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VOULOIR - Page 230

  • Caucase

    La Doctrine Brzezinski et le Caucase

    Malgré la relève de la garde à Washington, depuis l’accession d’Obama au pouvoir, le Caucase reste une « région stratégique » dans la tentative américaine de contrôler totalement ou en partie les anciennes zones d’influence russe en Asie centrale, région riche en matières premières. Sur ce front rien n’a changé en fait : c’était clair depuis la première décision prise par la nouvelle présidence d’augmenter les effectifs américains destinés à renforcer la guerre d’occupation en Afghanistan.

    La partie est mortelle entre les massacres de Grozny et de Beslan

    92258210.jpgDurant la présidence néoconservatrice de Bush, le Caucase avait à nouveau fait parler de lui avec le double attentat aérien contre 2 avions de ligne russes et avec la monstrueuse séquestration des enfants de Beslan, où quelques dizaines de guérilleros tchétchènes avaient pris des écoliers et des parents d’élèves en otage dans un établissement scolaire de la ville principale de la république autonome d’Ossétie du Nord, appartenant à la Fédération de Russie. La confrontation entre Russes et Tchétchènes n’est pas le seul conflit en cours dans la région qui fait le pont entre l’Europe et l’Asie. En Géorgie, le président Mikhaïl Saakashvili, après avoir fait plier la république sécessionniste d’Adjarie, entre la Géorgie et la Turquie, a ensuite mené une attaque, vite avortée, contre l’Ossétie du Sud, dont la population est ethniquement et culturellement la même qu’en Ossétie du Nord mais dont le territoire, jadis autonome en Géorgie, est aujourd’hui indépendant après une intervention russe.

    L’Ossétie du Sud est indépendante de facto depuis 1993, lorsque les indépendantistes sud-ossètes ont obtenu la victoire lors d’une brève guerre de sécessions contre les Géorgiens, peu de temps après l’effondrement de l’URSS. Les Russes avaient appuyé cette sécession et, grâce aux mouvements indépendantistes d’Ossétie, d’Abkhazie et d’Adjarie, ils ont pu revenir dans la région au sud du Caucase. Dans les petites républiques indépendantes grâce aux efforts des troupes de maintien de la paix, les Russes ont pu construire des bases militaires, leur territoire étant soustrait au contrôle de Tbilissi. Avec l’appui des États-Unis, Saakashvili avait réussi en décembre 2003 à chasser du pouvoir Chevarnadze. Ce fut le premier épisode dans le processus de reformulation du projet nationaliste géorgien visant à récupérer les territoires cédés dans les années 1991-93. Ce projet nationaliste géorgien n’est possible qu’avec l’appui des États-Unis et d’Israël, qui comptent quelques centaines de militaires sur le terrain, officiellement pour contrer le terrorisme mais en réalité pour entrainer l’armée géorgienne.

    L’appui de Washington ne provient pas d’un amour subi pour la Géorgie en butte avec ses ethnies rebelles, ossètes et abkhazes, mais d’une volonté de chasser définitivement la Russie de la zone où seront transportés vers l’Europe les hydrocarbures de la Mer Caspienne.

    Le nouveau président géorgien s’est engagé à construire l’oléoduc Bakou/Ceyhan destiné à acheminer le pétrole de la Caspienne et de l’Azerbaïdjan vers le port turc, en traversant le territoire géorgien. Cet oléoduc mettrait hors jeu le tracé menant au port russe de Novorossisk sur la Mer Noire. Ajoutons que cet oléoduc russe passe par le territoire de la Tchétchénie. On voit dès lors clairement pourquoi le conflit en Tchétchénie revêt une importance stratégique cruciale dans les rapports États-Unis / Russie et pourquoi Washington se mobilise (en vain) pour inciter les Géorgiens à éliminer les 2 petites républiques rebelles et à chasser les bases russes hors du Caucase méridional. La construction d’un oléoduc entièrement contrôlé par la Géorgie, au moment où l’oléoduc concurrent est continuellement menacé de sabotage par la guérilla tchétchène, garantirait par ricochet le contrôle exclusif par les Américains des ressources pétrolifères du Sud de la Caspienne, tout en isolant la Russie de l’Europe et en complétant l’encerclement de l’Iran.

    C’est dans ce contexte qu’il faut analyser la guerre qu’a déclenché la Géorgie contre l’Ossétie et l’appui récurrent de Tbilissi à la guérilla tchétchène. Saakashvili avait espéré déclencher une guerre de courte durée pour faire plier les Ossètes, pour provoquer leur fuite vers le territoire de la Fédération de Russie et pour contrôler à nouveau le territoire de peuplement ossète. Les Ossètes savaient bien qu’en cas de défaite ils devaient s’attendre à une « purification ethnique » des plus féroces, visant la « géorgianisation » de leur pays, surtout que les Ossètes n’ont pas oublié les 20.000 morts (presque tous des civils) que leur population a subis lors de la guerre de sécession avec la Géorgie.

    Les Russes, pour leur part, savent que, s’ils sont chassés de leurs bases d’Ossétie et d’Abkhazie, ils seront mis hors jeu dans le Caucase et que les rébellions au sein des nombreuses républiques autonomes de la Fédération se multiplieraient. C’est ce qui explique la riposte militaire russe, rapide et soudaine, contre l’agression géorgienne. Cette action a donné de facto l’indépendance à l’Ossétie du Sud.

    La question de l’oléoduc est centrale dans ce conflit : c’est elle qui a failli amener la Russie et les États-Unis à un conflit chaud, même si c’eut été par tiers acteurs interposés.

