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Michéa: métapolitique

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Métapolitique - La perspective Michéa

par Pierre Le Vigan / sur: http://www.europemaxima.com/

 

Jean-Claude Michéa, philosophe auteur de nombreux ouvrages (Impasse Adam Smith, L’Empire du moindre mal, La double pensée, …) défend des idées hostiles au libéralisme qui le rattachent à la fois à l’antilibéralisme de droite et à celui de gauche sans le réduire à aucune des formes passées de ces antilibéralismes. L’homme Michéa est un esprit libre. Il n’a, ainsi, pas hésité à expliquer que le libéralisme ne pouvait être dépassé par la gauche. Il n’a pourtant rien d’un homme de la vieille droite ni de la droite extrême. Il doit beaucoup au M.A.U.S.S. (Mouvement anti-utilitariste dans les sciences sociales) (Alain Caillé, Serge Latouche…) ou encore à Jacques Godbout ou à Jean-Pierre Voyer. L’originalité de Jean-Claude Michéa est de défendre l’idée d’un caractère exceptionnel du capitalisme, contingent, évitable. Cette vision est très différente de celle des marxistes pour qui le capitalisme était et est inévitable de même que son dépassement « socialiste », même si les marxistes doivent convenir que ce dépassement se fait singulièrement attendre.

Un autre point important que souligne Michéa est que le libéralisme politique a toujours besoin du libéralisme économique. Le libéralisme politique ne postule en effet aucun bien commun. De là apparaît nécessaire d’expliquer que le bien commun, en un sens, se réalise par le libre déploiement des forces économiques et est, en somme, autoproduit par la technique et les progrès matériels qu’elle génère, progrès matériels qui constituent au fond un progrès de l’homme lui-même. En conséquence, seul le libéralisme économique peut légitimer la privatisation de la morale qui est au cœur du libéralisme politique, puisque ce libéralisme postule l’absence de bien commun à rechercher et à mettre en œuvre ensemble. Le libéralisme est un hyper-relativisme. C’est pourquoi il y a aussi un lien obligé entre le libéralisme économique et le libéralisme culturel : les libéraux tendent à devenir libertaires au plan des mœurs et les libertaires se découvrent vite au fond des libéraux (cf. Cohn-Bendit). Charles Péguy écrivait : « On oublie trop souvent que le monde moderne, sous une autre face, est le monde bourgeois, le monde capitaliste. C’est même un spectacle amusant de voir comment nos socialistes antichrétiens, particulièrement anticatholiques, insoucieux de la contradiction, encensent le même monde sous le nom de moderne et le flétrissent, sous le nom de bourgeois et de capitaliste. » (De la Situation faite au parti intellectuel, 1907). Comme l’idée d’une « vie bonne » ne peut être complètement évacuée, la « vie bonne » pour le libéralisme, c’est le marché. Si le libéralisme politique peut difficilement se passer dans la durée du libéralisme économique, l’inverse n’est pas vrai : le libéralisme économique peut coexister avec le refus du libéralisme politique, du moins provisoirement (cf. le Chili de Pinochet).

Il est particulièrement important de rappeler que le libéralisme a prétendu dépasser les guerres. Il a en fait transférer les luttes à l’intérieur même des sociétés, il a d’ailleurs fait autant de guerres que les régimes non libéraux mais au nom de principes universels : le droit international, c’est-à-dire le respect de principes édictés par les plus forts, les droits de l’homme, etc.

Face à cela, Michéa refuse l’anthropologie libérale comme fausse et « faussante ». Sa philosophie vient d’une vision réductrice de l’homme, évacuant les dimensions du don, et par ailleurs tend à réduire de fait l’homme à ces dimensions de calcul et d’échange à l’opposé du don. Pour recouvrer les dimensions de l’homme que le libéralisme a réduit, il faut selon Michéa retrouver la common decency, une notion que l’on trouve chez Orwell, et ce non plus dans une société de croissance illimitée mais dans une société d’équilibre, mot que Michéa juge peut être plus adapté que celui, sans doute trop dogmatique, de décroissance. À la formule de Beaumarchais, « demander, recevoir et prendre » (« voilà le secret en trois mots » disait-il), J.-C. Michéa oppose comme bonne voie « donner, recevoir et rendre ». Michéa ne croit pas au socialisme en ce sens qu’il ne croit pas aux essences des systèmes mais à leur logique. C’est pourquoi il a plus écrit une histoire philosophique des idées, et notamment des idées libérales qu’il n’a écrit une histoire des idées philosophiques.

