Saint-Loup
Alpiniste, motard, explorateur ou soldat perdu, Saint-Loup, pseudonyme de Marc Augier (19 mars 1908 – 16 déc. 1990), s'est lancé à corps perdu dans toutes les aventures de ce siècle. Militant de gauche et pionnier des Auberges de Jeunesse, ayant rejoint les rangs de la LVF sur le front de l'Est tout en se démarquant de l’idée d'une Europe une-et-indivisible à la mode jacobine telle que la voyaient les dirigeants du Reich national-socialiste, il mènera après la Seconde Guerre mondiale une carrière de journaliste et d'écrivain. Magnifique romancier à l’imagination fertile, ce chouan moderne avait fait de la matière historique une vision épique : il inventa littéralement une Europe des “Patries charnelles”, autrement dit une Europe des régions, pour laquelle chaque province d’Europe « recevait son autonomie culturelle totale et restait dépendante de la fédération pour l’économie, la politique étrangère et la défense ».
◘ Avertissement : par ethnisme est entendu la stratégie défensive de minorités ethniques / linguistiques ayant le sentiment d'appartenir à une nation qui n'est pas la nation support de l'État (et se démarquant par là du statut conventionnel de minorité nationale). Pour les mouvements régionalistes, il s'agissait après-guerre de poser l'ethnie en un sens objectif, celui de collectivité préssentant certains caractères distincts communs de langue, de culture ou de civilisation. Il ne saurait y avoir de parti-ethnie d'autant plus que la vie communautaire, traversée de différenciations sociales, invite plutôt à une logique collaborative. La revendication ethniste n'est pas un tribalisme mais une recherche d'autonomie politique. De par une communauté de destin selon Guy Héraud, les régionalismes européens ont vocation à s'associer dans un cadre fédéral. Cet idéal animait également, sur un plan personnel et non point collectif, l'écrivain-aventurier Saint-Loup. Pour ce motard qui avait sillonné aux 4 vents ses régions tel un chevalier quêteur d'authenticité, l'Europe était idéalement celle aux cent drapeaux. Malgré l'équivoque du terme ethnos offrant à certains l'occasion de légers glissements sémantique et idéologique, l'ethnisme chez Saint-Loup ne peut si simplement être ramené à l'éthique racialiste (et nullement raciste au sens courant) qui est au demeurant la sienne.
Le fédéralisme ethnique de Saint-Loup
« La jeunesse française qui, hier, vivait dans les ténèbres, à laquelle manquait un idéal, qui avait perdu la foi dans les destinées de la patrie, sera éblouie demain par la tâche qui l'attend : refaire l'Europe… ».
Pour la droite, du moins celle qui ne le méprise pas, Marc Augier dit Saint-Loup est le romancier des civilisations menacées et de l'Europe des patries charnelles… Deux thèmes qui jalonnent son œuvre depuis Solstice en Laponie, publié en 1939, où l'auteur expose déjà sa crainte de l'évangélisation et de la colonisation des peuplades lapones par les marchands de morale. Réflexion poursuivie sous l'Occupation, notamment dans des articles sur les Basques et les Bretons où Saint-Loup pose les premiers fondements du "fédéralisme ethnique" sur le principe duquel il veut organiser l'Europe . Soit dit par parenthèse, la défense des peuples menacés ne se limitait pas dans son esprit au seul territoire européen puisqu'il déclarait en 1941, dans un article sur l'avenir de l'Empire français : « Notre devoir en Afrique est de rétablir dans ses cadres historiques et raciaux une grande civilisation arabe et une grande civilisation noire ». Et c'est toujours l'Europe des ethnies que Saint-Loup, la foi gammée, est allé construire sur le front de l'Est en 1942. Il est en effet convaincu, dès 1941, que l'Allemagne prépare une paix fondée sur un fédéralisme ethnique européen. À cette conviction s'ajoute encore l'idée, répandue autrefois dans les milieux allemands révolutionnaires conservateurs, que l'avenir de l'Europe se trouve à l'Est, dans une Russie vaincue où elle pourra puiser des forces nouvelles : économiquement, racialement et spirituellement.
Avec le recul, on a bien entendu du mal à comprendre comment Saint-Loup a pu interpréter — bien qu'il ne fut pas le seul à s'y méprendre — le pangermanisme hitlérien comme une tentative d'union de l'Europe sur la base de toutes les ethnies qui la composaient. Otto Strasser, qui manifestait dans les années 30 la même intention de réorganiser l'Europe sur des fondements ethno-linguistiques était entré en dissidence du parti hitlérien. Chez Saint-Loup, cette méprise est plutôt à mettre sur le compte d'un anticommunisme fanatique forgé au contact des milieux de gauche de l'entre-deux-guerres.
“Nous voulons rester nous-mêmes”
Cependant, l'expérience du front russe imprime un infléchissement dans l'attitude de Marc Augier, qui ne se fait, dès lors, plus guère d'illusions sur les intentions allemandes. Ce que soulignent certains articles du Combattant Européen qui oscillent entre l'allégeance la plus complète et la prise de distance subtile à l'égard des Allemands. Ainsi écrivait-il à quelques mois d'intervalle, « Hitler, ça c'est un homme », et cette phrase qui montre son refus d'une Europe sous domination allemande : « Il ne s'agit pas de nous fondre dans une sorte de tout européen. Nous ne voulons pas plus être germanisés que russifiés. Nous voulons rester nous-mêmes, avec notre héritage national, tout en adoptant le style de vie moderne. Et nous voulons enrichir ce style de vie du génie français qui n'est pas un mythe ». La contradiction apparente entre ces 2 propos est levée dès lors que l'on s'efforce de distinguer ce qui, d'un côté, relève de la fidélité inconditionnelle due aux siens et à un serment, et ce qui, d'un autre côté, se rapporte à la pensée propre de Marc Augier. C'est cette confusion entre le sentimental et le doctrinal qui a pu, après 1945, faire passer Saint-Loup pour un sectateur du national-socialisme alors même qu'il considérait l'État-nation comme un principe politique historiquement dépassé. On n'aura pas tort, toutefois, si l'on fait remarquer que ce trouble a été entretenu par Saint-Loup lui-même, qui s'est employé après la guerre à faire coïncider son expérience de la Waffen SS avec sa propre conception du monde. Dans Götterdämmerung, Les Volontaires et Les Hérétiques, Saint-Loup, rattrapé par son attachement quasi-viscéral aux siens, laisse en effet libre cours à ses phantasmes et conçoit l'existence d'une fraction oppositionnelle fédéraliste qui aurait tenté de s'emparer du pouvoir à l'intérieur du régime national-socialiste. Saint-Loup n'a jamais déposé l'uniforme.
