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  • Lohausen

    Hommage au Général-Baron Heinrich Jordis von Lohausen

    à l'occasion de son 90ème anniversaire


    jvl-co10.jpgLa vie du Général von Lohausen reflète toutes les tragédies du XXe siècle qu'il a traversées. Fils d'un officier de l'armée impériale et royale austro-hongroise, il est né à Villach le 6 janvier 1907. Son avenir était tracé : fils de militaire, il serait lui aussi militaire. Mais un militaire-philosophe qui allait expliciter sa triple option historique et politique : fidélité géographique au continent européen, fidélité à l'institution impériale romaine et germanique, fidélité à la nation allemande au sein de laquelle il est né.

    Théoricien militaire de la géopolitique, officier d'état-major, officier combattant, attaché militaire autrichien à Rome, Londres et Paris, Heinrich Jordis von Lohausen savait bien de quoi il parlait dans ses ouvrages, qui ont séduit le camp national-conservateur en Allemagne et en Autriche. L'espace, le sens de l'espace, le rapport à l'espace, autrement dit la géographie comme inéluctable destin, telles sont les thématiques de son œuvre, couronnée par la parution en 1979 de son livre principal, Mut zur Macht (tr. fr. : Les empires et la puissance, Livre-club du Labyrinthe, 1985, 2e éd. revue et corrigée Le Labyrinthe, 2e éd. 1996). La démarche intellectuelle de la géopolitique de Lohausen repose sur la réception et l'assimilation des travaux d'Oswald Spengler, de Carl Schmitt et de Karl Haushofer. Lohausen a dépassé Haushofer en insistant sur la volonté de puissance, première vertu géopolitique, puis sur la nécessité de déployer toujours une vision impériale, deuxième grande vertu géopolitique, vertus qui façonnent l'histoire, vertus portées par des peuples libres, sains, sûrs de leur avenir. Sans ces vertus, les peuples basculent dans ce que Spengler nommait la “fellahité”, soit la volonté de renoncer à ses potentialités, parce qu'on refuse les obligations qu'implique la liberté. Lohausen nous a appris à ne pas penser et agir à l'encontre des règles et des lois de la nature, et surtout à l'encontre des lois régissant les espaces et les rapports spatiaux.

    Pour l'impulsion que la lecture de son livre nous a donnée, pour avoir ainsi initié involontairement l'aventure d'OrientationsVouloir et Synergies Européennes, il nous reste à remercier bien humblement, mais avec toute la fierté d'être ses disciples, le Général von Lohausen ! Sachons poursuivre, chacun à notre manière, cette grande œuvre, sachons garder bien vive la flamme qu'il nous a léguée. Et souhaitons-lui encore de nombreuses années de vie dans sa Carinthie natale ! Lang zal hij leven !


    ► Robert Steuckers, Nouvelles de synergies européennes, 1997.


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    Hommage au Général Baron Jordis von Lohausen (1907-2002)

    jvl10.jpgLe Général Jordis von Lohausen, qui fut mon pre­mier impulseur, n'est plus. Il vient de dé­cé­der à l'âge de 95 ans. Je me souviendrai tou­jours de lui, que j'avais rencontré lors d'un col­loque dans le merveilleux château de Sababurg en Hesse du Nord, dans le Pays des Contes de Grimm, en bordure de la célèbre Märchen­stras­se. Nos préoccupations étaient les mê­mes malgré les nombreuses années de vie et d'ex­périences qui nous séparaient irré­média­ble­ment. En lisant ses derniers ouvrages, pu­bliés par Wolfgang Dvorak-Stocker, j'étais é­mer­veillé par l'unité de sentiments qui de­meu­rait entre nous. Personne n'est éternel, la “Gran­­de Faucheuse” nous attend tous, mais, pour des hommes de la trempe et de la gen­tillesse de von Lohausen, elle arrive toujours trop tôt. Qu'il sache cependant que nous con­ti­nuerons à œuvrer dans son sens, que le grain qu'il a semé en nos jeunes têtes continuera à ger­mer, en dépit des oppositions de tous or­dres. Jordis von Lohausen a raisonné en ter­mes de pérennité. Il nous a demandé de tou­jours juger en termes d'histoire et de géo­graphie, en tenant compte du temps et de l'es­pace. Il s'est ainsi hissé au rang de vrai maître, qui ne raisonne pas dans le vide. Nous reste­rons ses disciples et, armés de cette méthode, nous aurons toujours raison, même si nous n'em­portons pas tout de suite la victoire sur les sots et les pervers (RS).

