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  • Pagan Tour

    Tour d'Europe des initiatives mues par une sensibilité païenne.

    >>> entrée en construction >>>

    ◘ Allemagne :

    Un seul dieu conduit à l'uniformité,
    beaucoup de dieux conduisent à la pluralité

    ◘ Entretien avec Géza von Neményi, animateur de la “Germanische Glaubensgemeinschaft”

    gezabi10.jpgEn 1991, à partir de la Heidnische Gemeinschaft (HG ; Communauté païenne) de Berlin, renaît l'ancienne Germanische Glaubensgemeinschaft (GGG ; Communauté de la religiosité germanique). À l'origine, cette communbauté avait été créée en 1913 par le peintre et poète Ludwig Fahrenkrog. Elle visait à rassembler plusieurs petits groupes païens épars. La renaissance de cette communauté païenne historique n'a pas séduit tous les païens berlinois. La Heidnische Gemeinschaft existe toujours, désormais séparée de la GGG. Celle-ci est dirigée par Géza von Neményi, l'Alsherjargodi, connu pour avoir écrit un ouvrage de référence pour la scène néopaïenne, Heidnische Naturreligion (La religion païenne de la nature), paru au Kersken Canbaz Verlag [en 1988]. Ce livre a acquis une certaine notoriété, si bien que la GGG constitue l'un des groupe néo-païen les plus structurés d'Allemagne, avec, par ailleurs, l'Yggdrasil Hecksenkreis et la HG, dont il est issu. Thomas Lückewerth, directeur de la revue musicale Sigill, a rencontré Geza von Nemenyi, ce qui a permis de faire le point sur l'état du néo-paganisme allemand actuel.

    • TL: Vous avez délibérément replacé la GGG dans la tradition fondée jadis par d'autres groupes néo-païens. N'est-ce pas un anachronisme, qui risque de vous être préjudiciable ? Surtout quand on sait aujourd'hui que la plupart des "groupes païens" de cette époque défendaient des valeurs ultra-conservatrices qui étaient en réalité chrétiennes et n'étaient recouvertes que d'un vernis païen ?

    buch0110.jpgGvN : Quand j'ai commencé mes activités au sein d'un petit groupe païen en 1982, mes amis et moi avons pensé que l'adjectif "germanique" éveillerait plutôt des sentiments de rejet dans le public. C'est pourquoi nous avons fondé la Heidnische Glaubensgemeinschaft (HGG ; Communauté de la religiosité païenne ; plus tard, cette association a été enregistrée sous le nom de Heidnische Gemeinschaft / HG). Nous voulions consciemment nous débarasser de toute référence à la germanité, car celle-ci avait des connotations péjoratives. Nous voulions permettre à des gens de toutes obédiences politiques de revenir au paganisme. L'expérience nous l'a prouvé : ça n'a pas marché. Ceux qui rejettent l'étiquette "germanique", rejettent tout autant l'étiquette "païenne". Or nous avons toujours tenté de pratiquer la religion des anciens Germains (et partiellement aussi celle des anciens Celtes). Le temps est donc venu de cesser de se dissimuler derrière des étiquettes édulcorées. Nous devions dire aux gens ce que nous faisions vraiment. Ensuite, l'occasion s'est présentée à nous de remettre sur pied l'ancienne GGG. Je suis parti à la recherche du dernier président de cette association, ainsi que de quelques membres encore en vie. Mon idée était d'utiliser la nouvelle GGG comme coupole pour abriter plusieurs communautés indépendantes les unes des autres. Cela n'a malheureusement rien donné. Car aucun des groupes que j'ai contactés (tous non extrémistes) ne cherchait à participer à un ensemble ou à une fédération plus vaste.

    Mais, pour répondre à l'autre volet de votre question, je me permets de vous rappeler que l'ancienne GGG n'a jamais défendu des valeurs chrétiennes ou ultra-conservatrices. Le "conservateur" entend toujours maintenir ce qui existe. Je pense toutefois que le paganisme est en réalité une réaction, car les païens veulent réintroduire dans la société quelque chose qui a disparu ou qui subsiste à l'état fragmentaire. Le paganisme est aussi "progressiste" dans la mesure où la pratique des anciens cultes et rites est forcément quelque chose de nouveau dans nos sociétés.

    • Avec quels groupes allemands et étrangers travaillez-vous ou entretenez-vous des contacts ?

    Nous avons de bons contacts avec les groupes américains "Asatru", avec quelques groupes anglais et scandinaves, y compris islandais. Nous avons également des liens avec la Lithuanie. Il nous faut cependant poser la question : quel est le sens que pourrait revêtir une coopération internationale ? Nous, membres de la GGG, nous mettons surtout l'accent sur les recherches philologiques, archéologiques, littéraires, etc. Nous cherchons à retourner aux sources de la paganité. Beaucoup d'autres groupes profitent de nos recherches et de nos travaux. En revanche, nous recevons des impulsions d'autres groupes, qui mettent plutôt l'accent sur une vie communautaire, festive et conviviale, que sur les recherches scientifiques.

    • Au nom de la GGG, vous prétendez représenter la "paganité authentique" et vous dites que beaucoup d'autres groupes pratiquent en fait un néo-paganisme. Certes, il est possible d'étudier les sources, de reconstituer quelque chose au départ de ces fragments, mais jamais on n'a la certitude absolue de faire revivre authentiquement les rites et les coutumes du paganisme antique. Mais est-ce bien nécessaire de s'efforcer de retrouver une telle authenticité, car, finalement, nos contemporains ont d'autres problèmes à affronter que leurs ancêtres...

    Notre exigence d'authenticité, nous l'avions déjà formulée au temps de la HG, car, dans cette communauté, au départ, il y avait des adeptes venus de groupes païens très différents les uns des autres, qui étaient subitement appelés à coopérer. Chacun avait des conceptions différentes, imaginait différemment la pratique du paganisme. Voilà pourquoi notre quête d'authenticité, de retour au paganisme originel, tel qu'il nous a été transmis par les sources, a été en quelque sorte un compromis, une voie médiane. Ensuite, il y a une autre considération qu'il ne faut surtout pas sous-estimer.

    Celui qui fonde une nouvelle religion est également responsable, au niveau du karma, de ce que font les adhérents à cette religion. En d'autres mots : les chrétiens par ex. qui ont introduit fallacieusement l'idée de mission dans les évangiles, sont co-responsables des génocides perpétrés par les Espagnols contre les Amérindiens, etc. Moi, je ne veux pas porter une telle responsabilité. Donc je me garderai bien d'introduire dans le paganisme des idées ou des doctrines qui me sont personnelles. En revanche, si je me revendique de la paganité de nos ancêtres, alors je ne suis pas le fondateur d'une religion nouvelle, je ne suis qu'un adhérent à une religion ancienne. Je ne suis donc pas responsable au niveau du karma des futures déviances possibles de cette religion.

    Par ailleurs, je n'ai pas la prétention de devenir une sorte de gourou. Celui qui veut absolument faire pratiquer par d'autres ses propres doctrines et leur impose ses propres révélations, rend leur pratique obligatoire dans un groupe, celui se hisse au rang de gourou et contraint la conscience de ses adeptes. Il y a eu des précédents : Jésus — en admettant qu'il ait réellement vécu — a prétendu avoir eu des révélations (la tentation du désert par Satan ou le dialogue avec Dieu). Ses disciples n'ont pas eu directement ces révélations, ou n'en ont reçu qu'indirectement un fragment : ils sont donc de purs croyants. Les chrétiens actuels sont encore plus mal lotis : ils adhèrent pour le meilleur et pour le pire aux assertions du fondateur de leur religion. Et si Jésus avait tout inventé ? Alors des millions d'hommes et de femmes auraient assis leur foi sur des mensonges et auraient axé leur existence sur des idées fausses... C'est en me posant de telles questions que je me suis dit ceci : si Odinn apparaît à un chef de groupe et lui dit de changer le culte de la communauté, je dirai que c'est là une belle vision. Mais il ne faudrait changer le culte que si Odinn apparaît à tous les membres de la communauté et leur donne un même conseil.

    Pour ce qui est des sources, la paganité germanique est bien servie. Dans la collection "Monumenta Germania Scriptores", philologues et mythologues compilent en version originale depuis le début du XIXe siècle les textes traitant de l'aube de notre communauté de peuples. Cette collection est très vaste, mais n'englobe pas encore tous les textes, tant ils sont nombreux ; de plus ceux-ci ne sont pas encore traduits. Une celtologue me disait récemment que dans la bibliothèque de Dublin, dormaient encore environ un million de manuscrits qui n'avaient encore été ni examinés ni publiés. Même si dans chacun de ces textes il n'y a qu'une seule page sur le paganisme, nous avons là une formidable collection ! Bien sûr, il faudra travailler ces sources et les interpréter, mais ce n'est pas la besogne de tout un chacun. Les résultats de telles recherches sont importants et peuvent être communiqués à tous. Ce qui fait la vie d'une religion — nouvelle ou ancienne — c'est la ferveur et la conscience des fidèles. Le rôle du groupe réside justement dans l'entretien de cette ferveur et de cette conscience.

    • Vous avez récemment publié un livre intitulé Die Sprache der Vögel (Le langage des oiseaux), qui traite des augures basées sur l'observation du comportement des oiseaux. Pouvez-vous nous préciser votre démarche ? Quelles sont les sources que vous avez étudiées, avez-vous vous-mêmes rassemblé des expériences en ce domaine ?

    buch0210.jpg"Publié" est un grand mot. Je n'ai commandé qu'un tirage très réduit de cet ouvrage, afin de faire connaître les restes du savoir antique sur le langage des oiseaux et sur leur vol. Sur le socle de ce petit ouvrage, on pourra continuer. Mes principales sources ont été nos traditions populaires allemandes et les textes anciens d'Agrippa, de Gesner, de Megenberg, etc. J'ai commencé à rassembler ma documentation quand j'ai vu pour la première fois dans ma vie un martin-pêcheur dans le parc du château de Charlottenburg à Berlin. Le martin-pêcheur est signe de pluie. Et il a plu effectivement. C'est cela qui m'a incité à commencer mes recherches.

    • On vous reproche de revendiquer cette "authenticité" pour dénigrer les actions et les pratiques des autres groupes ?

    Il ne s'agit pas de dénigrer, mais d'éviter toutes les déviances futures. Si au début de ce siècle les païens avaient dit à Guido von List qu'il y avait d'autres sources sur les runes que le "Chant runique" de l'Edda, alors il n'aurait pas publié ses interprétations erronée, ou du moins ne l'aurait-il pas fait de la même manière. En 1996, les païens ne doivent pas se fatiguer l'esprit à apprendre les fantaisies runologiques que publient certains auteurs : elles ne valent pas le papier sur lequel elles sont imprimées ! Ces théories erronées (la science a prouvé depuis longtemps leur caractère erroné et fallacieux) ne cessent d'attirer des adeptes, voilà pourquoi je suis contraint de critiquer sans arrêt ces théories quand des gens se présentent chez nous. L'adhésion à de telles théories bloquent toute évolution future du candidat païen. Nous soupçonnons même que des forces anti-païennes répandent consciemment ces inepties sur le marché pour tromper les masses dénuées d'esprit critique et pour semer la zizanie parmi les païens. Ces forces obéissent au vieil adage : diviser pour régner. À ces faussaires (p. ex. Vatan), je dis qu'ils ne doivent pas essayer leur petit jeu chez nous. Malheureusement, il n'y a pas encore d'instance païenne qui soit en mesure de dresser l'index de ces publications.

    • Quelle est la valeur des Externsteine dans la religion naturelle des Germains ? Vous écrivez dans votre livre que c'est dans ce site mégalithique qu'étaient consacrés les godis. Quelles sont les sources historiques qui vous permettent d'affirmer cela ?

    Pour les tribus germaniques de l'Ouest, les Externsteine sont un site sacré très important. Dans la zone de Berlin, il y a d'autres sites. Mais, dans le cas des Externsteine, il ne s'agit pas simplement d'une colline ou d'un monticule entouré de légendes et où l'on a trouvé quelques traces archéologiques. Dans le site des Externsteine, on voit du concret : des pierres dressées, des rochers, des cavernes cultuelles. C'est la raison pour laquelle ils sont si intéressants. La querelle quant à leur signification bat toujours son plein. Jusque dans les années 70, l'Église faisait dire la messe dans la grotte la plus profonde. Les païens ont également le droit — un droit d'aînesse ! — d'y pratiquer leurs cultes. Inutile de nier le caractère cultuel des pierres et des roches. 

    Toute tentative de démonisation des Externsteine provoque au contraire de l'intérêt pour ce site. De nombreuses légendes entourent les Externsteine : elles en font un lieu de culte. Il y a des traditions littéraires, des découvertes archéologiques qui atteste le caractère cultuel du site. Ensuite, il y a le simple bon sens. Ceux qui savent quelque chose du mental des peuples naturels, comme les Germains de cette époque en étaient un, savent aussi qu'aucun homme de cette préhistoire ne pouvait passer devant un tel alignement de pierres et de roches sans le percevoir comme un site naturel destiné au culte. Deux cercueils taillés dans des troncs d'arbre et une pierre tombale platte datant de l'époque mégalithique l'attestent.

    • En Europe, de plus en plus de gens s'intéressent aux traditions des Améridiens d'Amérique du Nord et tentent d'emprunter une voie religieuse dans ce sens. Je pense que chacun est libre de faire ce qu'il croit juste de faire, je pense tout de même qu'il est un peu niais d'invoquer les dieux amérindiens des montagnes dans la plaine du nord et du centre de l'Europe... De plus, les Indiens ne voient pas d'un très bon œil ces "hommes-médecine" blancs auto-proclamés qui répandent de soi-disant "doctrines indiennes secrètes". Je songe notamment à la déclaration de guerre des tribus Lakota, où il est dit, que les Blancs, après avoir volé les terres des Indiens, viendront aussi voler leur spiritualité. Qu'en pensez-vous ?

    Le galvaudage de la religion amérindienne par les touristes ésotériques est un sombre chapitre de plus dans l'histoire de notre actuel supermarché religieux. Un vieux proverbe nous dit : "On ne s'enrichit pas à aller emprunter chez le voisin". Malheureusement, ce comportement de consommateur, transposé dans le domaine de la spiritualité, trahit les déficits de bon nombre d'ésotéristes contemporains, de New Agers. C'est justement une problématique que nous devons affronter. J'ai donné un cours de runologie en forêt près de Berlin : il avait lieu une fois par semaine pendant six mois. Il était entièrement gratuit. La sagesse spirituelle ne peut se communiquer contre de l'argent ou contre un quelconque profit matériel. Résultat : plusieurs personnes ont estimé que mon cours ne valait rien parce qu'il était gratuit ! Elles préféraient donner 300 DM pour un cours qui faisait l'exégèse des théories runiques de Guido von List. Voilà où on en arrive dans une société dont le vrai dieu est Mammon.

    • Ouvrons une perspective sur l'avenir : comment évolueront, à votre avis, la GGG et le paganisme en général dans le prochain siècle ? Et que deviendrez-vous vous même ?

    sig1210.jpgJe me contenterai de spéculer sur les toutes prochaines années. Si nous ne faisons pas davantage pour la protection de l'environnement, nous risquons bien de ne pas survivre aux prochaines décennies. Je n'aimerai pas me réincarné dans une planète désertifiée. Nous devons tous, que nous soyons païens ou non, modifier nos schémas de pensée de fond en comble. Les groupes païens comme la GGG ou d'autres attireront sans cesse de nouveaux adhérents, au fur et à mesure que le donné naturel sera détruit. Quand on nous obligera à porter des masques à gaz, beaucoup de pollueurs réfléchiront... Il faut sortir du cercle "karmique" des destructeurs. Chacun peut le faire à partir de ses propres forces.