Impératifs telluriques et patries charnelles
Refaire l'Europe ! Mais pourquoi l'Europe des ethnies, des patries charnelles ? Parce que dans l'esprit de Saint-Loup, cette forme politique est la plus à même de résister aux idéologies dépersonnalisantes — libéralisme, christianisme, communisme — dissimulées sous les masques de l'universalisme et de l'internationalisme. Parce que les États-nations n'ont de contours qu'idéologiques. Parce que la patrie charnelle, la terre des pères, répond à une aspiration identitaire naturelle. « L'Europe doit donc être repensée à partir de la notion biologiquement fondée du sang (…) et des impératifs telluriques. (…) . Il ne peut exister que de petites patries charnelles nourries de cette double force. En effet, plus l'espace unifié s'étend, plus la réalité raciale se dilue par mélange et plus le territoire échappe à la propriété de l'individu au profit du groupe ». Saint-Loup fait de la race le moteur de l'histoire d'un peuple et du métissage la principale menace pesant sur une civilisation. Car l'homogénéité raciale est un élément de stabilité. La doctrine de Saint-Loup ne se manifeste donc pas sous la forme d'un nationalisme agressif et se rapproche bien davantage de l'ethno-différentialisme. Autrement dit, seul celui qui aime et défend son propre peuple est capable d'aimer et d'apprécier des peuples étrangers. L'affirmation d'un droit à la différence se substitue à l'impérialisme et Saint-Loup peut stigmatiser l'universalisme comme une idéologie raciste. C'est justement ce qui se joue dans La Nuit commence au Cap Horn, cet excellent livre aux allures de fresque gigantesque : les Indiens de la Terre de Feu sont victimes d'un méthodisme dangereux et d'un évangéliste plein de bonnes intentions mais incapable de concevoir un mode d'existence différent du sien. Un peuple succombe au colonialisme chrétien parce que le christianisme est inadapté à l'environnement dans lequel ce peuple évolue. Une civilisation meurt qui voit arriver des missionnaires, des fonctionnaires et des négociants. Cette thématique est aussi celle de La peau de l'aurochs publié pour la première fois en 1954 et qui vient enfin d'être réédité. Là encore une civilisation est menacée de disparition; une invasion dictatoriale, la conquête du machinisme se substituant peu à peu à la tradition agreste et catholique locale.
Socialisme de l'action et sources spirituelles de l'homme
Dans les ouvrages de Saint-Loup, la patrie charnelle apparaît tout à la fois comme une alternative politique, sociale et religieuse.
• Politique d'abord, car elle est un rempart contre l'impérialisme.
• Sociale ensuite, car elle vise à renforcer le sens de la communauté, qui est d'instinct purement ethnique. Elle repose sur ce que Saint-Loup appelle le « socialisme de l'action » qui est appelé à devenir la pièce maîtresse de la nouvelle Europe et qu'il définit comme un socialisme enraciné, une attitude du cœur, de la volonté, par opposition à la logique abstraite du marxisme-léninisme.
La patrie charnelle est enfin une alternative religieuse en ce sens qu'elle doit nous permettre de renouer avec nos racines païennes. Et avec une conception héroïque de la vie que le judéo-christianisme, religion du salut, avait étouffée. La patrie charnelle doit se concevoir en quelque sorte comme un retour aux sources spirituelles et sensorielles de l'homme. « Il s'agit pour l'individu de puiser aux sources de vie héroïques et esthétiques, de recevoir par conséquent l'enseignement du combat naturel et de tout ce qu'il implique : sélection des aristocraties par le combat de la vie, notion nouvelle du droit qui s'établit par l'action du plus fort et du meilleur, enfin recherche et application de la notion de beauté et de grandeur véritables ». Le fédéralisme ethnique de Saint-Loup porte en fait une nouvelle conception de la société. Un paganisme héroïque et populaire qui renvoie à une image plus acceptable de la personne humaine.
En dépit des apparentes contradictions, l'itinéraire politique de Saint-Loup obéit à une logique parfaitement cohérente, où la volonté de s'affirmer chasse les crispations idéologiques. Se dessine un monde de grande santé physique et morale où tous les peuples ont le droit d'exister, pourvu qu'ils s'épanouissent dans leurs propres cultures. Au fil du temps, Saint-Loup a tissé une œuvre sincère au travers de laquelle s'exprime un esprit libre, qui a payé sa liberté de ton par la conspiration du silence dont on entoure son nom.
► Jérôme Moreau, Nouvelles de Synergies Européennes n°48, 2000.
◘ Notes :
- (1) Marc Augier, « Jeunesse d'Europe, unissez-vous ! », Causerie donnée le 17 mai 1941 sous les auspices du groupe Collaboration à la Maison de la Chimie – Paris.
- (2) Marc Augier, « À la recherche des forces françaises », in La Gerbe, 4-9-1941 et 2-10-1941.
- (3) Marc Augier, « La route de l'huile », in La Gerbe, 6-2-1941.
- (4) Il faut toujours avoir à l'esprit, pour comprendre l'itinéraire politique de Saint-Loup, qu'il a fait ses premières armes au sein de la gauche “Front Populaire”. En effet, Marc Augier fut l'un des principaux animateurs et idéologues du mouvement des auberges de jeunesse (ajisme), il fut rédacteur en chef du Cri des Auberges de Jeunesse (revue du Centre Laïc des Auberges de Jeunesse [40.000 membres]), chargé de mission au cabinet de Léo Lagrange sous le gouvernement du Front Populaire en 1936 et proche de Jean Giono, son maître à penser, avec qui il participa à l'expérience pacifiste du Contadour. Pendant toute cette période de l'avant-guerre, c'est le pacifisme et la volonté d'unir la jeunesse européenne qui motivent son engagement. Représentant du CLAJ au Congrès Mondial de la Jeunesse qui eut lieu aux États-Unis en 1937, il se rendit cependant compte que les délégués communistes se livraient à une intense propagande belliciste contre l'Allemagne et l'Italie. De là date, de son propre aveu, ses premiers sentiments anticommunistes. À plusieures reprises, après 1941, Marc Augier considérera d'ailleurs la croisade européenne contre le bolchevisme comme le prolongement logique de son action passée au sein du mouvement ajiste.
- (5) Marc Augier, « La fidélité des Nibelungen », in Le Combattant Européen, 30-9-1943
- (6) Marc Augier, « Ce siècle avait deux ans », in Le Combattant Européen, 15-6-1943
- (7) Saint-Loup, « Une Europe des patries charnelles ? », in Défense de l'Occident n°136, mars 1976.