    Qui souffle sur les braises ? Les patrons et les parrains de l’indépendantisme tchétchène !

    L’assaut donné contre l’école de Beslan et les massacres qui s’ensuivirent, où les guérilleros tchétchènes ont tué un grand nombre d’otages, des enfants, des enseignants et des parents, suite à l’attaque du bâtiment scolaire par les forces spéciales russes, s’inscrivent dans cette seule et même guerre qui dévaste le Caucase depuis la fin de l’URSS. Il est peut-être vrai, comme aiment à le rappeler les commentateurs des médias occidentaux, que la guerre coloniale russe contre les Tchétchènes a commencé dans la première moitié du XIXe siècle, à une époque où l’expansion de la Russie atteignait les régions méridionales du Caucase. Cette guerre n’a jamais pris fin. Mais il est tout aussi vrai que la nouvelle flambée indépendantiste tchétchène a commencé en 1991, avec la déclaration d’indépendance de la petite république autonome du Caucase septentrional et avec la guerre voulue et perdue par Eltsine qui s’ensuivit de 1994 à 1996. Cette phase nouvelle du conflit russo-tchétchène a les mêmes “sponsors” et les mêmes parrains que le renouveau nationaliste géorgien qui a déclenché l’agression contre l’Ossétie méridionale en août 2008. L’indépendantisme tchétchène moderne était laïque au départ et animé par d’anciens officiers soviétiques, bien décidés à profiter du déclin de la Russie après les journées de confusion de l’automne 1991. Ces hommes voulaient affirmer l’indépendance d’un territoire qui aurait pu compter sur les dividendes du transit pétrolier pour assurer sa prospérité.

    Mais dans les années qui ont suivi l’affirmation de ce premier indépendantisme tchétchène, les Américains ont ressorti la fameuse doctrine Brzezinski, préalablement appliquée en Afghanistan pour chasser le gouvernement laïque pro-russe. Pour y parvenir, les États-Unis ont financé des intégristes islamistes, les talibans, et un mystérieux réseau, Al-Qaeda, construit de toutes pièces sous l’égide américaine en utilisant les services de l’extrémiste wahhabite Osama Ben Laden. Dans le Caucase également, les Américains ont bien veillé à éliminer progressivement tous les leaders laïques pour leur substituer une direction religieuse d’obédience wahhabite. Le financement de ces nouvelles équipes vient en premier lieu de la monarchie saoudienne, désireuse d’étendre sa propre influence politique sur tous les territoires à majorité musulmane, par le biais d’une exportation de la version la plus réactionnaire et la plus obscurantiste de la religion islamique, née dans la péninsule arabique au XVIIIe siècle et adoptée par la dynastie des Saoud qui régnait à cette époque sur les bédouins du Nadjd qui étaient en conflit permanent avec tous les autres royaumes de l’Arabie péninsulaire et avec les shérifs de La Mecque dont provient la dynastie hachémite (à laquelle appartiennent les rois actuels de la Jordanie).

    Dans les régions du Caucase septentrional, le wahhabisme saoudien a islamisé l’indépendantisme tchétchène et l’a transformé en une guérilla féroce, qui fait feu de tous bois : attentats suicides, massacre d’otages, guerre ouverte, infiltration sur le territoire russe, etc. Mais le wahhabisme n’agit pas seul : à ses côtés se tient l’une des principales compagnies pétrolières mondiales, la Chevron-Texaco, dont la conseillère pour l’espace caucasien et la responsable pour les politiques locales de cette zone de turbulences, est une dame que le monde entier a appris à connaître au cours de ces dernières années : Condoleeza Rice, déjà ministre de la Sécurité nationale sous la présidence de Bush junior.

    La présence parmi les guérilleros tchétchènes de volontaires wahhabites, issus des nationalités les plus disparates (il y a parmi eux des Arabes de la péninsule, des Algériens, des Égyptiens, des Afghans, des ressortissants du Bengla Desh, etc.) indique, en outre, que le recrutement de ces effectifs wahhabites inclus dans les forces rebelles tchétchènes s’est effectué depuis le début des années 90 sous le patronnage de l’ISI, le fameux service secret pakistanais, inventeur et soutien majeur du régime des talibans en Afghanistan et responsable de l’organisation politique et militaire des militants wahhabites et déobandistes (les déobandistes relèvent d’une autre école islamiste, aux orientations très réactionnaires, née au XIXe siècle parmi les musulmans d’Inde).

    Finalement, comme en Afghanistan, on voit fonctionner la synergie entre pétrodollars et idéologie religieuse saoudienne, logistique et formation pakistanaises et supervision géopolitique et géoéconomique par le complexe économico-politique américain. L’intérêt des multinationales américaines dans le développement et le maintien de la guérilla tchétchène est évident : mettre hors jeu toutes les concurrences européennes et asiatiques dans le transport du brut de la Caspienne, et, simultanément, couper l’herbe sous les pieds des monopoles russes. Ces objectifs sont poursuivis en même temps qu’un soutien toujours plus marqué aux oligarchies qui gouvernent sur le mode autocratique les États asiatiques issus de la désintégration de l’Union Soviétique : en premier lieu, l’Azerbaïdjan qui possède des gisements aux infrastructures déjà bien rodées. Dans ce contexte, par la création de toutes sortes de menées agressives, les intérêts pétroliers et géopolitiques des États-Unis cherchent à saboter les tracés anciens des oléoducs transportant le brut azéri, tracés construits à l’époque soviétique et qui mènent tous vers l’intérieur des terres russes.

