Moscou. Mais elle n’a pas manqué non plus d’accuser le président de vouloir exploiter à son profit le conflit russo-géorgien pour redorer son blason en vue des très prochaines présidentielles.
De récents sondages ont en effet révélé que Mme Tymochenko a de fortes chances d’aller bientôt occuper le fauteuil présidentiel car elle bénéficie d’un large consensus populaire. Ses scores seront toutefois talonnés de près par ceux de Yanoukovitch, tandis que le soutien du peuple à Youchtchenko tomberait sous la barre des 10 %.
Madame le premier ministre, à Kiev, n’a pas manqué de mettre le président en garde contre les bouleversements politiques actuels qui pourraient renvoyer à une date très ultérieure l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN ou ralentir une intégration plus étroite du pays à la dynamique de l’UE. En bref, la reine du gaz et actuel premier ministre semble vouloir jouer toutes ses cartes pour devenir présidente de l’Ukraine, en cherchant même à obtenir le soutien des forces pro-russes pour atteindre le but tant convoité.
► Andrea PERRONE (article tiré du quotidien romain “Rinascita”, 17 sept. 2008, tr. fr. : RS).
L’ombre de la CIA sur Kiev
Les Fondations Soros et Ford, la Freedom House et la CIA financent les “révolutions démocratiques” dans le monde
Le sort de la “révolution orange” en Ukraine, Monsieur James Woolsey y tient. Il ne peut en être autrement, puisqu’il est le directeur de la Freedom House, une organisation non gouvernementale américaine qui possède des sièges à Washington, New York, Budapest, Bucarest, Belgrade, Kiev et Varsovie. Elle se définit comme “une voix claire et forte qui veut la démocratie et la liberté pour le monde” et qui s’active “pour promouvoir les valeurs démocratiques et pour s’opposer aux dictatures”. Ce Monsieur J. Woolsey dirige une brochette de politiciens, d’universitaires, d’industriels et d’intellectuels “transversaux”. Il a été, il y a quelques années, en 1995, le directeur de la CIA avant de s’occuper à “exporter la démocratie et la liberté dans le monde”. Grâce aux efforts d’innombrables activistes, issus de la Freedom House, et grâce à l’assistance économique, si charitable, d’autres organismes, comme ceux, bien connus, que sont les Fondations Soros et Ford, ce M. J. Woolsey — dont les “honnêtes activités” s’étendent maintenant sur plus de 60 années — peut désormais concentrer ses efforts dans “la lutte pour la liberté”, dans des pays meurtris et abrutis par une quelconque mélasse dictatoriale. Le palmarès de Woolsey et de ses amis est impressionnant : ils ont soutenu le “Plan Marshall” en Europe, favorisé la création de l’OTAN dans les années 40 et 50, multiplié leurs activités au Vietnam pendant et après la guerre menée par ce peuple contre les Américains ; ils ont financé Solidarnosc en Pologne et l’opposition “démocratique” aux Philippines dans les années 80.
Ce sont là les activités les plus médiatisées de cette “bonne” ONG et c’est sans compter les actions de “vigoureuse opposition aux dictatures” en Amérique centrale, au Chili, en Afrique du Sud ou durant le “Printemps de Prague”. Elle a aussi favorisé l’opposition à la présence soviétique en Afghanistan. Elle a excité les conflits inter-ethniques en Bosnie et au Rwanda. Elle s’est opposée à la “violation des droits de l’homme” à Cuba, au Myanmar, en Chine et en Irak. Elle s’est ensuite montrée hyper-active dans l’exportation de la “démocratie et de la liberté” dans les républiques de l’ex-URSS et dans l’ex-Yougoslavie post-titiste. C’est précisément dans cette ex-Yougoslavie, où le “mal” était personnifié par le Président Slobodan Milosevic, que notre ONG a peaufiné ses stratégies d’intervention, afin de les exporter ensuite en d’autres contrées, où le contexte est plus ou moins analogue.
Notre bon M. Woolsey a donc accueilli au sein de son organisation Stanko Lazendic et Aleksandar Maric, 2 activistes serbes, peu connus de nos médias, mais qui ont joué un rôle-clef dans la chute de Milosevic. Ces 2 personnages figurent parmi les fondateurs du mouvement étudiant Optor (Résistance), aujourd’hui dissous, mais absorbé par le “Centre pour la révolution non violente” de Belgrade. Peu de temps avant la chute de Milosevic, le 5 octobre 2000, les militants d’Optor ont été invités en Hongrie, dans les salons de l’Hôtel Hilton de Budapest, où un certain Monsieur Robert Helvy leur a prodigué des cours intensifs sur les méthodes du combat non violent. Ce M. R. Helvy est un colonel à la retraite de l’armée américaine, vétéran du Vietnam. R. Helvy a admis, face à la presse étrangère, avoir été, en son temps, engagé par l’Institut International Républicain, l’IRI, basé à Washington, afin de former les jeunes cadres militants d’Optor. S. Lazendic a révélé que le colonel était présent lors des séminaires : “Mais quand nous sommes allés là-bas, jamais nous n’avions pensé qu’il pouvait travailler pour la CIA. Ce qu’il a enseigné, nous l’avons appris d’autres personnes”.
Aujourd’hui, les méthodes qui ont été enseignées au tandem “Lazendic & Maric” pour le compte de la Freedom House sont en train d’être appliquées en Ukraine. Elles consistent à “exporter le Verbe démocratique” de maison en maison, d’université en université, de place publique en place publique. Un travail analogue s’effectue en Biélorussie, mais, dans ce pays, la mayonnaise ne semble pas prendre. En Ukraine, en revanche, les 2 Serbes sont particulièrement actifs dans la formation et l’encadrement des militants et des cadres du mouvement Pora (C’est l’heure), qui est inféodé à Iouchtchenko et a reçu la bénédiction de Madeleine Albright et de Richard Holbrooke, les 2 stratèges de l’exportation de la “démocratie atlantiste”. La CIA, entre-temps, aide la “révolution orange” en marche depuis 2002 déjà, dès qu’elle a libéré 50.000 dollars pour créer la plate-forme internet de l’ONG qui s’oppose au duumvirat Kouchma-Yanoukovitch. Ensuite, elle a libéré 150.000 dollars pour créer un groupe de pression à l’intérieur du Parlement. Et encore 400.000 autres dollars pour former des candidats aux élections locales et des cadres syndicaux.
Cette stratégie ressemble très fort à celle qui vient d’être appliquée en Géorgie, lors de la “révolution des roses”, où Washington à soutenu Saakashvili. Maric est arrivé mardi 30 novembre à l’aéroport de Kiev, sans donner d’explication quant à sa présence dans la capitale ukrainienne. Lazendic vient de confirmer, dans un interview, “que son compagnon n’avait pas été autorisé à entrer sur le territoire ukrainien”, “tant que ses papiers ne seraient pas tous en ordre”. La carrière ukrainienne de ce Monsieur Maric a donc été interrompue, en dépit de sa grande expérience de commis voyageur à la solde de Washington en Géorgie et en Biélorussie. Lazendic, lui, se vante d’avoir “fait des séjours démocratiques” en Bosnie et en Ukraine. Le mouvement Pora, “actif dans la diffusion des valeurs démocratiques et dans l’opposition aux dictatures”, est désormais privé des lumières du sieur Maric. Mais que l’on soit sans crainte, les “démocrates” peuvent toujours envoyer leur contribution financière au “mouvement orange”, via un compte de la “JP Morgan Bank” de Brooklyn, New York.
► Siro ASINELLI (article paru dans Rinascita, Rome, 2 déc. 2004).
