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Entretien RS/Th.Th.

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Archives - juillet 2012

Entretien accordé à Thorsten Thomsen

Sur l’Europe, la Belgique, les cantons d’Eupen-Malmédy, Ernst Jünger, Carl Schmitt et... la “nouvelle droite”...


♦ Monsieur Steuckers, c’est désormais un secret de polichinelle : l’eurocratie bruxelloise planifie, via une union monétaire centrée autour de l’euro et pratiquant le transfert systématique, l’avènement d’un  gigantesque Etat unitaire de la Méditerranée à l’Arctique, dans lequel les différents peuples d’Europe finiront par être dissous. Or c’est justement votre pays, la Belgique, qui sert aujourd’hui  d’exemple, pour dénoncer l’impossibilité de tout assemblage de peuples divers au sein d’un État unitaire artificiel. Malgré l’apparent apaisement de la longue crise politique belge, qui ne saurait être que passager, voyez-vous encore un avenir pour l’État belge ?


Le problème majeur, c’est justement que ces maudits eurocrates veulent nous fabriquer un “État unitaire” ; je dirais plutôt qu’ils vont nous mitonner une panade insipide, où l’on mélangera tous les ingrédients possibles et imaginables, la rendant totalement immangeable; tous les ingrédients seront finalement détruits lors de ce processus de mixage, comme on peut déjà l’observer aujourd’hui. Mais je reste “européiste” : l’Europe a surtout besoin d’une unité spirituelle, de devenir un “grand espace” le plus autarcique possible, indépendant sur le plan alimentaire (ce qui s’avèrera une tâche bien difficile); l’Europe, comme toute autre entité politique, ne peut être déterminée par l’économie seule (par l’ “illusion économique” dirait Emmanuel Todd), car l’économie, conçue chez les libéraux comme chez les socialistes non pas comme une pratique nécessaire, comme une pratique d’intendance, mais comme une idéologie universaliste, est appelée à gérer sur des modes préconçus (a priori) et homogènes un ensemble bigarré de différences désordonnées et irréconciliables dans leurs altérités: dans cette optique, même si j’étais, par exemple, le producteur agricole idéal selon l’eurocratisme, je ne pourrais pas faire pousser les mêmes denrées végétales en Finlande et en Sicile, je ne pourrais pas élever des rennes en Grèce et faire croître une oliveraie en Laponie. L’eurocratisme abscons et caricatural se heurte là à une impossibilité physique, géographique et naturelle. Cette lapalissade, que je viens d’énoncer, les eurocrates ne semblent pas la comprendre. Toutes les zones agricoles qui composent l’Europe devraient dès lors pouvoir conserver leurs propres rythmes.


Les peuples d’Europe se liquéfient, s’évaporent dans le néant, basculent dans l’impolitisme, c’est certain, mais ce n’est pas uniquement parce qu’il existe une UE; d’autres facteurs sont depuis longtemps déjà entrés en jeu: la circulation accélérée des biens et des personnes (qui n’est pas un mal en soi mais qui exige des  régulations rigoureuses), le tourisme de masse, l’abêtissement généralisé et l’exotisme des “informations” (on devrait dire: des “dés-informations”) diffusées par les ondes ont contribué à dissoudre la notion de peuple, telle qu’on la concevait jusqu’à la moitié du XXe siècle. C’est une raison pour lire et relire le discours qu’avait tenu Martin Heidegger sur la généralisation de la télévision au début des années 60, discours que lui avaient réclamé ses concitoyens et ses amis d’enfance de Messkirch en 1961. La “proximité”’ (die Nähe), que Heidegger a pensée à fond, est une force qui disparaît, en même temps que le nécessaire ancrage local, territorial et “vernaculaire” (E. Goldschmidt, L. Ozon) de toute activité humaine (cf. Emil Kettering, Nähe – Das Denken Martin Heideggers, Neske, Pfullingen, 1987). Finalement, au bout de ce processus de disparition de la “proximité”, nous voyons apparaître ou, pire, s’amplifier, les nouvelles “maladies de civilisation”, dont on escamote symptômes, effets et ampleur depuis quelques décennies. Aujourdhui, des auteurs comme Tony Anatrella en Italie ou Nicole Aubert en France les ont dénoncées avec justesse et vigueur, du moins celles qui génèrent des pathologies neurologiques ou mentales. Lorsque le “lointain” (die Ferne) déboule sans aucune forme de régulation dans notre propre “proximité” (Nähe), un chaos difficilement maîtrisable s’installe, celui dans lequel nous vivons aujourd’hui : Julius Evola aurait très justement nommé une telle époque “Kali Yuga”. L’immigration n’est ici sans doute qu’un phénomène connexe.

 

L’Europe aurait pu et dû devenir une “Union douanière” (Zollunion) rationnelle, visant une forme d’autarcie bien équilibrée. Les principes de Friedrich List auraient dû servir d’orientation et non pas une idée d’unité impossible à réaliser parce que dépourvue de toute concrétude, a fortiori quand, depuis une trentaine d’année, on se vautre dans l’idéologie et la pratique néolibérales et planétaristes, impliquant d’ouvrir toute grandes les frontières à des produits provenant de pays extérieurs au “grand espace” européen. A tout cela s’ajoute la calamité des délocalisations. L’idée d’unité aurait dû signifier simultanément “unité spirituelle” et “autarcie économique”, avec zones agricoles différenciées, gérées de manière autonome, et avec la possibilité, pour les pays moins développés, d’une protection de la production intérieure, surtout celle des PME  (“Petites et Moyennes Entreprises”), de manière à ne pas miter et disloquer le tissu social. Il faut encore dire que l’Europe est aussi totalement dépendante des Etats-Unis sur le plan militaire, tout en étant continuellement espionnée par un système satellitaire comme Echelon. L’Europe demeure entièrement dépendante de certaines matières premières qui ne se trouvent pas sur son sol et ne bénéficie pas d’une indépendance alimentaire suffisamment solide malgré les milliards que gaspille l’eurocratie dans une “politique agricole commune”, dont on ne perçoit pas très bien le sens et la rationalité. L’idéologie pacifiste, cultivée par l’eurocratisme, est un pacifisme mal conçu dans la mesure où il a toujours empêché les décideurs européens d’apporter les bonnes réponses à ces problèmes de défense et d’indépendance alimentaire. Au lieu de croire aveuglément aux “bonnes intentions” proclamées par les Américains, l’Europe aurait dû chercher des solutions adéquates.