- (8) Saint-Loup, La Peau de l'aurochs, éd. de l'Homme libre, 2000
- (9) Marc Augier, Les Skieurs de la nuit, Stock, 1944, pp.16-17
♦ Études :
- Saint-Loup, F. Bergeron, Pardès, coll. qui suis-je ?, 2010 : « Marc Augier, alias Saint-Loup, fut emporté par le vent de l’Histoire, à toute vitesse, mais sans jamais tomber. Il en a tiré une œuvre forte et virile, parcourue par un souffle épique. Une œuvre peinte à fresques, où des individus et des groupes d’individus doivent affronter les bombardements, le rouleau compresseur des chars soviétiques, l’épuration, les foules ivres de violence, mais aussi la montagne, la neige, le froid polaire, les avalanches, les tempêtes, les poux, l’hiver russe, une panne de moteur en altitude ou, simplement, la fatigue au guidon d’une moto lancée sur les routes d’Europe. Ce qui fascine, chez Saint-Loup, ce sont des valeurs universelles, qui n’appartiennent à aucun camp : c’est cette vie de sportif, d’aventurier, de guerrier. Saint-Loup est le contraire d’un idéologue. C’est un militant, mais ce n’est pas un homme du combat des idées. C’est un homme d’action, ayant mis ce goût de l’action et du risque calculé au service de causes politiques et parfois militaires. 75 ans après la fin de la guerre et plus de 20 ans après la chute du mur de Berlin, il est temps de relire son œuvre, de la dégager de sa seule dimension hérétique, conséquence de ses 4 années à la LVF et à la Waffen SS. Oui, grâce à ce “Qui suis-je ?” Saint-Loup, il faut revisiter ce grand créateur de mythes, et personnage mythique lui-même. »
- Tel que Dieu nous a voulus, Myron Kok, Homme libre, 2004
- Sous le signe de la roue solaire : Itinéraire politique de Saint-Loup, J. Moreau, Æncre, 2002
- L'imaginaire européen dans les romans de Saint-Loup, mémoire de P. Deschamps, 2007
♦ Saint-Loup : la peau de l'aurochs
L'association Les Amis de Saint-Loup vient de rééditer très opportunément un des premiers livres de cet auteur. Ce roman paru en 1954 chez Plon, à la lumière des évènements actuels apparaît a beaucoup d'égard comme prophétique. En effet comme le souligne Robert Dun dans sa contribution « Réflexions sur une tenace espérance » dans le recueil paru en 1991 intitulé Rencontres avec Saint-Loup : « Peu savent que son livre Peau de l'aurochs fut terminé en 1945. Y regardant de près, on ne peut manquer de découvrir dans cet ouvrage une vision de toutes les lignes de force majeures qui se sont concrétisées en situations historiques depuis 1945 : la toute-puissance des technocrates qui traque les derniers authentiques humains jusqu'aux plus inhospitaliers culs-de-sac des hautes vallées alpestres, la montée de la Chine qui entreprend la conquête du monde tout en véhiculant le matérialisme le plus agressif, la régénération du Juif errant par le retour à la nature et à la terre. Or l'État d'Israël et les kibboutz, le communisme chinois, la marée technocratique et la réaction écologique qu'elle a suscitée ne se sont manifestés qu'entre 5 et 20 ans après la fin de la rédaction de ce livre prophétique qui évoque aussi le mystérieux effacement des technocrates agresseurs et la terre libérée pour ceux qui ont eu le courage des ultimes résistances. Et quelle fut la force qui a donné la victoire aux “entêtés” de la nature ? Une idéologie ? Non ! la “peau de l'aurochs”, le bon sens paysan, la perception ancestrale des forces cachées, du "serpent des eaux noires" dispensateur de fertilité, du “Grand Bonzeu”, du bouquetin arpenteur des rocailles et des neiges qui incarne le choix de ceux en qui la poésie sans phrases face à la montagne est plus forte que les sirènes du confort technologique. Le thème a été repris dans La Republique du Mont-Blanc, qui ajoute au livre précédent l'invasion musulmane et l'entreprise consciente de destruction génétique des peuples européens ».
À ces thèmes j'en ajouterai d'autres (histoire de les énoncer clairement) qui se sont aussi vérifiés : la désertification rurale, le génocide paysan, la panmixie désorientante, la destruction de l’environnement, la citique du primat de la raison technicienne, le conflit christianisme / paganisme, l'enracinement, le dépassement de soi et l'hypothétique avènement d'un surhumanisme nietzschéen. Tout cela il y a 50 ans, bien avant Jean Raspail, Philippe Gauthier et bien d'autres ! Tous ces thèmes sont évoqués dans ce grand roman ou cette “République Valdotaine” qu'il a si bien connu, va renaître puis survivre et se régénérer grâce à la ténacité de quelques âmes fortes. Cette communauté va donc se replier dans les montagnes et entreprendre de se développer. Mais la civilisation mondiale installée dans la vallée va un jour vouloir édifier un barrage qui noiera les villages. La communauté doit alors faire face aux forces d'attraction-dissolution qu'exerce cette culture-monde sur l'ethnie valdotaine. Cependant un dernier carré va tenter de survivre. Cette intrigue à la fois simple et bien menée permet d'évoquer clairement et avec une grande plausibilité tous ces thèmes au fil du récit de ce livre, ce qui constitue en soit un tour de force. Citons simplement, à titre d'illustration, cette description du monde politique qui n'est pas sans nous faire penser irrépressiblement au nôtre : « Les politiciens exprimait les opinions les plus diverses mais se ralliaient tous, fort curieusement à quelques idées monolithiques, exactement comme les prétoriens de César ! Ils défendaient tous la liberté, prêchaient une égalité aussi fraternelle que burlesque entre les hommes, encourageaient la confusion des races. Ils promettaient tous un bonheur illimité sur cette terre, la démocratie chrétienne seule accordant un supplément de bonheur dans le ciel ».
• Saint-Loup, La peau de l'aurochs, Les Amis de Saint-Loup, 1995. Disponible auprès de l'association. [rééd. Homme libre, 1999]
► Pascal Garnier, Nouvelles de Synergies Européennes n°17, 1996.
♦ Saint-Loup : Dix millions de coccinelles
[Ci-dessous : Jaquette de couverture de la première édition, 1968. La barre des 10 millions d'exemplaires avait été atteinte en 1967]
Il faut bien qu'il y ait beaucoup de choses de pourri dans notre bon monde de “correction politique” pour qu'un romancier comme Saint-Loup connaisse à nouveau un succès d'estime certain auprès d'une fraction grandissante de la jeunesse européenne. Quatre ans après sa mort, ses livres continuent à être réédités méthodiquement et les hommes courageux qui s'emploient à cette tâche sont toujours surpris de voir avec quel enthousiasme on se rue sur ces ouvrages. Pour les tenants de l'anti-FRAT (Fascisme - Racisme - Antisémitisme - Totalitarisme : expression forgée par un autre hérétique des temps modernes le professeur Notin), Saint-Loup restera seulement l'apologiste des réprouvés de la Waffen-SS francaise.
Mais son œuvre est bien plus vaste. Il fut aussi un analyste formidable des grands travaux publics et semi-publics de ce XXe siècle finissant. Et c'est ici l'aventure automobile qui nous est contée. En effet, à la fin des années 60, après avoir achevé sa trilogie sur les derniers défenseurs du bunker de Hitler à Berlin et avant de commencer son cycle sur les patries charnelles, Saint-Loup termine une autre trilogie : après avoir publié les magistrales biographies de Louis Renault (1955) et de Marius Berliet (1962), il écrit Dix millions de coccinelles, l'histoire de la Volkswagen qui, en quelques décennies, va conquérir l'univers.
Mais en 1976, c'est 21 millions de “Cox” qui ont été vendues sur la planète depuis sa création. Tous les journaux automobiles portent aux nues le fer de lance de notre belle société de consommation, en lui rendant aujourd'hui un hommage bien mérité. On la fabrique toujours au Mexique. On ne pouvait plus l'acheter neuve sur le marché européen : là aussi, à force de célébrer son génie sur l'autel consacré au dieu Hermès, elle va effectuer son retour, en star comme une actrice mythique ou un chanteur adulé qui fait sa dernière tournée de chant ! Oui, en 1999, fiers nostalgiques de la belle époque, vous pourrez à nouveau l'acheter, flamboyante, en France, en Allemagne, en Italie... Et dire qu'elle a été conçue à la fin des années 30, alors que la France devait attendre près de 15 ans pour avoir sa toute petite réplique de voiture nationale, la 2CV, la “deux pattes”, ou la 4CV de Renault.