• À lire : La technique du coup d'État coloré (J. Laughland)
La main invisible des États-Unis
Sur les instruments indirects de la puissance politique américaine : « USAID », « Freedom House » et « National Endowment for Democracy »
Pour répandre la « démocratie libérale » dans le monde et, simultanément, pour étayer leur position hégémonique, les États-Unis ne se contentent pas de faire des guerres mais se servent aussi d’un bon nombre d’organisations et d’institutions. Parmi celles-ci, il y en a une, l’United States Agency for International Development, ou, en abrégé « USAID », qui occupe une place particulièrement importante. Les activités de cette agence indépendante, dont le siège se trouve dans l’immeuble Ronald Reagan à Washington, ne se limitent pas aux seules régions habituelles, qui ont besoin d’une aide au développement, comme, par ex., pour construire des routes ou des hôpitaux. Elle soutient aussi, comme elle le signale elle-même, « les objectifs de la politique extérieure américaine en apportant une aide aux partenaires locaux des États-Unis, afin de pouvoir rétablir dans les pays cibles ravagés par la guerre la paix et la démocratie ». Son objectif principal semble être de favoriser des « changements politiques » dans des pays récalcitrants, qui refusent de suivre l’exemple de « la Cité lumineuse sur la colline », c’est-à-dire les États-Unis, comme ils aiment à se décrire eux-mêmes. Car, comme l’affirme tout de go la ministre américaine des affaires étrangères Hillary Clinton, avec un sentiment de supériorité bien yankee, « le monde a besoin d’une direction ».
Les choses ont le mérite d’être claires : le renforcement constant de la position hégémonique est le leitmotiv permanent de la politique étrangère des États-Unis, indépendamment du fait que le président en place est un démocrate ou un républicain. Il n’y a de différences que dans la manière de faire valoir les intérêts américains : si les républicains, comme sous la présidence de George W. Bush, recourent à des moyens généralement militaires (la guerre contre l’Irak l’a prouvé de manière emblématique), les démocrates cherchent à agir de manière plus douce sur l’échiquier international, en camouflant plus habilement leurs intentions.
Quand il s’agit de maintenir et d’étendre le rôle hégémonique de l’Amérique dans le monde, alors les États-Unis n’hésitent pas à débourser des sommes d’argent considérables. En cette année 2009, le budget de l’USAID s’élève à quelque 54 milliards de dollars. L’organisation consacre dans ce contexte des sommes énormes, des dizaines voire des centaines de millions de dollars, à des États qui ne sont pas, à proprement parler, des pays en voie de développement. Ainsi, le Kosovo recevra en cette année 2010 une centaine de millions de dollars pour garantir son indépendance, qu’il a proclamée unilatéralement voici 2 ans contre la Serbie. Car, c’est, paraît-il, un « défi urgent », de mettre sur pied, dans cette province sécessionniste de la Serbie méridionale, des structures administratives en état de fonctionner, cas c’est une condition essentielle « pour intégrer le Kosovo dans les structures ouest-européennes et transatlantiques ». De même, devront aussi être tôt ou tard intégrés dans les « structures transatlantiques », c’est-à-dire dans l’OTAN, des pays comme la Bosnie-Herzégovine et même la Serbie, l’alliée traditionnelle de la Russie dans les Balkans, contre laquelle le pacte militaire animé par Washington avait déclenché une guerre en 1999.
L’USAID soutient également des organisations américaines non étatiques dont les objectifs sont tournés vers l’extérieur et qui se donnent pour but de répandre la « démocratie libérale ». Parmi celles-ci, nous avons avant tout la National Endowment for Democracy (NED), fondée en 1983 par le Président Ronald Reagan. La NED a reçu récemment 100 millions de dollars. Cette « fondation pour la démocratie » se présente elle-même comme « animée par la croyance que la paix est un objectif humain qui peut se réaliser par le développement d’institutions, de procédés et de valeurs démocratiques » mais, en réalité, elle est un volet civil et pratique du service secret américain actif en dehors des États-Unis, la CIA. En effet, la NED a été fondée quand les services ont appris que beaucoup de groupes d’opposition en dehors des États-Unis d’Amérique, que la CIA avait soutenu activement, étaient tombés en discrédit lorsqu’on avait appris le rôle des services américains dans leur émergence et développement. Il y a quelques années à peine, un ancien directeur de la NED, Allen Weinstein, reconnaissait sans circonlocutions inutiles : « Beaucoup d’actions que nous menons actuellement, la CIA les faisait en secret il y a 25 ans ».
Les activités actuelles de la NED sont tout à la fois remarquables et surprenantes : dans les années 80 du XXe siècle, le gros des activités de l’organisation était dirigé vers l’Amérique centrale, où le mouvement sandiniste, étiqueté « marxiste », recrutait des adeptes bien au-delà du Nicaragua ; depuis la fin de la guerre froide, le gros des activités s’est déplacé vers l’Europe orientale, avec, pour mission, d’inclure dans la sphère d’influence américaine les États qui s’étaient débarrassé du joug communiste soviétique. Ainsi, la NED a été partie prenante quand il s’est agi de lancer une campagne internationale contre le premier ministre slovaque Vladimir Meciar, considéré comme « nationaliste ». Ensuite, la NED a participé aux troubles qui ont agité la Serbie, la Géorgie et l’Ukraine.
Le 7 décembre 2004, à la veille de la « révolution orange » à Kiev, Ron Paul, député républicain à la Chambre des représentants, déclare devant la commission des relations internationales de cette même chambre : « Il est établi qu’une forte somme en dollars, payés par la contribuable américain, s’en est allée en Ukraine, pour soutenir l’un des candidats (ndlr : l’actuel président ukrainien Victor Iouchtchenko). Posons-nous dès lors la question : que ressentirions-nous si la gouvernement chinois essayait de soutenir l’un des candidats à la présidence aux États-Unis ? Un tel financement étranger serait considéré à juste titre comme illégal. Or c’est justement ce que nous faisons à l’étranger. Mais ce que nous ne savons pas, c’est le montant exact de la somme, prélevée sur nos deniers publics, qui s’en est allée pour influencer le résultat final du scrutin en Ukraine ».
L’Ukraine cependant demeure la cible principale des activités de la NED sur le continent européen. L’USAID, organisation américaine destinée à l’aide au développement, maintient son point de vue : il faut créer une Ukraine démocratique, prospère et sûre qui « pourra alors être entièrement intégrée dans la communauté euro-atlantique ». L’hégémonie américaine en Europe s’étendrait alors jusqu’aux frontières de la Russie. Ensuite, il faut aussi retourner la « Serbie récalcitrante » et faire de Belgrade une capitale sagement soumise aux volontés américaines.
Pour atteindre cet objectif, le National Democratic Institute (NDI) a obtenu le soutien de l’USAID afin de soutenir les « partis politiques favorables aux réformes », comme on peut le lire sur internet, de façon à « augmenter leurs chances lors d’élections ». par « favorables aux réformes », on entend toutes les forces politiques prêtes à soumettre tous les intérêts nationaux légitimes de la Serbie aux ukases de Washington et de l’eurocratie bruxelloise. Dans ce cadre, ces forces politiques, pour bénéficier de la générosité américaine doivent reconnaître notamment l’indépendance du Kosovo. Dans cette province sécessionniste, Washington entretient depuis 1999 une base militaire gigantesque de 386 hectares, le « Camp Bondsteel », destiné à devenir l’un des principaux points d’appui des forces américaines dans le Sud-Est de l’Europe.
Le NDI est une organisation proche du parti démocrate, qui « entend procurer aux dirigeants civils et politiques une aide au développement des valeurs, pratiques et institutions démocratiques ». La présidente de cette organisation n’est personne d’autre que Madeleine Albright, qui était ministre des affaires étrangères aux États-Unis lorsque l’OTAN menait la guerre contre la Serbie.