 

La Belgique ? C’est une autre histoire. D’abord, je dois vous dire, comme à tous mes lecteurs non belges, que la production de bons livres pertinents et que l’organisation de séminaires et de colloques de grande qualité sur les questions belges ou sur l’identité des peuples, régions ou sous-régions du pays, connaissent dans le royaume une floraison inédite : on commence enfin à penser de manière différenciée et fondée, sans tenir compte de toutes les apologies de ce statu quo, que le système entend pérenniser jusqu’à la consommation des siècles. J’espère pouvoir vous en dire plus dans d’autres textes ou entretiens. Je me contenterai d’apporter une réponse simple et directe à votre question: depuis le début de la crise belge actuelle, c’est-à-dire depuis les élections législatives pour le Parlement fédéral en 2007, je me suis mis, comme beaucoup d’autres, à potasser grimoires anciens et ouvrages récents sur des thèmes dits de “Belgicana”. À l’étranger, toute cette littérature n’est jamais lue ni a fortiori citée, si bien qu’on se contente de répéter les poncifs habituels, qu’ils soient “belges” (belgicains), flamands ou wallons. La façon dont votre question est formulée le prouve déjà. D’abord, lorsque vous parlez d’un “assemblage hétéroclite” de peuples, parqués dans une zone donnée, il faut savoir que cet “assemblage” date déjà d’il y a 500 ans, depuis que l’Empereur Charles-Quint a créé le fameux “Cercle de Bourgogne” (Burgundischer Kreis) dans le cadre du Saint Empire et depuis que les provinces méridionales de cet ensemble ont opté pour la contre-réforme catholique. La division qui traverse la Belgique n’est donc pas déterminée par un facteur religieux comme dans l’ancienne Yougoslavie. C’est pourquoi, contrairement à mon ami Tomislav Sunic, je ne parle jamais de “Belgoslavie”. Le penseur russe Alexandre Douguine avait très bien vu et analysé la situation yougoslave, au moment où l’enfer se déchaînait dans les Balkans au début de la décennie 90, dans le sens où, là-bas, trois forces métaphysiques planétaires, disait Douguine, se télescopaient frontalement, surtout en Bosnie. Ici, dans l’espace belge, les clivages, générateurs d’antagonismes, sont plus récents et donc moins profonds.

 




 

L’histoire intellectuelle du mouvement flamand nous enseigne que la querelle a certes une dimension linguistique (ethno-linguistique) mais que la révolte flamande est aussi, politiquement parlant, une révolte populaire diffuse et largement inconsciente contre les avatars évidents ou déguisés des idées de la révolution française, une révolte plus prononcée côté flamand parce que les productions idéologiques françaises n’y détiennent aucun monopole. En Wallonie, alors que certains régions rurales se sont aussi rebellées contre les idées de la révolution française, l’influence actuelle (depuis une soixantaine d’années) des productions politico-intellectuelles parisiennes et surtout des médias audiovisuels vicient considérablement la situation et impriment dans les cerveaux une vulgate de gauche, favorable aux idées de la révolution française et du bonapartisme même à ses aspects libéraux et anti-populaires, une vulgate reprise par le parti socialiste dominant. La révolte contre la francophonie en Flandre est une révolte contre les “idées révolutionnaires institutionalisées” de Paris tandis qu’en Wallonie la dominante est une acceptation de fait de ces discours. Le fait que la Wallonie accepte ces discours, et renonce à certains accents de ses propres productions non révolutionnaires et souvent catholiques, fait que la Flandre ne veut plus avoir à faire avec le Sud du pays. La révolte sourde et permanente que connaissent les pays flamands contre les discours révolutionnaires institutionalisés venus de France, ou contre les nouvelles moutures libérales ou gauchistes, panmixistes ou mondialistes, de ce discours, n’est pas pour autant une attitude qualifiable de réactionnaire: le pays aurait pu forger un socialisme vernaculaire, plus conforme aux stratifications sociales et idéologiques qui ont existé depuis la fin du régime autrichien au 18ème siècle, stratifications sociales et idéologiques qui étaient d’ailleurs bien différentes de celles qui régnaient en France à la même époque.

 

La crise belge durera tant qu’il y aura trace, dans le pays, d’idéaux ou de discours “républicains” importés de France par les médias français (presse, télévision), tant que des esprits en seront influencés, tout comme par ailleurs la France elle-même ne se redonnera pas de destin si elle persiste à aduler les “nuissances idéologiques” modernes que les périodes troubles de son histoire ont générées. Et, en Belgique, cette crise touchera aussi les entités qui pourraient naître d’une éventuelle dissolution du pays car l’influence trop prononcée des médias parisiens fait que plus personne ne pense en terme d’identité (il y a irruption constante d’idées “lointaines”, et abstraites, dans ma proximité concrète), en termes politiques locaux, hérités de notre histoire et non pas importés d’ailleurs. Ce n’est pas là une idée qui m’est personnelle: c’est bien la volonté de recentrer les discours politiques sur ce qu’ont produit les identités de l’espace belge au cours des siècles (et surtout du 19ème siècle si fécond en érudition historique) qui explique pourquoi, au cours de ces dernières décennies, et surtout depuis la crise de 2007, de très nombreux universitaires se sont penchés en profondeur sur les “identités” (au pluriel!), en commençant par réhabiliter la littérature belge complètement éclipsée des programmes scolaires, universitaires et médiatiques dans les années 50, 60 et 70 (parce qu’elle était assez souvent “politiquement incorrecte” au regard des médiacrates parisiens et de leurs nombreux “collabos” locaux). Dans l’entre-deux-guerres, on était très conscient de l’enjeu des lettres et du danger français: c’est ce qui explique l’engouement pour l’ “idée bourguignonne” dans tous les cercles culturels francophones, y compris les plus officiels, et pas seulement chez les rexistes de Léon Degrelle. Après 1945, tout cela a été “oublié” et la francisation de la culture francophone belge et wallonne a pu battre son plein, accélérée par la télévision (confirmant cette idée heidegerrienne de la perversité intrinsèque que constitue l’irruption du “lointain” dans notre “proximité”, exprimé dans un discours à Messkirch en 1961). Cela ne veut pas dire que la Flandre était mieux lotie : si les Wallons et les francophones étaient décervelés par les médias parisiens, les Flamands, eux, subissaient une américanisation galopante, comme partout ailleurs en Europe. Cette américanisation entraînait aussi la “dégermanisation” de la Flandre, qui perdait tous ses liens culturels avec l’Allemagne, a fortiori quand l’enseignement de l’allemand n’était guère mieux organisé qu’en Wallonie, au profit du “tout-anglais”. Ces deux processus d’aliénation, la francisation des francophones wallons et bruxellois et l’américanisation des Flamands, entrainent une incompréhension mutuelle qui explique le caractère durable de la crise belge actuelle. Bien sûr, cette crise a aussi des motifs purement politiciens.

 

Quelle sont les clivages conflictuels majeurs qui provoqueront à votre avis l’échec définitif de la Belgique?

 

Si en fin de compte la Belgique échouera, éclatera, ou si elle se maintiendra, personne ne peut le dire à l’avance. Mais il est une chose certaine: nous assisterons, nous assistons déjà, à l’émergence d’une zone “neutralisée” (au sens où l’entendaient Carl Schmitt et Christoph Steding) au Nord-Ouest de l’Europe. L’écrivain flamand Rik Van Walleghem a publié récemment une livre remarquable, et en même temps très drôle, sur la mentalité belge actuelle: l’individualisme forcené, perceptible dans toute la population (en Flandre comme en Wallonie), est devenu si fort que plus aucune politique de “Bien commun” n’est possible. Cela signifie que le pays est de facto “neutralisé” dans la mesure où toute politique véritablement “politique” (Julien Freund) n’y est désormais déployable, parce que plus aucune “position” claire ne peut encore s’y manifester, l’espace belge, dans ces conditions, ne pouvant plus demeurer un “sujet politique” même de modestes dimensions. Le refus du “Bien commun”, ou l’impossibilité de le servir, et la disparition de la “subjectivité politique” relèvent bel et bien de cette attitude anti-impériale et anti-politique que dénonçait un auteur allemand de la “révolution conservatrice”, aujourd’hui largement méconnu et oublié, Christoph Steding. Peu avant sa mort en 1934, Steding ne comptait pas la Belgique parmi les nations “impolitiques” d’Europe, comme la Suisse, les Pays-Bas et la Scandinavie. Aujourd’hui, s’il pouvait lire le livre de Van Walleghem, il la compterait sûrement parmi les pays “impolitiques” !