    Au début du mois de septembre 2002, le Gé­né­­ral Baron Jordis von Lohausen, géopolito­lo­gue de premier plan, est décédé à Graz en Sty­rie, où il résidait. Malgré son très grand âge, le Général était toujours actif, rédigeait des artic­les et publiait des livres, que l'on peut consi­dé­rer comme autant d'incitations originales à une ré­flexion de fonds sur le destin historique et géo­­graphique des peuples.

    Né en 1907 dans le foyer d'un officier de cava­lerie de l'Armée Impériale & Royale austro-hon­groise, J. von Lohausen amorce à son tour une carrière d'officier en 1926, dans les rangs de l'armée de métier de la nouvelle ré­pu­blique autrichienne. En 1938, avec l'An­schluß, alors qu'il a le grade de Capitaine, son u­nité est intégrée dans la Wehrmacht grande-al­le­mande. Pendant la Seconde Guerre mon­dia­le, il participe aux campagnes de Pologne, de Fran­ce et de Libye. En 1942, avec le grade de Com­mandant (Major), il devient le chef d'un ré­­gi­ment qui s'en va combattre en Russie. En­tre 2 engagements sur le Front de l'Est, il pas­se 6 mois en mission diplomatique auprès de l'ambassade d'Allemagne à Rome.

    Journaliste radiophonique et attaché militaire

    En 1947, J. von Lohausen entame une car­riè­re de journaliste radiophonique : il est tour à tour collaborateur libre d'une station autri­chien­ne, qui s'appelle Alpenland, et de la ra­dio de Brème en RFA. Il crée des émissions cul­turelles, en présentant notamment les splen­­­deurs des villes d'art italiennes. En 1955, quand les occupants alliés quittent l'Autriche et qu'une nouvelle armée voit le jour, il entre à son service auprès du Ministère de la Défense Fédérale, ce qui l'amènera à devenir attaché mi­litaire autrichien dans les ambassades de Lon­­dres et de Paris. Quand il quitte défini­tive­ment la carrière diplomatique, il se met à écri­re livres et articles de géopolitique. A l'âge de 72 ans, en 1979, il publie ainsi son ouvrage prin­cipal Mut zur Macht : Denken in Konti­nen­ten, qui sera ultérieurement traduit en plu­sieurs langues. Ce livre, malheureusement é­pui­­sé en langue allemande aujourd'hui, mais 2 autres titres, plus récents, pa­rus dans les années 90, restent disponibles chez l'éditeur styrien Leopold Stocker à Graz.

    Immédiatement après la Seconde Guerre mon­diale, J. von Lohausen avait rédigé un ma­nus­crit qui ne paraîtra chez Leopold Stcoker qu'en 1998, sous le titre Reiten für Rußland — Ge­spräche im Sattel (Chevaucher pour la Rus­sie — Conversations en selle). L'auteur se re­mémore ses propres expériences et ses con­ver­sations avec de jeunes officiers — pour la plu­­part des étudiants — pendant la grande mar­­che en avant des troupes allemandes, hon­groises et roumaines en Ukraine et en Russie (entre Don et Kouban), alors qu'inéluctable­ment  s'annonçait la catastrophe de Stalingrad. Ces jeunes gens évoquent les motifs réels de la guerre et sont unanimes à cultiver l'espoir (de plus en plus ténu) que l'Allemagne reviendra ra­pidement aux idéaux de la jeunesse de l'en­tre-deux-guerres en proclamant le droit à l'au­to-dé­termination des peuples oppressés par le Krem­lin soviétisé, ce qui ne pourra que favo­ri­ser les desseins du Reich. Le Commandeur du Ré­giment, qui n'est pas un autre homme que l'a­uteur lui-même, donne à ses jeunes ca­ma­ra­des l'exemple de la monarchie austro-hon­groi­se, qui, selon lui, était un Empire (Reich) réussi qui se hissait au-dessus des peuples sans les met­tre au pas ni éradiquer leurs spécificités. La guerre en cours n'aura de sens, pour le Com­man­deur, que si elle rapproche Russes et Al­le­mands, qui devront alors mettre leurs ef­forts en commun pour bâtir un Reich, sur le mo­dèle austro-hongrois, mais de dimensions beau­coup plus vastes, de la Mer du Nord jus­qu'à l'Océan Pacifique.

