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    VOULOIR

    revue culturelle pluridisciplinaire



    euroco10.gif« Vouloir » était une revue culturelle pluridisciplinaire, liée au début de son existence à la vaste nébuleuse des publications dites de « nouvelle droite », avant de s’en détacher en 1992. Elle a été fondée en novembre 1983 par Robert Steuckers et Jean-Eugène van der Taelen.


    En octobre 1980, Robert Steuckers fonde, avec l’assistance d’un groupe d’amis, la revue Orientations, qui s’inscrit, à l’époque, dans le cadre des activités du GRECE-Belgique (« Groupement de Recherches et d’Études sur la Civilisation Européenne »), dirigé par Georges Hupin. Ce fut une conférence sur les théories géopolitiques, tenue à la Tour du Midi à Bruxelles, qui fut l’occasion de lancer cette publication qui devait épauler, sur le plan théorique, la revue de Georges Hupin, Pour une Renaissance Européenne, organe de liaison des membres et amis du GRECE-Belgique. Orientations devait être l’organe belge francophone correspondant à la revue Études et Recherches émanant du SER (« Secrétariat Études & Recherches ») du GRECE français, où œuvrait notamment Guillaume Faye.

    Un premier numéro (n°0) d’Orientations paraît le jour de la conférence sur les théories géopolitiques, le 30 octobre 1980, où Robert Steuckers et J. de Raffins d’Ourny prirent la parole. Ce numéro fut essentiellement consacré au livre du Général Baron autrichien Heinrich Jordis von Lohausen (Mut zur Macht. Denken in Kontinenten, 1979), aux travaux de l’Américain Colin S. Gray (qui relancera les théories géopolitiques aux États-Unis), à l’ouvrage de Guido Giannettini (sur le conflit sino-soviétique en Extrême-Orient) et sur les atlas historiques de l’historien et géographe écossais Colin McEvedy.

    La parution d’Orientations est alors interrompue car Robert Steuckers deviendra de mars 1981 à décembre 1981 le secrétaire de rédaction de la revue Nouvelle École, dirigée par Alain de Benoist. Steuckers participera à deux dossiers de Nouvelle École, l’un consacré à Vilfredo Pareto, l’autre à Martin Heidegger. À la suite de divergence de vues entre les deux hommes, Steuckers revient à Bruxelles et relance aussitôt Orientations.

    Trois numéros paraîtront en 1982, avant que Steuckers n’interrompe la parution pour raisons de service militaire ; l’un de ces numéros sera consacré à la vision de l’histoire d’Oswald Spengler ; le second à des mélanges (dont un article important du Dr. Armin Mohler, théoricien de la Révolution conservatrice et animateur principal, à l’époque, de la « Siemens Stiftung » de Munich) ; le troisième à la problématique, très actuelle, du national-neutralisme allemand. La Ville de Berlin, encore divisée, venait, par une exposition magistrale, de renouer avec son passé prussien ; l’hostilité à l’installation des missiles américains en RFA faisait basculer plusieurs figures marquantes de la gauche allemande dans le camp national (dont le fils de Willy Brandt, Peter Brandt, auteur d’un ouvrage de référence sur la question à l’époque), sans pour autant épouser les thèses de l’extrême droite nationaliste. Steuckers prenait, mutatis mutandis, pour modèle la politique de la revue allemande Wir Selbst, dirigée par Siegfried Bublies à Coblence. Bublies, issu des milieux de la droite nationale, avait opté pour une ouverture à gauche et venait de lancer, fin 1979, sa revue Wir Selbst (traduction du gaélique irlandais Sinn Fein) qui connaîtra un succès retentissant et fera beaucoup parler d’elle. Au début, cette ouverture à gauche, renforce encore le froid entre Steuckers et l’équipe parisienne autour d’Alain de Benoist, qui officie à l’époque dans la presse conservatrice (Figaro Magazine, Magazine Hebdo), plus ou moins liée au RPR, alors même que les cadres du GRECE avaient invité Steuckers à prononcer une conférence à leur tribune interne (celle du « Cercle Héraclite ») sur le national-neutralisme allemand et que cette conférence n’avait rencontré aucune objection.