    [Synergies Européennes, Sigill (Dresden) / Vouloir (Bruxelles), Janvier, 1997]

    ► Propos recueillis par Thomas Lückewerth, 1997. (extrait d'un entretien paru dans Sigill n°12, hiver 96/97)

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    ◘ Croatie :

    Aux origines païennes de la Croatie

    800px-11.jpgC'est en 626 ap. JC à l'invitation du Tsar byzantin Heraklius que les Croates (dits des "karpates") s'établirent avec une dizaine de milliers de guerriers sur le territoire qui constitue leur actuelle patrie en occupant 3 provinces byzantines la Panonie, l'Ilirik et la Dalmatie. Peuple guerrier à l'organisation politico-sociale "communautaire", ils importent avec eux leurs croyances polytheistes d'origine perso-aryenne et intègrent progressivement les éléments ethniques autochtones iliriens, celtes, ghots, grecs, romains et avars. Ce n'est qu'avec l'arrivée au VIIe siècle et sous l'influence prosélyte des missionnaires catholiques mandatés et envoyés par Rome que ce peuple assimilera le monothéisme chrétien qui leur était étranger jusqu'alors. C'est en 641 que les Croates se convertiront pour une majeure partie d'entre eux à la religion chrétienne grâce à l'action concertée et convergente du Tsar byzantin Heraklius et du pape Ivan IV originaire de Dalmatie qui envoya son fidèle missionnaire Ivan Ravenjanin évangéliser ce peuple "païen", et lequel réussira à convertir au christianisme le tout nouveau chef croate Porga.

    Malgré tout, le processus de christianisation et d'évangélisation ne se fit pas sans difficultés compte tenu de la subsistance des anciennes croyances polythéistes bien ancrées chez les populations de certaines régions montagneuses difficiles d'accès. Le polythéisme fut pendant une longue période pratiqué par les croates de la région de Neretlja de sorte que ce territoire fut dénommé la "Paganie". Parmi les autres peuples slaves, les Croates furent les premiers à se convertir au christianisme en s'imprégant d'emblée de la culture et des mœurs européennes, de sorte que leur fidélité au Saint-Siège leur a valu dans l'histoire la qualification de "rempart de la chrétienneté" (Antemurale Christianitatis). En dépit de la fidélité inconditionnelle qu'affiche la Croatie à la chrétieneté occidentale et au Saint-Siège (ce qui sur le plan politique et national ne lui fut pas toujours profitable au cours de son histoire) les réminiscences et la présence vivante des croyances et des cultes païens restent bien ancrées dans la mémoire collective à travers les mythes populaires, les expressions linguistiques, les traditions folkloriques picturales et ornementales et la subsistance d'antiques lieux de cultes païens.

    En effet ces éléments de la spiritualité croate préchrétienne solaire et virile d'origine perso-aryenne ne demandent qu'à être revalorisés et réhabilités dans le cadre d'une démarche synthétisante et convergente avec la tradition chrétienne dominante. L'origine perso-aryenne des Croates est aujourd'hui historiquement bien établie et reconnue notamment grâce aux travaux et à l'apport considérable effectués dans ce domaine par l'historien croate Dominik Mandic. En effet pour la première fois on retrouva l'appelation croate ("horvat") incrustée sur des stèles commémoratives figurants sur les bâtiments publics de la ville de Tanais située à l'embouchure du fleuve Don sur la mer d'Azov. Entre le Ier et IIIe siècle ap. JC dans la cité Tanais vivaient divers peuples perso-aryens sarmates parmi lesquels les Croates.

    L'Appellation nationale croate est incontestablement d'origine perse. En effet à travers les recherches de l'iranologue russe Vsevolod Miller il ressort que l'appellation croate provient du mot perse Hor-va (t) qui signifie chemin, demeure solaire. L'historien M. Vasmer fait remonter l'origine du mot croate du mot "Hu-urvata" qui signifie ami, amicus. D'autre part toutes les appelations des dignités gouvernementales des Croates de l'Antiquité tels que Kralj (roi), Ban (vice-roi), zupan sont d'origine perse. Les croyances et les cultes polythéistes des croates de l'Antiquité présentent tous les attributs manichéens et solaires de la spiritualité perso-aryenne : le dieu de la lumière et des ténèbres, le culte du feu, le rite de la crémation pour les morts. De nombreux mots croates à signification religieuse sont d'origine perse : Bog (dieu), vjera (foi), zrtva (victime), raj (paradis), vazam, vapiti ect...

    De plus, dans le cadre de la cosmogonie perso-aryenne, les Croates d'alors divisaient les parties de la terre et du monde en différentes couleurs : la couleur blanche pour la partie occidentale, rouge pour la partie sud, verte pour la partie est et la couleur noir pour le nord. De cette vision cosmogonique naitra la division géopolitique de la Croatie blanche occidentale, la Croatie rouge du sud et la Croatie verte de l'est. D'autre part, on retrouve la spiritualité perso-aryenne à travers la tradition architecturale et picturale antique croate dont l'exemple le plus significatif est le "troplet" croate (ornement à 3 branches entrecroisées). Les Croates importèrent de même de leur antique foyer perse leur damier national blanc et rouge de 64 carreaux. L'origine perso-aryenne des croates est attestée par une stelle du roi Darius Ier (522-486 av JC) laquelle mentionne parmi les 23 peuples sujets de l'Empire perse le peuple croate "Harahvaiti". La région ou vivaient ces peuples comprenait à cette époque la moitié sud de l'Afghanistan, la totalité du Beludzistan et l'est de l'actuel Iran.

    Les anciennes croyances polythéistes croates ont trouvées leurs sources et leurs transcription dans les textes sacrés du prophète Zoroastre (forme hellénisée du perse Zarathoustra), les Gathas (hymnes composés par le prophète) se rapprochants des hymnes indiens antiques du Rig-Veda, ainsi que l'Avesta le livre saint des zoroastriens (lui-même divisé en Yasna, la Vispered, le Vendidad, le petit Avesta et les Yashts) dans lesquels sont révélés de nombreux mythes païens d'origine prézoroastrienne. L'ensemble de la cosmogonie perso-aryenne et zoroastrienne se fondait sur la lutte cosmique entre le dieu Ahura-Mazda dieu suprême de la bonté, la sagesse, la connaissance absolue, le créateur du soleil et de la lumière et le dieu-démon Angra-Mainyu l'esprit du mal qui œuvre constamment à la destruction du monde de la vérité. L'enseignement zoroastrien  implique un dualisme de la lumière et des ténèbres, du bien et du mal, entre le dieu et le démon.

    Mais la spiritualité solaire perso-aryenne des croates s'est surtout manifestée à travers le culte du dieu Mithra, Mithra étant la divinité la plus connue du panthéon iranien ce qui est dû à l'extension et à la popularité du mythraisme sous l'empire romain. Mithra était considéré par les populations perso-aryennes comme le dieu du bon ordre par opposition aux forces chaotiques, contrôlant l'ordre cosmique et étant associé au feu et au soleil. Divinité solaire, il protégeait le juste et châtiait l'injuste en s'associant aux guerriers. Cette croyance dualiste se traduisait chez les Croates à travers la vénération des lieux de culte qui symbolisaient cette union indissoluble de la dualité du bien et du mal, de la lumière et des ténèbres lesquelles étaient incarnées par des montagnes et des forêts. De tels lieux de cultes qui portent aujourd'hui une appellation chrétienne ont été localisés dans les régions qui s'étendent des Alpes jusqu'aux Balkans.

    C'est ainsi que le culte de "Svante Vid" l'appelation slave du dieu iranien "Ahura-Mazda" s'est transformée en la vénération chrétienne croate de Saint Vid ; la même christianisation s'est opérée pour les cultes de Saint Ilija (dieu du tonnerre) et de Saint Ivan le Baptiste remplaçants les anciens cultes païens de la lumière et du soleil. À la place des anciens cultes païens dédiés aux divinités des ténèbres furent érigés des chapelles et les lieux de pélerinage chrétiens dédiés au Saint Archange Michel et à Saint Georges, les légendaires vainqueurs des forces démoniaques des ténèbres. De tels lieux de cultes païens christianisés furent retrouvés dans les régions croates de Dalmatie à Kastel Lastve (Petrovac), à Lucinski Vira, dans le village de Bogetic dans la commune d'Oklaj, à Kastel Luksic à côté de la ville de Makarska, dans la région de Nin à Vinodol, à Vidovo sur l'île de Pag (qu'on appelait à juste titre l'île des païens : insula paganorum). Les noms perso-aryens qui personnifiaient les diverses divinités du dualisme zoroastrien connurent la même transformation sémantique : Svantevid (Ahura-Mazda) est devenu Belbog, Dabog, Davor, Jakobog ; les divinités du printemps reçurent les noms de Lada, Vesna, etc...

    Les anciens cultes païens "naturalistes" dédiés aux monts, aux bois et aux arbres trouvent encore aujourd'hui des réminiscences dans les fêtes populaires tels que le "Djurdjevdan" et celle du 1er Mai dans certains villages sirués autour de la ville de Karlovac. Un témoignage flagrant de la présence vivante des croyances païennes en Croatie réside dans les coutumes et mœurs populaires des paysans croates de Vlasic planini près de Travnik qui encore aujourd'hui persistent chaque matin à la place du signe de la croix de pratiquer leur ancien culte solaire en se tournant vers l'est au lever du soleil pour implorer son aide et sa force les bras tendus. La même persistance du culte païen guerrier se vérifie aujourd'hui à Turopolje près de Zagreb par la bénédiction saisonnière des chevaux le jour de Saint Stjepan le martyr.

    Par ailleurs, les traditions tisseranes et ornementales de certaines régions croates témoignent de la subsistance de symboles préchrétiens perso-aryens (comme à Obrovac dans le nord de la Dalmatie) : les motifs stylisés animaliers, le symbole de l'arbre de la vie. La spiritualité manichéenne perso-aryenne des anciens Croates se perpétuera du XIIIe au XVIe siècle en Bosnie par l'organisation de la communauté Bogomil. Cette croyance fut importée en Bosnie par un prêtre orthodoxe bulgare (contemporain du Tsar Bulgare Pierre 927-969) lequel a rénové et propagé en bulgarie la croyance manichéenne aux dieux du bien et du mal, en réfutant le baptême par l'eau, l'institution du mariage, les églises et les autels.

    Sur le territoire croate oriental de la Bosnie fut fondé en 990-1018 un évêché Bogomil dont la juridiction couvrait l'ensemble des terres croates (Ecclesia Sclavoniae). Les croyants et les disciples Bogomil furent dénommés les "parfaits" (ce qui n'est pas sans rappeler les "illuminés" des cathares) ou les chrétiens bosniaques (Krstjani), et vivaient dans des communautés monastiques en menant une existence d'ermite. L'an 1203 à Bilino Polje près de la ville de Zenica, la communauté des Bogomil a reconnu l'autorité du Pape Innocent III et ils furent ainsi reconnus officiellement comme catholiques par le légat du Pape Ivan de Casamare. Cela n'empêchera pas pourtant de voir, tout au long du XIIIe siècle et jusqu'au XVIe siècle, progressivement disparaître cette croyance païenne sous l'action et les effets conjugués des sanguinaires croisades menées par l'Herceg (chef militaire) croate Koloman à l'instigation de l'évêque Ugrin contre les adeptes de cette croyance et les conversions massives au catholicisme pratiquées par les missionnaires fransicains sur ordre du Pape Benedikt XII (1334-1342) et du général de l'ordre des franciscains Gerald Eudes.

    Aujourd'hui la Croatie, creuset des cultures germaniques, celtiques et slaves, pays "catholique romain" par excellence parviendrait à revitaliser son catholicisme intransigeant qui trop souvent se réduit à un simple ritualisme niveleur de masse, en puisant dans ses racines païennes et en incorporant synthétiquement les éléments de cette croyance trop souvent reléguée au simple rôle de folklore.

    ► Georges Vujic, Nouvelles de Synergies Européennes n°20, avril 1996. [source]

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    ◘ France :

    lp-a10.jpgLe malentendu du néo-paganisme

    ◘ par le groupe Libération païenne (Marseille)

    Le néo-paganisme repose pour l'essentiel sur un malentendu qui est autant le fait de ses ennemis, au premier rang desquels figurent les Églises chrétiennes, que de la plupart de ceux qui s'en réclament, qu'il s'agisse des néo-nazis qui y voient une sacralisation de la haine raciale ou des cercles intellectuels de la nouvelle droite française, dont le royaliste Charles Maurras a été le précurseur et pour lesquels le néo-paganisme est la plus haute expression d'un esthétisme droitier d'inspiration apollinienne, épris d'ordre et de hiérarchie.

    Le cas Hitler

    Les néo-nazis se déclarent païens parce qu'à les en croire, le IIIe Reich aurait été païen. Ils en veulent pour preuves la symbolique nazie, les cérémonies de l'“Ordre SS”, ainsi que les déclarations anti-chrétiennes de tel ou tel chef nazi. Mais la vérité historique est toute autre : le parti nazi s'est, en effet, toujours réclamé du christianisme (cf. la référence au “christianisme positif” dans l'article 24 du programme de 1920 et l'allocution radiodiffusée du 1er février 1933, définissant l'orientation idéologique du nouveau gouvernement dirigé par Hitler) ; il s'est, d'autre part, allié aux chrétiens conservateurs et s'est appuyé sur les Églises pour parvenir au pouvoir. Hitler a ensuite signé le Concordat avec le Pape (le 7 juillet 1933) et réprimé libres-penseurs et néo-païens qu'il a, pour l'immense majorité d'entre eux, interdits de parole et à qui il a interdit l'accès à certaines fonctions (telles que celle d'officier dans l'armée allemande). Comme on le voit, les juifs n'ont pas été les seuls à subir sous le IIIe Reich des mesures discriminatoires !

    Certes, on nous objectera que les relations se sont ensuite tendues entre le régime hitlérien d'un côté, l'Église catholique et une fraction du protestantisme allemand (l'“Église confessante”) de l'autre, qui se disputaient notamment le contrôle de la jeunesse allemande. Mais il ne faut pas voir autre chose dans cette dispute qu'un affrontement entre 2 pouvoirs totalitaires. L'Église catholique et l'Église confessante n'ont d'ailleurs pas été les moins véhémentes à réclamer d'Hitler en 1933-1934 des mesures liberticides, particulièrement à l'encontre des libres-penseurs et des néo-païens dont elles dénonçaient, au choix, le “libéralisme” ou le “bolchevisme athée”, et n'ont manifesté aucune opposition aux premières lois anti-juives du régime. En outre, cet affrontement ne déboucha jamais sur une rupture ouverte : seule une poignée de chrétiens allemands se livra à des actes isolés de résistance ; quant aux chefs nazis, majoritairement catholiques, aucun d'entre eux ne quitta l'Église à laquelle il appartenait et tous continuèrent d'acquitter leurs impôts cultuels ! Nous voilà bien loin de l'image complaisamment répandue par les Églises chrétiennes d'un nazisme résolument païen, image à laquelle s'accrochent les représentants les plus dégénérés de la “race aryenne” que sont les skinheads et autres ratonneurs du samedi soir...

    Que pouvait-il d'ailleurs y avoir de païen dans le bric-à-brac idéologico-culturel du nazisme, fait d'un mélange de symboles runiques, de salut à la romaine, de statuaire grecque et de monumentalité égyptienne destinée à écraser l'Allemand moyen et à le convaincre de la toute-puissance de Pharaon, le Führer Adolf Hitler, avec, pour couronner le tout, un monothéisme germanique (1) qui reposait sur la croyance en un Dieu allemand, dieu des armées, dont le peuple allemand serait l'élu (un Yahvé qui aurait les traits d'Odin !) ? Un certain nombre d'auteurs ont remarqué que le nazisme se présentait de fait comme un judaïsme inversé dont les partisans estimaient nécessaires de liquider le modèle hébreu trop voyant, trop gênant. Ici apparaît clairement la parenté entre le nazisme et le racisme anglo-saxon ou afrikaner d'inspiration calviniste dont le Ku-Klux-Klan aux États-Unis, l'Ordre d'Orange en Irlande du Nord, l'Apartheid en Afrique du Sud ont été autant d'expressions récentes et qui trouve ses fondements idéologiques dans les écrits vétéro-testamentaires. Aussi, nous ne saurions trop conseiller aux néo-nazis de changer de religion (s'ils en ont une) et de relire l'Ancien Testament. Ils y trouveront plus de sources d'inspiration que dans les mythes européens où le meurtre, le génocide et la haine de tout ce qui est différent n'occupent pas la place d'honneur et ne reçoivent aucune justification divine...