 

Le problème linguistique belge n’est pas bloqué en Flandre ou en Wallonie, mais à Bruxelles et dans les six communes flamandes autour de la capitale où se sont installés des francophones ou des Flamands devenus francophones dans les années 60, 70 et 80: c’est là que réside le contentieux territorial et politique; les Flamands estiment que le principe de territorialité doit primer (une seule langue pour un territoire délimité et défini par le législateur lors de la fixation de la frontière linguistique); les Francophones estiment, pour leur part, que l’emploi d’une langue par une personne lui donne automatiquement le droit à être servie dans cette langue par l’administration de la commune ou de la région; le nombre de locuteurs d’une langue déterminant de la sorte le statut linguistique du territoire, en dépit de toute décision antérieure du législateur. On le voit: les deux positions sont antagonistes, sans la moindre possibilité de négociation fructueuse ou de compromission féconde. L’immigration à Bruxelles pose un problème supplémentaire: en Flandre, tous sont plus ou moins en faveur d’une réduction drastique des flux migratoires mais, chez les francophones, qui “in petto” veulent la même chose, on est trop influencé par l’idée d’une panade “panmixiste” prêchée depuis Paris. On n’ose pas prendre de position plus radicale parce que cela déclencherait immédiatement une campagne de haine et de diffamation dans les médias français. Si des socialistes ou des démocrates-chrétiens wallons se mettaient à voter des mesures limitant les flux migratoires, des journaux parisiens comme “Libération” ou “Le Monde”, lus par les francophones belges, déclencheraient automatiquement des campagnes de presse contre le pays, stigmatisant, une fois de plus, un racisme ou un fascisme imaginaires, comme ce fut le cas avec Haider, Berlusconi ou Orban.

 

 

Autre problème récurrent de la Belgique: l’état de son système judiciaire, qui fonctionne très mal surtout à Bruxelles. L’ancien recteur des Facultés universitaires Saint Louis de Bruxelles, le Prof. François Ost, laisse sous-entendre, dans un ouvrage remarquable, que les problèmes de la justice, surtout en Belgique mais aussi ailleurs en Europe ou dans le monde, ont commencé lorsque la plupart des juristes (juges, procureurs et avocats) n’ont plus reçu une formation philosophique et littéraire solide et adéquate, surtout à partir du moment où l’on n’exigeait plus d’eux, comme auparavant, d’avoir bénéficié d’une formation classique, impliquant l’étude, à l’école secondaire, des racines grecques et latines de notre civilisation. Le Prof. Ost plaidait pour un formation générale et classique plus étoffée du personnel de la justice, faute de quoi les jugements posés deviendraient “mécaniques” et donc, souvent, “kafkaïens”. A côté de ce déclin culturel général, qui frappe aussi magistrature et barreau, règne un laxisme qu’a révélé la fameuse “affaire Dutroux” dans les années 90 du 20ème siècle. Les délinquants juvéniles, nombreux dans les grandes villes, s’en tirent trop souvent à bon compte: on ne leur inflige que quelques vagues réprimandes, dans un français ou un néerlandais qu’ils ne comprennent généralement pas. La confiance dans les professions juridiques en est profondément ébranlée: les avocats sont perçus comme des “raboulistes” aux yeux des simples citoyens; quand ce sont plutôt les règles qui jouent au détriment des faits dans les procès, le bon peuple ne comprend pas pourquoi les délinquants sont acquittés pour des “vices de procédure” sans qu’il ne soit tenu compte des faits répréhensibles qu’ils ont commis, fussent-ils des crimes effroyables. Les colonnes des journaux, notamment le plus lu du royaume, “Het Laatste Nieuws”, fourmillent de lettres de lecteurs dépités qui n’usent généralement pas d’un vocabulaire amène à l’égard des juristes, avocats comme magistrats.

 

L’implosion de la société belge n’est donc pas seulement politique, avec la crise permanente que vit le royaume, ou sociologique, avec le repli sur l’égoïté de chacun comme le démontre l’ouvrage de Rik Van Walleghem, elle se niche également dans la perte de confiance totale dans l’appareil judiciaire. Pour la Belgique, il faudrait plutôt parler d’implosion que d’explosion ou d’éclatement. Tout phénomène d’implosion politique est un phénomène plus lent que l’explosion, brutale et soudaine. Dans les cas d’implosion politique, les institutions semblent encore fonctionner mais seulement vaille que vaille sans l’adhésion de la population qui devient de plus en plus sceptique, méfiante et hostile. Un fatalisme, tissé d’indifférence et de sombre mélancolie, s’installe dans une sorte de Château de Kafka postmoderne. Tout Etat affligé de tels maux survit misérablement mais cette simple survie ne recèle aucune valeur constructive sur les plans spirituel, intellectuel, politique ou historique.

 

Reste à évoquer le problème du coût exorbitant de l’énergie, aux mains de grands consortiums français, tels Suez-GDF. L’énergie (gaz + électricité) est bien plus chère en Belgique que partout ailleurs en Europe. La ponction mensuelle effectuée par le secteur de l’énergie sur le budget des ménages entraîne un amoindrissement dramatique de l’épargne populaire, surtout quand les loyers augmentent terriblement, comme à Bruxelles et y absorbent souvent plus du tiers du salaire, et que la fiscalité ne s’allège pas. Un peuple ne peut pas faire confiance à un pouvoir politique qui laisse un secteur privé, et étranger de surcroît, comme celui de l’énergie, pomper déraisonnablement le budget des ménages, appauvrissant ainsi la population toute entière. Quand le pouvoir politique, tout au début du gouvernement di Rupo, a élevé faiblement la voix pour dénoncer le scandale, le secteur énergétique a superbement ignoré ce reproche et a encore augmenté les prix une semaine plus tard, signifiant ainsi au monde politique qu’il comptait pour du beurre. Ajoutons aussi que ce secteur énergétique ne paie que des impôts dérisoires et renâcle quand le pouvoir tente vaille que vaille de remédier à cette situation. À quoi peut donc bien servir un tel pouvoir politique, s’il se montre incapable de protéger la population contre des abus manifestes? Ni les partis traditionnels ni les partis challengeurs (Ecolo, Groen, NVA et Vlaams Belang) n’ont formulé un programme visant à mettre au pas le secteur énergétique étranger: une grave, très grave, lacune, surtout dans le cas de l’opposition marginalisée par le nouveau “super-cordon sanitaire”.

 

♦ Le “Vlaams Belang” est sans nul doute le fer de lance politique du mouvement indépendantiste flamand. Pourtant, les cercles et partis nationalistes en Europe critiquent, parfois sévèrement, certaines lignes adoptées par ce parti. Partagez-vous cette critique et, question connexe, comment jugez-vous, dans le contexte flamand  actuel, l’avènement du nouveau parti qui concurrence ce “Vlaams Belang”, soit la NVA  (“Nieuwe Vlaamse Alliantie”) de Bart De Wever ?

