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économie - Page 4

  • Euro

    L'Euro ne sera une véritable monnaie que si l'Europe est forte et souveraine !

    Intervention de Robert Steuckers lors du colloque sur l'Euro à Paris-Saint-Germain, 13 décembre 2001, et lors d'une réunion de “Renaissance Européenne", Bruxelles, 20 décembre 2001

    Chers amis,

    schiff10.jpgÀ moins de 3 semaines de l'introduction officielle de l'Euro dans l'UE, à l'exception du Royaume-Uni, du Danemark et de la Suède, je voudrais rappeler 3 faisceaux de faits, qui doivent encadrer toute pensée sur la nouvelle monnaie unique, que cette pensée lui soit hostile ou favorable. Je ne suis pas un économiste et M. Chalumeau, ici présent, vous présentera le volet économique de l'introduction de l'Euro avec beaucoup plus de brio que moi. Mon propos sera donc de donner quelques idées cadres et de rappeler quelques faits historiques.

    ♦ 1) D'abord, l'Euro n'est pas la première monnaie à vocation européenne ou internationale. L'Union latine, de la fin du XIXe siècle à 1918, a introduit une monnaie supranationale partagée par la France, la Belgique, la Suisse, la Grèce, plus tard l'Espagne et le Portugal, suivis de la Russie et de certains pays d'Amérique latine. La Première Guerre mondiale, ayant créé des disparités énormes, a mis fin à ce projet d'unification monétaire, dont le moteur était la France avec son franc-or. L'Euro, dans cette perspective, n'est donc pas une nouveauté.

    ♦ 2) Sur base du souvenir de l'Union latine et sur base des volontés, à l'époque antagonistes, de créer l'Europe économique autour de la nouvelle puissance industrielle allemande, l'idée de créer une monnaie pour le continent européen tout entier n'est pas a priori une mauvaise idée, bien au contraire. Le principe est bon et pourrait favoriser les transactions à l'intérieur de l'aire civilisationnelle européenne. Mais si le principe est bon, la réalité politique actuelle rend l'Europe inapte, pour l'instant, à garantir la solidité d'une telle monnaie, contrairement à l'époque de l'Union latine, où la position militaire des nations européennes demeurait prépondérante dans le monde.

    ♦ 3) L'Europe est incapable de garantir la monnaie qu'elle se donne aujourd'hui parce qu'elle subit un terrible déficit de souveraineté. Dans son ensemble, l'Europe est un géant économique et un nain politique : on a répété cette comparaison à satiété et à juste titre. Quant aux États nationaux, même les 2 principaux États du sous-continent européen, membres de l'UE, la France et l'Allemagne, ne peuvent prétendre à l'exercice d'une souveraineté capable de résister voire de battre la seule puissance véritablement souveraine du monde unipolaire actuel, c'est-à-dire les États-Unis d'Amérique. Les dimensions territoriales somme toute réduites de ces pays, le nombre restreint de leur population ne permettent pas la levée d'impôts suffisants pour se doter des éléments techniques qui seraient en mesure d'asseoir une telle souveraineté. Car aujourd'hui, comme hier, est souverain qui peut décider de l'état d'urgence et de la guerre, comme nous l'enseignait Carl Schmitt. Mais pour être souverain, il faut disposer de moyens techniques et militaires supérieurs (ou au moins égaux) à ses adversaires potentiels. À l'heure actuelle, ces moyens sont un système de surveillance électronique planétaire, comme le réseau ÉCHELON, né des accords UKUSA (Royaume-Uni et États-Unis), qui englobent aussi le Canada, l'Australie et la Nouvelle-Zélande, anciens dominions britanniques.