    Si l’on tient compte de ce point de vue, tant l’insurrection tchétchène sur le territoire qui mène au port pétrolier de Novorossisk sur la Mer Noire que la guerre avortée déclenchée par la Géorgie de Saakashvili, ont été in fine concoctées par Washington afin de multiplier les incidents, de déstabiliser la région pour aboutir à un contrôle exclusivement américain des flux d’hydrocarbures. Les présidences américaines successives, qu’elles aient été démocrates ou républicaines, de Carter à Obama, ont poursuivi inlassablement cette politique dont l’intention finale est d’empêcher la Russie de devenir une puissance autonome face aux États-Unis. Une Russie autonome serait parfaitement capable de poursuivre l’ancienne politique soviétique de s’opposer au leadership unique des États-Unis dans le monde. Les États-Unis visent aussi à créer les conditions qui feront de l’immense pays qu’est la Russie un objet pour les spéculations de la finance internationale, téléguidées depuis l’Amérique.

    Par ailleurs, dans ses visées coloniales sur la Russie, les États-Unis ont trouvé en Russie même la collaboration intéressée de cette nouvelle classe composée d’anciens fonctionnaires du parti communiste recyclés en oligarques grâce aux positions clefs qu’ils occupent dans le petit monde des capitalistes de la “nouvelle Russie”. Leur action s’avère destructrice du point de vue du développement de la production industrielle russe mais, en même temps, extrêmement habile pour générer des profits chez les financiers. Ce sont eux qui ont fait gonfler au maximum la bulle financière russe qui a explosé en 1998, entraînant la disparition de l’épargne nationale tout en sauvegardant les immenses fortunes que cette nouvelle classe de capitalistes sans entreprises avait accumulées au cours des années précédentes.

    La guerre en Tchétchénie a toujours été une bonne affaire pour cette nouvelle classe dominante : même si nous faisons abstraction des profits réalisés par la contrebande et le commerce des armes avec l’“ennemi” tchétchène, la guérilla islamiste du Caucase septentrional est devenue un excellent prétexte pour dévier le mécontentement russe vers un objectif extérieur et pour décider, finalement, du destin politique de la Russie au XXIe siècle. Pour atteindre ces objectifs, Eltsine lui-même et sa bande ont été définitivement sacrifiés à la suite d’une offensive terrible des guérilleros tchétchènes qui ont placé des bombes à Moscou et occupé des hôpitaux au Daghestan en 1999 (toutes ces actions ont été menées par un chef notable, Bassaïev, concurrent du président tchétchène en exil Makhadov ; Bassaïev est également le responsable de l’horrible massacre de Beslan).

    Après Eltsine, Poutine a pris le pouvoir, en se présentant à la nation comme le président de la renaissance russe. Les règles du jeu ont alors changé, Washington a été tenu en échec, tandis que les oligarques ont été soit expropriés soit contraints à l’exil. Poutine a pu avancer dans la mise en œuvre d’un capitalisme national russe, capable de développer ses propres infrastructures de production et de renforcer ses liens commerciaux et politiques avec les pays européens. Cette politique a été rendue possible grâce à l’exclusion de cette classe d’oligarques liée étroitement au capital financier américain et à la vente à l’encan des matières premières du pays.

    Derrière cette attaque indirecte contre la Russie, nous voyons se profiler une alliance en apparence bigarrée entre les intérêts stratégiques américains, les intérêts économiques des multinationales américaines du pétrole, du néo-nationalisme géorgien, du fondamentalisme wahhabite téléguidé par l’Arabie Saoudite et de l’oligarchie financière russe repliée à l’étranger. L’objectif de cette alliance est d’abord de démontrer que Poutine n’est pas en mesure de défendre la Russie en y suscitant un climat qui permettrait à terme de lui substituer un autre homme, plus faible et plus enclin à servir les intérêts de la haute finance internationale en Russie et à l’étranger. Cet objectif ne s’est pas réalisé. Et ce n’est donc pas un hasard si le ministre russe des affaires étrangères, Sergueï Lavrov a déclaré, en critiquant directement les pays occidentaux : « [l’Occident] est indubitablement responsable de la tragédie qui frappe le peuple tchétchène parce qu’il donne l’asile politique aux terroristes. Lorsque nos partenaires occidentaux nous disent que nous devons réviser notre politique, qu’ils appellent ‘tactique’, je les invite à ne pas intervenir dans les affaires intérieures de la Russie ». Lavrov faisait directement référence aux décisions prises par les États-Unis et l’Angleterre de donner l’asile politique à 2 chefs du séparatisme tchétchène, Ilyas Akhmadov et Akhmed Zakaïev, qui vivent aujourd’hui, l’un à Londres, l’autre à Washington.

    Il suffit de faire quelques recherches sommaires sur la stratégie préconisée par les milieux libéraux-impérialistes d’Angleterre et des États-Unis pour déchiffer aisément la stratégie atlantiste qui visait jadis et vise encore aujourd’hui à soustraire toute la région caucasienne à l’influence russe, parce que cette région est riche en pétrole. Cette stratégie a été remise en selle et en pratique, et à toute vapeur, en 1999 et qui s’inscrit plus généralement dans le fameux “Plan Bernard Lewis”, mis en œuvre dans les années 70. Ce plan proposait de “miner” toutes les régions se situant au sud du territoire de l’URSS et de les transformer en un “arc de crises”. L’objectif principal envisagé dans ce plan était de déstabiliser à long terme cet ensemble de régions en misant surtout sur le fondamentalisme islamique. Les 2 points principaux, où devait se concentrer les attaques indirectes, étaient la Tchétchénie et l’Afghanistan.