    Les conversations de ces hommes, intellectuels et soldats, ont été véritablement ciselées pour le lecteur par un virtuose de la parole, qui a su faire donner tous ses talents dans les stations de radio où il a œuvré de 1947 à 1955. Mais el­les n'abordent pas que cette unité de destin vir­tuelle entre Russes et Allemands : elles po­sent des questions, qui restent essentielles, sur l'ê­tre fondamental des peuples, sur le sens de l'his­toire, sur l'avenir des cultures et des civil­i­sa­tions dans un monde qui se meut sans cesse vers une unité artificielle, monotone, mono­chro­me et monolithique. Par la simplicité et la lim­pidité des phrases forgées par Lohausen, ce li­vre éclaire chaque lecteur en profondeur et lui fait prendre conscience des lignes de force à l'œu­vre en ce monde.

    Les facteurs refoulés : histoire, espace, peuples et langues

    Tous les livres et articles de Lohausen se pen­chent sur ces facteurs refoulés aujourd'hui que sont l'histoire, l'espace, les peuples et les lan­gues. Aujourd'hui, sous les effets pervers des idéo­logies dominantes et des simplismes mé­dia­tiques, nous considérons les processus his­to­­riques comme dépendants des intérêts des ca­stes dominantes ou comme le résultat de la volonté de chefs isolés, comme dépendants du développement de l'économie ou de la techni­que ou comme les effets des luttes entre diffé­rents groupes sociaux pour obtenir puissance ou influence. Cependant, l'histoire découle iné­vi­ta­blement de facteurs plus profonds comme les diverses mentalités et formes de vie des peu­ples, qui ont toujours été très importantes pour donner l'impulsion première et fonda­men­tale au développement des territoires ; de mê­me, l'histoire se développe différemment si un territoire possède des frontières naturelles com­me des chaînes de montagne ou des fleu­ves ou, au contraire, s'il a des frontières ou­ver­tes et difficilement défendables, ce qui con­traint le peuple qui l'occupe à subir les atta­ques de ses voisins ou à passer à l'attaque pour éviter de telles agressions (ndlr : dans Mut zur Macht ou, en français, dans Les em­pires et la puissance, J. von Lohausen cite les exemples de la Prusse de Frédéric II au XVIIIe siècle et de l'État d'Israël pendant la Guer­re des Six Jours de juin 1967).

    Dans un autre ouvrage récent, intitulé Denken in Völker — Die Kraft von Sprache und Raum in der Kultur- und Weltgeschichte (Penser en ter­mes de peuples — La puissance de la langue et de l'espace dans l'histoire des civilisations et du monde), J. von Lohausen étudie systé­matiquement ces facteurs profonds et sous-ja­cents. Il nous dévoile les conditionnements ca­chés de l'histoire, s'interroge sur le sens de ter­mes comme “Reich”, “État”, sur des qua­li­fi­ca­tifs comme “impérial”, “national" ou “régio­nal”. Il démontre que l'équation opérée par la Ré­volution française entre “État” et “Nation” a provoqué, au XXe siècle, dans l'espace cen­tre-européen, des guerres abominables et dé­va­statrices, des expulsions calamiteuses et des génocides. En fin d'ouvrage, il tente de deviner le destin futur, en termes de géopolitique, de l'Allemagne, de la Russie et des États-Unis.

    Un avenir dans la dignité

    Les travaux de J. von Lohausen demeu­re­ront capitaux pour tous ceux qui veulent vrai­ment œuvrer pour le bien de leur peuple et qui ne se proclament pas “nationalistes” sans don­ner de contenu réel et concret à leur option de ba­se. Jordis von Lohausen a travaillé pour ceux qui voient l'enjeu, qui savent que seul le main­tien des langues, des cultures et des peuples per­mettra un avenir des hommes dans la di­gni­té. C'est en partant de telles prémisses qu'il analyse l'avenir de la Russie, des peuples des Bal­kans et du Proche-Orient, de même que les rapports entre l'Europe et les Etats-Unis ainsi que l'avenir géopolitique de l'Allemagne.