    La maîtrise de l'espace circumterrestre par les puissances navales anglo-saxonnes découle d'une stratégie longuement éprouvée : celle qui vise à maîtriser les res nullius (les "territoires" qui n'appartiennent, et ne peuvent appartenir, à personne, parce qu'ils ne sont pas telluriques mais marins ou spatiaux). La première res nullius maîtrisée par l'Empire britannique a été la mer, d'où ont été impitoyablement éliminés les Français, les Russes, les Allemands et les Japonais. Sous l'impulsion idéologique de l'Amiral Mahan et de la Navy League américaine, les États-Unis ont pris le relais. En 1922, le Traité de Washington consacre la suprématie navale anglo-saxonne et japonaise (le Japon ne sera éliminé qu'en 1945), réduisant à néant la flotte allemande construite par Tirpitz et à la portion congrue les flottes française et italienne. La France subit là une gifle particulièrement humiliante et scandaleuse, dans la mesure où elle avait sacrifié 1,5 million de soldats dans une guerre atroce dont les 2 puissances navales anglo-saxonnes allaient tirer tous les bénéfices, avec des sacrifices proportionnellement moindres.

    La domination des mers, première res nullius, entraînera la maîtrise d'un autre espace englobant, dont la maîtrise permet d'étouffer les continents, selon la "stratégie de l'anaconda" (Karl Haushofer). Cet autre espace englobant, également res nullius, est l'espace circumterrestre, conquis par la NASA et désormais truffé de satellites de télécommunications et d'observation, qui donnent aux puissances qui les alignent et les pilotent une supériorité en matière de renseignement et de guidage des tirs balistiques. Les puissances qui ne sont ni marines ni spatiales sont alors littéralement étouffées et broyées par l'anaconda naval ou satellitaire. Français et Allemands ont toujours eu du mal à comprendre l'utilité des res nullius maritime et circumterrestre, malgré les avertissements d'un Ratzel, d'un Tirpitz ou d'un Castex. Les peuples rivés à la terre, soucieux de vivre selon les règles d'un droit bien solide et bien précis, évitant toute ambiguïté, admettent difficilement qu'un espace, fût-il impalpable comme l'eau ou l'éther atmosphérique ou stratosphérique, n'appartient à personne. Cette qualité paysanne, foncièrement honnête, héritée de Rome, s'avère une tare devant une approche contraire qui, elle, privilégie la mobilité incessante, la conquête de lignes de communication invisibles et non quantifiables par un géomètre ou un arpenteur.

    ***

    Voilà donc les 3 faisceaux de considérations que je voudrais que vous reteniez tous après cette soirée.

    Avant de conclure, je me permettrais de vous faire part de quelques autres considérations, cette fois d'ordre historique et monétaire. L'Euro nous a été présenté comme la monnaie qui concurrencera le dollar et éventuellement l'éclipsera. Face à ce jeu de concurrence, l'Euro part perdant, car le dollar américain, lui, dispose d'une couverture militaire évidente, comme l'ont prouvé les 3 derniers conflits du Golfe, des Balkans et de l'Afghanistan. L'incontestable souveraineté militaire américaine se voit consolidée par un appareil diplomatique bien rodé où l'on ne tergiverse et ne discute pas inutilement et où l'on dispose d'un savoir historique bien charpenté, d'une mémoire vive du temps et de l'espace, contrairement à l'anarchie conceptuelle qui règne dans tous les pays d'Europe, victimes d'histrions politiques écervelés, dans la mesure où ils ne se sentent plus du tout responsables d'une continuité historique ; cette irresponsabilité débouche sur toutes les fantaisies budgétaires, toutes les capitulations, toutes les démissions. Attitudes qui interdisent l'éclosion d'une souveraineté, donc aussi le droit régalien de battre monnaie. La conquête par l'Amérique de l'espace circumterrestre donne un avantage énorme dans la course aux renseignements, comme nous allons le voir tout à l'heure. Or, depuis le Chinois de l'antiquité, Sun Tzu, n'importe quel débutant en études stratégiques, donc en études politiques, sait que la puissance provient de l'abondance et de la précision du renseignement :

    ◊ Sun Tzu : « Si tu connais l'ennemi et si tu te connais toi-même, tu ne connaîtras aucun danger dans cent batailles ».
    ◊ Machiavel : « Quelles sont les ressources physiques et psychiques que je contrôle, quelles sont celles que contrôle mon concurrent ? ».
    ◊ Helmuth von Moltke : « Rassembler de manière continue et exploiter toutes les informations disponibles sur tous les adversaires potentiels ».
    ◊ Liddell-Hart : « Observer et vérifier de manière durable, pour savoir où, comment et quand je pourrai déséquilibrer mon adversaire ».