 

Je n’ai jamais été membre d’un parti, tout simplement parce que je n’ai jamais cru à l’utilité de partis nouveaux et à leur éventuelle efficacité sur le long terme dans le cadre belge. Le journaliste flamand Paul Belien, qui est très actif dans les pays anglo-saxons et écrit beaucoup en anglais, a pu très justement observer que la Belgique officielle suit un modèle, un “patron”, fixé une fois pour toutes. Ce modèle a été conçu en 1919, immédiatement après la Première Guerre Mondiale et a été sanctionné par des accords pris dans le Château de Loppem (près de Bruges) par le Roi, les chefs des trois principaux partis politiques, le patronat et les syndicats. À l’époque, on craignait surtout une révolution communiste/spartakiste car bon nombre d’ouvriers belges avaient sympathisé avec les “conseils d’ouvriers et de soldats” que les troupes allemandes, en rébellion ouverte contre leur hiérarchie, avaient proclamés dans les villes belges qu’elles occupaient. C’est pourquoi, le Roi, les syndicats, les associations patronales et les directions des trois partis dits “traditionnels” (catholiques, socialistes et libéraux) ont décidé que seuls ces partis signataires des accords de Loppem avaient droit à une représentation politique et parlementaire normale. Les innovations politiques et les nouveaux partis, qui se présenteraient éventuellement sur la scène électorale, devaient dès lors être secrètement combattus et tenus éloignés du pouvoir réel. La “Troïka de Loppem” devait, dans l’optique de ses protagonistes, devenir un bastion inébranlable contre toute innovation partisane qui surviendrait sur la scène politique belge. À l’époque, on visait surtout les communistes et les nationalistes flamands. Pour le journaliste Belien, les accords de Loppem sont toujours valides, surtout quand il s’agit de barrer la route à de la nouveauté, sauf peut-être aux “Ecolos”, et, pour Belien, ces mécanismes de fermeture fonctionnent surtout face à de la nouveauté flamande. Je partage son opinion même si je rejette sa volonté de faire d’une Flandre éventuellement devenue indépendante la féale alliée des États-Unis et de la Grande-Bretagne contre une UE trop déterminée par le binôme franco-allemand à ses yeux. La Flandre, tout comme les Pays-Bas, est la façade sur la Mer du Nord de l’Europe centrale, de la Mitteleuropa, tout en étant le prolongement occidental de la plaine nord-allemande. Elle ne saurait se satisfaire d’un statut de simple comptoir des thalassocraties anglo-saxonnes, comme le sont actuellement, du moins  dans une certaine mesure, les Pays-Bas.

 

La critique, que certains cercles nationaux ou nationalistes ont émise, que ce soit en Flandre même, notamment avec les néo-solidaristes, ou chez certains francophones de diverses obédiences partisanes ou associatives, s’adresse essentiellement aux prises de position ouvertement pro-américaines ou pro-israéliennes de quelques pontes du parti, comme ce soutien enthousiaste et irrationnel à George W. Bush, lors d’une de ses visites au quartier général de l’OTAN à Bruxelles, qui s’est exprimé naguère dans les colonnes du quotidien “Het Laatste Nieuws”. J’ai personnellement trouvé ce soutien puéril, particulièrement stupide et niais. Par ailleurs, l’idée de créer sur le modèle de l’alliance Berlusconi /Fini / Bossi une “Forza Flandria” qui devrait advenir avec les libéraux du VLD est considérée comme absurde par bon nombre d’observateurs, surtout parce que les libéraux ne veulent absolument pas en entendre parler! Une telle alliance, qui serait automatiquement dominée par les idées libérales et néo-libérales, ne reçoit pas, c’est sûr, l’aval de la majorité des électeurs. Le peuple veut un nouveau parti populaire, aux assises rénovées et “nettoyées” (une opération “mains propres”) qui proposerait un programme socio-économique solide que l’on retrouve aussi chez les socialistes et les démocrates-chrétiens historiques, mais que l’on épurerait de ses innombrables corruptions, de tous les oripeaux de festivisme soixante-huitard et de toutes les dérives abracadabrantes de la “nouvelle élite intellectuelle” (celle que dénonce Christopher Lash), une fausse élite “catamorphique” qui se pique, elle, de permissivité et de gauchisme utopique. Le peuple veut donc un État social plutôt flamand que belge en Flandre, comme l’était jadis l’État belge jusque dans les années 60 et 70, mais un Etat social efficace et non inutilement dispendieux, basé sur le sérieux politique, sans le carnaval permanent des gauches molles en folie. Les électeurs ne veulent surtout pas que le système belge des allocations familiales soit détricoté ou battu en brèche par des mesures néolibérales.

 

Les succès de la NVA s’expliquent parce que ce parti a commencé sa véritable ascension en 2007 comme partenaire mineur du parti démocrate-chrétien CD&V, encore très puissant à l’époque. Avec lui, la NVA a formé un “cartel” pour les élections législatives de juin 2007. Yves Leterme, qui était alors le chef du CD&V, a laissé tomber la NVA entre 2007 et 2010, afin de pouvoir gouverner le pays (avec les libéraux et les socialistes, obsession “lopemienne” oblige...), après que la presse francophone ait mené une campagne de haine et de dénigrement contre lui, accusé d’être le Cheval de Troie des méchants dissidents (contre-lopemistes) de la NVA. Ensuite, après les élections législatives anticipées de 2010, les rôles se sont inversés : la NVA de Bart De Wever a absorbé complètement les électeurs de la CD&V : si le “cartel” avait encore existé, le partenaire mineur serait devenu le partenaire majeur! Mais cette victoire électorale de la NVA a fragilisé le schéma voulu par les fameux accords de Loppem de 1919, qui doivent encore et toujours servir de modèle pour l’éternité. Le système belge fonctionne sur base de cette illusion d’avoir fabriqué, un jour, il y a près de cent ans, un “modèle”, établi une fois pour toutes; or l’histoire, en aucun cas, en aucun lieu, ne retient de tels modèles pour l’éternité. La NVA, comme avant elle, le “Vlaams Belang” ou d’autres partis wallons ou francophones, doit donc être adroitement, machiaveliquement, écartée des centrales du pouvoir. Ceci dit, le message politique de la NVA demeure très flou, très “fuzzy” pour reprendre un vocable anglo-saxon à la mode, si bien que tout esprit politiquement rationnel ne peut ni développer une critique de son contenu idéologique ou programmatique ni y adhérer en toute connaissance de cause. Reste à constater que le “cordon sanitaire” se perpétue et s’amplifie, en tant qu’expédient pour maintenir inamovible, sans changement aucun, la teneur des accords de Loppem envers et contre tout changement de donne et toute rationalité ; ce “cordon”, que l’on avait mis en place pour barrer la route au “Vlaams Blok / Vlaams Belang”, s’installe dorénavant, de manière tacite, sans bruit, pour contrer toute participation de la NVA à la gestion de l’Etat, du moins au niveau fédéral; cette extension du “cordon sanitaire” fait que près de 45% des électeurs flamands (NVA + Vlaams Belang) n’ont plus aucune représentation au sein du Parlement fédéral belge! Bonjour la démocratie !

 

 

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Aux questions de la revue des corporations étudiantes autrichiennes, “Die Aula”, le chef de fraction du “Vlaams Belang” au parlement flamand, Filip De Winter, répondait que l’annexion d’Eupen-Malmédy au Land de Rhénanie du Nord/Westphalie était parfaitement envisageable en cas de dissolution de la Belgique. Estimez-vous que cette solution est réaliste? Côté allemand, personne ne semble intéressé à la question, exactement comme en l’année 1990, lorsque Moscou offrait de redonner la Prusse orientale à l’Allemagne...