    Le paradoxe de la nouvelle droite

    Nous avons évoqué la nouvelle droite dans l'introduction au présent article. Comme la vieille droite, la nouvelle droite conteste l'ordre né de la Révolution française. Ses bases sociologiques sont cependant différentes en ce qu'elle s'appuie sur une partie des intellectuels alors que la vieille droite bénéficiait du soutien de l'aristocratie foncière, ainsi que ses références intellectuelles marquées par le positivisme et le scientisme du XIXe siècle finissant. Les premiers représentants de cette nouvelle droite ont été en France Charles Maurras, héritier du positivisme d'Auguste Comte, et les amis avec lesquels il fonda en 1899 la revue d'Action Française. Maurras se voulait à l'origine à la fois païen (il suffit, pour s'en convaincre, de lire Anthinéa et Le chemin de paradis !)  et catholique (parce que l'Église catholique aurait, à l'en croire, neutralisé le “poison chrétien”), mais peu à peu le catholicisme devait l'emporter chez lui sur le paganisme au point d'étouffer complètement celui-ci.

    À la fin des années 1960, un nouveau mouvement se fit jour en France et dans le reste de l'Europe qui se désigna lui-même sous le nom de “Nouvelle Droite” (2). Ce mouvement présentait de nombreuses ressemblances avec l'Action Française des débuts (3), mais il refusait d'imiter sa dérive catholique. Paradoxalement, la nouvelle droite s'est dite et se dit encore païenne pour les mêmes raisons que la vieille droite s'affirmait chrétienne, et au nom des mêmes valeurs “aristocratiques” ! Tandis que la vieille droite considérait que l'inégalité entre les hommes était l'expression de la volonté de Dieu et que les chrétiens se devaient de respecter celle-ci, la nouvelle droite soupçonne le christianisme d'avoir introduit en Europe le “bacille” égalitaire.

    Un paganisme tiré de Maurras et d'une mauvaise lecture de Nietzsche

    Maurras, et toute le nouvelle droite après lui, dénonçait dans le christianisme l'égalité métaphysique — l'égalité des hommes devant Dieu — qui aurait, selon lui, frayé la voie à l'égalité politique (la démocratie) et à l'égalité sociale (le socialisme). On retrouve le même raisonnement, terriblement simplifié, caricaturé à l'extrême, sous la plume de Dietrich Eckart, qui fut le mentor de Hitler dans ses premières années de lutte politique et l'auteur d'une brochure intitulé de manière significative : Le bolchevisme de Moise à Lénine.

    L'idée avancée par Nietzsche selon laquelle le christianisme serait une morale d'esclaves, la morale du ressentiment, est reprise sans nuances par les amis de Maurras au tout début du siècle et par les tenants de la Nouvelle Droite aujourd'hui (4). Ces derniers, s'inspirant des écrits de Celse, un adversaire romain des premiers chrétiens, décrivent avec complaisance la conversion progressive de Rome au christianisme... par ses esclaves. Vision absurde, sans fondement historique ! Comment imaginer, dans une société aussi impitoyablement hiérarchisée (et dont l'Église chrétienne épousa parfaitement les contours) que les esclaves auraient pu convaincre et entraîner leurs maîtres ? Rome n'est devenue chrétienne que parce que sa classe dirigeante (d'où sont issus les Pères de l'Église : Ambroise, Jérôme, Augustin, etc.) s'est persuadée, à tort ou à raison, des avantages du christianisme. Par la suite, ce sont les diverses élites celtiques, germaniques, slaves, etc., qui, converties de leur plein gré au christianisme, imposeront celui-ci à leurs peuples en même temps que le nouvel ordre féodal aux lieu et place du paganisme et de l'antique ordre libertaire, égalitaire et fraternel des clans et des tribus qui lui était consubstantiel.

    Une mésinterprétation de Dumézil

    Pour étayer son discours anti-égalitaire, la Nouvelle Droite s'est appuyée sur les travaux de Georges Dumézil. On sait que ce dernier avait discerné, à partir de l'étude des mythes propres aux peuples indo-européens, l'existence d'une idéologie trifonctionnelle structurant le mental des Indo-Européens depuis la plus lointaine préhistoire. La Nouvelle Droite semblait avoir trouvé là le moyen de légitimer l'existence d'une hiérarchie sociale semblable à celle des castes indiennes ou des ordres médiévaux, avec, au sommet, les prêtres, en bas, les travailleurs, et entre eux, les guerriers. Après avoir posé, comme nous l'avons vu, l'équiva­lence suivante : christianisme = égalitarisme, la Nouvelle Droite en arrivait donc à justifier, en quelque sorte scientifiquement, cette autre équivalence : paganisme (indo-européen) = anti-égalitarisme. Mais, à supposer même que cette idéologie trifonctionnelle ait été destinée à être transposée au plan social — ce qui ne semble pas avoir été le cas, comme l'observait Dumézil lui-même ; elle ne l'a d'ailleurs été que très exceptionnellement — rien n'indique que ce fut sur un mode hiérarchique ; au contraire, il apparaît clairement que pour les Indo-Européens, les 3 fonctions étaient d'égale dignité.

    Il se pourrait d'ailleurs bien que la troisième fonction, méprisée par les thuriféraires néo-droitiers du “décisionnisme” politique et des vertus guerrières, ait été en définitive la plus importante parce qu'elle assurait, avec la survie quotidienne de la communauté et sa continuité biologique, la “perdurance du lien social”, pour employer une formule chère à Michel Maffesoli (la troisième fonction englobait, en effet, outre la production des biens et la reproduction des hommes, tout ce qui touchait à la sexualité, au sens le plus large de ce terme, et finalement aussi à la convivialité). Les 2 autres fonctions demeuraient en sommeil, en latence, et ne se manifestaient que dans la crise lorsqu'il était nécessaire de prendre une décision en souveraineté ou de combattre un ennemi.

    Éminent germaniste, le Professeur Allard paraît confirmer ce point de vue lorsqu'il relève que les populations germaniques, qui vivaient, rappelons-le, dans ce qui semble avoir été le foyer originel des Indo-Européens, n'ont connu jusqu'au début de l'ère chrétienne (voire, en ce qui concerne les Suédois, jusqu'au cœur du Moyen-Âge) qu'une royauté liée à la troisième fonction, royauté populaire et “vanique” placée sous les auspices de la déesse Freya, avant que les circonstances (la pression militaire romaine notamment) ne les contraignent à changer à la fois d'institutions et de culte pour adopter une royauté à fondement guerrier consacrée à Wotan (5).

    Communion et libération

    Le soi-disant paganisme des néo-nazis et celui des néo-droitiers représentent chacun à nos yeux une double imposture. La première consiste en ce que les uns et les autres prétendent y entrer leurs fantasmes de race élue ou d'aristocratie auto-proclamée. Mais, comme nous venons de le voir, celui-ci, à la différence du christianisme, n'offre pas prise à de telles prétentions. Et de ce fait même — c'est là où se situe la seconde imposture — leur néo-“paganisme” fantasmatique ne peut être vécu. Or, le paganisme n'est rien, ce n'est qu'un mot vide de sens, s'il n'est pas d'abord une réalité vécue.

    Notre néo-paganisme (6), celui que nous essayons, modestement, de vivre et de professer, se veut, quant à lui, à la fois libération et communion.

    Libération des contraintes morales et physiques imposées par le christianisme ainsi que par les institutions et les idéologies nées de celui-ci et de sa lente décomposition, qui ont déchu l'homme et la femme d'Europe de leur statut d'homme et de femme libres pour les livrer à l'arbitraire des seigneurs, auquel se substitua celui de l'État et des patrons, doublé de la police des âmes exercée par l'Église et les idéologies qui lui succédèrent.

    Le christianisme a séparé le divin du monde. Ce faisant, il a, comme l'écrivait Max Weber, “désenchanté le monde”. Nous aspirons à son réenchantement — au moyen de la communion retrouvée avec le Grand Tout, avec la Terre-Mère, avec l'Humanité, au sein des liens que tissent l'amour, l'amitié, la camaraderie et la parenté. L'orgiasme, expression paroxystique de cette communion, nous y aidera parce que l'ex-tase à laquelle il nous fait accéder nous permet d'outrepasser notre individualité et notre finitude.

    Pour un paganisme immoral et anarchiste

    Disons-le tout net : notre néo-paganisme est immoral, mais il s'agit ici d'un “immoralisme éthique”, pour reprendre l'expression de Michel Maffesoli qui prend soin de distinguer la morale, “devoir-être” générateur de tous les totalitarismes, de l'éthique, expression du “vouloir-vivre” et de l'“être-ensemble” :

    « Il est peut-être plus nécessaire que jamais de faire une distinction entre la morale qui édicte un certain nombre de comportements, qui détermine ce à quoi doit tendre un individu ou une société, qui en un mot fonctionne sur la logique du devoir-être, et l'éthique qui, elle, renvoie à l'équilibre et à la relativisation réciproque des différentes valeurs constituant un ensemble donné. L'éthique est avant tout l'expression du vouloir-vivre global et irrépressible, elle traduit la responsabilité qu'a cet ensemble quant à sa continuité (...) À une époque où, suite à l'obsolescence des représentations politiques, nombre de “belles âmes” font profession de moralisme, il n'est peut-être pas inutile de rappeler que c'est toujours au nom du “devoir-être” moral que se sont instaurées les pires des tyrannies, et que le totalitarisme doux de la technostructure contemporaine lui doit beaucoup » (7).

    Notre néo-paganisme est également an-archiste en ce qu'il dénie toute légitimité aux institutions mortifères (l'État et l'Argent en particulier) qui se sont substituées, la plupart du temps par la violence, aux communautés primitives, clans, villages, tribus et peuples, dans lesquelles régnait, sous une forme plus ou moins euphémisée, une effervescente confusion des corps (8) et dont il aspire, en quelque sorte, à restaurer l'organicité au sein de communautés dionysiaques comparables aux thiases de l'Antiquité gréco-romaine (9).

    Dionysos et Shiva

    Quoique “néo”, notre paganisme renoue avec ce qu'il y avait de plus archaïque et de plus subversif dans le paganisme antique qu'incarnait la figure de Dionysos en Grèce et à Rome ou qu'incarne encore aujourd'hui celle de Shiva en Inde. Ces dieux et les cultes qu'on leur vouait étaient tenus en suspicion par les Anciens attachés à l'ordre établi de la Cité ou par les Hindous attachés à celui des castes. Les uns et les autres n'hésitèrent pas à en persécuter les sectateurs, comme en témoigne le récit que fit Tite-Live de la répression des Bacchants. C'est pourtant autour d'eux que s'organisa en Europe méditerranéenne la résistance à la christianisation et en Inde la résistance à l'islamisation.

    « Rarement — écrit Mircéa Eliade à propos de Dionysos —, un dieu surgit à l'époque historique chargé d'un héritage aussi archaique : rites comportant masques thériomorphes, phallophorie, sparagmos, omophagie, anthropophagie, mania, enthousiasmos. Le plus remarquable c'est le fait que, tout en conservant cet héritage, résidu de la préhistoire, le culte de Dionysos, une fois intégré dans l'univers spirituel des Grecs, n'a pas cessé de créer de nouvelles valeurs religieuses » (10).

    Issu du culte de la Terre-Mère et quoique marquant une certaine rupture avec lui, par le fait qu'il soit une divinité masculine et que, recueilli par Zeus dans sa cuisse où il acheva sa gestation, il symbolise le passage de la matri- à la patrilinéarité, le culte de Dionysos en présente encore bien des traits. Dionysos est à l'origine le dieu de l'arbre et de la vigne arborescente nés de la Terre. On ne doit pas s'étonner de ce qu'il ait été en même temps le dieu des pratiques orgiaques. En effet, de l'arbre, « receptacle des forces qui animent la nature, émanent aussi des forces dont s'imprègnent ceux et celles qui célèbrent son culte et qui produisent chez eux les effets ordinaires de la possession (...) les divinités de l'arbre, poursuit Henri Jeanmaire, reçoivent un culte qui est par nature orgiaque et extatique. Cette règle, qu'illustrent maints cultes locaux dans lesquels Artémis comme Dame de l'Arbre, est l'objet d'un service qui consiste dans l'exécution de danses extatiques, vaut aussi pour Dionysos » (11). Mais, ajoute Mircéa Eliade, Dionysos n'est pas seulement lié a la végétation, il « est en rapport avec la totalité de la vie, comme le montrent ses relations avec l'eau et les germes, le sang ou le sperme, et les excès de vitalité illustrés par ses épiphanies animales (taureau, lion, bouc). Ses manifestations et disparitions inattendues reflètent en quelque sorte l'apparition et l'occultation de la vie, c'est-à-dire l'alternance de la vie et de la mort, et, en fin de compte, leur unité (...) Par ses épiphanies et ses occultations, Dionysos révèle le mystère, et la sacralité, de la conjugaison de la vie et de la mort » (12).

    À la suite de Bachofen et de Ludwig Klages, on s'est plu à voir dans les cultes de la Terre-Mère et de Dionysos (ou de Shiva), l'expression d'un substrat pré-indo-européen, “pélasgien” [pré-héllenique] (ou dravidien dans le cas du shivaïsme (13)). Certains ont situé l'origine de ces cultes dans les civilisations néolithiques de l'aire égéo-anatolienne. Mais l'importance des apports nordiques dans le dionysisme n'est pas contestable, comme l'observe Henri Jeanmaire (14). De fait, le culte de la Terre-Mère semble relever d'un héritage commun à toutes les populations euro-méditerranéennes, un héritage des temps antérieurs à l'individualisation du rameau indo-européen.

    Pour préciser le concept d'“indo-européen”

    À l'époque glaciaire, l'Europe présentait une grande unité raciale, linguistique, culturelle et cultuelle. Le réchauffement du climat y mit progressivement un terme. Ainsi, d'après les paléolinguistes, l'Âge du Cuivre vit les Proto-Indo-Européens, venus du Nord de l'Europe et installés dans les steppes de Russie et d'Asie centrale, se détacher de la masse commune, de la souche vieille-européenne, pour adopter un mode de vie pastoral et guerrier, une structure patriarcale et hiérarchique, qu'ils tentèrent d'imposer aux populations soumises d'Europe et du subcontinent indien (15). Constitués en bandes de pillards, les Proto-Indo-Européens entreprirent, en effet, de conquérir leur ancienne patrie, l'Europe, ainsi que la plus importante partie du Proche- et du Moyen-Orient. Mais la greffe indo-européenne ne prit pas partout, et, en tout cas, pas partout de la même manière. Il faut, en outre, garder à l'esprit que, lorsqu'on évoque les “Indo-Européens”, ce n'est pas au noyau conquérant de jadis, dont on connaît finalement peu de choses, que l'on fait allusion mais à toutes les populations indo-européanisées que ce noyau a conquises ou avec lesquelles il a fusionné. Ainsi en est-il des savantes études de Georges Dumézil concernant la trifonctionnalité, que nous avons évoquées un peu plus haut. Nous avons vu que les Germains, probablement issus d'un mélange entre les “pasteurs guerriers porteurs de la céramique cordée et des haches de combat” (16), c'est-à-dire les Proto-Indo-Européens, et les populations autochtones d'Europe septentrionale, restèrent longtemps fidèles au matriarcat et à une forme populaire, voire démocratique, de royauté.

    Dans la Grèce hellénisée et l'Inde aryanisée où, pour des raisons historiques, l'indo-européanité dans ses aspects les plus dominateurs fut particulièrement prégnante, le dionysisme et le shivaisme traduisirent, sous l'aspect de la démence et de la furie, la révolte de la Vie, de la Nature et du substrat vieil-européen contre l'idéologie de la Maîtrise de soi-même, des autres et du monde véhiculée par les anciens conquérants...

    ► Pierre-Olivier Martin p/o Groupe “Libération païenne” (Marseille), Vouloir n°142/145, 1998.