    Depuis 2.500 ans, la pensée stratégique est unanime ; les officines stratégiques britanniques et américaines en appliquent les axiomes ; le personnel politique européen, histrionique, n'en tient pas compte. Donc l'Euro restera faible, fragile devant un dollar, peut-être économiquement plus faible dans l'absolu ou en pure théorie économique, mais couvert par une armée et un système de renseignement redoutablement efficace.

    Le seul atout de l'Euro est la quantité des échanges intérieurs de l'UE : 72%. Magnifique performance économique, mais qui nie les principes d'autarcie ou d'auto-suffisance, opte donc pour un type d'économie "pénétrée" (Grjébine) et ne protège pas le marché par des instruments étatiques ou impériaux efficaces. De telles inconséquences conduisent à l'échec, au déclin et à l'effondrement d'une civilisation.

    Autre aspect de l'histoire monétaire du dollar : contrairement aux pays européens, dont les espaces sont réduits et densément peuplés, et exigent donc une organisation rationnelle stricte impliquant une dose plus forte d'État, le territoire américain, encore largement vierge au XIXe siècle, constituait à lui seul, par sa simple présence, un capital non négligeable, potentiellement colossal. Ces terres étaient à défricher et à organiser : elles formaient donc un capital potentiel et un appel naturel à des investissements destinés à devenir rentables dans tous les cas de figure. De surcroît, avec l'afflux d'immigrants et de nouvelles forces de travail, les exportations américaines en tabac, coton et céréales ne cessaient de croître et de consolider la monnaie. Le monde du XIXe siècle n'était pas clos, comme celui du XXe et a fortiori du XXIe, et autorisait tout naturellement des croissances exponentielles continues, sans gros risques de ressacs.

    Aujourd'hui, le monde clos n'autorise pas autant d'espoir, même si les produits européens d'aujourd'hui sont parfaitement vendables sur tous les marchés du globe. Le patrimoine industriel européen et la production qui en découle sont indubitablement les atouts majeurs de l'Euro, mais, contrairement aux États-Unis, l'Europe souffre d'une absence d'autarcie alimentaire (seules la France, la Suède et la Hongrie bénéficient d'une autarcie alimentaire relative). Elle est donc extrêmement fragilisée à ce niveau, d'autant plus que son ancien "poumon céréalier" ukrainien a été ruiné par la gestion désastreuse du communisme soviétique. Les Américains sont très conscients de cette faiblesse et l'ancien ministre Eagleburger constatait avec la satisfaction du puissant que « les denrées alimentaires étaient la meilleure arme dans l'arsenal américain ».