 

L’histoire des deux cercles autour des petites villes germanophones pittoresques, que sont Eupen et Saint-Vith (Malmédy a toujours été wallonne, y compris sous le IIème Reich de Bismarck, où la langue wallonne avait un statut officiel, ce qu’elle n’a par ailleurs jamais eu sous aucun autre régime politique) est une histoire complexe. Pour y voir clair, il faut relire attentivement une thèse de doctorat, celle du Dr. Klaus Pabst (Eupen-Malmédy in der belgischen Regierungs- und Parteienpolitik 1914-1940, Sonderdruck des Aachener Geschichtsvereins, Band 76, Aachen, 1964). Nous ne le répéterons jamais assez: l’imbroglio est très complexe. Ces deux cercles ne sont pas les seuls cercles germanophones de la région: les communes de Plombières (Bleiberg), Henri-Chapelle (Heinrichkappelle), Welkenraedt et Baelen au Nord et de Bocholz, Urth, Lamerschen et Steinbach au Sud sont également germanophones mais ne firent jamais partie du Royaume de Prusse. Malmédy appartenait, sous l’Ancien Régime, à un tout petit État ecclésiastique, celui de l’Abbaye de Stavelot (Stablo) / Malmédy. Les habitants de Malmédy, bien que non germanophones, ont toujours été considérés comme des sujets prussiens plus fidèles que ceux d’Eupen, qui, en 1848, avaient sympathisé avec les révolutionnaires berlinois. Par ailleurs, en 1919, la Belgique annexe également des portions de la commune allemande de Monschau (Montjoie). Les communes germanophones de la “Wallonie de l’Est”, qui n’ont jamais été prussiennes, sont appelées, dans le langage du peuple, “altbelsch” (vieilles-belges) tandis que les cercles devenus belges en 1919 sont appelés “neubelsch” (nouveaux-belges). Pour rendre encore les choses plus compliquées, les Allemands (les Prussiens) ont négocié en 1919-1920 sur base du fait “linguistique” et voulaient que la frontière linguistique, séparant l’allemand de Rhénanie du wallon, devienne frontière d’État, mais forcément sans revendiquer les communes “altbelsch” et sans Malmédy, tandis que les négociateurs belges voulaient obtenir les frontières d’Ancien Régime, celle d’avant le Traité de Campo Formio de 1795 (où l’Autriche cédait les Pays-Bas méridionaux à la République française victorieuse), parce qu’à leurs yeux, les frontières des principautés et duchés du Saint-Empire étaient idéales et seules légitimes ! Un tracé de la frontière belgo-allemande selon le découpage territorial de l’ancien régime aurait eu une configuration différente : certains territoires de l’ensemble Eupen-Malmédy seraient restés allemands tandis que plusieurs communes allemandes seraient revenues à la Belgique, héritière des anciens duchés de Limbourg et de Luxembourg, jadis inclus dans les résidus du Cercle de Bourgogne qu’étaient les Pays-Bas espagnols puis autrichiens ; héritière aussi, depuis 1815, de la Principauté ecclésiastique de Liège et du territoire impérial de l’Abbaye de Stavelot-Malmédy. Tous les territoires ayant appartenu à ces entités d’ancien régime auraient dû revenir selon les négociateurs belges à la Belgique, posée comme héritière de l’Autriche et du Saint Empire dans la région, tandis que les négociateurs prussiens souhaitaient conserver tous les territoires germanophones des cantons d’Eupen, Malmédy et Saint-Vith et ne laisser que les communes wallones à la Belgique.

 





 

 

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Dans le cas d’un éclatement de la Belgique, les cercles d’Eupen et de Saint-Vith pourraient tout naturellement redevenir allemands. Ce serait certes une solution raisonnable car la géographie locale lie ces communes à leurs consoeurs allemandes comme Aix-la-Chapelle, Düren, Prüm et Bitburg. Il y a quelques années, un sondage a été effectué dans toute la Wallonie et aussi dans la région germanophone; les citoyens devaient répondre à une question: que voulez-vous devenir si la Belgique cesse d’exister? Les habitants des cercles d’Eupen, Saint Vith et Malmédy, de même que les habitants des arrondissements purement wallons de Verviers (province de Liège) et de toute la province du Luxembourg belge (wallon), de même que bon nombre d’arrondissements de la province de Namur ont dit souhaiter l’annexion au Grand-Duché du Luxembourg, plutôt que de devenir français. De Winter et beaucoup d’hommes politiques flamands et wallons oublient trop souvent, comme je l’avais d’ailleurs oublié moi-même, que les oeuvres littéraires des écrivains wallons évoquaient souvent avec anxiété les liens brisés avec l’Allemagne du fait des deux guerres mondiales du XXe siècle. Pour l’un des meilleurs écrivains wallons contemporains, décédé depuis quelques années, Gaston Compère, c’est presque un leitmotiv récurrent de son oeuvre. Et même celui qui a bruyamment milité entre 1918 et 1920 pour faire annexer ces cantons des Fagnes et de l’Eifel à la Belgique, je veux parler de Pierre Nothomb, le grand-père de l’écrivain belge contemporain Amélie Nothomb, n’a plus cessé, après la seconde guerre mondiale de parler de ses chères Ardennes et de son non moins cher Eifel, devenant dans la foulée un des meilleurs avocats de la réconciliation. Voilà comment tourne la roue de l’histoire dans l’est de la Wallonie... Tout cela nous explique pourquoi, dans le sondage que je viens de mentionner, le Grand-Duché du Luxembourg est préféré à la France jacobine, avec laquelle pourtant ces Wallons partagent la langue. N’oublions pas non plus que lors d’une conférence de presse officielle pendant la longue crise politique de 2007-2011, un ministre wallon, Magnette, a évoqué, sous forme de boutade, l’Anschluss de toute la Wallonie à l’Allemagne, tout simplement, argumentait-il, parce que les liens économiques entre la région belge et l’Allemagne sont très forts, bien plus forts qu’avec la France, à l’exception de quelques zones frontalières en Hainaut (et en Flandre...). De plus, les systèmes sociaux belges et allemands sont similaires et méritent d’être conservés. C’était évidemment du temps de Sarközy, que les socialistes wallons n’appréciaient guère...