    ► Wolfgang Dvorak-StockerNouvelles de synergies européennes n°57/58, 2002. (hommage rendu dans le journal Zur Zeit n°39/2002) 

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    ◘ Sur ce blog : « La guerre du Golfe a-t-elle été une guerre contre l'Europe ? » ; « L'Europe et la Russie : affinités et contrastes géopolitiques » ; Orientations n°0 (oct. 1980)

    ◘ Liens

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    ◘ Notice nécrologique : L'auteur des Empires et la puissance, remarquable traité de géopolitique dont la plus récente édition française a paru en 1996 aux éditions du Labyrinthe, le général Heinrich Jordis von Lohausen, est mort le 31 août dernier à Graz, en Autriche, à l'âge de 95 ans. Officier de carrière, diplomate, écrivain et conférencier, il avait consacré l'essentiel de sa vie à l'étude des constantes géographiques, politiques, linguistiques et culturelles de l'histoire des peuples. Né en 1907 dans une famille d'officiers de cavalerie de l'armée impériale et royale austro-hongroise, il était lui-même entré dans l'armée en 1926. Après l'annexion de l'Autriche, il avait participé aux campagnes de France et de Pologne, avant d'être envoyé en Libye. Nommé major en 1942, il combattit également sur le front russe et remplit pendant six mois une mission diplomatique à Rome. En 1947, il entama une nouvelle carrière de journaliste radiophonique, qui le conduisit à collaborer successivement à la station autrichienne “Alpenland” et à la radio de la ville de Brême. En 1955, après la fin de l'occupation alliée de l'Autriche, il entra au service du ministère de la Défense nationale de son pays, ce qui l'amena notamment à occuper des fonctions d'attaché militaire auprès des ambassades d'Autriche à Londres et à Paris. C'est en 1979 que parut, sous le titre Mut zur Macht : Denken in Continenten, l'ouvrage qui allait être traduit en France quelques années plus tard. Dans ce livre, où il actualisait les données principales de la géopolitique contemporaine, H. J. von Lohausen appelait à « penser en termes de continents ». Par la suite, il ne cessera d'écrire de multiples articles sur des sujets de politique internationale, restant intellectuellement actif jusqu'à la fin de sa vie. Parmi ses autres ouvrages, on peut citer Reiten für Rußland : Gespräche im Sattel (Léopold Stocker, Graz 1998), évocation de ses conversations de Russie qu'il avait rédigée dès la fin de la Deuxième Guerre mondiale, et Denken in Völkern : Die Kraft von Sprach und Raum in der Kultur- und Weltgeschichte (Léopold Stocker, Graz 1999), essai qui, comme l'indique son titre, vise à démontrer l'importance du langage et de la notion d'espace dans l'histoire des peuples. L'éditeur Wolfgang Dvorak-Stocker, qui lui a consacré un article dans l'hebdomadaire autrichien Zur Zeit (27 sept. 2002), écrit à propos de son dernier livre : « S'interrogeant sur la signification de termes tels que "Empire", "État", "impérial", "national" ou "régional", J. von Lohausen montrait que l'assimilation de l'"État" et de la "nation" par la Révolution française a été à l'origine, dans l'espace centre-européen, des guerres affreusement dévastatrices, des expulsions massives et des massacres de peuples qui ont eu lieu au XXe siècle [...] C'est à partir de là qu'il analysait l'avenir de la Russie, des Balkans et du Proche-Orient, ainsi que les rapports de l'Europe avec les États-Unis et l'avenir géopolitique de l'Allemagne [...] Il travaillait pour ceux qui ont compris que seul le maintien des langues, des cultures et des peuples existants peut permettre un avenir digne de l'être humain ». (A. de Benoist, éléments n°107, déc. 2002).