En premier lieu, soulignons dans cette édition une ambiguité éditoriale assez édifiante : Dix millions de coccinelles, en page de titre est bien le véritable titre (car en 1968, date de la première publication du livre, seulement 10 millions de ces curieux véhicules ont été vendus) ; mais ce livre est à la fois non moins significativement sous-titré “l'épopée automobile du Troisième Reich” en “une” de couverture et aussi “l'épopée industrielle du Troisième Reich” en quatrième de couverture. Industrie, automobile, l'un ne va pas sans l'autre, sans l'automobile il n'y aurait pas eu d'épopée industrielle, ni de coccinelles, ni par conséquent le succès politique, économique et social fulgurant qu'a connu le Troisième Reich avant la guerre.
Pour ce qui est du contenu du livre proprement dit, les partisans de la pensée unique découvriront avec horreur que la voiture la plus populaire ayant jamais existé et qui, seule, 60 ans après sa conception, continue à rouler dans le monde entier, a été conçue grâce à la rencontre quasi miraculeuse d'un ingénieur autodidacte de génie Ferdinand Porsche et d'un homme politique un peu particulier, à savoir Adolf Hitler. Comme celui qui lui servira de cornac, Ferdinand Porsche était Autrichien : « c'étaient de toutes petites gens — nous dit Saint-Loup —, mais issus des profondeurs biologiquement intactes des races germaniques et ouverts à ce titre aux plus grandes ambitions créatrices ».
Porsche — « Cet homme qui manque totalement de culture, mais dont le cerveau, dans le domaine de la création, valait toutes les équipes de recherche d'une douzaine d'universités » — est entouré d'ingénieurs exclusivement autrichiens. Et comme le constructeur Enzo Ferrari, qu'admirait également Saint-Loup, il travaille aussi en symbiose avec le monde ouvrier et c'est bien sûr grâce aux grands projets étatiques qu'il vécut cette grande aventure industrielle, cette véritable chanson de geste du XXe siècle, tout de forges et d'enclumes.
Jusque dans la construction de la gigantesque ville-usine de 9.000 habitants, Adolf Hitler fera confiance à un architecte de 30 ans de petite taille, à l'allure de Wandervogel, les cheveux dressés sur la tête, la chemise ouverte sur la poitrine, culottes en cuir, le visage ouvert, naturellement rieur et bien sûr lui aussi Autrichien ! N'en déplaise aux sectateurs du grand métissage universel généralisé, la cohérence ethnique peut aussi donner de bons résultats, tout simplement parce que la cohésion de toute équipe humaine est plus forte quand on partage la même gouaille dialectale (la fameuse tétraglossie du linguiste Gobard !), quand on a aimé les mêmes paysages, connus les mêmes auberges ou les mêmes brasseries, les mêmes écoles et les mêmes bals !
Constatons également que des capitaines d'industrie de la sorte existent bel et bien dans cet univers du millénaire qui s'achève mais ceux-ci sont dans une impossibilité totale de s'exprimer et doivent par conséquent croupir dans des postes d'employés à cause d'une société jalonnée d'obstacles en diplômes, administrations, convenances sociales et autres, où, pour un être créatif, tout, absolument tout, est fait pour qu'il n'y parvienne jamais, ceci afin de préserver l'ordre établi, car où irait-t-on si des petits génies de la campagne bousculaient à tout bout de champ les cours en bourse avec leurs satanées inventions !
Sinon, au-delà de l'aventure extraordinaire des hommes, des expéditions pendant la guerre dans la version militaire de la “Cox”, c'est-à-dire la “Kübelwagen” et la vie quotidienne dans la ville païenne, Stadt des KDF-Wagens, privée d'église, mais surmontée d'une acropole du travail et de la joie, on sent confusément que l'écrivain éprouve un certain scepticisme par rapport à l'univers qui était en train de s'édifier dans la future Wolfsburg, sur les autoroutes du Reich et par cet engouement généralisé pour les machines, les autos et le moteurs.
En effet, insistons tout de même sur une des idées-forces de ce récit : malgré l'aventure industrielle et étatique dont il est question ici, l'auteur n'oublie pas son idéal libertaire et écologiste, celui des “copains de la belle étoile”, de l'expérience du Contadour de Jean Giono et de son vieux maître, un des rares écrivains français authentiquement völkisch / folciste, au sens allemand du terme, Alphonse de Chateaubriant : il pense sans doute aux vieux idéaux de liberté germanique, lorsqu'il évoque les contrôleurs des firmes automobiles : « en manteau de cuir noir tombant jusqu'aux chevilles dans ce style militaire, qui, lentement et comme à regret, impose à l'Allemagne un nouveau visage... ».
Et aussi un peu plus loin : « [...] c'est parce que les nationaux-socialistes détestent l'anarchie, prétendent donner un sens à l'histoire, contraindre l'homme à suivre une direction spirituellement et biologiquement préétablie, qu'on verra bientôt s'allonger les premiers fils de fer barbelés, les premiers miradors émerger au dessus des perspectives de sapins et terres grises, les premiers gardiens de camps s'opposer au chaos qui partout et toujours nait des grands bouleversements industriels, n'épargnant pas plus Wolfsburg que les autres coins d'Europe [...] ».
Ainsi, un des axes centraux de ce roman à thèse, comme c'est toujours le cas avec Saint-Loup, est de nous faire prendre conscience des contradictions internes du régime national-socialiste, ballotté entre son désir de préserver les traditions, d'une part, et de sa facilité à céder à l'attraction des miroirs aux alouettes que tend la societé moderne, d'autre part, et qui reste finalement le grand débat qui mérite vraiment d'être tenu en cette fin de siècle. En effet, nous ne prenons pas de grands risques en disant que si le Troisième Reich avait gagné la guerre, les populations, vivant dans cette ville nouvelle et les autres qui, à coup sûr, se seraient multipliées, passé le premier enthousiasme procuré par la société de consommation, auraient souffert, elles aussi, inéluctablement, des pathologies de la civilisation, exactement comme les populations actuelles des grandes villes occidentales. Or, coupé des liens du sol, il n'y a pas de salut. C'est seulement dans un cadre enraciné que peuvent s'épanouir les hommes. La technique comme fin en soi est une horreur. L'enracinement et le lien avec la nature au sein d'une communauté sont indispensables pour l'équilibre psychologique des populations quel que soit leur sang.
Avec cette réalisation mirifique pour l'époque, le régime national-socialiste ne faisait qu'imiter — avec une perfection supérieure toutefois — le taylorisme américain (voir les usines Ford) ou le productivisme soviétique. Et une forme d'art national-socialiste a été produite par ce type de civilisation : la Stadt des KDF-Wagens était futuriste comme l'avaient préconisé les architectes des mouvements italiens et soviétiques de cette époque. Et en plus on l'a construite en détruisant une partie de la lande du Lüneburg, si chère à l'écrivain Hermann Löns.