Depuis des années déjà, le point focal sur lequel se concentrent les multiples organisations propagandistes et lobbies américains, c’est la Russie. Alors qu’au moment de l’effondrement de l’Union Soviétique, il s’agissait principalement de former une nouvelle « élite » pro-occidentale, aujourd’hui, il s’agit plutôt de lutter contre des « tendances autoritaires ». Car la situation s’est modifiée depuis les « temps bénis » de la présidence de Boris Eltsine ; Moscou a retrouvé confiance en elle-même et s’est redonné une politique étrangère active. Les Russes entendent récupérer leur sphère d’influence perdue en Europe orientale et en Asie centrale et ne plus abandonner ces régions sans résister. Ce dynamisme contrecarre bien entendu les projets de Washington de vouloir dominer sans partage la masse continentale eurasiatique.
Conséquence de cette nouvelle confrontation Est/Ouest : dans les publications de tous ces organismes américains, qui font semblant de vouloir répandre la paix et la démocratie dans le monde, on trouve à foison des tirades très hostiles à l’endroit de la Russie, comme nous le montre, par ex., un rapport de la Freedom House. Cet organisme, financé aux deux tiers par l’État américain, a été fondé en 1941 et, parmi ses membres fondateurs, nous trouvons notamment Eleanor Roosevelt, épouse du Président Franklin Delano Roosevelt, franc-maçon de haut grade. En mars 2003, la Freedom House, qui coopère également avec la fondation Open Society du milliardaire George Soros, a soutenu l’attaque américaine contre l’Irak. Dans une déclaration de la Freedom House, on peut lire : « Du fond du cœur nous espérons que cet effort de guerre, où sont engagé les forces armées américaines, connaîtra un bon aboutissement et que la tyrannie de Saddam Hussein tombera avec un minimum de pertes en vies humaines ».
Dans un rapport de la Freedom House daté de juin 2009 et intitulé significativement « Russie – capitalisme sélectif et cleptocratie », la Russie est dépeinte comme un croquemitaine qui oppresse ses citoyens et constitue un danger croissant pour la paix dans le monde. Ce rapport critique le fait « que le Kremlin s’immisce partout dans les anciennes républiques de l’ex-URSS, dans leurs affaires intérieures et financières, dans leurs approvisionnements énergétiques et dans leurs communications stratégiques ». Le rapport ne mentionne pas, bien entendu, que les États-Unis font exactement la même chose !
La NED, en effet, soutient toute une série d’ONG russes, dont beaucoup, comme par hasard, s’activent dans la région septentrionale du Caucase, talon d’Achille de l’actuelle Fédération de Russie. Ainsi, au début de l’année, le Caucasus Institute Foundation (CIF) a reçu des subsides pour un total de 49.000 dollars ; quant au Comité tchétchène de sauvegarde nationale, il a reçu 75.000 dollars ; la Société pour l’amitié russo-tchétchène, elle, a dû se contenter de 25.000 dollars. Les services russes de sécurité reprochent à ces organisations soutenues par les États-Unis d’exciter encore davantage les esprits dans une région comme le Caucase du Nord, où la situation est déjà explosive ; l’objectif, ici, est d’obliger la Russie à mobiliser toutes ses ressources dans la pacification de son flanc sud.
La nouvelle politique étrangère de la Russie du tandem Medvedev/Poutine et la renaissance de la conscience géopolitique russe qui l’accompagne dérangent Washington mais il a plus dérangeant encore : la Russie, en dressant des barrières administratives contre les ONG financées et soutenues par l’étranger, impose de ce fait un verrou solide aux immixtions américaines. L’américanosphère riposte dès lors sur le front de la propagande : depuis des années, les écrits de la Freedom House dénoncent le soi-disant ressac en Russie des libertés démocratiques et prêchent pour que celle-ci soit dorénavant rangée dans la catégorie des « États voyous ». Très récemment, à la mi-janvier 2010, on peut lire dans un des rapports de la Freedom House : « Des États autoritaires comme l’Iran, la Russie, le Venezuela et le Vietnam ont renforcé récemment leur arsenal répressif ». En 2008, la Freedom House avait comparé l’état de la démocratie en Russie avec celui de la Libye et de la Corée du Nord ».
► Bernhard TOMASCHITZ (article paru dans zur Zeit n°3/2010, Vienne ; tr. fr. : RS).
♦ SYNERGIES EUROPEENNES – BRUXELLES / GENEVE - Décembre 2004 ♦
Chers amis,
Voici l’excellent dossier que consacre le quotidien de Suisse romande, “Le Temps”, aux événements qui ébranlent l’Ukraine aujourd’hui et qui sont en fait la répétition des événements antérieurs qui ont agité la Serbie, la Géorgie et la Biélorussie (où la tentative de subversion générale avait échoué). L’article interroge les acteurs de ces “putschs” déguisés et en apparence pacifiques et dévoile utilement certaines de leurs tactiques. Ces tactiques sont déployées pour le bénéfice de l’impérialisme américain, qui applique tout simplement la stratégie Brzezinski, qui consiste à fractionner les franges de la puissance qui détient la “Terre du Milieu” et d’éloigner cette dernière des littoraux des mers chaudes. L’objectif est aussi de rendre inopérant tout Axe Paris-Berlin-Moscou, en introduisant entre l’Allemagne et la Russie une sorte de nouveau “cordon sanitaire”, comme le voulait, après la révolution bolchevique, Lord Curzon. Les atlantistes, les trotskistes, les fondamentalistes islamistes et les néo-conservateurs (de l’entourage de Bush, qui sont, dans la plupart des cas, d’anciens trotskistes) orchestrent, à gauche et à droite de l’échiquier politique, l’application de la doctrine Brzezinski. Pour le plus grand malheur de l’Europe et de ses enfants, qui vivront dans un monde infernal et dans un espace politique n’autorisant aucun développement ni épanouissement. La prise de conscience de cette situation doit nous conduire à combattre sans relâche ni pitié les canailles atlantistes, alliées objectives de la crapule gaucho-trotskiste, qui souillent encore, de leur présence et de leur indécrottable bêtise, le milieu identitaire. L’atlantiste, le trotskiste, le fondamentaliste islamiste et le néo-conservateur sont des ennemis mortels de notre civilisation, de la Vieille Europe, de tout ce qui nous est cher. Ils ne méritent que la haine et le mépris : une créature qui ose, en Europe aujourd’hui, se dire pro-américaine, ne mérite plus l’honneur d’être un citoyen d’Europe, ne mérite plus d’être considérée comme héritière et partie intégrante de notre civilisation, car elle nie la valeur de tous nos héritages et prépare un monde de mort et de misère pour nos enfants. Le quotidien suisse “Le Temps” — sans nul doute grâce à la neutralité helvétique, où l’atlantisme n’est pas aussi puissant que dans les pays de l’OTAN — nous donne des armes pour résister et pour comprendre comment fonctionnent les mécanismes qui conduisent à notre asservissement.
L’internationale secrète qui ébranle les dictatures de l’Est
La Serbie en 2000, la Géorgie en 2003, l’Ukraine en 2004 : 3 pays, 3 révolutions populaires. Mais derrière les foules de manifestants s’active une nébuleuse d’activistes internationaux, de théoriciens de la non-violence et de financiers proches du gouvernement américain. Enquête.
Les manifestants installés depuis 18 jours dans le centre de Kiev imposeront-ils le réformateur Viktor Iouchtchenko à la tête de l’Ukraine ? Ou leur mouvement sera-t-il finalement étouffé par les manœuvres du président sortant Leonid Koutchma ? À des centaines de kilomètres de là, dans le centre de Belgrade, une poignée de jeunes Serbes se posent et se reposent cette question avec fébrilité. Membres de l’ancien mouvement étudiant Otpor (« Résistance »), fer de lance du mouvement qui a chassé du pouvoir en 2000 le président yougoslave Slobodan Milosevic, ils ne se reconnaissent pas seulement dans les protestataires aujourd’hui à l’œuvre, ils les connaissent très bien pour leur avoir porté assistance ces derniers mois.