 

On évoque parfois la possibilité d’inclure tout le Land allemand de Rhénanie du Nord / Westphalie dans le Benelux, sous prétexte que les liens économiques sont tellement étroits que ce Land en fait partie de facto. Les cercles nationaux en Allemagne craignent qu’une telle démarche, qu’une adhésion au Benelux de la RNW déclencherait un processus de dissolution de l’État allemand, justement dans le but de faire advenir cette panade panmixiste d’indifférenciation que les eurocrates veulent imposer à tous, notamment sous l’impulsion de certains professeurs de la “London School of Economics”. Dans le cas qui nous préoccupe, je pense qu’il ne faut pas dramatiser: le Benelux n’est pas une instance qui fonctionne très bien; ses composantes gardent farouchement leur identité et les Néerlandais ne souhaitent certainement pas être entraînés dans les dysfonctionnements patents et récurrents de l’Etat belge, au cas où le Benelux s’avèrerait subitement plus “intégrateur” qu’auparavant. Je pense plutôt que cette idée de “bénéluxer” la RNW, certes un peu loufoque car on pourrait tout aussi bien réclamer la fusion des Etats du Benelux et de la RFA tout entière (et pourquoi pas de l’Autriche?), montre fianlement, mais par l’absurde, que ces pays de langues germaniques ou de parler roman (comme la Wallonie et, au Sud des Ardennes, la Lorraine romane), ont été déterminés, qu’ils le veuillent ou non par l’histoire germanique et impériale jusqu’en 1914 ; ils (re)trouvent inévitablement, dans l’Europe d’aujourd’hui, une sorte de destin commun, mieux des affinités et des “affinités électives” évidentes, tout simplement parce qu’au cours de l’histoire, ils ont toujours été étroitement liés et parce que leur folklore, leurs légendes et leurs traditions sont très souvent les mêmes. Seules les deux guerres mondiales —brève parenthèse dans l’histoire millénaire de la chose impériale, bien que parenthèse effroyablement tragique et surtout disloquante—  ont créé une césure que l’on est seulement aujourd’hui en train de surmonter. Il existe également une “Euro-Regio” comprenant la province flamande du Limbourg (Hasselt, Tongres, Saint-Trond), la province néerlandaise du Limbourg (Maastricht, Venlo), la province wallonne de Liège, le territoire de la Communauté germanophone de Belgique et les cercles d’Aix-la-Chapelle et Düren. Cette “Euro-Regio” fonctionne surtout dans le domaine du tourisme sans que les trois langues utilisées lors des diètes officielles ne posent problème. Les Allemands d’aujourd’hui doivent savoir que de telles initiatives, qui partent de sentiments positifs, ne nous préparent pas une “panade eurocratique”, tout simplement parce qu’elles sont étroitement ancrées dans une région frontalière spécifique, découpée par des frontières récentes, qu’elles sont conscientes de leur identité commune “rhénane-mosane” et qu’elles partagent, dans leur folklore, les mêmes éléments de base mythiques et liturgiques (notamment dans les carnavals); on songera ensuite, dans le domaine de la musique et du chant, à un ténor sympathique et populaire comme André Rieu, natif de Maastricht, chanteur populaire en Allemagne, au patronyme d’origine wallonne! Ces initiatives, de surcroît, ont l’avantage non négligeable, de déconstruire la germanophobie née des deux guerres mondiales du 20ème siècle, ce qui, dans l’Ouest du continent est une nécessité impérieuse, surtout qu’en France, le nouveau “culte de la mémoire (courte)” revient sans cesse sur les événements tragiques de la seconde guerre mondiale, génèrant en sourdine une nouvelle germanophobie, et ruinant, par la même occasion, les efforts de réconciliation entrepris depuis l’entrevue De Gaulle/Adenauer en 1963. La RFA ne songe évidemment pas à une récupération des cantons d’Eupen et de Saint Vith, dans les circonstances actuelles, parce qu’il n’existe plus aucune forme d’hostilité dans la région et que les pouvoirs publics, de part et d’autre des frontières belges, allemandes et néerlandaises, coopèrent étroitement et amicalement, comme avant 1914, où la commune de Moresnet, par exemple, était gérée conjointement par les trois puissances, dans la bonne humeur et la convivialité. On imagine douaniers et gendarmes, tous uniformes confondus, chantant à pleins poumons autour de bons hanaps de bière, lors des kermesses, carnavals et autres fêtes paroissiales !

 

 

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La Prusse orientale est, dans le contexte actuel, une zone de bien plus grande importance stratégique parce que c’est par elle que transitent les gazoducs de la Baltique.

 

♦ Dans un article nécrologique à l’occasion de la mort de l’écrivain Ernst Jünger en 1998, vous expliquiez que vous le lisiez et l’admiriez depuis l’âge de 18 ans. Pourquoi cette admiration pour sa biographie et son oeuvre littéraire ?

 

Oui, j’ai commencé très tôt à lire les écrits d’Ernst Jünger. Je prépare pour l’instant un long entretien sur son œuvre et suis en train de lire les formidables biographies et monographies qui lui ont été consacrées récemment, notamment par des germanistes comme Meyer, Kiesel, Wimbauer, Ipema, Blok, Schwilk ou Weber. C’est exact: je suis admiratif de tous les aspects de l’oeuvre de Jünger. La clarté de ses articles et essais nationaux-révolutionnaires demeure exemplaire et le Dr. Armin Mohler en a adapté le contenu pour présenter, dans feue la revue “Criticon” sa vision d’un conservatisme rénové, même si Ernst Jünger n’était guère satisfait de voir ainsi réactualisés ses écrits politiques de jeunesse, dans le contexte totalement différent des années 50 et 60.

 

 

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L’attitude, face à la vie, du Jünger devenu homme mûr, qui se retire de la politique et part à la recherche de paysages inviolés par la modernité, m’interpelle tout aussi profondément, même si, pour nous, hommes jeunes ou matures du début du XXIe siècle, une telle quête s’avère de moins en moins possible: les paysages jusqu’au fin fond de la Pampa (n’en déplaise à Jean Raspail!) ou jusqu’aux recoins les plus réculés du Sahara ou du Désert de Gobi, portent tous, maintenant, quelque part, des traces et des souillures de modernité. Au-delà de toutes prises de position politiques ou métapolitiques, cette attitude, cette volonté de trouver des paysages silencieux ou bruisant de milles bruits prémodernes exerce sur moi une véritable fascination. Je recommande tout particulièrement aux jüngeriens en herbe de lire et de relire les pages du journal de Jünger relatives à son voyage au Brésil en 1936 (et, effectivement, trouvera-t-on encore ce Brésil indemne aujourd’hui?), à son séjour en Angola et à son excursion en Islande dans les années 60. Beaucoup de choses vues par Jünger et ses compagnons de voyage (dont son frère en Islande) ont été irrémédiablement détruites par la modernité. Personnellement, j’essaie encore de trouver des paysages indemnes ou d’en redécouvrir, mais je ne le puis que sur des espaces réduits à des distances de cinq ou dix kilomètres : partout, on trouve les blessures indélébiles infligées par les “temps de l’accélération” (die Beschleunigung), blessures qui n’avaient pas encore été infligées dans les années 60, quand j’étais un enfant et quand la “connexion totale”, crainte par Friedrich-Georg Jünger dans son ouvrage Die Perfektion der Technik, n’avait pas encore l’ampleur étouffante qu’elle détient de nos jours. Aujourd’hui, objets et villages, villes et paysages, en sont affectés. Le germaniste Weber, qui a sorti récemment chez Matthes & Seitz à Berlin, une monographie remarquable sur l’oeuvre de Jünger, démontre que l’idée fondamentale de cet auteur est justement l’idée de “décélération”, d’Entschleunigung. Il a raison. J’aimerais bien, comme le souhaite aussi un autre écrivain allemand, Martin Mosebach, appartenir dorénavant au cercle insigne des “retirés” et des “décélérants” (Entschleuniger), car le monde misérable des alignés et des conformistes de la modernité accélératrice, fébrile et frénétique, m’indispose et me déplait. Martin Meyer, dans son ouvrage sur Ernst Jünger, rappelle que notre auteur, au-delà des formes totalitaires ou non totalitaires du Léviathan moderne aux racines idéologiques “bourgeoises”, voit avec anxiété et réprobation se multiplier les “structures” qui étouffent les “ordres vitaux”, seuls réceptacles de véritable liberté, et les remplacent par des “Funktionsbeziehungen”, de purs et froids “rapports de fonctionnement”, totalement abstraits, inorganiques et insensibles à toutes nuances et circonstances. Aucune spontanéité vitale, donc aucune liberté vraie, ne peut plus se déployer sous le joug de telles abstractions: telle est aussi la grande leçon de l’anarque Jünger, qui nous incite à vivre le plus possible détaché de ces structures oblitérantes. Ensuite, ce mélange de sérénité (Gelassenheit), de cynisme désabusé et de quiétude souveraine chez notre auteur, je le trouve admirable. J’aime souvent citer cette anecdote que Schwilk, je crois, met en exergue dans sa monographie, au ton si vivant et chaleureux : devenu centenaire, Jünger est hospitalisé quelque part en pays souabe. Le Bild-Zeitung, journal de boulevard ne visant que le sensationnel, titre: “Un grand Allemand s’est couché pour mourir”. La femme de Jünger, qu’il surnommait “Mon petit Taureau”, lui apporte le journal. Jünger ricane et dit : “Ce plaisir-là, je ne vais pas encore le leur faire !”. Le reste de mes cogitations jüngeriennes, je le laisse pour l’entretien que je prépare depuis au moins six bons mois. Si vous le souhaitez, je vous en traduirai quelques extraits...