Ainsi toute l'ambiguité de ce système apparaît dans sa praxis politique et dans sa difficulté à concilier tradition et modernité. Sur le plan politique, ce sont Albert Speer et Walther Darré qui s'opposent. Du coté du ministre de l'industrie et de la construction, ce sont des réalisations architecturales grandioses, le futurisme des grandes avenues, la Stadt des KDF-Wagens, les automobiles et son corollaire d'industrie, de commerces et de pollution... Du coté du ministre de l'agriculture Darré, il s'agit du Hegehof, la ferme organique de conservation, la préservation de la diversité des espèces végétales et animales de la lande de Lüneburg, une vision de la société organique et écologique... Walther Darré étant peut-être un des premiers hommes politiques à vouloir transcrire dans la réalité sociale un discours écologiste. Il est bien évident qu'après sa démission en mars 1942 par Hitler, les imperatifs industrialo-militaires du Reich en difficulté annihileront toute initiative concrète dans ce sens écologique. Et nous ne parlons même pas de l'après-guerre, où la reconstruction a pris le pas sur toutes autres considérations, a fortiori en matières d'urbanisme et d'écologie...
Quant à Saint-Loup, il tranche sans ambages ce débat en faveur des idées du sang et du sol, se rapprochant davantage de Darré que de Speer. Pour s'en convaincre nous ne reproduirons que 2 courtes citations du livre : « Les ouvriers de cette usine composent déjà un de ces tableaux dont l'avenir va multiplier les versions : l'homme tombé dans la servitude des machines qu'il a créées pour le meilleur et pour le pire ! ». Et il conclut son ouvrage de la sorte : « La coccinelle appartient désormais à l'univers déshumanisé des moyens industriels et des techniques qui se suffit presque à lui-même... pour le meilleur ou pour le pire ! Le pire fort probablement ! ».
Par cette démonstration littéraire souvent magistrale et au-delà de ce débat plus que jamais d'actualité, le jeune lecteur (et les autres aussi...), passionné par l'automobile, dans ce récit haletant mené sans aucun temps mort, découvrira la fidélité absolue du peuple allemand et des autres peuples de la Terre à cette petite auto toute en rondeurs, au-delà même de la défaite de son concepteur, et cette passionnante épopée lui rappelera que “là où il y a une volonté, il y a un chemin”.
♦ Saint-Loup, Dix millions de coccinelles, éd. L'Æncre (12 rue de la Sourdière, F-75.001 Paris), 1996, 366p. + 8 p. de photos hors texte, 185 FF.
► Pascal Garnier, Nouvelles de Synergies Européennes n°xx, 1996.
♦ dossier presse ♦
PORTRAIT
Du Front Populaire au Front de l'Est
L'itinéraire insolite de Marc Augier
Les éditions du Flambeau publient un recueil de textes inédits ou introuvables de Saint-Loup qui permettent de mieux comprendre pourquoi le fondateur des Auberges laïques de la jeunesse a choisi de s'engager, sept ans plus tard, dans les rangs de la Légion des volontaires français contre le bolchévisme.
[Ci-dessous : Marc Augier en uniforme de la LVF, dessin d'Éric Simon-Marienne]
« En matière d'assurances sociales, de retraite aux vieux travailleurs, de protection du foyer, de beauté de la vie à l'usine et au foyer, l'Allemagne a réalisé en l'espace de quatre ans tout ce que les démocraties promettaient sans jamais tenir... Dans le même temps chez nous, un homme de bonne volonté, prisonnier de la SFIO et de la franc-maçonnerie, Léo Lagrange, se débattait pour l'organisation des loisirs de notre peuple avec un budget ridicule... » Ces paroles ont été prononcées en octobre 1941 par Marc Augier, l'un des fondateurs du mouvement des Auberges de jeunesse, devenu résolument pacifiste en 1938 avant de se retrouver, au printemps de 1942, au sein de la Légion des Volontaires Français contre le Bolchevisme dont il se fera, 21 ans plus tard, l'historien et le défenseur sous le pseudonyme littéraire de Saint-Loup (1).
On comprend que ce disciple de Giono, attaché au rapprochement des diverses jeunesses européennes et à la construction d'un “monde nouveau”, ait adopté en 1938 une position “munichoise” en inspirant le fameux “télégramme à Daladier”. On saisit moins bien les raisons qui l'entraînèrent dans le camp de la collaboration, à la suite d'Alphonse de Châteaubriant qui lui avait révélé, avec la Gerbe des Forces, une image toute positive de la révolution hitlérienne.
Le rhumatisme du cœur
La réédition de plusieurs textes recherchés depuis longtemps permet de répondre à cette question et il convient de remercier les éditions du Flambeau d'avoir regroupé dans un même ouvrage, J'ai vu l'Allemagne, les 2 conférences prononcées par l'auteur pour le groupe Collaboration et un remarquable portrait d'Alphonse de Châteaubriant rédigé une vingtaine l'années plus tard. Le tout préfacé par Jean Mabire qui présente ce qu'était le groupe Collaboration.
Dans le compte rendu du voyage qui l'a conduit outre-Rhin au début de 1941, Marc Augier nous dit avoir retrouvé le pays qu'il avait sillonné pour la première fois à moto en 1929. La victoire sur la France n'a rien changé, selon lui, au comportement des jeunes Allemands réellement désireux d'enterrer une fois pour toutes la hache de guerre entre les deux pays. C’est pour lui une certitude qu'il tient aussi bien de l'attitude des pouvoirs publics que des gestes du menu peuple, une certitude et une vérité qu'il entend exprimer, au risque de voir se dresser contre lui « ... trente neuf millions d'ennemis. Je ne m'adresse pas à ceux qui ne comprendront jamais rien, aux irréductibles de la race ennemie, aux vétérans douloureux de la guerre mondiale, aux bourgeois atteints par le rhumatisme du cœur. Je parle à mes camarades de la France nouvelle... »
Cette Allemagne soucieuse de paix, où le Secours d'Hiver multiplie les œuvres sociales lui fait ressentir plus durement les timidités de la France de Vichy, « où nous avons bonne mine, avec nos boy-scouts allant collecter les vieilles chaussures dans les immeubles, avec nos affiches où le Chef a l'air si triste qu'on ne sait vraiment ce qu'il nous demande, si c'est un petit sou, une élégie ou une révolution nationale ».
Pour le déçu du Front populaire, l'Allemagne est en train de réaliser, de manière inattendue, l'espérance socialiste car, « pour faire le monde nouveau, il faut préalablement pétrir l'ancienne humanité dans un moule unique. Avant de voir refleurir les particularismes, il faut que l'alignement se fasse, il se fait présentement en Allemagne, sur la classe laborieuse de la nation. Le IIIe Reich est terriblement socialiste. Les bourgeois de chez nous qui flirtent avec lui en croyant prendre avantageusement des positions d'avant-garde peu dangereuses ne se rendent pas compte de cette réalité ».