C’est que tous les anciens d’Otpor n’ont pas quitté la scène politique après la chute de « leur » dictateur. Bien conscients que d’autres peuples d’Europe orientale continuaient à vivre sous d’autres régimes autoritaires, un certain nombre d’entre eux ont décidé d’exporter leur combat et de se reconvertir en militants internationalistes de la révolution non violente. Certains sont allés en Géorgie l’an dernier pour prodiguer leurs conseils aux jeunes militants du mouvement étudiant de désobéissance civile Kmara (« Assez ! »), qui a contribué à renverser l’ancien président Edouard Chevardnadze et à porter au pouvoir le réformateur démocrate Mikhaïl Saakachvili. D’autres se sont rendus plus récemment en Ukraine dans l’espoir d’y rééditer leur exploit. « Nous y avons été 26 fois entre les printemps 2003 et 2004 », se souvient Aleksandar.
Sur ce dernier terrain, les militants du Centre Otpor de résistance non violente sont à l’origine de 2 organisations subversives. La première, Pora (« C’est l’heure »), a été chargée de conduire une campagne de communication « négative », en dénonçant les inégalités : « Il s’agissait de pointer du doigt des problèmes sociaux, explique l’un d’eux. Des attaques contre les dysfonctionnements politiques n’auraient mobilisé qu’une minorité d’Ukrainiens. » L’autre organisation, Znayu (« Je sais »), a reçu pour mission de mener une campagne «positive», en expliquant comment éviter les détournements de voix, vérifier les listes électorales, s’inscrire pour la première fois, etc.
Les activistes serbes sont d’autant plus habiles et efficaces qu’ils sont solidement encadrés. Ils ont ainsi bénéficié en Ukraine du soutien financier d’une organisation basée à Washington et très proche du gouvernement américain, Freedom House, qui se trouvait déjà à leur côté en Serbie à l’automne 2000 et qui les a aidés à former, mais sans succès pour le moment, des jeunes biélorusses du mouvement Zubr (« Le Taureau »). En Géorgie l’an dernier, l’Open Society Institute (OSI) du financier George Soros a pareillement pris en charge la formation des militants de Kmara.
Et ce n’est pas tout. L’aide étrangère apportée aux activistes démocrates d’Europe orientale s’étend également à la formation. Ainsi, des séminaires de « formation des formateurs » ont été organisés outre-Atlantique – l’un d’eux a eu lieu le 9 mars dernier à Washington. Ces réunions, qui permettent des échanges d’expérience, réunissent de jeunes militants de terrain, tels ceux d’Otpor, ainsi que des anciens, tel Mukhuseli Jack, un acteur de la lutte anti-apartheid en Afrique du Sud. Ils attirent aussi des théoriciens de la lutte non violente, dont Jack DuVall, producteur d’un documentaire, Comment renverser un dictateur, qui a circulé sous le manteau dans de nombreux pays du monde, de la Géorgie à l’Iran, en passant par Cuba… Sans oublier certains proches du principal théoricien du mouvement, Gene Sharp, auteur d’un manuel traduit dans près de 20 langues, De la dictature à la démocratie.
Les organisations de base comme Otpor ne sont bien sûr pas capables d’imposer seules des révolutions. Pour provoquer un changement de régime, elles doivent cohabiter avec une opposition politique classique déterminée et s’appuyer sur un fort désir de changement au sein de la société. Il est parallèlement nécessaire que les régimes qu’elles affrontent leur laissent une liberté de mouvement minimale. À ces conditions cependant, fortes de leur courage juvénile et de leur art consommé de la subversion, elles sont devenues aujourd’hui le cauchemar de nombreux dictateurs.
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◘ Les hommes forts de la région s’organisent
Une anecdote raconte qu’en décembre 2003, lors des funérailles du président azerbaïdjanais Heydar Aliev auxquelles assistaient tous les dirigeants de la CEI, Vladimir Poutine aurait commenté la Révolution des Roses en déclarant de façon très crue à sa nouvelle homologue géorgienne par intérim Nino Burdzhanadze que « tous les dirigeants font dans leur pantalon » à l’idée qu’un mouvement similaire puisse survenir chez eux.
De fait, nombreux sont les régimes autoritaires de la région à prendre des mesures contre la contagion du modèle non violent. La coopération avec les services secrets russes a permis la rédaction d’une liste noire d’activistes que détiennent le KGB Biélorusse et le FBU ukrainien, et qui a servi à expulser de ces pays au moins 3 membres d’Otpor entre juillet et octobre. Autre exemple, plus médiatique, celui du chef d’État Kirghiz, Askar Akaev, qui s’est fendu d’un article dans le journal russe Rossiiskaya Gazeta, le 8 juin dernier, pour dénoncer « les nouvelles technologies internationales (pour organiser) des révolutions de velours ».
Vladimir Poutine a envoyé de son côté des conseillers politiques russes pour soutenir la campagne de son protégé ukrainien Viktor Ianoukovitch contre ce qu’il a lui-même appelé une intervention « coloniale » de l’Occident. Mais son geste s’est révélé parfaitement inefficace.
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◘ Gene Sharp : « L’essentiel est de diviser le camp adverse »
Le principal théoricien du mouvement, Gene Sharp, a quelques dizaines d’années d’expérience derrière lui. Et une volonté farouche de peser sur le cours des événements.
À 86 ans, Gene Sharp apparaît comme le principal théoricien du réseau international de révolution non violente à l’œuvre dans les pays d’Europe orientale. Pacifiste de la première heure durant la Seconde Guerre mondiale, il a approfondi sa réflexion en correspondant notamment avec Albert Einstein, avant de mettre ses théories à l’épreuve des faits sur des terrains aussi durs que la Birmanie. Interview.
• Le Temps : Ainsi, la non-violence peut résoudre des conflits…
Gene Sharp : Soyons clairs : nous ne parlons pas de résolution de conflit mais de conflit tout court, de combat qu’il s’agit de gagner. Notre rhétorique s’apparente plus à celle de la guerre qu’à celle de la négociation. La méthode convaincra si elle est efficace. Mon travail a consisté à chercher dans le passé des exemples de soulèvement pacifistes susceptibles d’améliorer nos méthodes dans l’avenir. La chute du mur de Berlin a apporté une multitude de cas d’étude. Les Tchèques, les Polonais, les Allemands de l’Est, les Baltes ont beaucoup improvisé, mais avec succès. Le Printemps de Pékin a échoué de peu. La société parallèle albanaise du Kosovo des années 90, ainsi que les protestations serbes de 91 et 96 se sont en revanche avérées trop symboliques : jolies, mais pas efficaces. Otpor, en 2000, a eu une approche beaucoup plus technique. Ils ont compris qu’il ne servait pas à grand-chose de clamer le bien ou de critiquer le mal. L’essentiel est de diviser le camp adverse, pour affaiblir sa police, son armée, ses différents piliers, pour le saper jusqu’à l’effondrement.
• Comment avez-vous commencé votre recherche sur la lutte non violente ?