    Le dollar, appuyé sur des réserves d'or provenant de la ruée de 1848 vers les filons de la Californie ou de l'Alaska, et sur d'autres sources (nous y revenons !), s'est consolidé également par une escroquerie retentissante, qu'il n'était possible de commettre que dans un monde où subsistaient des clôtures. Cette escroquerie a eu le Japon pour victime. Vers la moitié du XIXe siècle, désirant augmenter ses réserves d'or pour avoir une couverture suffisante pour entamer le processus de rentabilisation du territoire américain, depuis le Middle West jusqu'à la Californie, fraîchement conquise sur le Mexique, les États-Unis s'aperçoivent que le Japon, isolé volontairement du reste du monde, pratique un taux de conversion des métaux précieux différent du reste du monde : au Japon, en effet, on échange un lingot d'or pour 3 lingots d'argent, alors que partout ailleurs la règle voulait que l'on échangeât un lingot d'or pour 15 lingots d'argent. Les Américains achètent la réserve d'or du Japon en la payant au mode d'échange japonais, c'est-à-dire au cinquième de sa valeur ! L'Europe n'aura pas la possibilité de commettre une telle escroquerie, pour consolider l'Euro. La rentabilisation de l'Ouest passe par la création d'un colossal réseau de chemins de fer, dont les fameux transcontinentaux. Faute d'assez d'investisseurs américains, on fait appel à des investisseurs européens, en leur promettant des dividendes extraordinaires. Une fois les voies et les ouvrages d'art installés, les sociétés de chemin de fer se déclarent en faillite, ne remboursant dès lors ni dividendes ni capitaux. La liaison Est-Ouest par voies ferrées n'a rien coûté à l'Amérique ; elle a ruiné des Européens et fait la fortune de ceux qui allaient immédiatement les utiliser.

    Les États-Unis ont toujours visé le contrôle de la principale source énergétique, le pétrole, notamment en concluant très tôt des accords avec l'Arabie Saoudite. La guerre qui se déroule aujourd'hui en Afghanistan n'est jamais que le dernier volet d'une guerre qui dure depuis très longtemps et qui a pour objet l'or noir. Je ne m'étendrai pas sur les vicissitudes de ce vieux conflit, mais je me bornerai à rappeler que les États-Unis possèdent sur leur propre territoire suffisamment de réserves pétrolières et que le contrôle de l'Arabie Saoudite ne sert qu'à empêcher les autres puissances d'exploiter ces gisements d'hydrocarbures. Les États européens et le Japon ne peuvent quasiment acquérir de pétrole que par l'intermédiaire de sociétés américaines, américano-saoudiennes ou saoudiennes. Cet état de choses indique ou devrait indiquer la nécessité absolue de posséder une autonomie énergétique, comme le voulait De Gaulle, qui pariait certes sur le nucléaire (à l'instar de Guillaume Faye), mais pas exclusivement ; les projets gaulliens en matière énergétique visaient l'autarcie maximale de la nation et prévoyaient la diversification des sources d'énergie, en pariant aussi sur les éoliennes, les usines marémotrices, les panneaux solaires, les barrages hydro-électriques, etc. Si de tels projets étaient élaborés en Europe à grande échelle, ils consolideraient l'Euro, qui, ipso facto, ne serait pas fragilisé par des coûts énergétiques trop élevés.

    Autre atout qui favorise le dollar : l'existence du complexe militaro-industriel. Immédiatement avant la guerre de 1914, les États-Unis étaient débiteurs face aux États européens. Ils ont fourni des quantités de matériaux divers, d'aliments en conserve, de camions, de coton, de munitions aux alliés occidentaux, que ceux-ci ont livré leurs réserves et sont passés du statut de créanciers à celui de débiteurs. L'industrie de guerre américaine était née. Elle démontrera sa redoutable efficacité de 1940 à 1945 en armant non seulement ses propres troupes, mais aussi celles de l'Empire britannique, de l'armée levée par De Gaulle en Afrique du Nord et de l'armée soviétique. Les guerres de Corée et du Vietnam ont été de nouvelles "injections de conjoncture" dans les années 50, 60 et 70. L'OTAN, si elle n'a pas servi à barrer la route à l'hypothétique envahisseur soviétique, a au moins servi à vendre du matériel aux États européens vassaux, à la Turquie, à l'Iran et au Pakistan. L'industrie de guerre européenne, sans doute capable de fabriquer du matériel plus performant en théorie, manque de coordination et bon nombre de tentatives amorcées pour coordonner les efforts européens sont purement et simplement torpillées : je rappelle que le pool européen de l'hélicoptère, qui devait unir MBB (Allemagne), Dassault et Westland (Royaume-Uni) a été saboté par Lord Brittan.