La common decency dont parle souvent Michéa suppose une certaine lenteur, une durabilité opposée à l’éphémère, une démobilisation opposée à la mobilisation totale. La common decency est ce qui a été détruit par ce qu’on appelle « l’évolution des mœurs » et qui est devenue en bonne part la barbarisation dont témoignent le langage et l’attitude de nombre de « jeunes de banlieue » et l’indifférence avec laquelle réagit (et surtout ne réagit pas) la société.

Ce projet post-croissant, sinon décroissant, touche aussi bien au cadre de vie, donc à l’urbanisme, un enjeu essentiel (ce n’est pas moi qui dirait le contraire) qu’à la nécessité d’un revenu maximum - une thèse que je défends aussi depuis des années. On peut bien sûr opposer telle ou telle idée d’Adam Smith à la logique libérale telle qu’elle est devenue, ou comme Alain Caillé estimer que Michéa fait un peu l’impasse sur… la Théorie des sentiments moraux (1758) d’Adam Smith. Mais la compréhension de l’histoire nécessite moins l’étude détaillée des écrits de tel ou tel - qui a bien sûr son intérêt du point de vue des biographies intellectuelles - que la compréhension des logiques à l’œuvre.

Le libéralisme plus la technique et la croyance à l’inéluctabilité du progrès par le développement des échanges a produit notre monde : une dictature de la mode remplaçant le poids des traditions comme l’avait bien vu Christopher Lasch, un monde à la fois « libéral » et profondément conformiste, un globalisme totalitaire s’opposant à tout localisme. L’État des droits de l’homme s’est transformé en un État où l’abus de droit devient la règle, où des personnes restent six mois en prison avant qu’on ne les libère faute de charges qui pèsent sur eux. L’individu autonome, l’individu sujet – une évolution sur laquelle on ne reviendra pas car le temps n’est plus celui du holisme fusionnel ni du traditionalisme rigide – s’est transformé en individu atomisé. Reste évidemment bien des questions. Par quoi dépasser le capitalisme ? Certainement pas par un « anarchisme autoritaire » tel que le fut le national-socialisme. Pas non plus par l’anarchisme classique, car il y a toujours un lieu du pouvoir. Par le retour au local ? Bien sûr, mais à quel niveau ? Les régions, les nations, l’Europe ? L’intérêt de la réponse de Michéa est que, sans nier la nécessité du politique et de l’action de la puissance publique, qui doit redevenir démocratique, ce qu’elle a pour l’essentiel cessé d’être, notre auteur explique que la priorité n’est pas de déterminer le stade ultime du processus (la République européenne par exemple) mais la méthode et les briques de base.

La révolution selon Michéa suppose une révolution morale de l’homme lui-même : « ne plus dépendre des caprices de son ego », selon la formule de Benjamin Barber. Il faut ensuite partir des niveaux les plus locaux possibles. Pourquoi ? Je dirais pour ma part : parce qu’il n’y a pas d’accès à l’universel sans partir du particulier. Il me parait que Michéa ne dit pas vraiment autre chose. C’est en ce sens que Michéa est pour le principe de subsidiarité qui n’est, à mon sens, aucunement compatible avec la République, puisque la République est la condition même de la common decency (exemple : la République c’est qu’il y a la mixité partout et qu’il n’y a pas d’horaire de piscine réservé à des femmes qui, parce que musulmanes, ou par pseudo-féminisme, refuseraient de se mélanger aux hommes). C’est cette problématique absolument capitale du dépassement du capitalisme pas à pas en partant du local mais avec une idée commune de l’être-ensemble que Jean-Claude Michéa nous aide à penser, un peu seul de son espèce.

Pierre Le Vigan

 

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