    ◘ notes :

    • (1) Que ce monothéisme s'affirmât chrétien ou anti-chrétien importe peu en l'espèce. En son temps, Maurras dénonçait déjà chez les Allemands le “monothéisme du moi national”, produit local du biblisme protestant (cité par Patrice Sicard, in Maurras ou Maurras,  p.15).
    • (2) Nous emploierons des minuscules à propos de la nouvelle droite, entendue comme courant de pensée né à la fin du XIXe siècle, et des majuscules lorsqu'il s'agira du mouvement qui, ces dernières décennies, a adopté cette dénomination.
    • (3) La brochure intitulée Maurras ou Maurras (cf. note 1), publiée en 1974 par le GRECE, noyau organisationnel de la Nouvelle Droite, établissait clairement que celle-ci était consciente de l'existence de telles ressemblances, voire d'une certaine filiation, entre les 2 courants.
    • (4) En défendant une telle idée dans Généalogie de la morale, Nietzsche n'a pas voulu signifier que le christianisme n'était professé que par des esclaves mais qu'il produisait des esclaves (ce que l'Histoire confirmera !) et qu'il fut accueilli, et l'est encore, par ceux qui ont une prédisposition à la soumission. Le problème de la Nouvelle Droite est qu'elle prend beaucoup de choses au pied de la lettre. Y compris, comme nous le verrons plus loin, la théorie de la trifonctionnalité chez les Indo-Européens, développée par Georges Dumézil.
    • (5) Jean-Paul Allard, « La royauté wotanique des Germains », in Études indo-européennes, revue publiée par l'Institut d'Études Indo-Européennes de l'Université Jean Moulin (Lyon III), n°1 (janvier 1982) et n°2 (avril 1982).
    • (6) L'emploi du préfixe “néo” nous semble justifié par le fait que nous vivons, depuis quelques siècles, dans un univers mental et institutionnel profondément marqué par le christianisme. Nous tentons, certes, de nous en affranchir et de renouer ainsi avec le paganisme des Anciens. Cette démarche est difficile et elle intègre, de surcroît, une part de prosélytisme totalement inconnue du paganisme originel. Pour toutes ces raisons, il nous paraît utile de préciser que celui qui, aujourd'hui, se présente comme un païen tout court à la manière d'antan ne peut être, de toute évidence, qu'un jean-foutre.
    • (7) Michel Maffesoli, L'ombre de Dionysos : Contribution à une sociologie de l'orgie,  Paris, Méridiens/Anthropos, 1982, pp.l8/19.
    • (8) Confusion symbolisée par la consanguinité, réelle ou imaginaire, entre les membres du groupe — ces communautés étaient, rappelons-le, des communautés de sang — et qui s'accomplissait tant dans les activités quotidiennes de toutes sortes, dans le labeur collectif, que dans la “dépense improductive”, elle aussi collective, à l'occasion des fêtes orgiaques émaillant le cours de l'année et de l'existence humaine.
    • (9) Concernant les thiases, on se reportera avec profit à l'ouvrage de P. Foucart, paru en 1873 chez Klincksieck et intitulé : Des associations religieuses chez les Grecs : Thiases, éranes, orgéons.
    • (10) Histoire des croyances et des idées religieuses, tome 1, Payot, 1976, pp.380/381.
    • (11) Dionysos : Histoire du culte de Bacchus, Payot, 1951, pp.213/214.
    • (12) Op.cit., pp.373/374.
    • (13) Cf. Alain Daniélou, Shiva et Dionysos, Fayard, 1979, pp. 17 à 59.
    • (14) Op. cit., p.39.
    • (15) Cf. Jean Haudry, Les Indo-Européens, PUF, 1981.
    • (16) Ibid., p. 115.

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     ◘ Grèce :

    Entretien avec Vlasis Rassias sur la renaissance du Paganisme en Grèce 

    vlasis10.jpg• Q. : Dans la préface de vos 3 volumes consacrés à l'Hellénisme, vous vous définissez comme « Hellen » (grec). Il ne s'agit pas seulement pour vous d'une simple appartenance nominale, mais aussi d'un éthos et d'une perception du divin. Pouvez-vous préciser ces notions ?

    V.R. : Quand un Païen de Grèce (Ethnikos) parle de la conception du divin, il s'agit en fait de la conception du Cosmos : le Tout (Pan) éternel, défini par mes ancêtres comme « infini mis en ordre » (Apeiron diatetagmenon). Le Cosmos est l'Être ultime, sans début ni fin. Toute chose, Dieux inclus, est née au sein de cet organisme éternel et universel. Comme nous le verrons plus loin, cette conception est assez importante parce qu'elle fonde clairement la différence entre Polythéisme et Monothéisme. 

    • Parlez-nous un peu de votre évolution spirituelle et culturelle.

    Comme tous mes compatriotes, je suis né au sein de l'Orthodoxie et j'ai subi le même lavage de cerveau : éthos et prêt-à-penser m'ont été imposés par mon éducation. Toutefois, j'ai eu la chance de posséder en mon for intérieur un daïmôn, une sorte de génie qui m'a préservé de ces opinions toutes faites. Ce même daïmôn m'a poussé, depuis mon plus jeune âge, à quitter les sentiers battus de la connaissance. Je me suis ainsi retrouvé, à l'âge de 16 ans, en train de lire, ou mieux, d'étudier, Nietzsche, Reich, Laing, et La Société du spectacle de Guy Debord. Vers 1980, je me définissais comme anti-autoritaire, ce que je suis resté. La rencontre avec un chaman indien m'a permis vers 1986 non point de voir le monde d'un œil plus "spirituel" — c'était déjà le cas depuis le début —, mais de me concentrer sur ma propre tradition grecque. La leçon de ce chaman était que je ne devais chercher la sagesse que dans la langue dans laquelle je rêve, sur le sol même où ma présente incarnation a choisi de vivre. Après à peine 2 ans d'études et de recherches à divers niveaux, j'en suis arrivé à jeter sur la tradition hellénique ce que j'appellerais aujourd'hui un regard "archaïque". J'ai pu également prendre connaissance d'un pan complètement méconnu de notre histoire : les persécutions et l'ethnocide subis par mes ancêtres de la part des Romains christianisés, que l'histoire officielle nomme "Byzantins" et que la culture dominante définit comme "Grecs". 

    • Qu'est-ce que le Paganisme pour vous ?

    J'essaie d'éviter ce terme "Paganistès" en raison de son sens péjoratif et moqueur. En fait, il s'agit d'un mot forgé par les Judéo-Chrétiens pour rabaisser tous ceux qui demeuraient fidèles à leurs propres divinités ancestrales. La même remarque s'applique par exemple au terme "idolâtre"... Pour ma part, je préfère user du mot Archaiothréskos (fidèle à l'ancienne religion) ou encore Ethnikos (Gentil ou bien fidèle aux Dieux, aux traditions et à l'éthos de mon ethnos, mon peuple). Quoi qu'il en soit, I'idée de Paganisme se rattache pour moi à toutes les religions naturelles et polythéistes de l'espèce humaine. Les peuples honorent chacun la nature sous certaines formes, dans toute la multiplicité de ses manifestations et éléments. Le Paganisme hellénique honore les Puissances et les Energies de la Nature, à l'instar des autres religions pré-chrétiennes de l'Europe. Nous rendons aussi un culte à des "Idées", qui dans notre vision du monde, sont considérées comme des déités individuelles, des Dieux, que l'esprit humain prend comme "enpneuseis" (in-spirées). Nous trouvons donc dans le Polythéisme hellénique des Dieux et des Déesses, telle qu'Eunomia, Harmonia, Dikè, de même que dans le Polythéisme romain, qui fut directement influencé par le système religieux des Grecs. 

    • Quels sont vos philosophes préférés ?

    J'éprouve un grand respect pour Empédocle et Héraclite, ainsi que pour Épictète et les Stoïciens, pour l'époque plus tardive. Comme tous les autres Ethnikoï de Grèce j'admire l'Empereur Julien et Georges Gémiste Pléthon, grâce à qui survécut cette volonté de retour à l'ancien éthos, à l'ancienne païdeia [éducation visant l'excellence], et ce, du IVe s. aux XVe-XVIe siècles, et ensuite jusqu'à nos jours. Si ces hommes n'avaient pas existé, on peut supposer que la domination de l'idéologie judéo-chrétienne aurait été totale. Julien fut davantage un symbole de résistance qu'autre chose : son règne fut trop court et son assassinat sauva vraiment le Christianisme du déclin. Un règne plus long, des individualités hors du commun auraient pu évincer le Judéo-Christianisme. Mais Julien fut assassiné et l'Histoire prit un autre chemin... que nous connaissons bien ! Quant à Pléthon, son importance est énorme, au moins pour nous autres Hellènes. En fait, Pléthon a constitué le lien entre l'Antiquité et le monde moderne. La Renaissance en Europe doit beaucoup à ses textes et à ses idées que ses disciples exilés de Byzance transmirent à l'Occident. 

    • Que pensez-vous du Christianisme et du Monothéisme ? 

    Le Christianisme a été un gigantesque stratagème pour asservir les peuples du monde à l'éthos judaïque. Il a surmonté l'obstacle de la non-appartenance au peuple juif, qui maintenait les Ethnikoï, les Païens, hors d'atteinte du peuple élu par le Dieu Yaveh. C'est Paul, dénommé l'Apôtre des Nations, qui fut, à Antioche, le réel fondateur du Christianisme, et nullement jésus. Nous pouvons voir aujourd'hui, dans le monde entier, les effets dévastateurs de cette duperie. Le monde entier est soumis à une terminologie à une chronologie et aux fadaises d'un éthos judéo-chrétien dominant sans partage là plupart des nations, qui, presque toutes, ont rejeté l'héritage pré-chrétien de leurs ancêtres. Certaines civilisations sont à ce point asservies que même leur histoire nationale semble commencer avec leur premier roi baptisé et chrétien ! Tous les peuples enseignent à leurs enfants que leurs ancêtres sont Abraham et autres Patriarches d'Israël, en un mot des nomades! C'est insupportable. Aucune nation ne peut exister sans son ethnologie, sans ses propres cosmologie et théogonie. (...) 

    Quant au Monothéisme, la vérité est que le préfixe "mono" n'a rien à voir avec un quelconque nombre de Dieu(x). Les prétendus Polythéistes sont évidemment conscients de l'unité du Cosmos, du grand Tout. De même, les religions soi-disant "mono"-théistes ne révèrent pas qu'un seul Dieu. Les Juifs sont "bi"-théistes et les Chrétiens "tri"-théistes, sans compter leur légions de saints et d'anges .. qui font d'eux d'assez bons "poly"-théistes ! La vraie différence entre le Monothéisme et les religions païennes, polythéistes, réside dans le rapport du ou des Dieux au Cosmos. Pour la première vision du monde (Vl. Rassias use du terme "cosmovision", NDT), Dieu préexiste au monde, qu'il crée ex nihilo. Conception totalement antiscientifique puisque rien ne peut jamais être créé à partir du néant. Ce caractère hautement improbable de la cosmogonie monothéiste, alléguant l'existence d'un Dieu extérieur au Cosmos et la création de ce dernier par une entité préexistante, justifie l'élaboration de la pensée totalitaire. Le monde est une création de Yaveh. C'est à lui seul et à ses lois qu'il doit obéir. À tout moment, Yaveh peut le faire disparaître, selon son bon plaisir. Au contraire, dans les cosmogonies païennes, tous les Dieux sont soumis aux lois cosmiques. On a donc dans la vision du monde monothéiste l'archétype de la dictature et de la tyrannie, et de même qu'on dit que "ce qui est en haut est comme ce qui est en bas", de même on peut comprendre pourquoi les dogmes monothéistes ont été et restent les fondements de tous les systèmes totalitaires. 

    • Pouvez-vous expliquer les concepts suivants : ethnos, Ethnismos, Etinairatos, Ethnikismos

    Je vous renvoie pour les détails à mon dernier livre. Il est désolant que le lecteur européen n'ait pas un accès facile à ces textes en raison de l'obstacle linguistique. Mon essai étudie en effet le sens de ce préfixe "ethno", ainsi que les relations des concepts qui en dérivent avec l'éthos pré-chrétien européen d'une part, avec l'éthos judéo-chrétien de l'autre. Ethnos ne signifie pas "nation" au sens contemporain, mais bien, au sens archaïque, société organisée selon un éthos particulier à un peuple spécifique. Dans ce livre, je critique le nationalisme (Ethnikismos) en tant que phénomène purement judéo-chrétien ; je propose à tous les peuples un retour aux antiques traditions ancestrales, aux voies et aux comportements propres à chacun. Aux antipodes de la culture, de la religion et des coutumes allogènes de l'ère vulgaire, qui, depuis des siècles, ont maintenu nos traditions sous une chape de plomb. 

    • Vos Dieux et vos Déesses tutélaires ? 

    Je vis une relation fort familière avec Zeus et Apollon. Je suis incapable de vous dire, par un discours construit, pourquoi il en est ainsi. C'est plus une impression, une émotion qu'un concept intellectuel. Outre le culte régulier que je leur rends, j'ai honoré Zeus en rédigeant un livre dédié à ce Dieu, où j'étudie ses 627 épithètes. C'est à ma connaissance l'étude la plus fouillée sur Zeus. Si les Dieux le veulent, ce livre sera publié, en grec, au mois de janvier 1997.  

    ► Antaïos n°11, 1996. [source]

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    Entretien avec les éditeurs de la revue DIIPETES 

    • Q. : Qui êtes-vous ? 

    diipco10.gifR. : Nous sommes un groupe de jeunes gens qui se sont sentis obligés de sortir de l'impasse dans laquelle semble s'être fourvoyée une civilisation sombrant dans la barbarie, et qui, depuis des siècles, a nié et arasé trop de différences. Nous tentons de défendre, d'illustrer et d'honorer l'esprit, la voie et la tradition de nos ancêtres pré-chrétiens. La civilisation antique fut brillante et sans égal. Caractère sacré et divin de la Nature, respect et adoration de cette dernière, autonomie et participation des citoyens à la vie sociale et politique, liberté, excellence, amour et harmonie, acceptation joyeuse de la vie, tout cela fut vraiment unique. 

    Nous avons publié un livre de N.C. Pennick (Wasting the Earth : Practical Results of Religious and Political Theories against Nature, 1994), un essai de S. Eyes (Psychedelic Mysteries, 1995). Notre collaborateur Vlasis Rassias a également publié 3 volumes (voir plus haut) et traduit en grec Odinism and the Occult (1996), une publication de l'Odinic Rite britannique. Il a enfin publié son dernier essai Ethnos, Ethnismos, Ethnokratos, Ethnokismos, qui est une sorte de clarification de l'antique concept d'Ethnos-nation, totalement différent tant de l'Ethnos-État que du nationalisme modernes. 

    • Que signifie pour vous le terme Paganisme

    Pour nous, Paganisme signifie retour de l'archaïque. La renaissance des authentiques religions natives, des voies et de l'éthos propres à chaque peuple, est sans doute le seul avenir pour une humanité bloquée dans l'impasse socio-politique et de la destruction du cadre naturel, victime de l'explosion de la criminalité, du racisme et de l'intolérance politico-religieuse. La vision païenne du monde, qui considère la Nature comme divine et l'humanité comme faisant partie de celle-ci et devant vivre en harmonie avec l'univers, est la solution la plus sage en vue d'une restauration de l'équilibre écologique et social. 

    • Quels sont vos philosophes préférés ? 

    Nous n'avons pas vraiment de philosophes préférés. Nous nous intéressons aux discours et aux actes quotidiens de l'homme grec. Mais nous nous inspirons des présocratiques (Héraclite, Anaximandre, Phérécide, Empédocle) et de certains "post-chrétiens" qui ont défendu l'Hellénisme (Plotin, Gémiste Pléthon, Giordano Bruno). 

    • Peut-on parler tradition païenne ininterrompue en Grèce ? 

    Après l'éradication des structures civiques grecques et leur unification violente sous la poigne centralisatrice des empires romain et byzantin, aucune tradition explicitement païenne n'a pu survivre. Toutefois, de nombreuses fêtes ne furent pas interdites et survécurent sous un déguisement vaguement chrétien. C'est le cas des "Anastenaria" célébrées annuellement dans certains villages de la Grèce du Nord. Les participants y dansent pieds nus, en transe, sur des charbons ardents. Cette coutume remonte à la Grèce antique... même si elle est censée honorer saint Constantin et sainte Hélène ! Ce qui n'empêche pas le haut clergé orthodoxe d'essayer de supprimer ces fêtes ! 