L’Holocauste venait, en 1945, de se produire. Nous assistions impuissants à la pérennisation de la tyrannie stalinienne et à l’explosion de la première bombe atomique. Le monde faisait face à une immense violence. Comme beaucoup de jeunes de ma génération, je me suis engagé à l’époque dans des mouvements pacifistes mais j’ai vite dû déchanter. Aucun n’avait de réponse à la violence extrême ou aux dictatures. Bien souvent, ils n’étaient même pas intéressés par la question. J’ai alors découvert le pacifisme actif dans l’histoire. La non-violence n’est pas nouvelle. Le concept existait déjà dans la Chine antique! Gandhi est un exemple incontournable mais il y en a d’autres, des gens qui ignoraient souvent ce qu’ils faisaient, qui se voyaient perdus d’avance mais qui, parfois, gagnaient. J’étais alors journaliste à Londres, mais mes recherches me passionnaient. Je suis passé à l’université de philosophie d’Oslo, puis à Oxford, où j’ai trouvé un livre de Karl Deutcher, un philosophe allemand qui analysait les faiblesses des dictatures. J’ai pensé qu’on pourrait se concentrer sur ces faiblesses. J’ai aussi découvert les « sources de pouvoir » : Hitler, Staline et leurs semblables n’étaient que des pauvres types, mais ils s’appuyaient sur des structures. Si on peut étouffer ces dernières, alors les dictatures s’effondrent d’elles-mêmes.
• Quels sont vos projets ?
J’ai écrit une vingtaine de livres sur la non-violence. Certains sont traduits en 30 langues et disponibles sur Internet. Le Centre Albert-Einstein pour la non-violence, que j’ai créé à Boston, collabore avec Freedom House, le Centre des conflits non violents, l’Open Society Institute… Nous avons des contacts avec les Nations unies. Aujourd’hui, je ne suis plus tout jeune. Je verrais bien Otpor assurer la relève…
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◘ Milos, militant de l’ombre
Personne ne contestera à ce grand blond aux yeux bleus ses origines slaves. Milos Milenkovic a été membre fondateur d’Otpor en 1998, à l’âge de 19 ans. Depuis, il a participé à toutes les révolutions non violentes qu’a connues, de Belgrade à Kiev, sa région. Et s’il dirige aujourd’hui une ONG culturelle à Belgrade, il se tient prêt à aider d’autres oppositions si le besoin se fait sentir.
« L’Ukraine ? J’y suis interdit de séjour jusqu’au premier janvier de l’an 3000, assure-t-il. Le pouvoir a fini par repérer nos ateliers de formation, trop tard pour lui. J’y suis allé une vingtaine de fois à partir d’avril 2001. Nous avons eu nos premiers contacts avec les Ukrainiens à Minsk, quand nous avons entrepris de former les ONG biélorusses, dont Zubr. Ils avaient été invités en tant qu’observateurs à notre séminaire. »
Lors de ses premiers voyages en Ukraine, Milos n’a que 23 ans mais il possède déjà une grande expérience de la révolution. L’an 2000, il l’a passé à former les nouvelles recrues d’Otpor, avant de diriger les 35.000 étudiants qui ont donné l’assaut à la dictature de Milosevic, le 5 octobre. Ses débuts de « consultant en révolutions non violentes » n’ont pas été faciles. Beaucoup de ses interlocuteurs doutaient de son utilité et prenaient plus au sérieux les instructeurs occidentaux. « Nous, les Serbes, avons l’avantage de présenter un point de vue différent, commente le militant. Nous avons plus l’habitude de travailler dans des conditions difficiles, avec des budgets limités et sous une surveillance constante. D’ailleurs, avant de nous attaquer à notre propre dictature, nous avions nous-mêmes rencontré des Polonais de Solidarnosc et des Slovaques d’OK Campaign, qui nous ont bien aidés. »
L’engagement de Milos est total. Les budgets de ces premiers séminaires – expérimentaux – sont réduits, et comme les autres formateurs serbes de l’époque, le militant est bénévole. Mais il ne regrette rien. « J’ai eu beaucoup de problèmes, j’ai perdu mes jobs d’étudiant, les services secrets serbes m’ont passé à tabac plusieurs fois. Mais on a gagné. »
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◘ Quelques règles de base pour réussir sa révolution
Un harcèlement continuel vaut mieux qu’une attaque frontale, le rire que la force
Cocktail nouveau composé d’ingrédients anciens, les révolutions qui ébranlent depuis quatre ans l’Europe de l’Est mêlent intimement une base théorique inspirée des travaux de l’Institut Einstein et des trouvailles d’une bande de camarades de faculté qui ont cru, dans le Belgrade des années 90, que la dérision était l’arme la mieux adaptée à la quête d’une vie meilleure.
D’abord comprendre
Mais avant d’attaquer un régime autoritaire, il convient de comprendre comment il fonctionne. « La dictature de grand papa, où un tyran règne sans partage sur un pays asservi n’existe presque plus, explique Slobodan, la trentaine, ancien d’Otpor et de la Géorgie. À la place, nous avons aujourd’hui des fausses démocraties où des élections sont organisées, où une opposition vivote mais où, au final, la même tête se retrouve toujours au sommet, sous un titre ou un autre. » La description convient au Serbe S. Milosevic, qui a alterné les postes de président serbe et yougoslave, comme à l’Ukrainien Leonid Koutchma qui multiplie les manœuvres pour trahir la vox populi.
Or, ces dictatures s’appuient sur un certain nombre de piliers: police, armée, médias serviles, justice aux ordres, population obéissante… L’idée fondamentale de nos révolutionnaires est qu’un renversement du pouvoir passe par l’affaiblissement préalable de ces soutiens. Dans cette lutte, les coups les plus divers peuvent servir. En Serbie, dans les petites villes où tout le monde se connaît, les mères de militants arrêtés harcelaient la police locale de coups de téléphone implorant le pardon pour leurs adolescents de fils. À Kiev, de jolies jeunes filles ont fleuri les boucliers du cordon de sécurité du palais présidentiel, en demandant aux jeunes policiers s’ils allaient « vraiment les frapper ». Le rire est une autre arme redoutable. Otpor a fait la quête pour « payer Milosevic afin qu’il quitte le pouvoir » ; l’opposition Orange pour financer l’enterrement de Koutchma. Mais attention ! La communication doit aller crescendo. Et puis il y a une multitude de petits trucs à connaître. « Un autocollant s’arrache en un instant, note Slobodan. Mais si vous le lacérez à coup de rasoir, il s’effritera sous les doigts de ceux qui voudront le décoller et il en restera toujours un morceau… »
Plus largement, les révolutions de Kiev, Tbilissi et Belgrade se sont articulées sur 2 campagnes de communication. L’une, négative, critique les travers du pouvoir: corruption, pauvreté, manque de libertés… L’autre, positive, incite l’électorat à se mobiliser. Elle se base sur un calcul simple : « Les partisans du pouvoir votent de toute façon, explique un employé du Cesid, une ONG serbe spécialisée dans la surveillance des élections. Le tout est donc d’amener les autres aux urnes. »
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◘ Succès et échecs
La Révolution d’octobre en Serbie
En janvier 2000, les organisations non gouvernementales serbes imposent leur réunification à une opposition politique divisée, qui entame une reconquête du pouvoir en s’appuyant sur un mouvement étudiant très populaire, Otpor. En juillet, le président Milosevic décide par surprise de remettre en jeu son poste de président de Yougoslavie. Après le scrutin truqué du 24 septembre, une grève générale s’organise et paralyse le pays. Le 5 octobre, la « Marche sur Belgrade » de 700.000 personnes (10% de la population) aboutit, en 5 heures d’insurrection populaire, à la prise du parlement et à l’effondrement du régime.
La révolution des Roses en Géorgie
En novembre 2002, des ONG géorgiennes contactent Otpor pour s’inspirer de l’expérience serbe. Des rencontres sont organisées par l’Open Society Institute (OSI) du milliardaire américain d’origine hongroise George Soros. Un réseau d’activistes et le mouvement étudiant Kmara se construisent, avec l’aide de l’OSI et du National Democratic Institute, une fondation politique américaine liée au Parti démocrate. Ces militants et l’opposition politique réunie derrière Mikhail Saakachvili contestent pendant 3 semaines le résultat des élections du 2 novembre et, le 22 décembre, la rose à la main, une foule envahit le parlement. Le président Edouard Chevardnadze prend la fuite.