    En 1944, la situation est tellement favorable aux États-Unis, grands vainqueurs du conflit, qu'un taux fixe d'échange entre le dollar et l'or est établi : 35 $ pour un once d'or. Nixon mettra fin à cette parité en 1971, provoquant la fluctuation du dollar, qui, entre lui et Reagan, va varier entre 28 FB et 70 FB (4,80 FF et 11,5 FF au taux actuel). Mais ces fluctuations, que d'aucuns feignaient de percevoir comme des calamités, ont toujours servi la politique américaine, ont toujours créé des situations favorables : le dollar bas facilitait les exportations et le dollar élevé permettait parfois de doubler le prix des factures libellées en dollars et d'engranger ainsi des capitaux sans coup férir. On peut douter que l'Euro soit en mesure un jour de se livrer aux mêmes pratiques.

    Revenons à l'actualité : en 1999, au début de l'année, tout semblait aller pour le mieux dans le meilleur des mondes pour l'Euro. L'inflation diminuait dans les États membres de l'Union. Les déficits budgétaires nationaux se résorbaient. La conjoncture était bonne. Les États d'Asie, notamment les NPI, annonçaient qu'ils se serviraient de l'Euro. Avec le déclenchement de la guerre des Balkans, l'Euro passera du taux de change de 1 Euro pour 1,18 $, le 4 janvier 1999, à 1 Euro pour 1,05 $ à la fin avril, en pleine guerre dans le ciel serbe, et à 1 Euro pour 1,04 $ en juin, au moment où cessent les bombardements en Yougoslavie. En tout et pour tout, l'Euro aura perdu 11% de sa valeur (18 % disent les plus pessimistes), à cause de l'opération contre Milosevic, démonisé par les bons soins de CNN.

    Après la guerre du Kosovo, l'Euro, fragilisé, acquiert la réputation d'être une monnaie de perdants. L'Europe devient un théâtre de guerre, ce qui diminue la confiance en ses institutions, notamment en Asie. L'arrêt des bombardements ne signifiant pas la fin des hostilités dans les Balkans, on verra une UE impuissante à maintenir l'ordre dans sa propre aire géopolitique. L'économiste allemand Paul J. J. Welfens énonce 6 raisons concrètes pour expliquer la dévaluation de l'Euro :

    ♦ 1) Il n'y aura plus de démarrage dans le Sud-Est du continent avant longtemps. L'espace balkanique, ajouterais-je, est un "espace de développement complémentaire (Ergänzungsraum) pour l'Europe occidentale et centrale, comme c'était d'ailleurs déjà le cas avant 1914. Une des raisons majeures de la Première Guerre mondiale a été d'empêcher le développement de cette région, afin que la puissance allemande, et subsidiairement la puissance russe, ne puisse avoir de "fenêtre" sur la Méditerranée orientale, où se trouve le Canal de Suez, dont les Français avaient été évincés en 1882. En 1934, quand Goering, sans tenir compte du désintérêt de Hitler, parvient à créer un modus vivendi par ses accords avec les dirigeants hongrois et roumains, et surtout par son entente avec le brillant économiste et ministre serbe Stojadinovic, les services américains évoquent la création d'un "German Informal Empire" dans le Sud-Est européen, ce qui constitue un casus belli. En 1944, Churchill parvient à morceler les Balkans en gardant la Grèce, en "neutralisant" la Yougoslavie au bénéfice de l'Occident et en laissant tous les pays sans façade méditerranéenne à Staline et aux Soviétiques.