    On ne s’étonnera pas dès lors que, parmi les architectes de ces provocations organisées actuellement dans le Caucase, nous retrouvons Zbigniew Brzezinski, conseiller de Carter pour la “sécurité nationale” et qui fut le premier à adopter les plans géopolitiques mis au point par Lewis pour le compte de l’Arab Bureau de Londres. Brzezinski et Lewis comptaient utiliser le radicalisme islamiste contre le communisme soviétique.

    D’après une revue fort bien informée, Executive Intelligence Review, la notion d’arc de crise, théorisée par Lewis et Brzezinski, fut reprise en bloc par les présidences Reagan et Bush à partir de 1981. Ce fut en bonne partie grâce aux bons offices du directeur de la CIA William Casey et du chef des services français, Alexandre de Maranches. La promotion des moudjahhidins est ainsi devenue un projet cher aux néoconservateurs, qui l’ont introduit au Pentagone et au Conseil de Sécurité nationale à l’époque de Reagan, notamment sous l’impulsion de Douglas Feith, Michael Ledeen et Richard Perle.

    En 1999, un centre de coordination destiné à orchestrer les déstabilisations est mis en place : les néoconservateurs justifieront son existence au nom de l’idéologie des droits de l’homme. Quant à la Freedom House, fondée par Leo Cherne, elle lance un organisme baptisé American Committee for Peace in Chechnya (ACPC), dont l’objectif déclaré est d’intervenir dans les affaires intérieures de la Russie, en avançant l’excuse et le prétexte que la “guerre dans l’aire caucasienne” doit être résolue “pacifiquement”.

    Mais lorsqu’on consulte la liste de ces pacifistes autoproclamés de l’ACPC, on reste bien perplexe. Les fondateurs de ce caucus sont Brzezinski, Alexander Haig (le secrétaire d’État qui avait dit, « c’est moi qui suis aux commandes » quand Reagan fut victime d’un attentat en 1982) et l’ex-député Stephen Solarz. Parmi les membres, nous trouvons : Elliot Abrams, Kenneth Adelman, Richard Allen, Richard Burt, Elliot Cohen, Midge Decter, Thomas Donohoue, Charles Fairbanks, Frank Gaffney, Irving Louis Horowitz, Bruce Jackson, Robert Kagan, Max Kampelman, William Kristol, Michael Ledeen, Seymour Martin Lipset, Joshua Muravchik, Richard Perle, Richard Pipes, Norman Podhoretz, Arch Puddington, Gary Schmitt, Helmut Sonnenfeldt, Caspar Weinberger et James Woolsey. L’ACPC se sert des structures de la Freedom House mais aussi de celles de la Jamestown Foundation, un centre d’études sur la guerre froide dirigé par Brzezinski et Woolsey, dont le but est de promouvoir des opérations de “démocratisation” dans les États “totalitaires”. Ce centre d’études édite une “newsletter”, Chechnya Weekly, pour le compte de l’ACPC, de même que d’autres bulletins de propagande dirigés contre la Chine, la Corée du Nord et d’autres pays européens ou asiatiques qui sont dans le collimateur de Washington.

    Ce sont les Britanniques qui ont recruté les terroristes du Caucase !

    Les gouvernants russes savent très bien qu’au moment où, aux États-Unis, on créait l’ACPC, le gouvernement britannique offrait une aide toujours plus directe aux milieux terroristes.

    Dans un série de documents datant du 21 janvier 2000 et adressés à Madeleine Albright, alors secrétaire d’État, nous trouvons une missive intitulée : « L’Angleterre doit être mise sur la liste des États qui promeuvent le terrorisme ». L’Executive Intelligence Review rapporte comment les autorités britanniques ont facilité le recrutement de certains éléments du djihadisme en Angleterre pour les transporter ensuite clandestinement en Tchétchénie. Dans un document de l’Executive Intelligence Review (sur : http://www.movisol.org/ ), nous pouvons lire, parmi d’autres révélations :

    « Le 10 novembre 1999, le gouvernement russe avait déjà présenté ses protestations diplomatiques formelles via son ambassade à Londres, pour les attaques perpétrées contre des journalistes russes et pour l’hospitalité offerte au cheikh Omar Bakri Mohammed, chef d’Al Muhajiroon, aile politique de l’organisation de Ben Laden, qui était le groupe recrutant des musulmans en Angleterre pour les envoyer combattre en Tchétchénie contre l’armée russe. L’organisation de Bakri travaillait librement au départ de bureaux situés dans le faubourg londonien de Lee Valley — deux pièces dans un centre informatique — et géraient une entreprise offrant des connections à internet. Bakri a admis que des officiers de l’armée ‘en congé’ entraînaient les nouvelles recrues à Lee Valley, avant de les envoyer dans des camps en Afghanistan ou au Pakistan ou avant de les faire entrer clandestinement en Tchétchénie ».

    ► Lorenzo MooreRinascita du 11 juin 2009. (tr. fr. : R. Steuckers)

     

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    94628510.jpgGuerre du Caucase : entretien avec Alexander Rahr

    ◘ Alexander Rahr est le directeur du programme “Russie / Eurasie” auprès de la Société allemande de politique étrangère (Deutsche Gesellschaft für Auswärtige Politik) à Berlin. Il est un spécialiste de réputation internationale pour toutes les questions eurasiennes.