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    Réflexions sur le destin de la France et de l'Allemagne

    En septembre 2002, le Général autrichien Jor­dis von Lohausen mourait dans sa 95ème année. Dans l'un de ses derniers ou­vrages (1998), il évoque un journal de guerre contenant les conversations qu'il a eues avec ses camarades, tous jeunes of­fi­ciers, sur les routes interminables de la Russie méridionale, pendant la grande a­van­cée allemande de 1942. Ces réflexions restent d'une grande fraîcheur, elles sont toujours actuelles et, à l'époque, peut-on dire avec le recul des ans, elles étaient pré­monitoires. Pour le premier anniver­sai­re de sa disparition, nous livrons aux ré­fle­xions de nos amis francophones, cet ex­trait significatif de ce journal de guerre.

    “Il ne s'agit pas seulement de nous”, dit le ca­marade qui se trouvait au milieu de notre grou­pe, plus exactement à la droite du milieu, “il s'agit de l'Europe”. Il s'agit de savoir si au moins l'une des nations européennes, occiden­tales, parviendra à percer, à devenir une puis­san­ce mondiale; il s'agit de savoir si au moins l'une de ces nations parviendra à rendre sa pla­ce à l'Europe, la place qu'elle a perdue à la sui­te de la dernière guerre. Nous sommes les seuls à avoir relevé un tel défi, car les Français et les Italiens sont trop éloignés d'ici, des plai­nes russes. Les Britanniques, les Espagnols, les Portugais ont eu leur part — sur mer. Notre tour est venu : sur Terre !

    France et Allemagne : des racines politiques communes

    Il ne s'agit pas seulement de nous car, seuls, nous n'avons pas suffisamment de puissance bous­culante comme l'aurait une Europe unie ; Fran­çais et Allemands ne parlent pas la même lan­gue, de l'Atlantique à Memel il n'y a pas qu'un seul peuple mais 2 peuples qui ne sont pas unis au sein d'un Empire englobant — avec 2 peuples impériaux de souche fran­que sous une même instance impériale. Alle­mands et Français ont évolué de manières très différentes, mais, il n'empêche, leurs racines po­­­litiques sont les mêmes. Eux et nous som­mes frères, jumeaux, et notre haine, les uns en­vers les autres, est une haine entre frères, pour autant que nous sommes encore capables de la percevoir comme telle. Mais qui d'entre nous ressent encore les choses comme cela? De surcroît, cette haine est mauvaise conseil­lè­re, comme pourraient l'être l'envie, l'ambition dé­mesurée, l'orgueil. Nous ne devrions même pas tenter de nous soumettre à la loi de cette hai­ne. “Avec un cœur pur, tu combattras” nous en­seigne le chant héroïque du Bhagavadgita — toute à la fois une sorte d'Edda indienne et d'é­vangile des anciens Aryens d'Inde. En aucun in­stant, le guerrier pur ne songera à quelque suc­cès pour lui-même ; il doit prendre acte clai­rement, avec un regard serein, des faits qui a­ni­ment la Terre. Pour ce qui concerne les Fran­çais, généralement, le regard serein, le leur, qu'ils posent sur la terre européenne est le sui­vant : tout le territoire qui s'étend des Pyré­nées jusqu'au cœur de l'Allemagne, jusqu'au lieu où commence la partie vraiment orientale de l'Allemagne au-delà du Harz et de la Bohè­me, est par nature un, entre les Pyrénées et le Harz, il n'y a pas d'obstacles, pas de frontières géo­graphiques réelles, si ce n'est des régions mo­yennement montagneuses comme les Cé­ven­nes, les Vosges, le Jura, la Forêt Noire, les Ar­dennes. Il n'y a pas de frontières si ce n'est la langue, pas d'autres frontières que le latin qui a été imposé aux Gaulois. César, ici, s'a­vè­re a posteriori le grand séparateur de l'Europe transalpine ; a posteriori, il se révèle plus fort que tous les rois francs de Clovis à Charles.

    Mais ne jetons pas la pierre à César : ce n'est pas lui qui, finalement, a brisé l'unité euro­péen­ne. L'ironie de l'histoire veut que la tradi­tion impériale romaine ait été reprise par nous, les Germains, et la tradition royale germanique des rois francs ait été reprise par les Français. C'est la politique des petits-fils de Charle­ma­gne qui a brisé l'unité de l'Europe, car ils ont imposé le non-sens des partages carolingiens. Il y eut pourtant 3 occasions manquées de restituer l'unité impériale européenne. Elles ont échoué toutes les 3. D'abord sous Louis XIV. La prise de Strasbourg lui coûta la cou­ronne impériale romaine. Les princes électeurs étaient devenus méfiants ; ils ne l'ont pas élu et lui ont préféré le candidat Habsbourg.