Tentatives ratées en Biélorussie
Tentée en 2001 et 2004, la contestation en Biélorussie, qui s’appuie notamment sur le mouvement étudiant Zubr (« Le Taureau ») a échoué pour le moment. L’opposition politique harcelée par le pouvoir ne réussit pas à se renforcer. Le pouvoir entretient un sentiment de peur du changement dans les campagnes, s’assurant ainsi un réservoir de voix appréciable. Le 17 octobre au soir, jour d’élection, une manifestation d’environ 2.000 personnes s’est formée dans le centre de Minsk, avant d’être violemment dispersée par les forces de sécurité, qui ont procédé à des arrestations. Le président A. Loukachenko est accusé de graves violations des droits de l’Homme.
La révolution orange d’Ukraine
Préparée depuis le printemps 2003, la Révolution Orange aurait dû avoir lieu aux élections législatives de 2006, car ni l’opposition ni les ONG d’activistes n’étaient unies face au président sortant. Il a fallu le résultat contesté du premier tour pour que les socialistes se joignent à Iouchtchenko et que les organisations concurrentes « Pora jaune » et « Pora noir » s’unissent. Le mouvement a failli triompher lors d’une prise du parlement par Youlia Timochenko, numéro 2 de la liste « Notre Ukraine », le 30 novembre. Organisé par une population peu habituée à la contestation, le soulèvement a fortement ébranlé le pouvoir mais ne l’a pas (encore ?) abattu.
Figures historiques
♦ Isidore de Kiev
• 27 avril 1463 : Mort à Rome d'Isidore de Kiev (né en Thessalonique en 1385), qui fut patriarche grec-orthodoxe en Russie, puis cardinal à Rome. Il a tenté de réunir les églises chrétiennes de l'Est et de l'Ouest devant la menace turque. L'Empereur byzantin Jean VIII Paléologue l'envoie en 1434 au Concile de Bâle, pour parfaire la réunification des églises. Byzance le nomme Patriarche de Kiev et de toutes les Russies. Après de nombreux avatars, il rédige, avec le Cardinal grec Jean Bessarion, le document de l'unification, proclamée le 5 juillet 1439, ce qui lui permet de devenir en même temps “Cardinal de Ruthénie” (Ukraine). Kiev est donc “unie”, mais Moscou refuse la teneur du document d'unification : ni le grand prince Basile II ni le clergé russe ni le peuple n'entendent agréer à cette déclaration. Il est condamné par un tribunal écclesiastique pour apostasie et assigné à résidence au monastère de Chudov près de Moscou.
Réussisant à s'enfuir 2 ans plus tard, en septembre 1443, il retourne vers l'ouest. Le Pape Nicolas V le renvoie à Constantinople en 1452. Il participe activement à la défense de la ville contre les Turcs ; au cours du siège, il annonce aux Byzantins l'unification des 2 églises au cours d'un prêche dans Sainte-Sophie, ce qui sied à la Cour et à la hiérarchie mais non au peuple, qui continue à proclamer sa haine de la papauté romaine. Isidore de Kiev et ses hommes prennent alors les armes et montent au créneau pour défendre la ville. Isidore y sera blessé, mais parviendra à fuir, vers la Crète d'abord, avant de rentrer à Rome en 1454, où il rédige un récit poignant de la chute de Constantinople, Epistula lugubris [Lettre d'affliction]. Le Pape Pie II le nomme, à titre honorifique, “Patriarche Grec de Constantinople”.
♦ Symon Petlura
C’est à Poltava, dans une Ukraine asservie et divisée entre empires russe et austro-hongrois que naquit le jeune Symon dans une famille descendante de cosaques appauvris, en mai 1879. L’émergence du sentiment national chez ce peuple farouchement attaché à sa liberté et son identité s’était accélérée à la fin du XIXe siècle, surtout dans la partie autrichienne (Galicie). Dans l’empire des tsars, au contraire, les Ukrainiens, qualifiés de « Petits Russes » subissaient une domination quasi coloniale nantie d’une répression impitoyable et d’une interdiction de leur langue, dont l’existence même était niée. Dès sa tendre enfance, Petlura montre une capacité de travail et une intelligence peu communes alliées à une grande sensibilité.
◘ Itinéraire d'un patriote : 1901-1917
Très tôt acquis à la cause nationale, il adhère au Parti révolutionnaire Ukrainien (RUP) et se fait virer du séminaire en 1901. Pour échapper à la police, il doit partir dans le Kouban où il participe à la rédaction de plusieurs publications nationalistes.
À l’automne 1904, Petlura se trouve en exil à Lviv en Galicie, après un premier séjour en prison, où il devient un membre dirigeant du Parti social démocrate ouvrier ukrainien. Le mouvement national ukrainien de cette époque est très hétérogène et fortement marqué à gauche avec un mélange particulier de socialisme et de fédéralisme. Dans cet environnement idéologique, Petlura s’affirme clairement antimarxiste et s’impose par son éloquence et son pouvoir de persuasion. Son activité débordante de militant et de publiciste dans de multiples journaux et les bons soins de la police tsaristes le font voyager de Saint-Pétersbourg à Kyiv pour aboutir enfin à Moscou en 1912 où il épouse sa compatriote Olha Bilska qui lui donnera une fille unique.
À la veille du premier conflit mondial, Petlura est mobilisé sur le front sud ouest et affecté comme délégué général adjoint aux services auxiliaires pour former et préparer au combat les recrues ukrainiennes de l’armée impériale : 3 millions de ses compatriotes luttent dans les rangs tsaristes alors que 250.000 revêtent l’uniforme autrichien.
◘ La lutte pour l'indépendance : 1917-1919
L’heure de la délivrance sonne pour l’Ukraine avec la révolution de février 1917 qui prend une coloration fortement nationale sur la vieille terre des cosaques zaporogues. À Kyiv, Petlura intègre un parlement provisoire, la Rada centrale, représentatif de toutes les forces vives du pays, incluant les minorités nationales, qui se met en place dès le mois de mars. En tant que président élu de l’Organisation militaire ukrainienne, il convoque 3 congrès militaires pan-ukrainiens à Kyiv pour constituer l’embryon d’une armée nationale et doter la Rada de forces crédibles.
Il se heurte à la fois à l’opposition du gouvernement provisoire de Kerenski, mais aussi aux réticences de nombreux responsables socialistes ukrainiens, idéalistes et antimilitaristes, comme Hrouchevskyi et Vynnytchenko. Il se distingue également en se montrant attaché à la poursuite de la guerre aux côtés des pays alliés de l’Entente et mise de grands espoirs sur la France. Au moment où survient la révolution bolchevique, l’Ukraine s’est engagée dans une marche irrésistible vers la souveraineté qui aboutit le 20 novembre 1917 à la création de la République populaire ukrainienne (UNR).
Cela est inacceptable pour Lénine qui lance une première invasion du pays après un ultimatum et la création d’une république bolchevique fantoche à Kharkiv. Petlura, en désaccord avec Vynnytchenko qui désire sortir de la guerre et participer aux pourparlers de paix avec les empires centraux, avait déjà démissionné de son poste de secrétaire général aux affaires militaires et gagné la province pour former de nouvelles unités. À la tête d’un corps d’armée il se distingue par son courage et son abnégation dans la résistance à l’envahisseur.
Après la proclamation de l’indépendance de l’UNR le 22 janvier 1918, Kyiv est investie une première fois par les bolcheviks après le départ du gouvernement dont les délégués signent la paix de Brest-Litovsk avec les empires centraux le 9 février. Les armées allemandes et austro-hongroises envahissent le pays et repoussent les bolcheviks dans l’espoir de faire main basse sur les immenses ressources de ce traditionnel « grenier à blé ».