    • Monsieur Rahr, à quoi pensait, dans le fond, le Président Saakachvili en poussant ses troupes à entrer en Ossétie du Sud ?

    Votre question est pertinente. Car lundi, après seulement 2 jours de guerre, il a capitulé. Toute l’opération s’est révélée un parfait désastre, comme c’était à prévoir. Saakachvili a tout raté, sur toute la ligne.

    • Manifestement, Saakachvili n’a pas cru à une intervention russe. Était-ce une position réaliste ?

    Non. Ou bien cet homme est totalement stupide ou bien il a été inspiré par des dilettantes. Voici les faits : la Géorgie veut devenir membre de l’OTAN le plus vite possible. Bush a déjà promis l’adhésion à Saakachvili, mais, si Obama devient président, cet objectif sera bien plus difficile à atteindre. La condition posée pour une adhésion rapide, c’est qu’il n’y ait plus de conflits inter-ethniques, car l’Aliance atlantique cherche à les éviter. Saakachvili a voulu régler le problème par une politique à la hussarde. Manifestement, il est parti du principe que l’intervention russe serait moins totale, plus ponctuelle ; il pensait gagner du temps pour entraîner les États-Unis dans le conflit.

    • Là, il a pratiquement réussi son coup...

    À peine. Les réactions agressives de Bush démontrent plutôt son désarroi. Toutes les ONG, téléguidées par les États-Unis, qui ont tenté, au cours de ces dernières années, de mettre sur pied, avec la Géorgie, une “Alliance de la Mer Noire” alignée sur l’atlantisme et dont les objectifs auraient été d’éloigner au maximum les Russes de la région maritime pontique, sont désormais devant des ruines, leurs efforts n’ayant conduit à rien.

    • Dans les sphères de l’UE, beaucoup rêvaient aussi de faire de la Mer Noire une nouvelle mer intérieure européenne...

    Tous ces rêves se sont évanouis, ce qui rend un tas de gens furieux. En ce qui concerne la Géorgie, les États-Unis sont allés beaucoup trop loin au cours de ces dernières années. Maintenant, ils ne peuvent plus laisser leurs alliés dans le pétrin. Mais, par ailleurs, ils sont suffisamment intelligents pour ne pas se laisser entraîner. Les États-Unis ont besoin de la Russie en plusieurs domaines : dans le dossier de la non prolifération des armes non conventionnelles, dans la lutte contre le terrorisme, dans la stratégie de l’endiguement de l’Iran et de la Chine, etc. Toutes ces questions sont bien plus importantes que les humeurs de Saakachvili. Malgré toute la colère et toute la déception qui affectent les cercles stratégistes de Washington, personne aux États-Unis n’est prêt à déclencher une troisième guerre mondiale pour lui. En outre, bon nombre de responsables à Washington doivent être furieux contre Saakachvili car il a mis les États-Unis dans une posture fort embarrassante.

    • Comment, à votre avis, s’achèvera le conflit ?

    Les Géorgiens ne parviendront sans doute plus jamais à recomposer leur pays. Le conflit va geler vraisemblablement. Pour Moscou, ce serait là la meilleure solution. Ainsi, le rôle de la Russie en tant que puissance génératrice d’ordre demeurera tel, à l’arrière-plan.

    • Saakachvili survivra-t-il à cette défaite, en politique intérieure géorgienne ?

    Il s’est probablement posé la question lui-même. Car, à l’avance, il ne pouvait pas sortir gagnant de cette opération, qui a coûté inutilement la vie à une grande quantité de soldats géorgiens.

    • Les Russes se frottent-ils les mains parce qu’ils ont eu l’occasion de faire une démonstration de force ou se sentent-ils blessés dans leur propre sphère d’intérêt ?

    Les cris de triomphe se font entendre partout en Russie, c’est évident, car on attendait cette heure depuis de longues années : dans les années 90, les Russes devaient constater, sans pouvoir agir, comment l’Occident réorganisait à sa guise les Balkans ; maintenant, ils peuvent montrer dans le Caucase que l’Occident est désormais à son tour dans le rôle du spectateur impuissant, tandis que la Russie agit. Il y a 3 ans, la Russie avait obtenu que les bases militaires américaines quittent l’Asie centrale ; maintenant, les Russes ont remis les Américains à leur place dans le Caucase. Il est possible que l’Allemagne récupère bientôt son rôle d’intermédiaire. Berlin a de bonnes relations avec la Russie et peut influencer plus profondément le nouveau président russe Medvedev que n’importe quel autre État de l’UE.

    ► Propos recueillis par Moritz Schwarz, Junge Freiheit n°34/2008. (tr. fr. : R. Steuckers)

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    La nouvelle stratégie de diversion d’Ankara dans le Caucase

    Le dégel entre la Turquie et l’Arménie profite à l’Azerbaïdjan et aux États-Unis

    Si les relations turco-arméniennes se normalisent, l’Arménie pourrait abandonner le lien étroit qui la lie à la Russie et devenir un vassal de plus des États-Unis dans le Caucase du Sud

    La Turquie et l’Arménie sont récemment convenues d’entamer des négociations en vue d’établir des relations diplomatiques. Dans les 2 mois à venir, les négociateurs prévoient d’ouvrir les frontières entre les 2 pays voisins. Le rapprochement entre Ankara et Erivan a eu lieu suite à une médiation suisse. Reste à savoir si les rapports entre Turcs et Arméniens se normaliseront et si l’affrontement entre les 2 nations, qui dure depuis près de cent ans, s’aplanira. L’avenir devra le prouver.