    Du temps de Napoléon et de Bismarck, les peuples n’étaient pas mûrs pour l’unité européenne !

    La seconde tentative fut celle de Napoléon. En 1806, l'Empire n'avait plus d'empereur. En 1810, il épouse Marie Louise. Mais il resta l'Em­­pereur des seuls “Français”. Finalement, troi­sième tentative, en 1870 : c'était le tour des Prussiens ; ils avaient renversé le dernier Bo­naparte, ils avaient vaincu les Habsbourg, et les Bourbons étaient loin du pays. C'était le mo­ment de poser un grand geste historique : pla­cer la frontière allemande sur l'Atlantique, pla­cer simultanément la frontière française sur le Niémen. Entre les 2, plus de frontières, plus de frontière sur le Rhin, plus de frontières sur la crête des Vosges, plus d'Empire alle­mand, mais un seul Empire franc ! Ni les temps ni les peuples n'étaient mûrs pour une telle au­dace. Il était à la fois trop tard et trop tôt.

    Gagnerons-nous cette fois le cœur des Fran­çais ? La balle est dans notre camp. Londres a com­mis les actes qu'il fallait pour cela soit ain­si : Dunkerque, Dakar, Mers-el-Kebir. Trois fers brû­lants dans la chair de la France ! Mais ce se­ra avec ce fer-là qu'il nous faudra forger. Tous ont trahi la France, sauf nous, leurs en­ne­mis. Il nous suffirait d'un mot et nous les au­rions à nos côtés. J'ai entendu de mes propres o­reilles ce qu'ils disaient chez eux, entre eux : “on nous a trahis”. Les Allemands étaient tout dif­férents de ce qu'on leur avait décrit. “Nous au­rions dû marcher avec eux”. Le destin nous in­diquait la voie : nous aurions pu enfin les dé­sar­mer réellement, les désarmer par notre mag­nanimité. Nous devions leur laisser leur fier­té et leur épée, apaiser leurs craintes, aller à l'encontre de leurs espérances. Nous aurions dû simplement leur expliquer : “Vous n'êtes pas vaincus et nous ne sommes pas vos vain­queurs. Nous sommes tous victimes de la mê­me mauvaise politique. On ne veut pas que nous soyons amis. Votre défaite ne relève pas de votre faute et notre succès n'est pas un mé­rite, notre opposition est un malentendu, a tou­jours été un malentendu”. Il s'agit de créer une France qui puisse couvrir nos arrières. Pour aujourd'hui comme pour toujours.

    La fierté ennoblit le vaincu, la magnanimité ennoblit le vainqueur

    Pourquoi suis-je en train de vous raconter tout ce­la ? Parce que la France nous soumet à une é­preuve. Ce fut là-bas une répétition générale pour notre projet ici, en Russie. Nous ne de­vons pas oublier 2 choses : la fierté enno­blit le vaincu, la magnanimité ennoblit le vain­queur. Malheur à nous car nous oublions ces prin­cipes ici en Russie, car la Russie — dit-on —  ne se laisse conquérir que par des Russes. Nos propres forces nous porteront encore à gagner la prochaine bataille, peut-être encore la sui­van­te ; nous irons plus loin, seulement si nous ne prenons rien aux peuples qui sont devant nous, mais si nous leur apporterons ce qui nous donnera la force d'aller de l'avant. Si nous ne leur faisons pas comprendre que nous som­mes entrés dans ce pays comme des libé­ra­teurs et non comme des oppresseurs, com­me des serviteurs de cette terre et non pas com­me des dominateurs, si nous ne leur fai­sons pas clairement comprendre et saisir cela, eh bien, nous ne gagnerons pas cette guerre. Dans ce cas, nous ne resterons pas ici. Jus­qu'ici, tout a reposé sur la puissance de nos ar­mes, mais, bien vite, très vite même, tout re­po­sera sur le drapeau que nous arborerons, le dra­peau du droit à l'auto-détermination. Si ce dra­peau parvient à annoncer et promettre à ces peuples, ce qu'ils espèrent ardemment, a­lors ce n'est plus nous qui porterons ce dra­peau, mais il nous portera !