    Encore plus impressionnantes sont les fêtes séculaires appelées dans de nombreux villages "Apokries", qui n'ont absolument rien de chrétien. En effet, I'Église pourrait difficilement revendiquer comme chrétiennes des fêtes où les gens boivent, dansent et révèrent un énorme phallus orné de guirlandes de feuilles de vigne ! Ces fêtes dérivent directement des cultes dionysiaques. Toutefois, il ne s'agit évidemment pas d'un culte conscient à Dionysos. Nous n'avons probablement pas de prédécesseurs à l'époque moderne. Tout un chacun a toujours parlé de culture orthodoxe grecque. D'après nous, ce concept est hybride et incohérent. Il y a bien eu au XXe siècle des intellectuels pour défendre ouvertement le Paganisme, comme par ex. K. Simopoulos, le poète A. Sikélianos, etc. Il a sans doute de tout temps existé des familles qui honoraient les anciens Dieux en secret. Mais les premières expressions et défenses publiques de l'âme et des Dieux antiques ont été les livres de V. Rassias, la revue Diipetes et quelques textes publiés dans la revue underground "Cité ouverte". 

    • Que pensez-vous du Christianisme ? Quels sont vos rapports avec l'Église orthodoxe ? 

    Le Christianisme doit être critiqué pour avoir éradiqué de multiples civilisations indigènes : les Grecs, les Indiens d'Amérique... et bien des Européens. Le même ethnocide est en ce moment perpétré contre des tribus d'Amazonie, en Afrique et dans le Pacifique. Chacun a le droit d'exprimer ses convictions, même si nous pensons que le désastre écologique et social, le déclin politique et culturel sont dus principalement à la mentalité héritée de l'absolutisme monothéiste. Nous ne croyons pas un seul instant qu'un Dieu unique ait créé l'univers ex nihilo pour le contrôler tout en récompensant ceux qui lui sont dociles et en châtiant cruellement les "infidèles». La Nature elle-même nous enseigne l'Unité par la Multiplicité et vice versa. Quant à nos relations avec l'Église, elles sont inexistantes. Elle pense sans doute que la meilleure politique à notre égard est la conspiration du silence. Toutefois, à l'occasion de notre solstice d'été sur le Mont Olympe, qui a rassemblé 350 personnes, le clergé local s'est mobilisé contre nous et a exigé d'un ton menaçant l'interdiction de la fête. Être Païen n'est donc pas facile dans la Grèce d'aujourd'hui, vu le contrôle exercé par l'Église dans bien des secteurs de la vie sociale. 

    • Que signifie Diipétès

    Diipetes est une épithète homérique signifiant "qui tombe de Zeus, ou du ciel" et "limpide, pur". Nombre de statuettes semblent avoir été des "diipéti", c'est-à-dire tombées du ciel et adressés à nous par Zeus.  

    • Quid de la Wicca et du Nouvel Âge ? 

    Nous reconnaissons bien sûr aux adeptes de la "Wicca" et du "Nouvel Âge" le droit de pratiquer librement leur culte. Mais nous pensons avoir le droit de critiquer cette mouvance, ces tendances que nous considérons comme artificielles et dépourvues de références historiques, hétéroclites. En un mot, il s'agit d'une sorte d'auberge espagnole. D'autre part, leur universalisme foncier est étranger aux antiques Paganismes, qui se fondent sur la différenciation et la localisation. S'ils se présentent comme "Païens", ils sont plutôt des adorateurs de la nature... à la mode chrétienne. 

    • Avez-vous des Dieux et des Déesses tutélaires ? 

    Beaucoup d'entre nous sont reliés à un Dieu ou à une Déesse en particulier, et ce, en fonction d'événements personnels. Pour ce qui concerne la revue proprement dite, notre inspirateur est le Dieu Apollon. Ainsi qu'Athéna, Déesse combattante de la Sagesse.  

    ► Athènes, novembre 1996. 

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    ◘ Italie :

    Le paganisme en Italie aujourd’hui

    Entretien avec le Professeur Sandro Consolato

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    On ne peut plus parler des racines profondes de l’Europe sans se référer aux mondes préchrétiens

     

    ◘ Synergies Européennes – Bruxelles/Rome/Viterbe – Nov. 2007

    consol10.jpgNous publions aujourd’hui un entretien avec le Prof. Sandro Consolato, responsable national, en Italie, du “Mouvement Traditionnel Romain” (Movimento Tradizionale Romano) et éditeur de la revue d’études traditionnelles La Citadella, auteur d’un livre intitulé Julius Evola et le bouddhisme et de multiples essais parus dans les revues ArthosPolitica RomanaMargini et Letteratura-Tradizione. L’entretien passe en revue, après enquête minutieuse, quelques thèmes fondamentaux parmi lesquels la critique de toutes ces thèses qui n’évoquent que les seules racines judéo-chrétiennes de l’Europe, la survivance de la religiosité romaine en Italie et les expressions les plus hautes de la paganité romano-italique, ainsi que le « culte gentilice » à travers les siècles. L'entretien jette aussi un regard sur les liens entre la tradition romaine et les expériences historiques et culturelles du fascisme et de quelques filons ésotériques de la droite dite radicale. Enfin, le Professeur Consolato formulera quelques remarques d’une brûlante actualité sur les rapports entre, d’une part, les représentants et les associations de la  “Tradition Romaine” et, d'autre part, les mouvements religieux ethniques dans d’autres régions d’Europe.

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    • Q. : Commençons par les racines…. L’Europe a effectivement des racines “judéo-chrétiennes”, quel est alors votre point de départ, pour contester cette affirmation fort courante ?

    SC : Evola, dans sa jeunesse, quand il venait d’écrire Impérialisme païen, évoquait l'« Anti-Europe », mettant ses lecteurs en garde contre un danger « euro-chrétien »… Mais, c'est vrai, il n’y a eu de culture européenne unitaire, de l'Atlantique à l'Oural, de l'Islande à Malte, qu'au Moyen Âge, à la suite de la christianisation de notre continent, c'est-à-dire de terres et de peuples auxquels le christianisme primitif était étranger, tout simplement parce qu'il était né dans un vivier ethnique et religieux juif. C'est justement parce que le christianisme est, à l’origine, un phénomène allogène que l'on ne peut pas parler de racines profondes de l’Europe sans se référer aux mondes préchrétiens, comme celui des traditions helléniques et romaines, des traditions propres aux peuples celtiques, germaniques, baltes et slaves qui ont donné, chaque fois, une coloration particulière aux sociétés chrétiennes.

    • Mais toute spiritualité européenne aujourd’hui doit tenir compte de religions vivantes, et non de formes religieuses mortes…

    À cela, je vous rétorquerais que certains pays européens ont reconnu, juridiquement, l'existence et la pratique d’anciennes religions païennes. L'Europe entière devrait tenir compte de situations similaires dans d’autres pays, même si elles sont plus fréquentes à l'Est qu'à l'Ouest : prenons l’exemple concret de la Lituanie, où le paganisme “indigène” a été reconnu, il y a quelques années, par l'État. Ce paganisme a une histoire longue et vivante, voilà pourquoi les vicissitudes de celle-ci doivent nous servir d’exemple. Une délégation de notre mouvement, menée par Daniele Liotta a été invitée en Lettonie à la Conférence Internationale des religions ethniques en juin 2007. Elle a pu y constater qu’être païen, là-bas, est considéré comme la chose la plus normale, comme une donnée naturelle de l’identité nationale. Le jour du solstice, les païens peuvent, par ex., visiter les musées gratuitement.

    • Et qu'en est-il en Italie, la patrie des Romains ?

    Je formulerais d’abord une remarque : quand on parle de paganisme, il convient de distinguer 2 phénomènes ; d’une part, la religiosité populaire, d'autre part, les traditions élitaires. Dans les pays celtiques, scandinaves, baltes et slaves, contrairement aux pays méditerranéens comme l'Italie ou la Grèce, le paganisme populaire s’est maintenu à travers les siècles et, dans certaines régions, est demeuré plus autonome par rapport aux christianismes officiels que chez nous. Dans l'aire méditerranéenne, il reste, certes, de très intéressantes survivances de la religiosité populaire païenne, mais sous des travestissements chrétiens. En revanche, il y a toujours eu, chez nous et en Grèce, des élites païennes, s'inscrivant dans la continuité des cultures grecque et latine, cultures qualitativement supérieures, qui ont véhiculé jusqu'à nous le néo-platonisme, qui est donc la plus haute et la plus ancienne expression du paganisme philosophique, l'hermétisme alchimique et certains rites liés directement aux formes traditionnelles de la religion civique et privée du monde classique.

    À l'époque de la Renaissance, le contrôle religieux médiéval s’était relâché ; il s’est ensuite renforcé par le double effet de la Réforme et de la Contre-Réforme. Mais dans la période de relâchement, à l’évidence, des formes de revival païen se sont manifestées qui ne peuvent pas s’expliquer sans admettre qu’il a y eu vraiment continuité souterraine pendant des siècles. Au XVe siècle, nous avons en Grèce la « république païenne platonicienne » de Georges Gémiste Pléthon, qui s’établira en Italie ; en Italie même, nous avions l'Accademia Romana de Pomponio Leto, qui atteste de la survivance du Pontifex Maximus (Grand Pontife) païen dans la Cité des Papes. Entre ces 2 institutions, il existait un lien, à l'évidence, et ce n’est pas un hasard si la tombe de Georges Gémiste Pléthon se trouve en Italie. À côté de ces manifestations néo-païennes de la Renaissance, toute personnalité autonome peut reprendre aujourd’hui, pour elle, les rituels païens s’adressant aux dieux de l'Antiquité, ou les partager avec d’autres personnalités singulières ou avec des groupes d’hommes appartenant à des catégories cultivées de la société, connaissant les auteurs latins classiques et capables de déchiffrer sur les monuments des formules, des coutumes ou des pratiques religieuses antiques et païennes.

    • Qu'en reste-t-il dans l’Italie contemporaine ?

    L'affirmation publique la plus évidente, qui atteste de la permanence, jusqu’à nous, d’un centre initiatique païen de tradition italo-romaine — relevant donc de la tradition ésotérique — fut la rédaction d’un article en 1928, dû à la plume d’Arturo Reghini, dans les colonnes de la prestigieuse revue de sciences initiatiques, Ur, dirigée par Julius Evola. Ce dernier, comme je le disais tout à l’heure, venait d’écrire, la même année 1928, Impérialisme païen, ouvrage qui invitait explicitement le nouveau régime fasciste à se référer clairement à la tradition spirituelle du paganisme impérial. Dans son article, signé sous un pseudonyme — tous les collaborateurs de la revue avaient l’obligation de conserver l’anonymat — Reghini écrit : « Même si cela paraît totalement invraisemblable, un centre initiatique romain s’est maintenu sans interruption depuis la fin de l’Empire jusqu’aux temps présents, avec une continuité physique grâce à une transmission sans aucune coupure». Reghini n’était pas un de ces occultistes comme le XXe siècle en a tant connu, mais, au contraire, une figure du monde spirituel de grande envergure, un explorateur et rénovateur insigne de la mathématique pythagoricienne : ses paroles ont donc résolument du poids.

    Du passage de son article, que nous venons de citer, nous ne retiendrons seulement qu’un seul fait évoqué : le paganisme de la Rome antique a laissé des traces importantes dans l’histoire culturelle et politique de l’Italie. Ceux qui veulent approcher le paganisme dans l’Italie d’aujourd’hui doivent donc nécessairement tourner leurs regards vers ce qui leur est finalement très proche et ne pas craindre de pratiquer des rites qui n’auraient aucune assise dans la réalité séculière, bien visible derrière les travestissements chrétiens ou autres. Ces rites donnent donc, finalement, la même sécurité que recherchent la plupart des gens dans les grandes religions historiques. Il suffit d’avoir le courage de l’humaniste du XVe siècle, ou de l’érudit du XVIIIe, qui, lorsqu’ils lisaient une prière ou la description d'un rite ou d’une offrande dans un texte latin classique, se sont dit : « Et si je le pratiquais, moi, que se passera-t-il ? ».

    • Quels sont aujourd'hui les groupes ou les personnalités marquantes du paganisme en Italie ?

    En Italie, nous avons aujourd’hui des individus et des groupes qui se réclament d’un paganisme que je qualifierais de “générique”, ou qui entendent ce paganisme dans une acception qui n’est ni romaine-italique ni classique, mais celtique ou même scandinave, c'est-à-dire “odiniste”. Pour moi, c'est un non sens, parce que dans l'Italie antique et, ensuite, dans nos traditions populaires, s'il existe peut-être des composantes celtiques, Odin, pour sa part, n’a jamais été chez lui en Italie : les Lombards, dont j’admire la geste, sont arrivés en Italie alors qu’ils avaient déjà été christianisés, et plutôt mal christianisés ; quant aux Normands qui se sont établis dans le Sud et en Sicile, ils n’étaient plus des Vikings païens.

    Il existe cependant des groupes qui n'aiment pas la publicité, qui ne publient pas de revues, qui n’ont pas de sites sur internet. Le Mouvement Traditionnel Romain (MTR), auquel j'appartiens, a choisi la voie d'une présence culturelle active et explicite. Des groupes liés à ce mouvement existent dans diverses régions d'Italie. Au niveau public, il convient de signaler également l'Associazione Romana Quirites de Forli. Nous, du MTR, œuvrons sur le plan culturel par le biais d'un site et d’un forum sur internet. L'adresse du site est : lacittadella-mtr.com. L'adresse du forum est : saturniatellus.com. Mais notre principal organe demeure la classique revue sur papier, La Citadella. Il existe encore d’autres revues intéressantes dans le domaine qui nous préoccupe, comme Arthos, mais elle ne traite que partiellement de thématiques proprement païennes.

    Caractéristique majeure du MTR : il a réussi à conquérir un statut culturel reconnu par tous, ce qui l'amène à dialoguer avec nombre de personnalités issues du monde universitaire et à gagner la sympathie de beaucoup d’intellectuels non-conformistes. Certes, l'activité culturelle que nous déployons ne rend personne plus “païen” qu’un autre mais, à l'évidence, la qualité de nos activités éditoriales aide à légitimer socialement les activités qui ont un caractère spirituel stricto sensu.

    • À propos des activités culturelles, vous avez collaboré également au volume collectif des “Edizioni di Ar”, intitulé Il gentil seme, qui pose justement quantité de bonnes questions sur les racines les plus anciennes de l'Europe…

    Vous faites bien de signaler l'existence de ce précieux volume. Personnellement, je le considère comme l'un des témoignages les plus patents qu'il existe en Italie une culture païenne de haut niveau, capable d’affronter les plus grandes questions philosophiques, historiques et politiques. Les Edizioni di Ar, surtout au cours de ces dernières années, ont apporté une grande contribution : elles ont rendu parfaitement “normal” le fait de parler de paganisme.

    • En Italie, mais pas seulement en Italie, le paganisme a une histoire qui le lie au fascisme historique et au néo-fascisme, voire au radicalisme de droite. Comment expliquez-vous cela ?

    Dès son émergence, le fascisme a éveillé l’intérêt de certaines personnalités et de certains milieux qui pensaient que le mouvement de Mussolini donnerait à l'Italie une belle opportunité historique, celle de jouer à nouveau un grand rôle sur la scène internationale, ce qui avait pour corollaire de se référer obligatoirement à Rome. C'est vrai pour Giacomo Boni, pour Arturo Reghini et pour Julius Evola. Voilà pourquoi un païen italien, aujourd’hui, peut affirmer clairement qu’il n'est pas fasciste mais ne peut pas pour autant se déclarer anti-fasciste.

    Contrairement à ce que l’on croit habituellement, le paganisme authentiquement romain n'a jamais suscité beaucoup d'intérêt dans la sphère néo-fasciste. Le paganisme peut certes se limiter à n'être qu'une option philosophique élitiste, mais la romanité, elle, doit toujours se traduire en réalité politique, en un ordre étatique et social. Toutefois, la naissance du groupe des “Dioscures”, au sein d’Ordine Nuovo, à la fin des années 60, est un fait fort important. Les rédacteurs de cette mouvance particulière au sein d’Ordine Nuovo ont écrit publiquement, à l'époque, que, pour redonner un ordre traditionnel non seulement à l'Italie mais au monde entier, il fallait rallumer à Rome le feu de Vesta. C'était une audace, et non des moindres, à l’époque.

    • Mais en quoi consiste la vie proprement religieuse d’un païen de tradition romaine de nos jours ?