    Lors des négociations prochaines, on soulèvera immanquablement la question du génocide perpétré par l’Empire ottoman à la fin de la Première Guerre mondiale contre les Arméniens chrétiens, massacres qui ont fait près d’un million et demi de morts. Cette question ne jouera cependant qu’un rôle subalterne dans les négociations. Elle sera traitée par une commission composée d’historiens issus des 2 pays. Le principal point à l’ordre du jour sera la question du Haut Karabakh. Depuis 1993, les Arméniens occupent en effet cette région montagneuse, ainsi que 7 provinces azerbaïdjanaises limitrophes. Le Haut Karabakh est peuplé d’Arméniens ethniques mais appartient à l’Azerbaïdjan selon le droit international. À cette époque, les Turcs et les Azéris avaient fermé leurs frontières avec l’Arménie, ce qui avait entraîné des conséquences désastreuses pour l’économie arménienne. Les liens sont étroits entre la Turquie et l’Azerbaïdjan, car les Azéris sont un peuple turc (turcophone) et musulman ; sur les plans ethnique et linguistique, les Azéris sont donc proches parents des Turcs. C’est pourquoi la Turquie exige de l’Arménie qu’elle retire ses troupes présentes sur le sol de l’Azerbaïdjan.

    Ankara tente de tuer 2 mouches d’un seul coup de savate en entamant des négociations avec Erivan pour renouer des relations diplomatiques; d’une part, les Turcs entendent recevoir quelques “bonnes notes” de Bruxelles avant de réentamer des pourparlers en vue d’une adhésion à l’UE ; Ankara bénéficierait alors de préjugés plus favorables à son adhésion dans le prochain rapport que la Commission rédige, à intervalles réguliers, sur ses “progrès”, car, quoi qu’il en soit, la petite puissance d’Asie Mineure a, ces temps-ci, accumulé bon nombre de “mauvaises notes”. La calcul des Turcs s’avère néanmoins porteur : « Ces accords contribueront à la paix et à la stabilité dans le Caucase méridional », ont déclaré la Commissaire des Affaires étrangères de l’UE, Benita Ferrero-Waldner et le Commissaire à l’élargissement, Olli Rehn. D’autre part, Ankara  cherche à mettre un terme à l’occupation arménienne de portions importantes du territoire azéri. « La Turquie continuera à soutenir l’Azerbaïdjan dans la question du Haut Karabakh » vient d’affirmer David Chaanatsarine du “Congrès National Arménien”, un parti d’opposition, suite aux questions que lui posaient des journalistes du quotidien turc Hürrriyet. Cette affirmation de Chaanatsarine correspond parfaitement avec celles de voix officielles turques. « La Turquie n’entreprendra jamais rien qui puisse nuire à ses frères d’Azerbaïdjan », avait dit le ministre turc des affaires étrangères Ahmet Davutoglu aux questions posées par la chaîne de télévision NTV. Finalement, avait-il ajouté, « rien n’est plus important que l’amitié turco-azérie ».

    L’objectif officiel d’Ankara, comme l’a annoncé le ministre des Affaires étrangères Davutoglu, est de procurer à la Turquie « un environnement stable le long de ses frontières ». Mieux : en négociant afin de mettre un terme à l’occupation arménienne du Haut Karabakh et des provinces limitrophes, Ankara cherche à renforcer l’Azerbaïdjan et, ainsi, à se profiler comme une puissance régionale efficace au Moyen Orient. En effet, si l’Arménie est neutralisée, il naîtra de facto un “bloc turc(ophone)” plus riche et plus solide du Bosphore à la Caspienne, région où  se trouvent d’énormes gisements de pétrole et de gaz. De cette façon, Ankara pourra mettre encore plus de pression sur l’UE et se positionner comme un espace de transit sûr et incontournable pour les énergies fossiles. Ankara veut acquérir une position telle que son adhésion finira par être complètement acceptable. En 2003, on a rendu opérationnel l’oléoduc BTC (Bakou-Tiflis-Ceyhan), qui part d’Azerbaïdjan, traverse la Géorgie et aboutit en Turquie. De même, cette année-là, on a inauguré le gazoduc BTE (Bakou-Tiflis-Erzouroum). Ce gazoduc et cet oléoduc ont été réalisés avec une participation financière très importante des États-Unis, dans le but d’éviter les territoires de la Russie et de l’Iran.

    Les Américains se félicitent bien entendu des négociations entre Ankara et Erivan. Si les rapports entre la Turquie et l’Arménie se normalisent, alors Moscou perdra son seul allié dans le Caucase du Sud. L’Arménie entretient certes de bons rapports avec les États-Unis et a même envoyé des soldats en Afghanistan mais la Russie reste, pour les Arméniens, la puissance protectrice. Ce n’est qu’avec l’appui de Moscou que l’Arménie, petit pays d’à peine 3,5 millions d’habitants, a pu infliger à son voisin azéri, qui compte, lui, 8 millions d’habitants, une défaite militaire retentissante. L’influence économique de la Russie est également importante : ce sont en effet des entreprises d’État russes qui possèdent les plus grandes usines hydrauliques arméniennes et la centrale nucléaire de Metsamor ; cette dernière est le principal fournisseur d’énergie du pays (40% de l’énergie consommée). Si les relations se normalisent avec la Turquie, membre de l’OTAN, les rapports entre Erivan et Moscou pourraient bien se rafraîchir. Car les États-Unis se montrent particulièrement généreux quand il s’agit de limiter et de refouler l’influence russe dans le Caucase : souvenons-nous que la Géorgie reçoit chaque année un milliard de dollars. Mais le prix que l’Arménie aurait à payer pour son “alignement” serait vraiment fort élevé : surtout l’abandon du Haut Karabakh. Dans la “République Démocratique du Haut Karabakh”, non reconnue par les instances internationales, la méfiance croît envers Erivan. Kegham Bagdadcharian, membre du Parlement de cette république, évoque une “déviance dangereuse” en Arménie, car celle-ci  a accepté les “conditions préalables”, exigées par les Turcs, pour entretenir des relations diplomatiques.