 

Cet article nécrologique de votre plume était paru dans “Junge Freiheit”. Pourquoi ne lit-on plus rien de vous dans les pages de ce journal?

 

Pour la direction de “Junge Freiheit”, il n’existe qu’une seule et unique personne en Europe de l’Ouest (et pas seulement en France) qui peut fonctionner comme correspondant : Alain de Benoist. Mais comme celui-ci s’est chamaillé avec tout le monde (ou se chamaillera si ce n’est pas encore le cas...) et comme ce solitaire grognon croit dur et ferme qu’il incarne tout seul sa fantômatique nouvelle droite (canal historique) et comme il croit aussi, tel un spectre errant, qu’il est le seul autorisé à représenter sa nouvelle droite dans le vaste monde ou même au niveau intergalactique, il met tout en oeuvre pour empêcher d’autres de s’exprimer à la tribune qu’offrent les journaux ou les revues bienveillantes à l’égard de ce vaste courant de pensée, à têtes multiples, que représente, partout dans le monde, la mouvance “nouvelle droite”. C’est ainsi, on n’y peut rien et l’on n’y changera rien! Je me souviens toutefois que jadis, il y a bien des années, “Junge Freiheit” avait un autre correspondant à Paris. Un homme solide, bon vivant et rigolard, avec une barbe de ténor wagnérien, originaire d’Alsace, bilingue, qui avait appartenu fidèlement à la ND (canal historique) aux temps héroïques du mouvement. Il régalait les lecteurs de JF d’articles bien tapés sur les affaires françaises. Au bout de quelques mois, sa signature a malheureusement disparu des colonnes de “Junge Freiheit” et de toutes les autres initiatives qualifiables, en France, de ND, fort probablement parce qu’il a été “purgé” à la suite de l’une ou de l’autre révolution de Politburo (de sotie) à Paris. L’attitude de la direction de “Junge Freiheit” en ce domaine est navrante: elle relève d’un pauvre travers, celui qui consiste à idolâtrer des gourous, au lieu de penser et d’agir objectivement et rationnellement. J’avais proposé de traduire les entretiens que prenait avec brio Xavier Cheneseau, un journaliste de la revue des chasseurs français, “Le Saint-Hubert”, d’accord en toute courtoisie pour que l’hebdomadaire berlinois les reprennent, et cela, gratuitement. J’avais traduit un premier entretien avec Brigitte Bardot: sitôt celui-ci paru, nous avons appris que quelqu’un, à Paris, avait chuchoté à l’oreille de la direction berlinoise de JF, que ces entretiens étaient “faux”, comme si une revue aussi diffusée que “Le Saint-Hubert” se permettrait de publier de faux entretiens! Exit Cheneseau! Et, du coup, exit tous les auteurs ou hommes politiques interviewés par cet infatigable garçon! Une coopération avec Cheneseau se serait avérée bien fructueuse et aurait donné à la rédaction berlinoise un succulent zeste d’originalité dans la presse allemande. On a, à Berlin, choisi de ne pas faire mariner ce zeste de bon fruit gaulois dans la tisane “néo-conservatrice”, offerte aux lecteurs allemands. Dommage. Navrant.

 

eierkorb.jpgEn ce qui me concerne, si je ne ne puis écrire dans telle ou telle revue à cause des intrigues parisiennes de la ND, je ne m’en soucie guère: le monde est vaste, j’écris pour d’autres, je me promène, j’arpente mes “Holzwege”, je travaille (car je ne suis pas un marginal, moi, qui vit des cotises de quelques naïfs dont j’abuserais de la générosité) et je médite en rigolant l’adage qu’aimait à répéter ma grand-mère maternelle ouest-flamande, originaire de Zonnebeke: “Qui ne veut point de mes oeufs, les laissera dans mon panier” (“Wie van mijn eieren niet wil hebben, die laat ze maar in mijn mand”).

 

Vous vous êtes également intéressé à un autre grand format de la pensée allemande: Carl Schmitt. Bon nombre d’observateursestiment que sa pensée reviendra bien vite à la surface vu la crise financière et économique qui dure et persiste, et vu les conflits d’ordre géopolitique qui secount l’échiquier planétaire. Comment voyez-vous les choses?

 

J’ai découvert Schmitt assez tôt et ai entamé la lecture de ses oeuvres, surtout parce que je suis tout simplement un compatriote de ce cher professeur d’université que fut Piet Tommissen, malheureusement décédé en août 2011. Il nous a carrément donné l’ordre de lire Schmitt. Il venait régulièrement, fin des années 70, prononcer quelques allocutions à la tribune des cercles Evola en Flandre, créés à l’initiative du surréaliste historique, le peintre Marc. Eemans. Ensuite, j’ai connu Günter Maschke à la Foire du Livre de Francfort en 1984 et depuis lors, quand nous sommes assis autour d’une table, avec un bon verre de vin de Hesse à la main, nous parlons immanquablement de thèmes relevant des “Schmittiana” et devisons sur la théorie du “grand espace” que Carl Schmitt avait commencé à théoriser dans les années 30. Pour être exact, mon intérêt pour Schmitt dérive d’un intérêt pour la géopolitique car je suis, en fait, un disciple du Général von Lohausen. J’ai toujours été d’avis qu’il fallait lire Schmitt en même temps qu’Haushofer et que d’autres auteurs de sa “Zeitschrift für Geopolitik” ou de la collection géopolitique (intitulée “Zeitgeschehen”) des éditions Goldmann de Leipzig dans les années 30 et 40. Nous avons là un filon quasi inépuisable d’auteurs très pertinents, malheureusement oubliés aujourd’hui mais qu’il vaudrait la peine de redécouvrir: il y a du pain sur la planche car ce sont des rayons entiers de bibliothèque que ces hommes ont remplis. Maschke et moi avons d’ailleurs un faible pour l’un d’eux: le journaliste Colin Ross, mort foudroyé sur la rive d’un fleuve russe en 1943. Allez donc chez un bouquiniste, pour rechercher ses livres et lisez-les! Malgré les bons travaux du Prof. Jacobsen et du politologue Hans Ebeling, de même ceux des Prof. Klein et Korinman en France, un travail systématique reste à faire sur la “Zeitschrift für Geopolitik”, qui mérite franchement d’être lue avec toute l’acribie voulue et d’être complétée d’un appareil de notes comme l’a fait Maschke pour les “Positionen und Begriffe” de Carl Schmitt, ainsi que Tommissen pour toute l’oeuvre et la correspondance de Schmitt pendant de longues décennies. Question simple: pourquoi faut-il relire Schmitt (et Haushofer) aujourd’hui? Quelques critiques de Schmitt dans les cercles nationaux disent qu’il a été un “Etatiste” trop rigide. Je rejette cette objection et je dis qu’il a été, au contraire, l’un des critiques les plus avisés de l’impérialisme britannique et américain. Tout comme Haushofer d’ailleurs. Plutôt que de fabriquer une Europe libérale et de la maintenir vaille que vaille en vie, les Européens devraient plutôt songer à recréer un “grand espace” autarcique ou semi-autarcique.