    C'est une vie centrée sur un culte qui est certes privé mais aussi communautaire, parce que la religion des Romains est avant toutes choses une religion de l'État romain (ses prêtres sont simultanément magistrats, ne l'oublions pas), qui, pour être remise entièrement en vigueur, a besoin d’un culte public de l'État. Le culte privé, tout comme le culte public, est rythmé par l'antique calendrier romain, avec ses calendes, neuvaines et ides. Il y a maintenant de nombreuses années, Renato del Ponte, figure de proue du traditionalisme romain à notre époque, avait édité un calendrier qui nous permettait de revenir, tout naturellement, au temps sacré de nos ancêtres.

    Je me permets de rappeler, ici, que les Romains et les Grecs de l'Antiquité ne savaient pas qu’ils étaient des “païens” ou des “polythéistes”, appellations savantes et modernes. Le premier de ces termes est de nature polémique : il a été forgé par les chrétiens qui se référaient ainsi aux survivances des cultes anciens dans les pagi, c'est-à-dire dans les villages éloignés des campagnes ; le second de ces termes est “scientifique” et récent. Nos ancêtres de l'Antiquité savaient seulement qu'ils étaient “pies” et “religieux” et, en tant que tels, devaient vénérer plusieurs Dieux, non pas parce qu'ils ignoraient la réalité unitaire et métaphysique du cosmos mais parce qu’ils savaient que cette réalité s'exprimait par une pluralité merveilleuse de formes et de fonctions qui rendaient le cosmos sacré et beau. Si les 2 termes “païen” et “polythéiste” servent simplement à faire comprendre directement ce que nous sommes, il faut cependant préciser que le premier se réfère à la spiritualité préchrétienne et le second au Panthéon classique. Forts de cette précision, nous pourrions nous définir comme païens et polythéistes. Mais si ces termes génèrent de la confusion et risquent de nous associer désagréablement à l’occultisme du New Age, alors il vaut mieux privilégier l’appellation de “traditionalistes romains”, car finalement c’est de cela que nous parlons.

    • Vous prenez donc vos distances avec le terme “païen”…

    hestia10.jpgEn aucun cas. Dans le terme “païen”, je perçois l’indice d’une volonté de se distinguer, une volonté d’aller aux racines, et en ce sens “radicale”, un refus de tout compromis avec ce qui est venu “après”. La posture païenne est donc utile pour échapper aux pièges de certaines visions spiritualistes pour qui tout ce qui fut “bon” dans le monde antique aurait été définitivement absorbé et assimilé dans les monothéismes chrétien et musulman. Ensuite, faut-il ajouter que dans la culture universitaire, le terme “païen” est utilisé habituellement pour toute référence aux philosophies et littératures de l'Antiquité, de Platon à Proclus, de Homère à Virgile ? Somme toute, le “paganisme” représente le donné originel de la culture européenne : il ne peut devenir ni un terme criminalisé ni un terme collé à des phénomènes d’autre origine, comme le font aujourd’hui le Pape et les évêques qui crient au “retour du paganisme” quand ils évoquent le satanisme contemporain ou le mariage homosexuel.

    ► Propos recueillis par Francesco Mancinelli, animateur du Circulo Culturale Helios de Viterbe (entretien paru dans Rinascita, 6 nov. 2007 ; tr. fr. : RS).

    [version italienne

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    ◘ Pologne :

    Zadruga : un groupe nationaliste et païen en Pologne

    ◘ Explications de Jaroslaw Tomasiewicz et réponses d'Antoni Wacyk

    Fondé en 1937 par Jan Stachniuk, la revue et le mouvement Zadruga ont voulu, dans la Pologne catholique, exprimé et illustré une sensibilité païenne, ont perçu l'essentiel dans l'enraciment dynamique et évolutif dans une terre, dans la localisation précise des hommes et des peuples, localisation d'où s'élance un déploiement harmonieux et créatif. Cet enracinement/localisation constitue la culture proprement dite : les théories, idées, systèmes, principes qui ne reposent pas sur ce locus primordial relèvent de la non-culture, dont le père spirituel est Socrate [alussion à l'anathème de Nietzsche]. Les idéaux du socratisme sont vidés de toute concrétude et brisent l'élan de l'homo creans enraciné. Les grands systèmes religieux et/ou philosophiques (bouddhisme, islam, christianismes) relèvent de la non-culture.

    Pour une approche complète des idées de Zadruga, on lira avec profit l'ouvrage de Stanislaw Potrzebowski : Zadruga : Eine völkische Bewegung in Polen, Institut für angewandte Sozialgeschichte, Bonn, 1982, 325 p.

    Malgré les vicissitudes de l'histoire polonaise, l'occupation allemande et le régime communiste, Zadruga existe toujours. Ce n'est plus qu'un cercle très réduit, nous explique Jaroslaw Tomasiewicz, regroupant 5 à 7 intellectuels adultes et beaucoup de jeunes sympathisants. Il rencontre des difficultés énormes d'ordre financier et technique et appelle les mouvements d'inspiration païenne et néo-droitiste à l'aider à se diffuser. Notamment par le biais de photocopies. Les anciens membres de Zadruga continuent sans répit à écrire articles, poèmes, manifestes, lettres, etc. mais sans pouvoir rien publier à grande échelle. Jaroslaw Tomasiewicz tente de faire passer le message dans les masses en militant dans des mouvements politiques et dans des associations culturelles, notamment sur la scène de la pop-culture. Celles-ci font notamment paraître une revue, Kolomir (le nom slave de la croix irlandaise), destinée à la jeunesse et consacrée à la musique et aux idées politiques. Elles organisent entre autres choses des soirées de danses populaires traditionnelles et diffusent des cassettes audio, de musique engagée rock'n'roll et folk. Tomasiewicz songe à créer un magazine de littérature fantastique et un journal sportif. Au niveau de la «culture des élites», J. Tomasiewicz entretient d'excellents contacts avec les grands peintres nationalistes et païens comme Konarski et Fraczek et un écrivain comme Nienacki. Par son intermédiaire, nous avons pu transmettre dix questions à Antoni Waczyk, le principal collaborateur de Stachniuk aux débuts de l'histoire de Zadruga.

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    • 1. Qu'en est-il de votre mouvement Zadruga aujourd'hui ?

    AW : Fondé par Jan Stachniuk (1905-1963), Zadruga est un mouvement culturel et non politique. Le terme Zadruga signifie “communauté” (au sens holiste). Aujourd'hui nous existons à l'état embryonnaire. Notre objectif est de déclencher une révolution culturelle, assise sur une conception de l'homme et de l'humanité diamétralement opposée à celle du christianisme, de l'hindouisme, du bouddhisme et des autres idéologies décadentistes, le communisme y compris.

    • 2. Quelles sont les sources d'inspiration de Zadruga ? Herder ? Nietzsche ?

    Notre inspiration ne nous vient ni de Nietzsche ni de Herder. Dans l'histoire des idées en Pologne, nous nous référons dans une certaine mesure à Stanislaw Brzozowski (1878-1911). Mais pour l'essentiel nous nous inspirons des écrits de Stachniuk lui-même.

    • 3. Le groupe Zadruga défend-il un principe ethniste ? Si oui, quel type d'institutions suggéreriez-vous pour votre peuple ?

    Oui, Zadruga défend le principe ethnique. Quant aux institutions, je crois qu'il est encore trop tôt pour y penser. C'est un problème qui est encore fort éloigné...

    • 4. Comment le groupe Zadruga explique-t-il l'émergence des peuples slaves en Europe orientale ?

    Les peuples slaves sont d'origine indo-européenne et leur foyer préhistorique initial s'étendait entre l'Oder et la Vistule.

    • 5. Comment le groupe Zadruga explique-t-il la christianisation de la Pologne ?

    La christianisation de la Pologne était inévitable puisque le catholicisme en expansion avait pour lui la gloire de feu l'Empire Romain et la puissance militaire des Allemands récemment convertis.

    • 6. Comment jugez-vous le phénomène politique qu'est Solidarnosc ?

    Solidarnosc est un facteur politique traditionnel en Pologne, animé qu'il est par des prêtres. C'est une garantie de stagnation assurée pour le peuple polonais.

    • 7. La Pologne est coincée entre 2 géants, l'Allemagne et la Russie. En tenant compte de ce fait géographique, comment voyez-vous l'avenir de votre pays ?

    C'est difficile à dire. Cela dépend du temps que mettront ces 2 géants, nos voisins, à résoudre leurs propres problèmes. Mais une chose est sûre, si une nouvelle agression venait de l'Est, il y aurait apaisement à l'Ouest.

    • 8. Les frontières de la Pologne sont à nouveau objet de discussion dans le monde ? Quelle est votre position ?

    Les frontières de la Pologne sont inviolables.

    • 9. Comment jugez-vous les événements d'URSS (la perestroïka), de Tchécoslovaquie (l'accession de Vaclav Havel à la Présidence), en Hongrie et en Allemagne de l'Est ?

    Nous saluons la perestroïka russe comme un phénomène positif. Mais nous avons des doutes quant à son succès final... Vaclav Havel ? He is the right man in his place. C'est l'homme de la situation. Les Hongrois retourneront à l'Europe bien avant nous. Quant aux Est-Allemands, ils ont droit à la réunification.

    • 10. La presse occidentale, ignorant la plupart du temps les réflexes profonds des peuples slaves, parle abondamment d'un mouvement russe appelé Pamyat et le décrit comme “populiste” ? Qu'en pensez-vous ?

    Pamyat est un mouvement ethno-nationaliste russe et, en tant que tel, ne peut qu'être populiste.

    ► Vouloir, 1989.

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    Roumanie :

    noel-r10.jpgLa religiosité cosmique de la Roumanie

    Terre de rencontre des Cimmériens, des Thraces, des Géto-Daces, des Grecs et des Romains dans l'Antiquité, du christianisme et des influences asiatiques nomades au Moyen Âge, la Roumanie a développé une religiosité « cosmique » originale. Ses traces sont encore perceptibles dans le folklore, mais aussi dans la réflexion philosophique et dans l'art.

    [Ci-dessus : la "danse de Capra" durant la célébration populaire de l'hiver (sărbătorilor de iarnă). La Roumanie a conservé une forte population rurale (45 % de la population totale), qui maintient, dans les zones les plus isolées du pays, des traditions paysannes dont l'origine plonge dans la nuit des temps]

    Dans le domaine de l'ethnologie et de l'histoire des religions, la Roumanie a souvent été consi­dérée comme une exception historique, que symbolise notamment son « christianisme cosmique ». De nombreux auteurs l'ont étudié : Tudor Pamfile, Arthur Gorovei, Marcel Olinescu, Maria Ionita, Gheorge Vladutescu ou encore Romulus Vulcanescu. Nous avons choisi ici de présenter trois approches dif­férentes : celle de l'historien des religions Mircea Eliade, celle de l'ethnologue Victor Kernach et celle du penseur traditionnel Vasile Lovinescu.

    Mircea Eliade et le christianisme cosmique

    L'expression « christianisme cosmique » est due à Mircea Eliade. Cet auteur, mondialement célèbre pour ses monumentales études sur l'histoire des religions, a été précocement frappé par le fait que la « sacralité du monde » telle que la concevaient les paysans de Rou­manie (et d'Europe orientale) ne coïncidait guère avec les dogmes chrétiens.

    Loin de véhiculer l'idée d'une séparation radicale entre Dieu et sa création (le cosmos), balades, légendes et mythes roumains abondent en références cosmogoniques où l'on peut saisir une « communion » entre l'homme et la nature : « La solidarité mystique avec les rythmes cosmiques — écrit Eliade — violemment critiquée par les prophètes de l'Ancien Testament et à peine tolérée par l'Église chrétienne, se trouve au centre de la vie religieuse des populations rurales, par­ticulièrement de celles de l'Europe de l'Est ». Alors que la foi chrétienne tentait d'intégrer dans sa liturgie le vieux fonds des croyances populaires, les paysans ont accompli le mouvement inverse : « Le mys­tère christologique est projeté sur la Nature entière ». Ce faisant, ils renouaient avec les plus anciennes traditions de leur contrée, mar­quées par l'influence originelle et durable des cultes exta­tiques et mystériques (Sabos et Sabazios, les Dio­nysos thraces, Zalmoxis ou Gébéléizis, divinités géto-­daces). Eliade remarque également combien il est significatif que « la cosmogonie biblique ait disparu dans le folklore européen ». Et de rappeler : « Dans une histoire "totale" du christianisme, il faut également tenir compte des créations spécifiques aux populations rurales. À côté des différentes théologies construites à partir de l'Ancien Testament et de la phi­losophie grecque, il importe de considérer les esquisses de "théologie populaire" : on trouvera, réin­terprétées et christianisées, nombre de traditions archaïques, depuis le néolithique jusqu'aux religions orientales et hellénistiques. Au cours des âges, ce « panthéisme unitariste » a accepté et assimilé aussi bien les croyances indo-européennes et pré-indo­européennes que la foi chrétienne. La Vierge Marie devient ainsi la Grande Dame ou l'Impératrice qui assiste au culte de matraguna (la belladone, associée aux rites érotiques féminins), ou encore la bonne fée Ileana Cosanzeana, qui aide les héros dans leurs com­bats contre les animaux fabuleux.

    Victor Kernbach à la recherche du fonds proto-païen

    [Ci-dessous : Ce masque funéraire est utilisé par les paysannes à l'occasion de l'inhumation des morts, dans la partie orientale de la Roumanie]

    mask-011.gifDans son étude fouillée sur le fond religieux de la Rou­manie, Victor Kernbach a accompli l' « herméneutique de la tradition rurale » que Mircea Eliade appelait de ses vœux. Kernbach a mis en évidence la double acculturation à laquelle a été soumise la communauté daco-romaine. La première, qui s'accomplit, sous l'égide du christianisme, à l'époque même de la for­mation du peuple roumain, a empêché l'émergence d'un « système mythique unitaire ». La seconde tient à le genèse syncrétique du « christanisme cosmique », à la confluence des anciens mythes païens autochtones, de la christianisation superficielle des esprits et de l'in­fluence des peuplades nomades venues d'Asie. La logique de la mythologie roumaine a été plusieurs fois fragmentée : Victor Kernbach, qui ne cache pas sa sympathie pour les anciennes traditions païennes, a néanmoins tenté de retrouver ce fonds primitif, notam­ment à travers d'énigmatiques fêtes populaires qui ont persisté jusqu'à nos jours dans certaines régions isolées. Observateur de terrain attentif, Kernbach a ainsi souligné que « les mythes bibliques écoutés à l'église par les paysans ont été mêlés sponta­nément à la nervure mythique locale ». Cette dernière n'est pas constituée d'un panthéon de dieux, mais plutôt d'une pléiade d'esprits (anima) incarnés par des divinités totémiques (Sfanta Vineri, l'oiseau Maiastra), telluriques (le chien de la Terre) ou cosmiques (Sin Petru, Sin Ilie, divinités de la nature), des animaux prophétiques (légendes du mouton ou du cheval mer­veilleux), des monstres zoomorphes, des héros (Fat-Frumos), des géants (les Novlac) et des fées (Ileana Cosanzeana).

    L'étude de Kernbach met en évidence les traits caractéristiques de la mythologie roumaine :

    • le monde est peuplé d'esprits dangereux et perfides, contre lesquels l'homme ne s'engage que par vocation (esprit héroïque) ou provocation (réponse à une action maléfique) ;
    • ces esprits se meuvent dans des univers parallèles, qui ne renvoient pas au dualisme chrétien, mais à la mentalité magique ;
    • le destin de l'homme et du monde est inéluctable, donc tragique. Lorsque Fat-Frumos, le héros archéty­pique, rencontre à la croisée d'un chemin sainte Ven­dredi, celle-ci lui annonce : « Si tu prends à droite, tu t'en repentiras, et si tu prends à gauche aussi » ;
    • la conviction qu'il existe un secret de la jeunesse éternelle et de la « vie sans mort ». De nombreux récits nous en montrent la quête par des héros qui, dès lors qu'ils reviennent en arrière par nostalgie du monde qu'ils ont quitté, constatent que le temps s'est écoulé pour eux à une grande lenteur (ils meurent d'ailleurs rapidement, l'effet magique de leur quête se dissipant pour les replonger dans le temps réel).

    Ce complexe de croyances et de superstitions trace les limites d'un « proto-paganisme » européen dont le christianisme cosmique roumain a conservé nombre d'influences.