    ► Bernhard Tomaschitz, zur Zeit n°37/2009. (tr. fr. : R. Steuckers)

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    Le système euro-atlantiste oppose son veto à l’indépendance du Nagorno-Karabakh

    ♦ Regards sur l'enclave arménienne du Haut-Karabagh

    mktum10.jpgLe nom de Stepanakert, actuelle capitale de la République du Nagorno-Karabakh (RNK), doit son nom au révolutionnaire bolchevique Stepan Chaumjan (1878-1918), originaire de Bakou et connu sous le sobriquet de “Lénine du Caucase”. En langue arménienne, cette république s’appelle “Lernayin Gharabagh” ou “Arts’akh” ; “Nagorno Karabakh” est son nom en russe, où l’adjectif “nagorno” signifie “montagneux”. Cette région de 4400 km2 (elle est à peine plus grande que la province italienne de la Molise) se trouve dans le Caucase mériodional et s’est proclamée indépendante le 6 janvier 1992. Comme d’habitude, la communauté internationale adopte une politique de 2 poids 2 mesures quand il s’agit de reconnaître le statut juridique d’entités nouvelles s’étant constituées lors de la liquéfaction d’anciens États sur la masse continentale eurasienne. D’une part, le Kosovo a pu compter sur l’appui inconditionnel d’une grande majorité d’États occidentaux, malgré l’opposition de la Serbie. D’autre part, la RNK n’a pas connu de telles faveurs.

    Pourtant, le référendum demandant la sécession de cette région, officiellement azerbaïdjanaise, référendum qui s’est tenu en décembre 1991, n’est en fait que la confirmation d’une déclaration antérieure,  datant de l’époque soviétique et prévoyant également le rattachement à l’Arménie, ce que ne souhaitaient alors ni Moscou ni Bakou. Cette déclaration date de la fin des années 80 et avait été introduite par le Soviet de la région autonome, au temps de l’URSS. L’espoir actuel d’obtenir l’indépendance est conforté par l’idée d’une sorte de continuité juridique remontant à l’époque soviétique : il se placerait ainsi dans une “logique évolutive”.

    280px-Location_Nagorno-Karabakh2.pngCette région, peuplée au Moyen-Âge par des sujets arméniens de l’Empire perse, est tombée sous la domination russe au début du XIXe siècle : en effet, le Karabakh, par le traité du 14 mai 1805 (1220 selon le calendrier musulman), est intégré dans l’empire russe en prenant la forme juridique d’un khanat autonome. L’unique médiateur entre la population du Nagorno Karabakh et le Tsar Alexandre Pavlovitch Romanov (1777-1825) était le gouverneur de la Géorgie. Avec l’effondrement de l’Empire des Tsars, suite à la révolution bolchevique de 1917, le territoire du Nagorno Karabakh a été âprement disputé entre les nouvelles républiques socialistes soviétiques de l’Azerbaïdjan (en laquelle le Nagorno Karabakh fut inclus) et de l’Arménie, située un peu plus à l’Ouest. En 1921 donc, la région est incluse dans la juridiction azérie constituée par le Comité exécutif central de la République socialiste soviétique de l’Azerbaïdjan qui lui accorde toutefois l’autonomie régionale.

    Au fil du temps, les ressortissants de cette région autonome au sein de l’Azerbaïdjan soviétique ont demandé à plusieurs reprises d’être inclus dans la RSS d’Arménie (pour la première fois en 1945, puis en 1966 et en 1977). Le projet, à ses débuts, avait été contrecarré par Staline, agissant en sa qualité de Commissaire du Peuple pour les questions nationales. Avec la désagrégation de l’Union Soviétique, les tensions inter-ethniques ont explosé : le gouvernement turcophone de Bakou, proche de celui d’Ankara, a opté pour une stratégie d’azérisation forcée, alors que la population est arménienne à 76% ; quant aux autres minorités, elles sont russes ou kurdes. Désordres et violences ont agité les rues, en réponse à ce déni de justice : en 1988, à proximité de la ville d’Askeran, 2 citoyens azéris sont tués, ce qui entraîne un pogrom anti-arménien à Sumgait, un grand centre urbain au nord de Bakou. Ce furent 3 journées de massacres, qui firent des dizaines de victimes. D’autres épisodes similaires ont ponctué la vie d’autres localités arméniennes au nord de la région, comme Spitak et Ghugark, forçant les ethnies à quitter l’espace juridictionnel où elles étaient en minorité pour se réfugier soit en Azerbaïdjan soit en Arménie. On estime que 14.000 civils arméniens ont pris la fuite, ainsi que 80.000 Azéris.