    Un quatrième numéro paraît dès l’automne 1983, quand Steuckers rentre des armées et s’installe définitivement à Bruxelles. À la parution de ce quatrième numéro, Jean-Eugène van der Taelen, qui soutenait Orientations depuis le printemps 1982, suggère de donner un rythme plus régulier aux parutions et offre gratuitement les infrastructures de son entreprise pour organiser débats et conférences. Pour Jean-Eugène van der Taelen, les dossiers d’Orientations étaient trop copieux pour assurer une parution régulière et fidéliser les abonnés et sympathisants. Jean-Eugène van der Taelen accepte donc de parrainer les revues et les initiatives du SER belge, qui prendra alors le nom d’EROE (« Études, Recherches & Orientations européennes ») pour éviter de dépendre de Paris et pour assurer une indépendance totale des groupes non français, comme le souhaitaient également les Milanais, regroupés autour de Stefano Vaj.

    Pour assurer une parution régulière, avec une publication plus réduite quant au nombre de pages, et pour marquer l’indépendance des pôles belges vis-à-vis de Paris, Vouloir devient l’organe de l’EROE et fonctionnera sans recevoir d’instruction du GRECE parisien. Jean-Eugène van der Taelen invente le nom et le graphisme (première mouture) de Vouloir, qui est lancé en novembre 1983.

    La revue contient dans un premier temps des recensions de livres et de brefs éditoriaux collés à l’actualité. Elle annonce les conférences et colloques de l’EROE qui se tiendront de 1984 à 1991. Cette année-là, Vouloir prendra la place d’Orientations (qui cessera de paraître avec son treizième numéro, consacré à la figure du philosophe pessimiste roumain Emil Cioran). Vouloir publiera des dossiers sur le nationalisme, le futurisme (tous deux avec la participation de Charles Champetier, futur adjoint d’Alain de Benoist), les nations celtiques de Grande-Bretagne (Pays de Galles, Cornouailles, Ecosse ; avec l’appui de l’association britannique IONA), le post-modernisme (surtout tel qu’il fut présenté par l’Allemand Welsch), le judaïsme contemporain, l’économie, l’islam, le national-communisme, le conflit des Balkans, etc. En tout, 113 numéros paraîtront. Outre Steuckers, les principaux collaborateurs de Vouloir furent Ange Sampieru et Louis Sorel.

    L’intérêt de la revue résidait essentiellement dans le fait qu’elle publiait un très grand nombre de traductions de l’allemand, de l’italien, de l’espagnol et du russe (dont plusieurs textes d’Alexandre Douguine/Dugin). Les textes émanaient pour la plupart de revues plus ou moins proches de la mouvance « nouvelle droite ».

    En 1994, la revue reçoit une nouvelle numérotation et fait paraître neuf numéros jusqu’en 1999. Les dossiers de cette période ont été consacrés aux visions de l’Europe, à Julius Evola, à la guerre dans les Balkans, au socialisme belge, à la modernité, au communautarisme américain contemporain, à Martin Heidegger, à Ernst Jünger (pour son centenaire), à la Russie, à la Révolution conservatrice allemande, au néo-paganisme actuel, à la géopolitique et à la « Nouvelle droite » (dossier très critique scellant la rupture définitive avec les réseaux d’Alain de Benoist, survenue quelques années plus tôt).

    Le dossier géopolitique, de 1997, a été établi en hommage au Général-Baron Heinrich Jordis von Lohausen, pour son 90ème anniversaire. Ce dossier contenait un texte de Guido Giannettini, sur la vision eurasienne du pantouranisme turc, et plusieurs textes du géopolitologue suédois Bertil Häggman, animateur d’un centre géopolitique à Helsingborg en Suède. Louis Sorel et Robert Steuckers y traitaient des grandes figures de la géopolitique, articles complétés de bibliographies assez complètes de Haushofer et de Mackinder. Ce numéro atteste de la continuité des recherches entreprises par l’équipe de Vouloir, ce qui distingue la revue des autres entreprises de « Nouvelle droite » où les ruptures et les recompositions idéologiques, les changements d’options philosophiques, se succédaient à un rythme assez rapide, provoquant le désarroi chez bon nombre de lecteurs.