Un coup d’État soutenu par les Allemands propulse au pouvoir le général Pavlo Skoropadskyi qui se fait nommer hetman et établit un régime conservateur et monarchique, sans assise populaire, en dépit d’une œuvre non négligeable dans la promotion de la culture ukrainienne. Ami de l’Entente, Petlura quitte l’armée, avant d’être emprisonné quelque temps par les Allemands, puis prend part au soulèvement contre l’hetman qui abdique le 14 décembre 1918 et s’enfuit en Allemagne. La Rada revient à Kyiv et un Directoire de 5 personnes assure le pouvoir. Petlura y occupe la fonction d’otaman général, c'est-à-dire de chef suprême des armées de la République. Il se consacre énergiquement à l’organisation des forces militaires, qui, à part quelques régiments réguliers disciplinés, sont composées d’un trop grand nombre d’unités hétéroclites et volatiles.
Mais la guerre reprend en ce début d’année au moment où un vieux rêve ukrainien se réalise, l’union, le 22 janvier 1919, avec la Galicie qui avait proclamé son indépendance 2 mois plus tôt sous le nom de République populaire d’Ukraine occidentale (ZUNR). Dans ce champs clos qu’est devenue l’Ukraine, les invasions et les fronts se multiplient avec l’intervention de plusieurs armées, toutes adversaires du Directoire. Les Bolcheviks avec l’Armée rouge organisée par Trotsky ouvrent le bal, suivis de peu par les Polonais de Pilsudski, nouvellement indépendants et qui n’avaient pas renoncé à la Galicie, longtemps restée sous leur domination. Au sud du pays, les troupes françaises et grecques débarquent pour choisir de soutenir l’Armée blanche du général Dénikine, lequel, fidèle à sa vision d’une Russie une et indivisible, considère qu’un « séparatiste » ukrainien ne vaut pas mieux qu’un Bolchevik. Il ne faut pas oublier, dans ce tableau dantesque, les Roumains qui s’emparent de la Bucovine, les cavaliers anarchistes de Nestor Makhno et surtout les innombrables bandes de soldats perdus, de bandits et de paysans qui, sous la conduite de chefs autoproclamés, écument le pays, se vendant souvent au plus « offrant ». Petlura prend la tête du Directoire après le départ de Vynnytchenko, ce qui consacre le triomphe des nationaux démocrates sur les socialistes-révolutionnaires.
Mais, à ce moment là, en dépit d’un engagement total sur le terrain, à la tête d’une armée sous-équipée et sans grande cohésion, Petlura ne contrôle plus grand-chose et s’efforce de sauver ce qui peut encore l’être. Comment pourrait-il en être autrement dans ce pays plongé dans un chaos indescriptible où, entre flux et reflux incessants des armées, se succèdent massacres, exactions et dévastations. C’est dans ce contexte qu’interviennent des pogroms généralisés contre les populations juives au cours desquels les veilles haines accumulées éclatent et provoquent des dizaines de milliers de victimes. Il est important de préciser un fait indéniable, à savoir que toutes les forces en présence se sont rendues coupables de tels actes : des Blancs aux Rouges en passant par les Polonais, les anarchistes ou les diverses bandes irrégulières qui parcouraient le pays.
Des détachements de l’UNR ont aussi été concernés, mais nous savons aujourd’hui, à la lumière de travaux sérieux et impartiaux, qu’il s’agissait généralement de troupes plus ou moins ralliées qui échappaient à tout contrôle efficace de la part du commandement général. Petlura s’est toujours montré personnellement dénué de toute forme de judéophobie et était, de plus, conscient que les pogroms causaient un tort important à la réputation de son pays. Il lutta énergiquement contre ces excès par la formation de commissions d’enquête, des proclamations aux troupes, des indemnisation aux victimes et l’application de la peine de mort pour les auteurs de massacres.
Il faut également noter que le gouvernement de la Rada a, dès ses débuts, pratiqué une généreuse politique en faveur des minorités nationales, notamment les Juifs qui comptèrent plusieurs ministres aux affaires. Politique, d’ailleurs, pas vraiment suivie en retour. Tous ces faits historiques sont indiscutablement établis aujourd’hui autant par des chercheurs dignes de foi que par des personnalités juives marquantes comme le sioniste Vladimir Jabotinsky ou l’historien Léon Poliakov.
◘ L'étau se reserre : 1919-1920
En août 1919, la situation est devenue intenable, l’armée ukrainienne, en proie à une épidémie de fièvre typhoide et au blocus de l’Entente, bat en retraite et Petlura, en désespoir de cause, se résigne à rechercher l’appui des Polonais. Celui-ci se concrétise dès avril 1920 et se fait aux prix de conditions très dures dont l’abandon de la Galicie et de la Volhynie, ce qui coûte à Petlura une partie de sa popularité en lui aliénant les Ukrainiens de l’Ouest et le privant du soutien militaire des unités galiciennes.
Une offensive conjuguée des forces ukraino-polonaises libère à nouveau Kyiv, la dernière fois d’ailleurs pour une ville qui aura changé à 9 reprises de maître en l’espace de 2 ans et demi ! Mais la contre offensive soviétique renverse la tendance et arrive jusqu’à Varsovie au moment où se produit le « miracle de la Vistule »au cours duquel, fait méconnu, les unités de Petlura jouent un rôle décisif en contribuant à sauver la Pologne et l’Occident de la menace bolchevique.
Pressés par la France, les Polonais abandonnent leur allié ukrainien et se partagent le pays avec les Soviétiques après la signature du traité de Riga en octobre 1920. Le combat est désormais inégal, l’armée ukrainienne se replie en Galicie pour y être désarmée et internée. Pour Petlura et ses compagnons, c’est le commencement de l’exil.
◘ En exil à Paris
Après plusieurs étapes européennes, Symon Petlura arrive à Paris en octobre 1924 avec les siens. Il va y mener une vie simple et active, logeant dans un petit hôtel du Quartier Latin et dirigeant le gouvernement ukrainien en exil, multipliant ses efforts pour unifier l’émigration tout en maintenant des contacts avec la patrie occupée. Plus que jamais, il offre l’exemple d’un homme intègre et désintéressé, entièrement dévoué à son idéal.
Le 25 mai 1926, sortant d’un restaurant rue Racine et se dirigeant vers le boulevard Saint Michel, il est lâchement abattu de 5 balles par le juif Samuel Schwarzbard. Ce personnage, militant anarcho-communiste au passé trouble, justifie son crime par son désir de venger les pogroms antijuifs en Ukraine.
Après des funérailles grandioses, le procès de l’assassin se tient du 18 au 26 octobre 1927. Schwarzbard était défendu par une vedette du barreau de l’époque, un certain Henry Torrès, communiste notoire. Celui-ci, en écartant soigneusement les éléments et les témoignages gênants pour son client, transforme ce jugement en procès spectacle très médiatisé au cours duquel la victime sera érigée en bourreau. Il fait habilement passer le meurtrier pour un honnête militant de la Ligue des droits de l’homme n’ayant somme toute commis qu’un crime passionnel à l’encontre d’un affreux criminel de guerre avant la lettre.
Or, il est clairement avéré que Schwarzbard a agi pour le compte des services secrets soviétiques dans le cadre d’une campagne de propagande bien orchestrée par Moscou, relayée sur place par les compagnons de route et de nombreuses organisations juives du monde entier. C’était tuer une deuxième fois la victime en l’érigeant injustement comme bouc émissaire de tous les pogroms commis durant cette tragique période. Dans cette ambiance passionnelle et viciée, Schwarzbard fut donc acquitté par la Cour d’assises de la Seine sous les acclamations de la foule.
Pour le peuple ukrainien et tous les patriotes sincères du continent, Petlura, malgré des décisions discutables, laissera le souvenir d’un homme d’État et d’un chef juste et énergique, ardent combattant d’une Ukraine libre et indépendante aujourd’hui tiraillée entre les sirènes atlantistes et les nostalgies impériales du « grand frère » russe.