Le 17 mai 1941, le futur Saint-Loup s'adresse aux « jeunesses d'Europe ». Dénonçant l'esprit petit-bourgeois de « Monsieur Français moyen », il adjure les jeunes de ne pas laisser passer la fantastique occasion qui leur est offerte de réaliser, avec leurs camarades allemands, la grande révolution sociale du XXe siècle. Il ne s'agit pas « d'aimer » l'Allemagne — car la solution du problème franco-allemand n'est pas d'ordre sentimental — encore moins de la « servir » : « Si la collaboration signifiait la servitude, je ne serais pas ici, mais dans n'importe quel coin du monde où je pourrais lutter pour l'indépendance de la terre de mes pères... »
La France des campings contre la France des bistrots
Il s'agit en réalité d'édifier un « ...socialisme de l'action. La collaboration signifie donc la rupture complète avec les derniers tenants du système capitaliste, dont les derniers champions sont à peu près complètement chassés du contient et se retirent chargés de nos malédictions et de nos haines pour avoir joué leur dernière carte avec notre sang, avec les trésors d'art de nos villes, avec le patriotisme des meilleurs éléments de nos races. Pour nous, jeunes, nous ne sommes que médiocrement intéressés de savoir si la collaboration est un simple troc, si le comble de l'habileté consiste à obtenir beaucoup des Allemands en donnant peu, si elle se chiffrera en millions de quintaux de pommes de terre, en tonnes de houille ou d'essence. Nous regardons plus loin et plus haut. Nous voulons savoir si elle nous apportera réellement la fin du système capitaliste, la fin de l'exploitation désordonnée du travail par le capital, la fin de l'oppression des peuples par les oligarchies économiques... »
C'est une communauté nouvelle qu'il convient de bâtir en Europe sur les ruines et les douleurs accumulées par 2 conflits suicidaires et cette mission revient fout naturellement à la jeunesse, une jeunesse animée par cet esprit de l'été 36 qui poussait vers le grand air les foules souriantes du Front populaire. Contre « la France de l'apéro et des banquets radicaux » stigmatisée par Drieu, c'est celle du camping et de l'auto-stop, dynamique et solidaire, réconciliée avec les « vraies richesses » qui doit désormais l'emporter pour être en mesure de relever le défi européen.
Cinq mois plus tard, en octobre 1941, Marc Augier prend de nouveau la parole pour exposer ce que doit être l'attitude des siens devant « l'aventure européenne ». Depuis le 22 juin, la guerre s'est allumée à l'Est et c'est par le fer et le sang qu'il va falloir construire le « socialisme de l'action » qu'il appelle de ses vœux. Le choix est difficile pour ce solitaire amoureux de liberté, qui était encore quelques semaines auparavant au sommet du Mont-Blanc en compagnie de quelques camarades. Mais il explique à ses auditeurs que le conflit en cours n'est plus désormais une guerre « nationale » au sens traditionnel du terme, mais une véritable guerre civile européenne, une guerre dont l'enjeu est « la construction du socialisme dans une Europe unifiée ».
La conclusion qu'il convient de tirer s'impose d'elle-même car « ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent » et il n'y a rien à attendre d'un régime de Vichy soumis aux influences de la réaction cléricale et patronale, d'une France où « tout ce qui vit du travail des autres, spécule sur les besoins des autres, n'a jamais connu pareille postérité ». C'est ailleurs qu'il faut aller chercher la construction du socialisme et des solidarités nouvelles que la jeunesse appelle de ses vœux. Quand la paix sera rétablie, les jeunes Français devront y être associés mais il s'agit pour cela de participer au combat qui seul donne des droits, « car les faibles et les timorés seront balayés par la vie ».
Le futur Saint-Loup ne se contentera pas d'encourager ses jeunes camarades à s'engager résolument aux côtés du pays qui porte tous ses espoirs de révolution sociale et européenne. Dès la fin de 1941, il annonce son intention d'abandonner ses fonctions à la rédaction du journal La Gerbe pour s'engager lui-même dans la LVF. Parti pour le front russe au printemps 1942, il y sera blessé mais poursuivra la lutte en assurant la réalisation du Combattant Européen puis de Devenir, le journal de la division Charlemagne.
► Jacques Berrel, Le Choc du Mois n°40, mai 1991.
- (1) Les Volontaires, éd. du Trident.
- (2) Marc Augier : J'ai vu l'Allemagne, éd. du Flambeau.
Le prophète des patries charnelles
Marc Augier, alpiniste, motard, baroudeur, entré en littérature sur le tard sous le nom de Saint. Loup, vient de mourir dans sa quatre-vingt troisième année. Il a écrit une bonne trentaine de livres consacrés à la guerre, à la montagne ou à l'automobile. Tous sont placés sous le signe de la vie dangereuse et du combat volontaire.
Qu’il affronte les éléments déchaînés, les meutes de chars d'assaut ennemis ou la solitude hostile des grands espaces, le héros de Saint-Loup est un homme qui tire du plus lointain de son sang la volonté d'aller jusqu'au bout. Cette œuvre, marquée par un retour au paganisme ancestral, possède une force peu commune et une unité profonde. De tous les thèmes que traita cet écrivain-aventurier, le plus significatif et aussi le plus nécessaire reste sans doute celui qu'il nomme « le cycle des patries charnelles ».
S'il y eut un écrivain “engagé”, selon la formule lancée au lendemain de la guerre par des idéologues en pantoufles, ce fut bien Saint-Loup qui se lança, à corps et âme perdus, dans toutes les aventures de son siècle, le sport, la politique, la guerre, et tira ses livres du plus extrême d'une expérience vécue, faisant de chacun d'eux une sorte de manifeste illustrant, par la vie même de ses personnages, sa propre conception du monde, lentement échafaudée au hasard des rencontres et des combats. Il n'eut jamais l'esprit “gens de lettres”, cet écrivain pour qui semble écrite la vieille chanson flamande :
« De cuir est ma peau première
D'acier ma seconde peau... »
Nietzschéen
Il vagabonda au Sahara et en Laponie, il parcourut la Biélorussie quand c'était dangereux et la Patagonie quand ce n'était pas à la mode, il passa des paisibles collines de Haute-Provence à l'enfer de fer et de feu de Berlin écrasé par les “Forteresses volantes” alliées, il fut homme de plein vent et de grand risque. Émergeant du Gotterdämmerung, le crépuscule des dieux, il dédia, plus que jamais, toute son œuvre à l'exaltation du “surhomme”, faisant sienne là volonté de puissance et l'anti-christianisme résolu du vieux Nietzsche, après avoir été le compagnon de Jean Giono au temps des rencontres du Contadour. Lyrique, mystique même, mais organisé et têtu, Saint-Loup ordonna son œuvre avec la rigueur géométrique d'un bâtisseur médiéval.
Cette œuvre comprend une demi-douzaine de romans et de reportages sur la montagne et le ski, une trilogie sur les géants de l'automobile, une dizaine de récits épiques sur la Seconde Guerre mondiale, où il a réussi à conjuguer magnifiquement la poésie et l'histoire, et enfin cette évocation des “patries charnelles” qui sont peut-être ce qu'il apporte de plus original à la famille politique où les événements du dernier conflit l'ont un peu injustement enfermé.