 

quarit.gifLa meilleure esquisse de cette notion schmittienne de “grand espace” se trouve dans le volume “Coincidentia Oppositorum” (édité chez Duncker u. Humblot, Berlin) et dû à la plume d’un ami que j’ai connu jadis, Maître Jean-Louis Feuerbach de Strasbourg, perdu de vue, hélas, depuis de nombreuses années. Ce texte a sans doute échappé à bon nombre de lecteurs allemands parce qu’il a été rédigé et publié en français, l’éditeur, Helmut Quaritsch (photo), hélas aussi décédé en 2011, étant le premier énarque allemand, sorti de la fameuse “Ecole Nationale d’Administration” de Paris et donc parfait bilingue. Un homme dont je garde un souvenir ému, depuis un séminaire de la DESG à Sababurg, le long de la “Märchenstrasse”. Cela me force à terminer cette réponse à votre question par une note toute empreinte de tristesse: pour les sciences politiques, telles que nous les entendons, l’année 2011 a été vraiment catastrophique, avec la double disparition de Quaritsch, ancien éditeur de la revue “Der Staat”, et de Tommissen. Deux hommes irremplaçables....

 

Pour terminer, une question sur la “nouvelle droite”, à laquelle, paraît-il, vous appartiendriez... Les anciens protagonistes de ce mouvement se sont disputés entre eux, ont opté pour des voies différentes voire divergentes. La “nouvelle droite” a-t-elle échoué sur toute la ligne ou, selon vous, ses idées sont-elles encore, quelque part, ancrées dans le réel?

 

En fait, j’en ai plein les bottes de la “nouvelle droite” et je préférerais ne pas répondre à votre question. Mais vous êtes un honnête homme et vos lecteurs méritent de recevoir quelques explications. Cela fait plus de vingt ans maintenant que je n’ai plus vu ce monsieur de Benoist ou seulement furtivement, lors de la Foire du Livre de Francfort en octobre 1999 mais il s’est enfui quand il m’a aperçu ou, la deuxième fois que nos chemins et nos regards se sont croisés, il s’est dissimulé derrière un exemplaire largement déployé de “Junge Freiheit” dans le stand loué par cet hebdomadaire. Voilà pourquoi je ne peux plus rien vous dire de fort précis sur les aléas qui ont ponctué la vie vivotante de ce mouvement parisien au cours de ces dernières années. Pour les terribles simplificateurs et pour bon nombre de clochards mentaux installés dans un anti-fascisme autoproclamé et souvent alimentaire, j’appartiendrais à la ND (française!) seulement parce que j’ai été, pendant neuf mois en 1981, secrétaire de rédaction de “Nouvelle école”, la revue d’Alain de Benoist, et parce que j’ai participé à deux ou trois universités d’été en Provence (où j’avoue d’ailleurs m’être bien amusé, ce qui est l’essentiel, Carpe diem!). Plus tard, mon propre mouvement, “Synergon” ou “Synergies européennes”, a puisé à d’autres sources (Haushofer, Wittfogel, Pernerstorfer, de Jouvenel, Jean de Pange, Willms, etc.). De plus, au sein de la “nouvelle droite” française, j’ai toujours été une voix critique. J’ai surtout été profondément choqué et meurtri par le sort cruel que la direction parisienne et faisandée de ce mouvement a infligé au malheureux Guillaume Faye, non seulement dans les années 80, mais aussi en l’an 2000, lorsque l’Etat lui faisait un procès pour le contenu de son ouvrage “La colonisation de l’Europe”. Benoist et son satellite de l’époque, Charles Champetier (entretemps ce féal d’entre les féaux a également été “purgé”...), n’ont rien trouvé de mieux, dans ce contexte, alors que le jugement n’avait pas encore été prononcé, de traiter Faye de “dangereux raciste” dans les colonnes du journal italien “Lo Stato”. Faye a par la suite été condamné pour “racisme”. La ND parisienne avait promis à tous ses adhérents de leur offrir une “communauté” d’amis et de camarades. Et voilà comment les bons camarades sont devenus parjures, voilà comment ils ont traité Faye, un garçon qui leur avait donné le meilleur de lui-même, jusqu’à accepter une vie de misère et de privations...

 

Je ne dirais pas que la ND a échoué, parce que de Benoist s’est comporté en égocentrique voire en égomane: la ND a vu passer une quantité de personnes dans ses rangs, qui ont fait beaucoup ou peu pour elle, mais qui, après l’avoir quittée pour trente-six raisons, valables ou non, ou après en avoir été évincées pour satisfaire les caprices d’un philosophe auto-proclamé et sans bacchalauréat qui se veut “figure de proue”, demeurent actives dans une quantité impressionnante de clubs, d’associations ou de formations plus ou moins politiques, qui ont souvent un ancrage local. Lorsque je traverse la France en tant que touriste, pour me rendre en Suisse, en Italie ou en Espagne, j’ai toujours le plaisir de retrouver des camarades actifs quelque part, militant au sein de structures diverses ou produisant des oeuvres ou des publications intéressantes. La ND française n’a jamais eu qu’une tête parisienne pourrie, ce qui correspond au dicton français, “le poisson pourrit toujours par la tête”. Les cercles demeurés actifs dans les provinces françaises sont généralement restés sains et continuent à oeuvrer dans la discrétion et avec efficacité. Dommage, qu’à cause de certains blocages, dus aux manigances sordides de la “caboche putréfiée”, le public allemand (et bénéluxien et italien et espagnol et américain, etc.) n’en sache rien, n’en soit jamais informé. Ensuite, il faut dire, pour paraphraser Max Weber, que les valeurs ne meurent jamais. Nous vivons dans une époque très triviale de l’histoire, où les valeurs sont refoulées, foulées aux pieds ou moquées, mais les périodes triviales de l’histoire (comme les périodes sublimes d’ailleurs, que Sorokin qualifiait d’“ideational”) ne sont jamais éternelles, que ce soit dans l’histoire européenne ou dans l’histoire de la ND.

 

Monsieur Steuckers, nous vous remercions d’avoir bien voulu répondre à nos questions.

 

Réponses rédigées à Forest-Flotzenberg, juillet 2012.

 

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