► Pascal LANDES, 2007.
◘ Pour en savoir plus :
• Alain DESROCHES : Le problème ukrainien et Simon Petlura, Nouvelles Éditions Latines, 1962.
• Borys MARTCHENKO : Simon Petlura, 1976.
• Taras HUNZCZAK : Symon Petlura et les Juifs, 1987.
Ces 2 derniers ouvrages sont édités par la bibliothèque ukrainienne Symon Petlura, 6, rue de Palestine, 75019 Paris où il est possible, outre la consultation de nombreux ouvrages sur tout ce qui touche de près ou de loin à l‘Ukraine, de visiter un petit musée consacré à l’otaman.
La carte des déplacements historiques de l'Ukraine, tirée de la Nouvelle Géographie Universelle d'Elisée Reclus, 1880. « Les noms de Petite-Russie (Malo-Russie, Russie Mineure), d'Oukraïne, de Ruthénie ont une valeur essentiellement changeante, variant avec toutes les oscillations historiques et même suivant les divisions administratives. Aucun de ces noms géographiques ne se rapporte exactement aux pays habités par la race malo-russienne, car celle-ci, groupée d'abord en confédération flottante, n'a jamais eu d'unité politique : même sans compter les Ruthènes d'outre-Carpates qui vivent dans l'État des Magyars, les autres Petits-Russiens sont restés depuis le XIVe siècle longtemps divisés entre la Pologne et la Lithuanie. Ceux de la région centrale, sur les bords du Dńepr [Dnipro], eurent a peine réussi, au XVIIe siècle, à conquérir une certaine autonomie, sous forme d'une république cosaque, qu'ils la perdirent bientôt en se mettant sous la protection du royaume de Moscovie, devenu, grâce à ses vastes dimensions, la Russie par excellence. Quant au peuple de l'ancienne Russie, c'est-à-dire de la Kiyovie [Kiévie], il n'est connu sous son ancien nom de Roussine ou Rousńake que sur ses frontières occidentales, là où les différences ethnographiques sont encore accrues par celles de la religion. Lorsque le nom de Petite-Russie apparut pour la première fois dans les chroniques byzantines, à la fin du XIIIe s., il s'appliquait à la Galicie et à la Volynie, puis il devint l'appellation de la région du Dńepr moyen ou de la Kijovie, distinguée ainsi de la Moscovie, où résidait le chef de l'Église russe. De même le nom d'Oukraïne, "frontière" ou "marche" n'a cessé de se déplacer suivant tous les changements de confins. Il fut employé d'abord pour la Podolie, pour la distinguer de sa maîtresse la Galicie, puis, quand le bassin du Dńepr passa sous la domination de la Lithuanie, le nom d'Oukraïne s'attacha à ses provinces méridionales, entre le Dńepr et le Boug. Dans l'État polonais, l'Oukraïne devint par excellence le pays des Cosaques malo-russiens. Mais la Grande-Russie eut aussi ses "frontières", c'est-à-dire ses Oukraïnes, dans l'une desquelles se formèrent au XVIIe siècle les colonies libres ou slobodî malo-russiennes, partagées maintenant entre les gouvernements de Kharkov, de Koursk et de Voronej. Dès qu'un pays se peuplait, que des villes s'y fondaient et que les habitants se constituaient en communautés pacifiques et en même temps moins autonomes, ce pays cessait d'être une Oukraïne ; mais partout où s'établissait le Petit-Russien relativement libre, il apportait avec lui le nom d'Oukraïne pour la terre qu'il parcourait. »
◘ Bataille pour l'énergie, de l'Ukraine à l'Arctique
En juillet [2008], mon article "Bataille pour l'Arctique" repris sur Yahoo actualités prévoyait que le grand nord serait une des zones de bataille du siècle qui commence, une bataille qui pousserait les puissances dominantes actuelles (Occident et Russie) mais également les puissances émergentes comme la Chine a "nordiser" leur politique géo-énergétique. Cette théorie est partagée avec un certain nombre de mes confrères, géopoliticiens et bien d'autres journalistes avisés.
Les tensions vers l'Arctique sont liées à la future guerre pour l'énergie entamée il y a déjà bien longtemps mais qui va plausiblement s'intensifer de façon drastique dans les mois et/ou les années qui viennent. La situation de "tension" actuelle liés à la crise du Gaz est également un symptôme annonciateur.
Le site Kommersant titrait récemment que L'administration US a rendu publique le 12 janvier la directive du président Georges W. Bush sur la politique américaine en Arctique. Repris sur Ria Novosti et traduit en francais, voila globalement le contenu de l'article que je vous retranscris ici titré : "Vers une confrontation en Arctique ?"
Le document exige que le Sénat ratifie dans le plus bref délai la convention internationale sur le droit de la mer, qui réglera le partage de l'Arctique. Seulement, le Conseil de sécurité de Russie a lui aussi élaboré une nouvelle stratégie de mise en valeur de la région. Selon le représentant spécial du président russe pour la coopération en Arctique, Artur Tchilingarov, son essence réside dans les paroles suivantes : "Nous ne cèderons l'Arctique à personne".
On ne sait pas encore au juste quels sont les réserves de gaz et de pétrole de l'océan Arctique, mais selon le Service géologique américaine, il possède 20% des hydrocarbures mondiaux.
La demande de ratifier la convention internationale sur le droit de la mer est le point le plus important de la directive du président sortant, a indiqué une source du Kommersant au ministère russe des Affaires étrangères. Les États-Unis restent jusqu'à présent le dernier pays arctique à n'avoir pas ratifié la convention, ce qui constitue un des obstacles au partage international de l'Arctique.
Artur Tchilingarov a confirmé hier que la présence russe dans l'océan Arctique serait activement élargie. Il a également indiqué que le travail sur l'argumentation des prétentions russes au plateau continental arctique continuait et même touchait à sa fin. Tous les documents prouvant que le Pôle nord appartient à la Russie pourraient être transmis à l'ONU dès 2010. M.Tchilingarov a déclaré auparavant que si l'ONU ne reconnaissait pas le droit de la Russie sur le Pôle nord, le pays se retirerait de la convention sur le droit de la mer.
"Il est évident qu'un "front arctique" sera une réalité dans quelques années : les enjeux sont trop importants", fait remarquer le directeur des programmes politiques du Conseil pour la politique extérieure et de défense Andreï Fedorov. "Les positions de la Russie sont pour le moment plus solides que celles des autres pays, mais il ne faut pas s'imaginer que cela va durer très longtemps".
Un signal rouge qui vire au violet alors que la Cour internationale de justice (CIJ) de l'ONU vient au même moment affirméee être "disposée" (compétente ?) à trancher les litiges susceptibles de surgir autour du plateau continental de l'océan glacial Arctique, riche en hydrocarbures et que la guerre du gaz fait rage au cœur de l'Ukraine, véritable partie d'échec a 3 entre la Russie, l'Union de Bruxelles et l'Ukraine Orange. Rappellons par une carte la position pour l'instant essentielle de l'Ukraine pour le transfert du gaz Russe vers l'Europe.
C'est parce que l'Ukraine Orange (sous pression lobbiyque de forces qui tentent de saper les relations Russo-Européenes) n'est pour l'instant pas un partenaire fiable (preuve en est les évenements actuels) que le gouvernement Russe souhaite "diversifier" les approvisionnements vers l'Europe et ne pas être dépendant des humeurs d'un président en carton nommé par la CIA et Soros ! Pour cela, les projets NORTH STREAM et SOUTH STREAM semblent être des solutions sûres et fiables pour garantir l'approvisionnement vers l'Union Européenne (cf. carte ci-dessous).
► Alexandre Latsa.