Dans un milieu qui, par irréflexion et par habitude, a toujours confondu les notions différentes de patrie, de nation et d'État, il a le mérite de poser un problème capital, essentiel, incontournable, sans se soucier des réactions que peuvent provoquer quelques siècles de centralisation monarchique, napoléonienne ou jacobine. Écologiste intégral, il estime que la Nature a créé un environnement imprescriptible, minéral, végétal et animal (c'est-à-dire aussi, bien entendu, humain) dont les forêts et les peuples portent témoignage.
Les nouveaux cathares
Ce visionnaire se veut aussi scientifique que littéraire ; s'il se laisse souvent emporter par le torrent de son lyrisme, il défend la cause des ethnies menacées avec la rigueur exigeante d'un matérialisme éclairé. Il est sans doute aussi darwinien que nietzschéen. À l'appui de cette véritable hantise, rendue encore plus aiguë par l'apparition inéluctable de ce que Gobineau appelait « le monde gris », il va se lancer dès 1969, au lendemain de la pseudo-révolution de mai 68, prélude du libéralisme pleurnichard actuel. dans une série de livres consacrés aux nations “minoritaires” et “interdites” en lutte pour leur survie.
Le coup d'envoi fut donné superbement par les Nouveaux Cathares pour Montségur, saga occitane, qui connut un succès indéniable. L'année suivante, il quitta l'hexagone pour le Proche-Orient et publia Le Sang d'Israël. Ce livre fut suivi en 1971 par Pas de pardons pour les Bretons. Il songea alors à des ouvrages sur les Basques, les Corses, les Flamands, les Alsaciens, les Bourguignons, les Normands, mais le temps lui manquait pour ses enquêtes dans les milieux autonomistes. Il craignait aussi un peu de se répéter. Aussi La république du Mont-Blanc, son dernier livre, paru en 1982, termine-t-il la série et nous apparaît aujourd'hui comme une sorte de testament.
S'inspirant très largement des pérégrinations de l'Allemand Otto Rahn, qui avait écrit avant la guerre Croisade contre le Graal et surtout La cour de Lucifer, Saint-Loup donne une interprétation toute personnelle de l'aventure cathare, dans laquelle il décèle l'influence des Wisigoths et la survie de la religion germanique primitive. Dans un Languedoc complètement transposé par le mythe fondateur qu'instaure le romancier, s'affrontent entre 1937 et 1968 des héros qui sont autant de porte-parole de l'auteur. Ses hérétiques se veulent aussi et surtout des patriotes occitans, conscients de posséder une langue, une culture, un esprit fort différents du mode de vie que veulent leur imposer depuis le XIIIe siècle les gens du Nord. Ce livre est celui de la grande revanche contre Simon de Montfort. Il s'inscrit dans le cadre des événements tragiques de la Seconde Guerre mondiale et nous y découvrons de singuliers miliciens, qui ne sont certes pas “catholiques et français toujours”, comme le proclamait naguère un pieux cantique fort tricolore. Leur seul drapeau est le sang et or, brandi autrefois par les seigneurs “toulousains” devenus “faydits” lors de la défaite de leur pays. Leurs héritiers interprètent à leur manière la “révolution” de 68 et ce n'est pas la moindre originalité de Saint-Loup de nous donner une lecture régionaliste, ésotérique et écologiste, d'une prise de conscience qui pour lui ne saurait être parisienne et encore moins cosmopolite.
Le succès de ces Nouveaux cathares pour Montségur - et aussi la mode du temps - poussèrent alors Saint-Loup à écrire Le Sang d'Israël qui semble avoir aujourd'hui quelque peu vieilli. Autant le personnage de Yehuda Preuss, le conquérant juif qui veut bâtir envers et contre tout le Grand Israël, possède beaucoup de force et reste actuel, autant le faible et équivoque Ghaleb préfigure mal la dureté et la longue patience de la résistance palestinienne. Chantre des “patries charnelles”, Saint-Loup n'a pas alors saisi dans sa totalité le drame de 2 peuples irréductiblement opposés sur la même terre, puisque le douloureux problème des territoires occupés n'existait pas quand fut écrit ce livre, où les Israéliens ressemblent fort aux pionniers décrits par Koestler.
La République du Mont-Blanc
Pas de pardons pour les Bretons est un gros bouquin qui mélange hardiment l'histoire du mouvement Breiz Atao, les exploits clandestins de la société secrète Gwen ha Du, l'action du Bezen Perrot et tout un univers de fiction et de légende, d'où émergent les chevaliers de la Table Ronde, l'enchanteur Merlin et les terroristes irlandais du Sinn Fein et de l'IRA venus donner un coup de main à leurs frères armoricains. La découverte de l'univers mental des Bretons par un écrivain sympathisant de la cause autonomiste, mais qui reste un étranger, mi-Auvergnat et mi-Vendéen, apparaît assez révélateur des invisibles frontières qui séparent les peuples de l'hexagone.
La république du Mont-Blanc est sans doute le meilleur livre de la série des patries charnelles car, sur ses vieux jours, marqué par de dures épreuves, contraint au silence par un éditeur qui désapprouvait ses hardiesses imprudentes, Saint-Loup nous a livré le plus exaltant et aussi le plus outrancier de son message. Nous quittons le “reportage” dans les milieux autonomistes, pour tomber dans la science-fiction selon un procédé cher au Jean Raspail du Camp des Saints, au Philippe Gautier de La Toussaint blanche ou au Philippe Randa de Poitiers demain... Cette libre république, c'est celle dont rêvent quelques montagnards originaux et fraternels, qu'ils soient de la Savoie “française”, du Val d'Aoste “italien” ou du Valais “suisse”. Rejetant Paris, Berne et Rome, il finissent par placer la capitale de leur arche de salut au sommet même du Mont-Blanc.
La description du monde moderne qu'ils refusent est d'une rare violence de ton. La Table Ronde a eu un grand courage de publier ce livre quand les Presses de la Cité se récusèrent. Grâces en soit rendues à Roland Laudenbach. Restaurant leur langue commune, le « saxel », ces hommes et ces femmes retrouvent dans un très lointain passé les liens qui unissent leurs communautés montagnardes. Ils sont décidés « à effacer les nations et à en faire ressurgir les patries qu'elles contenaient et emprisonnaient ». Ils veulent aussi affirmer l'origine burgonde, donc germanique, du sang qui coule en leurs veines. La rupture avec la société de consommation ne va pas sans violence, d'autant qu'il est établi une « frontière altimétrique » destinée à isoler tous les hors-la-loi qui refusent le monde de l'argent et du métissage. Ces nostalgiques du duché de Savoie et du royaume de Bourgogne vivent et se battent dans un environnement alpestre que Saint-Loup — dont le meilleur roman s'intitule Face Nord — connaît mieux que personne. Jamais la grandeur tellurique des sommets et des glaciers n'a été décrite avec tant de force.