    Vasile Lovinescu et la Tradition primordiale

    [Ci-contre : Babele (« les vieilles dames »), au sommet Omu' de Bucegi. Selon les ethnologues et les archéologues, ce mégalithe était utilisé dans les rites de vénération des divinités féminines pré-indo-européennes]

    sfinxu10.jpgVasile Lovinescu, connu en Europe occidentale sous le pseudonyme de Geticus, fut un ami de René Guénon, dont la revue roumaine Caiete Critice a publié, en 1994, un texte inédit : « Le monde ancien et le chris­tianisme ». Dans cette étude synthétique, Lovinescu oppose les religiosités judéo-chrétienne et « vieille­-européenne », qu'aucune consubstantialité de tradi­tion ou de vocation ne relie à ses yeux. La christianisation de l'Europe y est assimilée à un « acci­dent historique » et à l'« irruption d'un corps étran­ger », probablement « due à une anémiation des vieilles croyances païennes ».

    Lovinescu accuse d'abord le christianisme d'avoir rompu l'équilibre entre autorité spirituelle et pouvoir temporel, équilibre qui caractérise le génie propre de l'Empire : « Si on considère, comme le font les chré­tiens, qu'aucun pouvoir dans le monde ne peut résis­ter au Verbe jadis incarné en Judée [...] on se pose nécessairement la question : pourquoi Jésus-Christ ne s'est-il pas manifesté, comme Zalmoxis ou Mithra, à la fois comme Roi et Grand Prêtre ? ». Ce refus de l'in­carnation en politique se retrouve dans la métaphy­sique chrétienne, dont Lovinescu critique le dualisme (opposition entre Être incréé et Être créé). Si un rapport intime à la divinité était possible dans le paganisme, c'est qu'« à la différence du Dieu judéo-chrétien, le Dieu suprême de chaque mythologie était à la fois transcendant et immanent dans la caverne cosmique ».

    Loin d'opposer métaphysique et mythologie (« les peuples les mieux dotés spirituellement sont ceux qui développent une mentalité mythologique »), Lovinescu rattache le paganisme euro­péen à une Tradition originaire « venue du Nord » qu'il qualifie d'« ouranienne » et dont l'idée fondamentale est la co-appartenance de l'homme et de la nature, cette dernière étant toujours conçue comme un mystère : « Le seul support de l'inef­fable était la nature vierge, les bois des montagnes, le ciel, les eaux, les roches. Ainsi, nous mesurons l'exceptionnelle capacité de contemplation nécessaire à ces hommes pour perce­voir, dans cette nature, le suprême ». De cette attention permanente au monde provient la dimension avant tout esthétique et poétique de notre présence au monde : « Le polythéisme rendait impossible la prose ».

    ► Bogdan Radulescu, éléments n°89, 1997.

    ◘ Références :

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    Ion Tuculescu : les émotions primitives

    stamp_10.jpgDe formation scientifique (docteur en microbiologie, fondateur du laboratoire de zoologie descriptive de la faculté des sciences de Bucarest), le peintre Ion Tuculesciu (1910-­1962) a incarné en Roumanie le courant “néo-primitiviste”, dont l'exigence n'était rien moins que l'oubli (la “déconstruction”) des 3 derniers millénaires de l'histoire occidentale. Ses confidents et critiques — Petru Comarnescu, Ion Frunzetti — ont raconté comment Tuculescu trouva sa vocation. Un jour qu'il se promenait dans les environs de Mangalia, un port de la mer Noire, il avisa une paysanne en pleurs qui arrachait ses vêtements et en accrochait les lambeaux aux arbres entourant sa maison. Interrogeant les gens du pays sur cette étrange scène, Tuculescu apprit que cette paysanne, loin d'être folle, perpétuait un ancien rite : lorsque la souffrance d'un être est trop forte, il la partage avec son double végétal. Impressionné par le puissant symbolisme de cette communication avec “l'autre monde”, Tuculescu a dès lors voulu renouer dans ses toiles avec une “émotion primitive” encore intacte derrière la grande fatigue de la civilisation moderne. Les étapes de son œuvre païenne ont été, selon ses propres termes, la « phase folklorique » et la « phase totémique ». Tuculescu a ainsi abondamment représenté les danses anciennes (hora, sârba, batuta), les lamentations funéraires (bocet) et les intérieurs des maisons rurales (odaie). Il ne choisissait ses couleurs que dans la gamme vive des scoartze, tissus de laine imprimée avec des motifs folkloriques. Ses tableaux, aux titres éloquents – Totem solaire, Fête païenne dans la forêt, Parmi les ancêtres –, développèrent les thématiques de la réconciliation de la vie et de la mort, de la confiance magique dans la nature et de l'éternelle présence des ancêtres.

    Dimitrie Paciurea : la puissance de l'archaïque

    stamdp10.jpgBien qu'immergé dans le monde moderne, l'art plastique peut en appeler au fond immémorial de l'archaïque, puisé dans les cultures “primitives” (influence de l'art noir sur le cubisme ou de l'art polynésien sur Gauguin) ou dans la pure énergie d'un cosmos mythique (Constantin Brancusi ou Henry Moore). Le sculpteur roumain Dimitrie Paciurea (1875-1932) s'inscrit dans cette lignée d'artistes inspirés par une sensibilité “païenne”. D'origine paysanne, il introduit dans l'art roumain le courant du “réalisme magique” : les forces élémentaires de la nature doivent entrer en intime symbiose avec l'homme pour éveiller une “exaltation dionysiaque”. Renvoyant dos à dos théocentrisme et anthropomorphisme, Paciurea s'est inspiré des figures divines “vieilles-européennes” (au sens que l'archéologue Marija Gimbutas a donné à cette expression) pour réaliser l'ensemble des Chimères. La Chimère de l'air et la Chimère de la nuit donnent une forme contemporaine au mythe de l'oiseau Maiastra (proche du Phénix ou du Garuda indien).

    ► Paul Dudea, éléments n°89, 1997.

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    ◘ Russie :

    Mythes et réalités du néo-paganisme russe contemporain

    Aujourd’hui, partout en Europe, des associations tentent de raviver les traditions païennes. Dans ce vaste panorama, le cas russe est l’un des plus particuliers qui soit ; d’abord à cause de l’immensité du pays ; ensuite, à cause de la répression qui a frappé tous les mouvements de réaffirmation nationale ou identitaire à l’ère soviétique. Quoi qu’il en soit, le néo-paganisme, comme tous les autres regroupements pouvant être englobés dans la catégorie du « nationalisme », tels les néo-monarchistes tsaristes, les nationaux bolcheviques ou les divers partisans d’un nationalisme fort, connaîtront indubitablement un essor considérable dans ce pays immense, plus que dans d’autres contrées du continent, si l’on excepte toutefois le culte de l’ancienne religion scandinave en Islande, où celle-ci se trouve mêlée à certains éléments d’origine moderne, comme dans le réseau « Asatru », ou la réémergence du paganisme balte en Lituanie, à l’initiative du mouvement « Romuva ».

    Le voyageur curieux, qui circule dans les rues de Moscou et y visite les librairies du centre ou les échoppes de livres d’occasion ou les points de vente des magazines patriotiques, constatera la pléthore de publications qui font référence aux traditions païennes de l’antique « Rus » (nom médiéval et scandinave de la Russie). Certaines de ces publications reproduisent et commentent les travaux d’académiciens et d’historiens sérieux et établis ; d’autres reflètent l’imagination fébrile et l’inspiration toute personnelle de leurs auteurs.

    Ensuite, nous trouvons des groupes qui célèbrent des rituels solsticiaux dans les nombreuses forêts qui couvrent le territoire russe, comme les adeptes de « Rodnovery » (« Foi des ancêtres »), qui érigent également des stèles à l’effigie et à l’honneur des anciens dieux slaves.

    Il faut tenir compte d’un fait : à la différence des autres traditions européennes comme l’antique paganisme gréco-romain, ou des traditions celtiques ou germaniques, nous savons finalement peu de choses sur le passé de la Russie pré-chrétienne. On connaît les noms des dieux, on connaît aussi certains rituels matrimoniaux et funéraires, mais il nous manque des éléments fondamentaux que l’on retrouve dans d’autres mythologies (voir les sagas scandinaves et les cosmogonies et légendes de la Grèce antique) et qui nous permettraient de connaître avec exactitude la « Weltanschauung » des Slaves de l’antiquité. Raison pour laquelle les néo-païens russes d’aujourd’hui se voient contraints de se référer à des mythes relativement modernes pour légitimer leurs démarches.

    Notre article se donne pour objectif d’analyser 2 de ces mythes de référence, les plus importants, afin de voir quelle est leur influence sur les milieux païens de la Russie actuelle. Le premier de ces mythes se réfère à la découverte, à la fin des années 80 du XXe siècle, des ruines d’Arkaïm, une ancienne cité, de petites dimensions, située dans la région des Monts Oural. Le second de ces mythes se retrouve dans le fameux « Livre de Veles », qui prétend raconter l’histoire du peuple russe depuis la préhistoire jusqu’à la conversion au christianisme.

    Arkaïm : la Cité du Soleil (1)

    En 1987, un groupe d’archéologues de l’Université russe de Tcheliabinsk se réunit pour aller récupérer des pièces éparses, trouvées préalablement sur un site, dans une vallée qui devra être inondée suite à la construction d’un barrage au sud des Monts Oural. Leur surprise fut grande quand, en travaillant, ils découvrirent les restes d’une petite cité de forme circulaire, présentant des caractéristiques inconnues jusqu’alors, du moins dans cette zone. Les mesures de datation révélèrent une ancienneté remontant aux XVIIe et XXe siècles avant l’ère chrétienne. Les archéologues russes ont calculé que la population de cette petite cité devait s’élever à environ 2.500 habitants, véritable métropole pour l’époque.

    La découverte fit l’effet d’une bombe non seulement dans les milieux de l’archéologie mais aussi dans les cénacles patriotiques de cette Russie, qui vivait les dernières années du régime soviétique. Immédiatement, des spécialistes proclamèrent qu’Arkaïm fut le berceau du prophète perse Zarathoustra, ce qui est au demeurant possible, en dépit des distances, si l’on tient compte du fait que les bâtisseurs de cette petite cité étaient en réalité des proto-indo-iraniens qui ont séjourné au sud de l’Oural avant de se mouvoir, avec armes et bagages, vers le sud. D’autres hypothèses conduisent les archéologues à penser que le site était un observatoire astronomique semblable à Stonehenge, mais de plus grandes dimensions.

    Finalement, les autorités décident de ne pas construire le barrage et la découverte fut annoncée urbi et orbi dans tous le pays. Plus tard, les archéologues ont découvert encore plus de vestiges de petites cités circulaires dans cette région ; les archéologues baptiseront donc ce complexe du nom de « Culture de Sintashta-Arkaïm », laquelle appartient à la proto-histoire indo-iranienne. La découverte n’intéressait pas seulement les spécialistes de la science archéologique mais aussi, bien sûr, tout le petit univers des patriotes, qui après la longue parenthèse soviétique, sortait de la clandestinité et trouvait, pour justifier sa vision du monde, un argument pertinent, une preuve tangible. Une découverte, présentant de telles caractéristiques, n’échappa nullement à tous ceux qui, en marge de la récupération générale de l’orthodoxie et du passé impérial, cherchaient des références « nationalisables » sur lesquelles s’appuyer.

    On a donc proclamé qu’Arkaïm avait en fait été la capitale d’un empire « aryen » qui s’était étendu des plaines de l’Ukraine jusqu’au cœur de la Sibérie, que la population de cet empire était slave, et, enfin, que dans les textes antiques sacrés tels l’Avesta perse ou le « Livre de Veles », controversé, l’existence d’un centre comme Arkaïm était mentionné. D’une part, nous pouvons dire qu’il est fortement exagéré de déclarer « slave » une population aussi ancienne, en un lieu aussi éloigné ; mais, par ailleurs, il est absolument certain que des éléments indo-aryens ont joué un rôle important dans les territoires du sud de la Russie au cours de la proto-histoire. La présence de peuples comme les Scythes, les Sarmates et les Ossètes (ou Alains, qui habitent aujourd’hui dans la Caucase) le démontre. Autre argument pertinent : tant les langues slaves que les langues indo-iraniennes appartiennent au groupe dit « satem » des langues indo-européennes ; les correspondances lexicales sont également fort nombreuses, plus nombreuses qu’entre les autres langues indo-européennes.

    Actuellement, Arkaïm est l’un des sites archéologiques les mieux conservés en Russie aujourd’hui, même si chaque année des centaines de touristes et de curieux s’approchent du lieu, tandis que les archéologues continuent leurs fouilles dans les environs à la recherche de nouveaux indices. Le 16 mai 2005, le Président russe Vladimir Poutine a visité le site et s’est intéressé à son bon état de conservation. L’intérêt que portent les autorités russes à ce site est important pour que les vestiges demeurent bien conservés.

    Le « Livre de Veles »

    À la différence du site d’Arkaïm, le second élément mythique du néo-paganisme russe contemporain, le « Livre de Veles », suscite nettement la controverse. Il génère d’âpres discussions dans les milieux patriotiques russes. Peu d’universitaires estiment crédible la teneur du « Livre de Veles » (« Velesova kniga » en russe) et beaucoup doutent de son authenticité. Néanmoins, très nombreux sont les historiens amateurs et les chercheurs indépendants qui propagent l’idée de son authenticité.

    L’histoire de la découverte et de la diffusion du « Livre de Veles » est déjà étonnante et rocambolesque. Tout commence en 1919. Durant la guerre civile russe, un officier de l’Armée Blanche, Izenbeck, découvre dans un manoir abandonné une série de planchettes de bois sur lesquelles figurent d’étranges inscriptions. En 1924, exilé à Bruxelles, Izenbeck confie les planchettes à Youri Mirolioubov, un autre Russe blanc en exil dans la capitale belge. Mirolioubov est paléographe et byzantiniste de profession. Il photographie les planchettes et en retranscrit le contenu. Le texte est écrit, dit-il, en vieux slavon, dans une variante de l’alphabet cyrillique, influencée par les runes scandinaves.

    Le texte commence par une invocation au dieu slave Veles et raconte l’histoire du peuple russe depuis environ 20.000 ans avant JC jusqu’à la conversion de la Russie au christianisme, au Xe siècle de notre ère. On allègue que le texte a été écrit par des prêtres païens entre les Ve et IXe siècles après J.C. Voilà, en résumé, l’histoire, qui y est contée : il y a plusieurs millénaires, les plus lointains ancêtres du peuple russe vivaient en un pays riverain de l’Océan Glacial Arctique (notons la similitude avec les autres mythes de l’antiquité comme celui de l’Hyperborée, de Thulé ou des Védas hindous). À cause des glaciations, ils furent obligés de se déplacer vers des zones plus chaudes au sud. Lors de cette migration, ils se sont divisés en clans et ont guerroyé contre d’autres peuples. Les « Oriyanos », ou « Aryens », du « Livre de Veles » sont mis en équation avec les Slaves, car ceux-ci, d’après le texte, procèdent directement de la matrice aryenne au contraire des autres peuples tels les indo-iraniens, les germains, etc. Ces « Oriyanos » se seraient portés vers la Chine, la Perse, puis la Mésopotamie, l’Egypte et le bassin méditerranéen, où ils fondèrent la ville de Troie avant d’affronter les Grecs. Plus tard, ils se fixèrent définitivement dans la plaine russe, mèneront une vie pacifique sous la houlette bienveillante de leurs dieux et de leurs monarques, ne faisant front que contre des envahisseurs comme les Goths et les légions romaines de l’Empereur Trajan. Notons que le texte nous présente les Romains et les Grecs comme des barbares et octroie aux Russes un haut niveau éthique et un degré élevé de spiritualité. Le reste du document évoque les rois successifs de cette Russie mythique, comme Bravline ou Bus’Beloyar, qui régnèrent jusqu’à notre haut moyen âge, soit jusqu’au moment où les Scandinaves et les missionnaires byzantins mettront fin à cette civilisation et créeront les conditions de la naissance de la Russie telle que nous la connaissons encore aujourd’hui.