    En butte à l’hostilité constante d’Alain de Benoist, qui ne voulait pas d’autres revues rédigées en français dans la mouvance qu’il considérait comme la sienne, Vouloir a néanmoins coopéré loyalement avec le GRECE entre 1983 et 1987 et, après une première rupture de deux années, entre 1989 et 1992 (à la demande initiale de Charles Champetier, qui finira par adopter, à l’encontre de la revue belge, les positions hostiles d’Alain de Benoist). En 1992 survient la crise définitive, qui consomme la rupture entre Alain de Benoist et Charles Champetier, d’une part, et Robert Steuckers et Jean Eugène van der Taelen, d’autre part. En 1993, après la disparition d’Orientations, Vouloir prend sa place et son supplément devient Nouvelles de Synergies Européennes à partir de mai 1994. Cette fois, les deux revues s’inscrivent dans le cadre de l’Association « Synergies Européennes », qui sera créée par des dissidents du GRECE, des animateurs de l’EROE et des lecteurs de Vouloir, après la rupture de décembre 1992 avec le GRECE, centré autour d’Alain de Benoist. Désormais les deux groupes organiseront leurs propres universités d’été.

    Jean-Eugène van der Taelen meurt en janvier 1996.

    En 1999, la revue Vouloir cesse de paraître. Son supplément Nouvelles de Synergies Européennes parait jusqu’en octobre 2002. Au fil de l’épée, devenu supplément de Nouvelles de Synergies Européennes, survit jusqu’en novembre 2003. Depuis lors, les textes sont envoyés sur la « Grande Toile » et repris par plusieurs sites, d’obédiences diverses.

    Vouloir
    n’a jamais soutenu aucun parti politique ni servi de tribune pour autre chose que l’EROE ou « Synergies Européennes ».

     

    Hommage à Jean Eugène van der Taelen (1917-1996)

     

    (Synergies Européennes – janvier 2006) – Il y a tout juste dix ans que disparaissait notre très cher ami Jean Eugène van der Taelen, laissant un vide terrible derrière lui, qui n’a plus été comblé dans la mouvance identitaire en Belgique romane. Pour lui rendre hommage, nous avons choisi de rediffuser le texte que lui avait consacré Robert Steuckers, quelques semaines après son décès. Jean reste un exemple admirable de militantisme : la maladie le minait qu’il restait un fidèle assidu au réunion. Il était toujours présent. C’est pourquoi, à l’appel de son nom, aujourd’hui encore, je suis sûr que, là où il est, il répond toujours : “Present !”.

     

    Né à Zürich en 1917 où son père exerçait des fonctions consulaires, Jean Eugène van der Taelen a vu le jour dans une maison où se bousculaient négociateurs de toutes sortes, où Allemands et Français parle­mentaient pour s’échanger des prisonniers blessés et où, un jour, un célèbre exilé russe de passage s’est penché sur son berceau : Vladimir Illitch Oulianov, dit Lénine. Le vainqueur de la révolution d’octobre a-t-il transmis le virus de l’activisme politique au petit Jean ? En tous cas, il ne l’a pas mis au service des mêmes causes que le premier leader de la Russie bolchevique.

    Toute la vie de Jean van der Taelen a été une protestation contre le monde politique belge qui échafaude des systèmes de gouvernement et impose une fiscalité pour perpétuer sa médiocrité, sans que le peuple n’en tire jamais le moindre bénéfice à long terme, sans que les artistes ne puissent faire valoir leurs ta­lents, sans que les chercheurs ne puissent continuer leur œuvre. Au contraire, tous les gouvernements suc­cessifs que nous avons eus ont provoqué l’exode à l’étranger des gens de qualité, vidé nos universi­tés de leurs cerveaux les plus hardis, contraint des dizaines de milliers d’universitaires à prendre la route des Etats-Unis, du Canada, de l’Australie ou de la France. Tant les règles de gouvernement ou de fiscalité sont étouffantes, tant les conventions imposées par les partis socialistes ou démocrates-chrétiens à l’idéologie nulle et médiocre sont rédhibitoires pour toute recherche cohérente, tant le fonctionnement des appareils et des machins où grenouillent les sbires de la partitocratie ou du syndicalisme exige l’argent durement gagné par nos élites et les privent du droit — pourtant inaliénable — de s’acheter des livres, de voyager, de participer à des colloques, d’éditer leurs textes, de bénéficier de bonnes bibliothèques. Non : dans son étroitesse d’esprit, le régime a préféré investir dans l’ONEM — qui n’a jamais réduit le chômage du moindre pourcent — ou financer des syndicats qui n’ont pas sauvé l’emploi ou nourrir des hordes de fonctionnaires inutiles, recrutés par le Plan Spitaels ou par une autre incongruité administrative inventée par des hommes qui ont perdu depuis longtemps tout contact avec le terrain. Moralité : ces investisse­ments ont été définitivement perdus. Notre argent s’est envolé dans les fumées générées par quelques technocrates incompétents ou dont la seule compétence est de posséder la carte d’un parti aux idées sclérosées. Il aurait mieux valu voir les alcooliques de l’ONEM, les dépressifs de nos ministères, les ronds-de-cuir sans relief, les braillards de la FGTB ou autre ACW quitter nos cieux et aller ouvrir des ba­raques à frites à Honolulu ou devenir gardiens de parking à Johannesbourg ou garçons-vachers au Texas. Pour financer leurs sinécures, des artistes ou des médecins, des ingénieurs ou nos excellents pa­ramédicaux, nos intellectuels et nos cadres dynamiques ont dû prendre le chemin de l’exil.