    La fin du Rideau de fer aurait pu permettre, à terme, de refaire des Balkans cet "espace de développement complémentaire" dans l'aire européenne. Fidèles à leur volonté de toujours balkaniser les Balkans pour qu'ils ne deviennent jamais l'appendice de l'Allemagne ou de la Russie, les Américains ont réussi à geler tout développement potentiel dans la région pour de nombreuses décennies. L'Europe ne bénéficiera donc pas de l'espace de développement sud-oriental. Par conséquent, cet état de choses ralentira la conjoncture et les premières victimes de la paralysie des activités dans les Balkans sont l'Allemagne (comme par hasard…), l'Italie, l'Autriche (qui avait triplé ses exportations depuis 1989) et la Finlande. L'Euro en pâtira.

    ♦ 2) Les "dégâts collatéraux" de la guerre aérienne ont provoqué des flots de réfugiés en Europe, ce qui coûtera 40 milliards d'Euro à l'UE.

    ♦ 3) L'Europe sera contrainte de développer un "Plan Marshall" pour les Balkans, qui représentera, une demie année du budget de l'UE !

    ♦ 4) Les migrations intérieures, provoquées par cette guerre et par le pourrissement de la situation, notamment en Macédoine et dans une Serbie privée de bon nombre de ses atouts industriels, vont poser problème sur le marché du travail et augmenter le taux de chômage dans l'UE, alors que, justement, ce taux de chômage élevé constitue l'inconvénient majeur de l'économie de l'UE.

    ♦ 5) La guerre permanente dans les Balkans mobilise les esprits, rappelle Welfens, qui ne songent plus à mettre au point les projets de réformes structurelles nécessaires dans l'ensemble du continent.

    ♦ 6) La guerre en Europe va entraîner une nouvelle course aux armements, qui va bénéficier aux États-Unis, détenteurs du meilleur complexe militaro-industriel.

    ***

    Nous voyons donc que la solidité d'une monnaie ne dépend pas tant de facteurs économiques, comme on tente de nous le faire accroire pour mieux nous ahurir, mais dépend essentiellement du politique, de la souveraineté réelle et non de la souveraineté théorique.

    Cette souveraineté, comme je l'ai déjà dit au début de cet exposé, reposerait, si elle existait dans le chef de l'Europe, sur un système au moins équivalent à celui d'ÉCHELON. Car ÉCHELON ne sert pas à guider les missiles, comme une sorte de super-AWACS, mais sert surtout à espionner les secteurs civils. Dans l'enquête que le Parlement Européen a ordonné récemment sur le réseau ÉCHELON, on a pu repérer des dizaines de cas où de grands projets technologiques européens (notamment chez Thomson en France ou chez un concepteur d'éoliennes en Allemagne) ont été curieusement dépassés par leurs concurrents américains, grâce à ÉCHELON. L'élimination des firmes européennes a entraîné des faillites, des pertes d'emploi et donc un recul de la conjoncture. Comment l'Europe peut-elle dans de telles conditions consolider sa monnaie ? Pire : l'atout européen majeur, ces fameux 72% de transactions internes à l'Union, risque d'être écorné si des firmes américaines fournissent des produits de haute technologie à vil prix (puisqu'elles n'en ont pas financé la recherche !).

    L'Euro est une bonne idée. Mais l'UE n'est pas une instance politique. Le personnel politique qui l'incarne est histrionique, s'avère incapable de hiérarchiser les priorités. Dans de telles conditions, nous courrons à la catastrophe.

    ► Robert Steuckers, 12 décembre 2001.

     

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    La guerre contre la Yougoslavie a affaibli l'Euro !
     
    euro-u10.jpgEn un an, l'Euro a perdu 18% face au dollar, ce qui a contribué à appauvrir l'économie européenne toute entière. Cependant, les raisons d'ordre financier dont parlent à satiété presque tous les journaux européens, en citant notamment l'agressivité des titres américains en bourse, ne constituent finalement qu'une petite fraction de la vérité. Tous savent, au fond, que depuis la guerre contre la Yougoslavie, notre pays et tous les autres pays qui y ont participé, se sont appauvris parce qu'ils ont gaspillé de l'énergie et des ressources gigantesques pour parfaire des tâches exclusivement destructrices. Seulement quand le vainqueur s'empare des dépouilles du vaincu — c'est-à-dire, à notre époque contemporaine, des richesses minières, des champs pétrolifères, des implantations industrielles, du commerce et des terrains — il peut espérer équilibrer ses comptes.
     