    Pendant l’année 1989, les révoltes populaires n’ont jamais connu de répit. Elle atteignirent une phase de plus haute intensité quand les autorités azéries suspendirent les autorités locales du Nagorno Karabakh pour les confier à un “Comité organisateur” à majorité azérie, responsable devant le Conseil des ministres de l’Union. Au même moment, la RSS d’Arménie revendiquait prioritairement d’exercer son autorité in loco. Il s’ensuivit un cortège de dévastations et d’actions de guerilla où s’affrontèrent les 2 peuples voisins : les Arméniens furent les principales victimes de ces désordres, qui ne cessèrent pas, même après l’intervention de l’Armée Rouge. Il faut aussi se rappeler que le tout dernier acte posé par l’Union Soviétique, dans le cadre de la perestroïka de Gorbatchev, fut de suspendre la gestion azérie dans le Nagorno Karabakh.

    En se basant sur une clause de la constitution soviétique, la RNK en tant qu’enclave autonome, dès la sortie de l’Azerbaïdjan hors de l’Union, se proclame “république” : le 8 janvier de l’année suivante, Artur Aslanovitch Mkrtcian (né en 1959) prend en charge la fonction de Président, et Oleg Esayevitch Jesayan, celle de Premier ministre. Trois mois plus tard, suite à la mort en des circonstances mystérieuses, de Mkrtcian, son poste est repris ad interim par Georgy Mikhaïlovitch Petrossian (né en 1953 ; en fonction en 1992 et 1993). Le Premier président élu du Nagorno-Karabakh, suite aux élections du 29 décembre 1994, fut Robert Sedrakovitch Kotcharyan (né en 1954), dont Garen Zarmajrovitch Babourian reprendra les fonctions ad interim (en 1993-1994).

    Face à cette volonté d’indépendance ou d’union avec l’Arménie, l’Azerbaïdjan qui, avec la Turquie, est désormais la tête de pont des États-Unis dans le Caucase et dans la stratégie eurasienne globale de Washington, a réagi en lançant une opération militaire de grande envergure. Des milliers de victimes et plus d’un million de réfugiés appartenant aux 2 ethnies constituèrent les funestes résultats de cette opération de guerre. Un cessez-le-feu aléatoire fut signé en mai 1994 (1).

    caucas10.jpgAujourd’hui, la situation reste plutôt instable, surtout parce que les États-Unis refusent avec fermeté que d’autres puissances reconnaissent le statut indépendant de la RNK parce que cela pourrait constituer une gène pour l’acheminement du pétrole en provenance de Bakou et parce que cela pourrait offenser le principal interlocuteur dans le Caucase méridional du système euro-atlantiste. Au cours de ces dernières années, l’Azerbaïdjan a vu croître son PIB de manière quasi miraculeuse, surtout grâce à ses précieuses ressources d’hydrocarbures. C’est au départ des gisements de Shah Deniz au sud de la Mer Caspienne, à environ 70 km de la capitale azérie aujourd’hui florissante, que partira le corridor pétrolier et gazier du sud qui devra fournir en gaz naturel l’Europe occidentale, éliminant simultanément tout trajet sur le sol de la Russie, désormais considérée comme le principal adversaire dans la guerre des hydrocarbures. En 2006, un oléoduc est entré en fonction, traversant la Géorgie, où Washington avait appuyé l’insurrection populaire de 2003, connue sous le nom de “révolution des roses”. Cet oléoduc acheminera le brut azéri de la région de Bakou au terminal turc sur la Méditerranée.

    « La politique de ségrégation et de discrimination poursuivie par l’Azerbaïdjan a généré une atmosphère de haine et d’intolérance contre le peuple arménien, ce qui a conduit à un conflit armé, à d’innombrables victimes, à des déportations de masse de toute la population de paisibles villages arméniens » (2) : voilà ce que l’on peut lire dans la déclaration d’indépendance du Nagorno Karabakh, proclamée le 2 septembre 1991. Même si l’entité que représente le Nagorno Karabakh rencontre les pré-requis nécessaires pour former un État (et ces pré-requis sont plus solides que pour le Kosovo), l’indépendance de la RNK n’est pas acceptée par la communauté internationale et condamne la région à une dramatique incertitude permanente : les 137.000 habitants de la RNK (selon les estimations de 2006) survivent vaille que vaille sous la menace constante des forces azéries. Mais ils n’abandonnent pas l’espoir de construire un jour un futur de paix pour leur pays. Celui-ci vit de l’agriculture, de l’élevage et du travail de la soie. Malgré tout, le gouvernement de Bakou a déclaré qu’il ferait à nouveau appel aux armes si la médiation de l’OSCE (instance dont la Fédération de Russie réclame une réforme) échoue.

    ► Aliena, Rinascita du 20 déc. 2011.

    Notes :

    (1) : Les autres présidents sont Léonard Georgevitch Petrossian (né en 1954 ; du 20 mars au 8 sept. 1997, ad interim) ; Arkady Archavirovitch Goukassian (né en 1957 ; du 8 sept. 1997 au 7 sept. 2007) ; Bako Sakharovitch Sakhakhan (né en 1960 ; depuis le 7 sept. 2007).

    (2) : « ... prenant en considération que la politique d’apartheid et de discrimination poursuivie en Azerbaïdjan a suscité une atmosphère de haine et d’intolérance dans la République à l’égard du peuple arménien, ce qui a conduit à un conflit armé, à des victimes humaines, à des déportations en masse de populations vivant dans de paisibles villages arméniens » (cf. l’adresse électronique http://www.nkr.am/en/declaration/10/ ).