    Par ces quelques phrases cinglantes, je crois avoir bien résumé les opinions et les rages de Jean van der Taelen, qui cherchait sans repos l’initiative qui allait réveiller notre peuple endormi. C’est dans les corri­dors du Palais des Congrès de Versailles ou de celui de la Porte Maillot à Paris que j’ai dû apercevoir et saluer Jean van der Taelen pour la première fois, entre 1978 et 1980, à l’époque où la « Nouvelle Droite » d’Alain de Benoist avait le vent en poupe et n’avait pas encore chaviré dans le sociologique, l’hexagonal et dans les tentatives de résoudre la quadrature du cercle. En 1980, en tout cas, Jean et moi avons échangé quelques mots dans la grande salle de la Tour du Midi de Bruxelles, où l’antenne belge de la « Nouvelle Droite » organisait ses “grandes conférences”, sous l’égide de Georges Hupin. Puis nous nous sommes perdus de vue pendant quatorze ou quinze mois. Jean van der Taelen était alors une cheville ou­vrière de l’UDRT, cultivant l’espoir que ce parti des indépendants — également indépendants des syndi­cats et des partis —, des petits contribuables lésés, de tous ceux à qui l’on voulait confisquer leur dignité, leur maigre indépendance, pour en faire des rouages ternes de la grande machine sociale à broyer les âmes dont rêvent nos technocrates socialistes et qu’ils considèrent sans rire comme l’aboutissement de tous les efforts humains. Quand on parle d’ “humanisme”…

    Parallèlement à cet engagement politique dans le parti de Robert Hendrick, Jean van der Taelen s’était branché sur le syndicalisme des indépendants et sur les associations professionnelles, notamment celles des maisons de retraite privées (car c’était devenu sa profession). L’idée-force de Jean, dans toutes ces démarches, c’était de défendre bec et ongles les réalités sociales contre l’intervention d’un Etat qui n’est plus un Etat au sens politique du terme, mais un éventail d’instruments au service de préva­ricateurs sans scrupule. Pour lui, le peuple avec son génie et ses défauts, avec ses initiatives, son goût du travail bien fait ou sa jovialité, devait toujours obtenir gain de cause face aux fabrications institution­nelles, aux appareils qui restent inchangés, rigides, froids, alors qu’autour d’eux la vie invente à chaque seconde mille et une nouvelles possibilités. Si une nouveauté germe dans un cerveau, si un ingénieur in­vente un nouvel appareil, si un médecin crée une nouvelle thérapie, ce cerveau, cet ingénieur ou ce mé­decin ne doivent pas quémander au fonctionnaire le droit de vendre ou de vivre, de guérir ou de soulager. C’est au fonctionnaire de l’administration à s’adapter immédiatement, sans discuter, sans émettre d’ob­jection, car son rôle social est par définition moindre, inférieur, à celui du créateur qui se positionne dans des continuités intellectuelles ou technologiques qui existent depuis que l’homme existe et qui con­tinue­ront à exister quand toutes les administrations se seront effondrées. Quant aux institutions, elles doivent suivre la même marche : s’adapter chaque jour aux innovations intellectuelles ou technologiques ou périr. Jean van der Taelen avait là le culte de la vitesse : notre régime était à ses yeux fondamentale­ment mau­vais, pervers, voire crapuleux, parce qu’il était lent et lourd, parce qu’il freinait les élans vitaux. Lubie d’un citoyen pressé ? Fantasme d’un incorrigible effervescent ? Peut-être. Mais ce sont exactement les propos qu’a tenus le célèbre futurologue américain Alvin Toffler dans son livre de 1990, Nouveaux Pouvoirs.