    La guerre déclenchée par l'OTAN contre la Fédération de Yougoslavie a vu se dérouler des milliers de missions aériennes et navales, puis terrestres avec l'occupation du Kosovo, ce qui a coûté énormément de carburant, de matériel, d'armes et d'hommes pour un chiffre qui ne sera jamais établi, mais qui, à mon avis, dépasse celui des sommes dépensées par une législation italienne, c'est-à-dire plus de 15.000 milliards de lire. Les indemnités payées aux pilotes qui ont accompli des missions, au personnel, plus les sommes allouées pour l'occupation du Kosovo et l'entretien des troupes qui y stationnent, se chiffrent à 3.000 milliards environ. Le coût des moyens militaires qui y sont déployés et des transports monte à 300 milliards. Les aides dites “humanitaires” ont été littéralement “brûlées” en Albanie septentrionale, en Macédoine et au Kosovo et équivalent, aujourd'hui, à près de 800 milliards. Les coûts de la reconstruction de la Yougoslavie sont estimés à 14.000 milliards. Tous ces coûts sont des coûts directs, mais on ne tient nullement compte des coûts indirects dans cette addition, comme ceux qui seront entraînés par le blocage du Danube, de la Save et donc du Canal Rhin-Main-Danube, sans compter ceux que devront payer des pays ou des régions comme la Bavière, l'Autriche, la République tchèque et la Hongrie. Pour la seule Hongrie, on estime qu'ils s'élèveront à 2% du PNB, tandis que 350 embarcations de grandes dimensions sont bloquées sur le Danube entre les ponts détruits. On n'a même pas comptabilisé les autres embarcations de tous types, les remorqueurs et les petites péniches. Pour l'Autriche et la Bavière, nous ne disposons pas de chiffres précis, mais, un seul exemple suffit à nous faire entrevoir l'ampleur de la catastrophe : combien coûtent aujourd'hui les frais de transport des matières premières et du carbone qui arrivaient, via le Danube, à la grande aciérie de Vörst-Alpine à Linz, sur la frontière bavaro-autrichienne ?
     
    Les économistes de l'UE et les banquiers de la Banque Centrale Européenne seront-ils en mesure de dresser un bilan précis de ce recul général de l'économie continentale ? Pour l'Italie, le manque de liens navals entre les ports de Trieste et de Bari a également provoqué des pertes : lesquelles ? Non seulement les bombes de l'OTAN dispersées dans l'Adriatique blessent ou tuent les pêcheurs de Chiogiotta et des Pouilles, mais elles provoquent une véritable récession économique pour l'économie de la Padanie en particulier, de toute l'Italie en général. À tout cela s'ajoutent les dommages qui handicapent considérablement les économies de la Roumanie et de la Bulgarie, réduites à leur plus simple expression, et qui ralentissent les activités commerciales sur la ligne maritime qui part du delta du Danube sur les rives de la Mer Noire et aboutit en Géorgie et en Arménie. Indirectement, toutes ces entraves nouvelles constituent un sérieux handicap pour l'économie de toute l'Union Européenne dont les marchandises sont désormais grevées de coûts de transport plus élevés, que ceux-ci s'effectuent par terre ou via le Bosphore. Les marchandises européennes sont donc devenues moins compétitives. La guerre menée contre la Fédération de Yougoslavie, le soutien apporté à l'expansion turque et albanaise dans les Balkans centraux, le maintien d'un corps expéditionnaire important et coûteux dans la province du Kosovo et le blocage du Danube qui ne cesse pas ont aujourd'hui un effet boomerang sur toute l'économie de l'Union Européenne.
     
    ► Archimede Bontempi, La Padania, 8 février 2000.