    Non l’expérience gauloise de César, mais l’expérience persane d’Alexandre

    Nous sommes venus ici en Russie non pas pour ré­­péter l'expérience gauloise de César, mais pour renouveler l'expérience persane d'Ale­xan­dre. Alexandre n'a jamais expulsé personne, si ce n'est le Grand Roi. Il n'a expulsé personne de sa patrie, n'a forcé personne à adopter les dieux grecs ni même la langue grecque. Il fit de la fille du roi vaincu la reine du pays conquis et de son propre pays et laissa à tous les peu­ples tels qu'ils étaient, ne plaça personne au-des­sus d'eux et fit de toutes ces nations des al­liées. Dorénavant, elles étaient fières d'ap­par­tenir au monde grec. Plus tard, même les Ro­mains n'ont pu les vaincre. Sept cents ans après Alexandre, les Romains déplacent leur ca­pitale de Rome à Byzance. L'impérialité ro­mai­ne est ainsi devenue grecque. L'Empire ro­main d'Occident s'est effondré, l'Empire grec a te­nu encore pendant un millénaire ! Celui qui fu­sionne les peuples agit sur un bien plus long ter­me que celui qui se borne à les soumettre. Il ne nous faut donc pas imaginer que nous al­lons transformer la Russie en une gigantesque Al­lemagne ! Nous ne pourrions jamais réaliser un tel projet. Mais faire l'Europe de l'Atlantique au Pacifique, cela, nous sommes en mesure de le faire. N'est-ce pas une tâche suffisante ?

    ► Jordis von LohausenNouvelles de synergies européennes n°57/58, 2002(extrait de Reiten für Russland : Gespräche im Sattel, L. Stocker Verlag, Graz, 1998)

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    L'Empire et nous

    ♦ Discours inaugural de Maître Jure Vujic, secrétaire politique du Mouvement “Minerve”, correspondant de Synergies Européennes en Croatie

    mys1ku10.jpgL'Empire est avant tout une essence spirituelle, une sublime nuance ancrée dans l'honneur et qui s'affirme dans le style et l'allure. Il est le kaléidoscope de nos facultés oniriques et l'expression de nos potentialités virtuelles. L'idée d'Empire implique une réintégration ontologique pour chaque individu, des valeurs aristocratiques qui furent l'épine dorsale de l'histoire.

    L'essence impériale invite à la réconciliation avec soi-même, aux retrouvailles avec son fond originel. C'est pourquoi il conviendra pour chacun de nous d'expurger les résidus d'une éducation prophylactique, pour libérer et accroître son propre champ de vision et se projeter hors de soi-même vers l'horizon infini. La libération de nos âmes passera par le rejet inconditionnel de toute forme de cinétisme ambiant pour adopter les dynamiques constantes, charnelles et naturelles de notre dualité intrinsèque, faite de corps et d'esprit, d'Être et de matière. Ainsi restituer l'intégralité de l'être impérial pour l'immerger dans nos âmes supposera de mettre en mouvement en chaque lieu, à chaque instant, ses attributs sacrés qui sont capacité d'appréhension, d'intégration, de captation, d'amour, d'ouverture et de conquête.

    L'impérialité consiste à dépasser les crispations nationalitaires étriquées et à refuser de se plier à toutes les formes d'idolâtries contemporaines, pour rétablir et reconstruire comme les arcs-boutants d'une cathédrale, le lien d'allégeance impérial, seul à même de consumer les contradictions inhérentes à la nature humaine, et de fédérer organiquement des ethnies, des peuples et des nations différents de par leurs coutumes, leur histoire et leur religion. L'Empire se fera le réceptacle des disparités naturelles et le garant de leur émancipation. Au-delà du constructivisme des idéologies abstraites qui réduisirent les peuples européens durant des siècles à la servilité, l'Empire nous invite à renouer avec le langage tellurique du sol, des vastes steppes, des étendues de forêts vierges, des contrées désertiques, des glacis immaculés et de recourir au ressort humain de l'inaccessible, de la polarité et de l'absolu, seuls antidotes empêchant la sclérose de l'esprit humain.