    Début 1982, c’est donc un cadre de l’UDRT qui m’écrit pour me demander ce que devenait la «Nouvelle Droite» en Belgique et si c’était vrai que j’éditais une revue dans cette “ligne” (Orientations). Le projet l’em­ballait, nous avons sympathisé et un an plus tard, Jean van der Taelen me soumettait le projet d’un bi­mestriel, Vouloir, que j’ai accepté au bout de trente secondes. Jean a payé les dix premiers numéros, sau­vant de la sorte ce qui restait de la « Nouvelle Droite » en Belgique francophone. Le salon de la « Ré­si­dence 200 » (la maison dirigée par Jean van der Taelen), les salles du Métropole, de l’Hôtel Atlanta et du Bed­ford, verront se succéder de 1982 à 1991 des dizaines de conférences, séminaires, colloques et dé­bats, sur tous les sujets possibles et imaginables, permettant à Vouloir de conquérir son fidèle lectorat de base.

    Mais, une fois Vouloir lancé, l’énergie débordante de Jean van der Taelen ne se calme pas… Les derniers soubresauts de l’UDRT, sur laquelle il avait beaucoup misé, ne le découragent pas. Aussitôt, dans le sil­lage du Sénateur PRL Jean-Pierre de Clippele, il se lance à corps perdu dans l’entreprise “Ligue des Contribuables”, dont il dirigera le bulletin. Lancer une telle initiative en Belgique est hasardeux, car nous ne pouvons pas compter, dans notre pays, sur assez de membres pour transformer une ligue de ce type en un puissant lobby. Comme pour toute initiative en Belgique, il faut un poumon extérieur, des corres­pondants dans les pays voisins. Cette logique du “poumon extérieur”, Jean l’avait comprise mieux que personne et il prend son bâton de pélerin : il va voir Bloch-Morhange en France, le leader de la ligue fran­çaise, qui avait le patronage de Soustelle; et, multipliant contacts et initiatives, il part à Munich rencontrer les Allemands du Bund der Steuerzahler, animé par celui qui deviendra rapidement son ami, le Baron von Hohenhau. Puis en Scandinavie, pour apprendre comment s’y prend la ligue de Tarass Wahlberg en Suède, pays que nous avons détrôné sur le podium des records de fiscalité. Pour le compte des ligues de contribuables, Jean a voyagé, rassemblé, on l’a vu organiser un colloque à l’Hôtel Astoria de Bruxelles où Français, Britanniques, Scandinaves, Allemands et Néerlandais ont eu le loisir de se rencontrer, on l’a vu dans les séminaires français et allemands, dans les croisières-séminaires en Scandinavie dans les eaux de la Baltique et du Golfe de Botnie, à Washington : au titre de Vice-Président mondial, puis européen, de l’International Taxpayers’ Association.

    En même temps que la Ligue des Contribuables, Jean van der Taelen découvre le Club de l’Horloge de Hen­ri de Lesquen et d’Yvan Blot, qui travaille une autre de ses idées-forces : la démocratie directe, que nul, en France, n’a mieux théorisée qu’Yvan Blot, aujourd’hui député européen du Front National français. Dans la revendication de la “démocratie directe”, Jean van der Taelen voyait l’antidote non totalitaire à la partitocratie qui ruine notre pays, comme il a ruiné l’Italie et comme il est en train de ruiner la riche Al­le­ma­gne. Ce fut pour Jean l’occasion de participer à ces remarquables manifestations de niveau uni­versitaire que sont les colloques, séminaires et universités du Club de l’Horloge, fondé en 1978, pour donner à la « Nouvelle Droite » une dimension plus politique, moins spéculative et plus branchée sur le fonctionnement des institutions de la République. À Paris, Nice (la ville qu’il adorait), Aix-en-Provence ou Strasbourg, Jean van der Taelen était toujours présent, parmi les auditeurs, même quand la maladie commençait à le miner et l’affaiblir. Rapidement, Jean veut créer un pendant belge de ce “Club de l’Horloge” qu’il baptise, avec beaucoup d’à-propos, “Club du Beffroi”, parce que les beffrois, dans cha­cune de nos vieilles cités des Pays-Bas méridionaux, depuis les Ducs de Bourgogne jusqu’à l’occupation française, ont été les symboles de nos libertés concrètes, les symboles de cette grande idée politique de nos provinces : la prééminence du peuple sur le pur pouvoir. Sept numéros du bulletin du “Club du Beffroi” paraîtront, avant que le verdict des médecins ne soit devenu sans appel.