    Revenons à notre époque. Les planchettes de bois originales du « Livre de Veles » vont disparaître pendant la Seconde Guerre mondiale ; on parle d’une confiscation par l’Ahnenerbe allemand, intéressé à posséder toutes sortes de documents antiques ; on parle aussi d’un incendie qui les aurait détruites. Il reste donc les photographies et les transcriptions de Mirolioubov. À partir de 1957, certains membres de l’Académie soviétique commencent à recevoir des lettres d’exilés russes qui leur parlent du « Livre de Veles » et des transcriptions de Mirolioubov. On leur envoie également des copies des photos des planchettes. La réaction des académiciens soviétiques fut unanime : il s’agit, selon eux, d’une falsification, réalisée sans doute vers la moitié du XIXe siècle.

    Malgré cela, dans bon nombre de milieux comme dans certains cénacles plus nationalistes des Jeunesses communistes ou même du Parti communiste, le texte acquiert une certaine popularité. Les autorités ne cessent toutefois de veiller afin que le nationalisme ne renaisse d’aucune manière. Avec la chute de l’Union Soviétique en 1991, plus rien n’empêchait les fans du « Livre de Veles » de relancer la publication du texte, assorti de leurs commentaires et opinions. Les milieux néo-païens devinrent ipso facto les récepteurs les plus avides de cette littérature exégétique. Parmi les exégètes les plus connus, citons Aleksandr Asov qui affirme dans des revues d’histoire et dans des programmes de télévision l’authenticité du texte, qui revêt dès lors un caractère éminemment sacré.

    Notre point de vue est le suivant : le « Livre de Veles » contient tout de même pas mal de contradictions. D’abord, les premiers fragments dateraient du Ve siècle de notre ère, à une époque où les peuples slaves ne connaissaient aucun type d’écriture ; ensuite, aucun texte de l’antiquité ne mentionne les attaques des « oriyanos » proto-russes ; enfin, notre scepticisme vient du fait que le texte est écrit dans une langue grandiloquente, qui rappelle curieusement l’Ancien Testament.

    Mais, quel que soit le jugement que l’on puisse porter sur le « Livre de Veles » et sur les péripéties de sa découverte et de son exploitation, on ne peut esquiver le fait que les mythes, les légendes et les narrations sont d’une importance capitale pour les hommes, surtout les hommes d’aujourd’hui, qu’il faut faire rêver, alors qu’ils sont pris dans le rythme trépident de la vie moderne, qui détruit et annihile les identités. Lui montrer un passé où tout était possible est donc une bonne chose.

    ► Oriol RIBAS (texte paru Tierra y Pueblo n°13, sept. 2006).

    Note :

    (1) Voir également Tierra y Pueblo n°7, pp. 26-27.

    Bibliographie :

    • V. DEMIN, Severnaya prarodina Rusi, Ed. Veche, Moscou, 2005.

    • I. STROGOFF, Revolyutsia seychas !, ed. Amphora, Moscou, 2002.
    • A. ASOV, Slavyanskie Bogi I rozhdenie Rusi, ed. Veche, Moscou, 1999.
    • W. LAQUEUR, La Centuria Negra, Anaya & Mario Muchnik, Madrid, 1995. 

     

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    La «Communauté païenne russe» d'Alexandre Belov

    1010.jpgVers la fin des années 80, pour la première fois à cette époque, quelques hommes décident de fonder une Communauté païenne officiellement, dont l'objectif est d'« éclairer les esprits ». Cette Communauté évite de se surdéterminer dans les domaines de la religion, du dogme et de la politique, ce qui est, générale­ment, la tare de pareilles organisations. C'est le célèbre écrivain ruraliste Alexandre Belov qui en fut l'initiateur et l'organisateur. La Communauté réussit d'emblée à donner un élan à la morale sociale nou­velle qu'elle entend promouvoir. Mais, malgré tous ses efforts, elle n'a pas pu excercer une influence idéologique en profondeur. Le point fort de cette Communauté, là où elle s'est consolidée, c'est quand elle a tablé sur les arts martiaux traditionnels. Belov, outre les romans qui l'ont rendu célèbre dans le monde entier, est aussi le créateur d'un art plus affiné du combat singulier, basé sur les traditions nationales russes. La convergence entre les diverses tendances du paganisme s'est donc effectuée dans la revita­lisation de l'art martial russe traditionnel, dit la “combat montagnard slave”.

    La Communauté s'est aussi donné pour tâche de lutter contre les profanations, parodies, travestisse­ments et primitivisations du paganisme par des néophytes zélés, croyant avoir trouver une “formule libé­ratrice” simple. En se montrant intransigeante, en s'imposant des critères qualitatifs élevés, la CPR se heurta à certains paganismes qu'elle jugeait “insuffisants” ou “inférieurs”, provoquant ainsi de vives ten­sions : notamment avec V. Emilianov, qui simplifiait à outrance le paganisme pour masquer maladroite­ment un “anti-sionisme” politique ; ou avec A. Dobrovolski qui confondait paganisme et conduite immorale ; ou encore avec les Païens de Léningrad, dirigés par Bezverkhi et Sidazouk. Cette dernière opposition ré­sultait de la volonté de ces païens de Léningrad de réconcilier la paganisme slave avec l'église orthodoxe et de leurs prises de positions “pro-ukrainiennes” qui les amenaient, à mon avis, à déformer l'histoire de la culture slave.

    Dès le début des années 90, la Communauté, toujours dirigée par A. Belov, concentre son activité à cons­truire des castes, principalement une caste militaire, capable de dominer et de gérer l'État. Dans cette optique, la CPR élabore un système bien circonscrit des valeurs spirituelles, impulse des orientations mo­rales et affermit la connaissance du paganisme slave-russe. Le fondement idéologique du mouvement est la création et la diffusion d'une “géo-mentalité paneuropéenne”. Cette géo-mentalité découle de la simili­tude entre les paganismes antiques (gréco-romains), celtiques, germaniques et slaves. Les principales caractéristiques de la CPR sont donc : 1) une orientation claire en direction des arts martiaux et de leur spiritualité ; 2) une élévation du paganisme au niveau proprement conceptuel, où le concept de paganisme compte plus que ces manifestations circonstancielles. Cette volonté bien tranchée a provoqué une po­lémique avec les théoriciens du paganisme (exclusivement) slave, comme A. Barkachov, qui estiment que ses arguments sont au-dessus de toute critique.

    En mars 1995, les 2 mouvements, celui des amateurs de combat “slave-montagnard” (dont le nombre s'élève à 20.000 en Russie) et la CPR d'Alexandre Belov (culte du Dieu du Tonnerre) s'unissaient pour poursuivre un même but : créer un État militaire nouveau et reconstruire la société en la hiérarchisant au­tour de castes. Parmi celles-ci, la caste militaire doit pouvoir jouer un rôle dominant dans la structure so­ciale. Elle doit être formée de militaires de carrière, de policiers et de personnalités animés intérieurement par des valeurs de type “kshatrya” [guerrier chevaleresque en sanskrit].

    Vladimir Avdeyev, théoricien et idéologue du paganisme moderne en Russie, aide à construire cet “État militaire”. Avec A. Belov, il est l'un des membre du “Conseil de coordination” du mouvement.

    Adresse de la Communauté : Alexandre Belov, 3me Krasnogvardeyskaya 2-24, 123.317 Moscou, Russie.

    ► Nouvelles de Synergies Européennes, 1995. 

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    Communauté païenne russe et arts martiaux

    ◘ Entretien avec Alexandre Belov

    • Q. : Qu'est-ce que le paganisme pour vous ?

    Pour moi, le paganisme est en premier lieu la somme des expériences indépendantes vécues au fil de l'histoire par un peuple particulier, tant dans le contexte des processus vitaux que dans le domaine de la connaissance.

    • Comment le paganisme slave a-t-il pu survivre sous la férule du communisme ?

    La dictature communiste n'a nullement contrarié les intérêts du paganisme slave. Il faut ajouter que l'athéisme commu­niste a permis de contenir les attaques chrétiennes contre la liberté de la connaissance. L'ère communiste a ainsi rendu un grand service au paganisme slave.

    • Quelle est selon vous la particularité du paganisme slave en comparaison avec les autres paganismes euro­péens ?

    La particularité essentielle du paganisme slave est d'avoir cultivé radicalement la “grande idée barbare”, c'est-à-dire l'idée d'unir le Nord de glace à l'élément du feu. La variante russe du paganisme slave a joué un plus grand rôle historique dans les traditions d'Europe orientale que le paganisme slave en général, parce qu'il a réussi à conserver et à maintenir durant des siècles au moins 3 linéaments païens fondamentaux : l'adoration du Soleil, de 3 divinités associées et de Prav (*), c'est-à-dire l'adoration du Dieu du Tonnerre comme divinité principale assurant l'équilibre et l'harmonie de l'univers. Le der­nier avatar de Prav se retrouve dans la désignation en langue russe du christianisme d'Orient, Pravoslaviyé, soit “orthodoxie”. Le nom, au départ païen, a été volé par les chrétiens.

    • Quels ont été les réunions, rencontres ou événements qui vous ont conduit à créer la “Communauté Païenne Russe” ?

    La création de la communauté païenne russe a été suivie par une deuxième naissance : la fondation d'un centre du culte pour toute la Russie, le sanctuaire de Peroun, Dieu du Tonnerre des Slaves anciens, à Radoucha. Cette fondation a été condi­tionnée, d'une part, par la nécessité de propager la tradition nationale du culte, et, d'autre part, par la nécessité de développer cette tradition en prenant en compte la dynamique du développement dans la société contemporaine.

    • Pouvez-vous nous parler de la nature particulière de l'Art Martial Slave, que vous pratiquez et enseignez, et la comparer aux arts martiaux orientaux ?

    Goritsa est un art de combat qui récapitule l'expérience historique de la “lutte russe” et la connecte à cette “grande idée barbare” que je viens de vous évoquer. J'ai créé ce système de lutte et je m'en occupe depuis environ 15 ans. Je m'occupe plus généralement d'arts martiaux depuis 24 ans. L'une des particularités principales de Goritsa est d'utiliser les réflexes les plus caractéristiques des lutteurs cherchant à diriger l'attitude de leurs adversaires. Toutes les actions de l'adversaire relèvent de ce complexe que sont toutes les actions bio-mécaniques typiques. Cela permet d'attaquer un adver­saire en connaissant à l'avance ses réactions possibles. La Goritsa est un système unique de combat qui privilégie l'attaque. La Goritsa n'est donc pas un système d'auto-défense. Autre particularité de la Goritsa : ses sources remontent à la chevalerie et sont héritées du symbolisme physique de l'arme du combattant pendant la lutte. C'est là que réside toute entière la diffé­rence entre cet art martial et sa variante chinoise, qui imite plutôt l'attitude de l'animal. J'ai dénombré plus de 20 différences fondamentales entre l'art martial slave, la Goritsa, et les règles des arts martiaux extrême-orientaux.

    • L'Art Martial Slave est-il pratiqué aujourd'hui dans toute la Russie ?

    Les objectifs et les tâches de la Goritsa sont difficiles à réaliser dans la Russie actuelle, parce que la caste militaire est déconsidérée par la propagande occidentaliste actuelle au profit d'une vision purement économiciste de la société, portée par les financiers qui ne s'intéressent pas aux arts martiaux.

    • Vous revenez d'un voyage en Italie. Vous y avez organisé des démonstrations et répendu votre enseignement. Que pensez-vous de l'expansion de l'Art Martial Slave en Europe ?

    La campagne de promotion de la Goritsa en Europe est possible, même nécessaire, parce que cette méthode de combat exprime un mode de connaissance fondamentalement païen, partant non-conformiste dans le contexte actuel. C'est le meilleur moyen pour recréer une caste guerrière dans toute l'Europe, qui soit animée par des principes qui soient vraiment les siens.

    • En dehors de la Russie, quelles sont pour vous les traditions européennes les plus intéressantes ?

    Ce qui m'attire dans la tradition païenne européenne, c'est surtout la beauté et la sagesse que l'on retrouve dans la poésie épique populaire. Nous découvrons là une éthique authentique. Non importée.

    ► Propos recueillis par J. de Bussac et traduit par Anatoli M. Ivanov, Nouvelles de Synergies Européennes n°23, 1996.

    (*) NDT : “Prav” est un terme difficile à traduire, emprunté au “Livre de Velès”, un faux devenu à mon grand regret très popu­laire parmi les néo-païens russes. “Prav” est à la racine des mots russes “pravy” (droit), “pravda” (vérité) et “pravoslaviyé” (orthodoxie).

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    Le combat slave

    ◘ Entretien avec Alexandre Konstantinovitch Belov

    Notre interlocuteur Alexandre K. Belov est un homme d'une force mentale rare. Il a visiblement intégré le sens du combat intégral et l'élévation spirituelle qui lui don­nent une maîtrise de son art impressionnante. A. K. Belov rentre d'une tournée en Europe, où sa candidature a été retenue pour organiser des cours d'art martial slave dans les écoles de la police italienne. À cette occasion, il a été accueilli par nos amis milanais de Sinergie/Italia. J'ai eu personnellement l'insigne honneur de le ren­contrer à son domicile à Moscou le 11 avril 1996. (G. Sincyr)

    • Q. : Dois-je vous appeler Belov ou Sélidor, qui est votre surnom ? 

    AKB : Comme vous voulez. Sélidor est un surnom païen. C'est un nom “guerrier”. Mais je vous rappelle que les Russes sont les derniers en Europe à avoir gardé la tradition purement indo-européenne de s'appeler d'un nom patronymique.

    • Quand avez-vous commencé à vous occuper du “combat slave” ?

    J'ai inventé ce type d'art martial. J'ai commencé à le mettre au point à partir de 1972. À la fin des an­nées 70, je pratiquais le karaté et j'avais obtenu le grade supérieur, la “ceinture noire”. Mais plus tard, le karaté a été interdit; j'ai alors entamé des recherches dans nos propres traditions et j'ai découvert une forme de combat russe très intéressante et très puissante. C'est en 1986 que j'ai achevé mon travail de rénovation de la pratique de cet art martial traditionnel oublié que j'ai appelé “combat slave”.

    • Quelles différences y a-t-il entre le “combat slave” et les autres formes de com­bat à mains nues ?

    Le “combat slave” est un système d'attaque. Nous ne nous défendons pas, nous attaquons. Le principe d'un combat de défense est absurde, à mes yeux, et n'est pas conforme aux mentalités des Spartiates et des Chevaliers européens. Le combat d'attaque est un combat honnête, sans procédés perfides. Cette tradition est à l'opposé de la tradition orientale. Celle-ci imite les mouvements des animaux alors que nous, nous imitons ceux des armes. Imiter les animaux constitue une perversité pour l'homme. Même chose pour les horoscopes orientaux : ils disent par ex. “c'est l'année du cochon” et ceux qui sont nés cette années-là disent “je suis un cochon”. Ce sont là des simplismes que je trouve dévalori­sants.

    • Pourtant, il y a un culte du loup chez les Promores, les habitants de la côte de la Mer Blanche ?

    Le Loup est le totem des tribus guerrières. Mon totem est le Loup Bleu.

    • Où en est la Communauté païenne à Moscou ?

    En 1994, une scission a traversé le mouvement païen. Nous nous sommes séparés des païens qui n'avaient que des intérêts mercantiles, pour former une véritable communauté de guerriers. Le guerrier ne peut pas être fondamentalement un chrétien. En effet, comment concilier le métier des armes, le métier de la guerre, avec le précepte chrétien d'aimer son ennemi ? Au combat, le guerrier hait son ennemi, sinon il ne peut pas le combattre efficacement. Un vrai guerrier sera toujours un païen. En tant que Russes et que Slaves, nous vénérons essentiellement Peroun, le Dieu du Tonnerre dans la mythologie de nos ancêtres.

    • Combien de membres compte votre Communauté ?

    Nous sommes environ 40.000.

    • Coopérez-vous avec d'autres organisations païennes ?

    Non, avec aucune autre organisation. À mon grand regret, je ne connais aucune organisation qui re­cherche tout à la fois force et sagesse.

    • Vous préparez la création d'un grand mouvement. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

    Notre objectif est de créer en Russie une communauté de professionnels de la guerre, du combat et de la défense, structurée par des référentiels païens. Pour moi, tout guerrier est un prolétaire : il ne pos­sède que sa force. Et seule sa force compte dans sa fonction. Je ne tiens pas le prolétariat pour une classe, mais pour un degré de développement mental.

    ► Propos recueillis par Gilbert Sincyr et traduits par Anatoli M. Ivanov, Nouvelles de Synergies Européennes, 1996.

     

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