    La pensée impériale est une ligne intérieure qui relie les perspectives obliques des âmes vagabondes vers la centralité. Elle est cette muraille inaccessible à l'existence désincarnée. Elle est en quelque sorte l'incarnation du Verbe éternel. L'Empire est cette puissance motrice qui comble les espaces, il est cet hôte indésirable qui surgit de nulle part, à l'éminente dignité de l'éphèmère et qui, pourtant, comme un fluide d'évocation, déploie sa force dans la permanence. L'Empire s'insurge contre la barbarie moderne et odieuse de l'argent, pour rappeler à l'ordre la sainte barbarie de nos ancêtres, fille aînée des déterminismes naturels et historiques. Penser en termes de puissance et d'expansion est le propre de l'impérialité qui nous renvoie sans cesse à l'histoire universelle. La volonté de puissance est à elle seule volonté impériale. Élaborer et promouvoir une grande politique impériale ne pourra se concevoir que sur la base de grands espaces.

    L'Europe désarmée, livrée aux convoitises et aux pillages des thalassocraties anglo-saxonnes, repue de richesses perfides et aliénantes, demeure dans l'ombre d'elle-même, dans les ténèbres, dans un monde chtonien qu'elle s'est aménagé au cœur d'une jungle fébrile de consumérisme. L'Europe est dépossédée de son âme, elle reste atteinte d'une calvitie impressionnante, d'une surface d'ivoire, qu'elle ne reconquèrera qu'au prix d'une réappropriation de l'idée de puissance et d'impérialité. L'Europe avance à vitesse d'escargot sur les parois échancrées d'un monde aiguisé où règne la furie collective. Elle retrouvera la liberté de disposer de ses ressources et de l'ensemble de ses forces par la construction d'un bloc continental eurasiatique fédérant les diverses nations européennes constituées, débouchant symétriquement sur la Mer du Nord, la Mer Baltique, la Méditerranée et l'Océan Indien. Pour ce faire, il conviendra de s'affranchir des coquilles hexagonales pusillanimes et étroites et de briser les carcans des États-Nations qui asphyxient les communautés naturelles, et nient les potentialités individuelles.

    Aspirer à la puissance, c'est redonner aux peuples européens leur place dans l'histoire universelle. Puissance et domination s'excluent, la première impliquant une responsabilité, un sens du devoir inné et une adhésion volontaire, la seconde se fondant sur la simple force coercitive, vouée à une chute certaine. L'espace déterminant le destin des peuples dans leur étendue, leurs ressources et leur configuration, interpelle leur vocation historique dans le monde.

    Jordis von Lohausen écrivit que le propre destin des peuples historiques est leur capacité à accéder à la puissance. Les peuples européens auront-ils ce courage ? Nul ne le sait. Mais l'avenir appartient à cette nation européenne-Piémont qui aura la volonté politique de trouver prise sur un sol salvateur, de fonder la “Heimat” pour les générations futures et repousser toujours plus loin ses Limes, ses fronts expansifs et ses têtes de pont défensives, pour réaliser cette unité de destin dans l'universel. Alors renaîtra de ses cendres comme le Phénix mythique, l'Empire régénéré, florilège de notre conversion spirituelle. 

    « C'est lui qui rompt la chaîne sur les ruines de l'Ordre ; il chasse au bercail les égarés qu'il fouette vers le droit de toujours où Grand redevient Grand, Maître redevient Maître et la Règle, la Règle ; fixant l'Emblème vrai au drapeau de son peuple, sous l'orage, aux signaux d'honneur de l'aube, il guide la troupe de ses preux vers les œuvres du jour, du jour lucide, où se bâtit le Nouveau Règne » (Stefan George).

    ► Jure Vujic, Nouvelles de Synergies Europénnes n°30/31, 1997.

    vujic210.jpg◘ L'auteur : Avocat et diplomate de nationalité croate, Jure Vujic est l'auteur de nombreux essais. Il a publié un texte (« Vers une nouvelle “épistémé” des guerres contemporaines ») dans le dernier numéro de la revue Krisis consacré à la guerre. Vient de publier Un Ailleurs européen, Avatar, 2011, 23 €.