    Parallèlement au “Club de l’Horloge”, Yvan Blot, député européen, lance le “Cercle Ionien”, un cercle de réflexion philosophique et politique, où l’on tente de réfléchir sur les racines grecques, romaines et catho­liques de notre civilisation. D’emblée, Jean van der Taelen répond présent et, rapidement, une profonde amitié et une formidable complicité finissent par lier ces deux hommes si différents l’un de l’autre.

    En 1993, quand je lance avec Gilbert Sincyr, ancien secrétaire général du FN français, l’initiative « Sy­ner­gies Européennes », et que nous redynamisons de concert la « Fédération des Activités Communautaires en Europe », en vue de redonner vigueur à la « Nouvelle Droite » dans le sens où l’entendait Guillaume Fa­ye, son plus brillant animateur des années 70 et 80, Jean van der Taelen est pré­sent dans la lumineuse campagne de Provence, lors de notre première université d’été, rassemblant plus de dix nationalités eu­ro­péennes et extra-européennes, et patronnée par le Prince des politologues fran­çais, l’infatigable ami du “Club de l’Horloge”, l’Alsacien Julien Freund, qui devait nous quitter en septembre 1993.

    Quand Pieter Kerstens lance le groupe d’intervention politique “BIS” (Bruxelles-Identité-Sécurité) et invite le député européen Bruno Gollnisch, Vice-Président actuel du FN français, à prendre la parole à Bru­xel­les, Jean répond une fois de plus “présent”. L’ineffable bourgmestre intérimaire Thielemans, rem­plaçant le non moins ineffable Brouhon, a eu l’outrecuidance d’interdire ce meeting. Jean a continué à soutenir le BIS et a voulu le transformer en un lieu de convergence entre tous ceux qui veulent rendre le pouvoir au peu­ple et confisquer le pouvoir aux appareils.

    C’est dans ce sens qu’il a appuyé, dans les derniers mois de sa vie, l’initiative de Madame Bastien, visant à consolider un FN en Belgique, plus conforme à son modèle français et aux équivalents allemands, ita­liens ou autrichiens, que les autres tentatives qui ont émaillé la chronique politique belge au cours de ces dernières années.

    Jean van der Taelen nous a quitté le matin du 12 janvier 1996, un jour après avoir transmis un dernier dossier à Madame Bastien. Jean est mort comme il l’a toujours voulu : en combattant jusqu’au bout, en ignorant la douleur, la maladie, le souffle très présent de la Grande Faucheuse. Sans jamais se plaindre outre mesure. En donnant toujours la priorité à son engagement politique. C’est en ce sens qu’il est un exemple pour nous tous. Comme les anciens Grecs, comme les Romains de la Vieille République, nous ne sommes rien, notre cité est tout. Nous devons œuvrer sans relâche à restaurer la dignité de notre peuple, sans compter nos efforts. Le jour des obsèques de Jean, sa fille a pris la parole pour nous lire un texte formidable qui disait ceci, en substance : « Tu as quitté la pièce où nous sommes, tu es dans l’anticham­bre, derrière le mur. Et tu dis : continuez à me parler comme si j’étais encore à côté de vous. Surnommez-moi comme vous m’avez toujours surnommé. Parlez-moi sur le même ton ». C’est un conseil qu’il nous fau­dra suivre. Surtout ceux qui l’ont bien connu et qui lui téléphonaient souvent pour échanger opinions, i­dées, projets, et aussi pour communiquer quelques petites misères quotidiennes. Car, en ce domaine, nul n’était meilleur interlocuteur que Jean. Pour son travail et son exemple, un seul mot : Merci. (RS)