L'ultime message
[Ci-dessous : couverture du recueil intitulé Rencontres avec Saint-Loup (164 p., 1991, tiré à mille exemplaires numérotés), regroupant 20 textes ou témoignages inédits, dus entre autres à Henri Fenet, Jean Mabire, Robert Dun, Goulven Pennaod, Jean-Jacques Mourreau, Bernard Lugan, Philippe Conrad, Michel Marmin, Jean-Claude Valla et Pierre Vial. La conférence à l'occasion de la sortie de l'ouvrage fut tristement entachée, le 20 avril 1991 à Paris, par l'agression gratuite armée de jeunes nervis se réclamant pro-sionistes, agression qui resta impunie malgré l'arrestation ultérieure de 2 participants et la mort d'une dame âgée après son réveil du coma]
Les hommes libres doivent défendre leur république les armes à la main. Leur seul avenir est en altitude. Tout le livre est le récit d'une montée, d'une ascension à la fois guerrière, familiale, spirituelle. Pour défendre leur identité biologique, ils vont devoir vivre au-dessus de 3.000 mètres. On est alors arrivé au milieu du livre. Et tout bascule dans un récit des temps futurs, revus par Saint-Loup le prophète. Les années défilent sur un rythme haletant. Les « républicains » du Saxel, soumis aux implacables lois de la sélection naturelle, incarnent une nouvelle race chez qui a disparu tout complexe de culpabilité. Ils ont abandonné les refuges pour des igloos. Les jeunes générations ont retrouvé l'homme primordial, d'origine polaire. La communauté, pourtant, s'amenuise, même si ces véritables mutants développent « une morphologie surhumaine ».
Leur destin, ils le trouveront finalement au sommet même du Mont Blanc, à 4.807 mètres, tandis que le reste du monde disparaît sous la neige et la glace d'un brutal changement climatique. Ils ne sont plus qu'une vingtaine de survivants sur le sommet désormais inviolé, devenu temple de la sagesse et de la mort. L'enfant qui vient au soleil, sur le point géodésique le plus élevé d'Europe, inaugure l'ère du Verseau qui verra, sans nul doute, le triomphe de la vie. Tel est. par-delà sa récente disparition, l'ultime message dé Saint-Loup. Ainsi se termine l'œuvre d'un grand visionnaire.
► Henri Landemer, Le Choc du Mois n°37, février 1991.
ILS ONT RÊVÉ DES PATRIES CHARNELLES
Des idées qui nous sont aujourd’hui familières — enfin et heureusement ! — n’ont pas toujours la longue histoire que certains imaginent. Ainsi en est-il de ce qu’on nomme tantôt l’Europe des régions, tantôt l’Europe des Ethnies, tantôt l’Europe des Peuples, tantôt l’Europe des Patries charnelles, toutes notions assez synonymes surgies d’un combat guère plus ancien, celui de l’Europe des Minorités.
Parce que le XIXe siècle avait vu la naissance de l’unité italienne et de l’unité allemande, certains le nommèrent un peu hâtivement le siècle des Nations. C’était aller vite en besogne et y voir un prélude à cette Europe des Nations qui fut le grand échec du XXe siècle. C’était oublier une des grandes lois de la nature, donc de la politique : les réalités vivantes ne sont jamais semblables et on ne peut appeler — comme aujourd’hui — du même nom de “nation” des entités aussi diverses que l’Espagne ou le Luxembourg, pourtant membres l’une et l’autre à part entière de cette communauté Européenne, qui a décidé de se construire sur les États existants, un peu comme en Afrique qui tient encore compte des frontières coloniales et non des réalités tribales.
Dans ce mariage de la carpe et du lapin, le fameux slogan de l’unité dans la diversité — belle formule par elle même — se réduit à un vœu pieux. Comment inclure dans un ensemble une Allemagne fédérale, bien vivante en ses Länder et une France centralisée, prise dans le corset d’un bi-séculaire jacobinisme ? Pour un observateur attentif, la “nation” en Europe se confond rarement avec “l’État”.
L’idée européenne
Il ne faut pas croire que l’idée d’Europe, au cours d’une très longue histoire, se soit confondue avec celle des patries qui la composent. Héritier d’une vieille tradtion “européenne” (où s’étaient déja illustrés ses compatriotes normands Pierre Dubois, le légiste coutançais, Philippe le Bel et l’abée de Saint-Pierre, l’adversaire du Roi-Soleil), Pierre Drieu La Rochelle écrivit en 1931 un essai très justement intitulé l’Europe contre les patries. C’était l’époque du rêve Européen de certains combattants de 14-18, qui mesuraient, avec un Aristide Briand, toutes les folies d’un traité de Versailles ayant crée de nouvelles “patries” aussi monstrueuses que la Tchécoslovaquie ou la Yougoslavie, héritières non du fédéralisme instinctif de l’empire des Hasbourg mais d’une conception “républicaine” et centralisée d’inspiration jacobine.
La plupart des partisans d’une Europe politique ne voyaient pas cette contradiction interne, car ils ne songeaient qu’à l’unification totale du continent, prêts à accepter une hégémonie qui n’était plus espagnole ou autrichienne comme au temps de l’Ancien Régime, ni française comme au Siècle des Lumières et surtout de l’Empire napoléonien mais fatalement, par sa position centrale et son dynamisme. Prussienne, allemande, germanique, cette Europe conduisait, sans le dire, à l’emprise d’une nouvelle hégémonie, celle de la première puissance continentale. On retrouvait finalement le rêve jacobin et bonapartiste.
À l’Europe de Genève d’entre les 2 guerres et à son échec, succédait inévitablement en 1940 la réalité de l’Europe de Berlin. C’est pourquoi il devait séduire tout à la fois des hommes de gauche et des technocrates. Voir à ce sujet le remarquable essai de L’Europe nouvelle de Hitler de Bernard Bruneteau (Le Rocher, 2003).
L’Europe unie des Européens démocrates comme celle des Européens “fascistes” (les guillemets s’imposent) était fatalement une Europe uniforme avant d’être une Europe en uniforme. L’idée européenne que prônaient les nationaux-socialistes au moment de la Croisade contre le Bolchevisme prétendait respecter les anciennes nations. Il ne pouvait rien en être, surtout en pleine guerre totale et le général Vlassov, par exemple, devait connaître bien des malheurs. Il ne fut jamais question d’une Europe fédérale et il fallut attendre 1945 pour que le fédéralisme devînt un peu à la mode.
Le génie de Fouéré
Mais alors d’où vient l’idée de cette Europe des régions dont nous nous réclamons aujourd’hui ? Absolument pas des partisans de l’unité Européenne de l’Entre-Deux-Guerres, à commencer par le fameux comte Goudenhove-Kalergi, né en 1894 à Tokyo de père Autrichien et de mère Japonaise, et pour qui les États-Unis d’Europe de son mouvement paneuropéen, fondé à Vienne en 1922, n’étaient que les États alors existants.
La réaction viendra de la base, c’est-à-dire des militants des “minorités”. C’est au début de l’année 1937 que paraît le premier numéro de la revue Peuples et Frontières, consacré, déjà, au Pays Basque péninsulaire, alors que la Guerre d’Espagne faisait rage et que le franquisme, férocement unitaire, était en train de triompher. Qui était l’animateur de Peuples et Frontières (qui portait le sous-titre de “revue d’information sur les peuples opprimés d’Europe occidentale”) ? Tout simplement le Breton Yann Foueré, né en 1910, qui devait par la suite écrire un superbe livre-manifeste L’Europe aux cent drapeaux (1968) et qui vit toujours à Saint-Brieuc, portant allègrement et combativement ses 94 printemps. Alors que s’affrontaient démocraties et fascismes, nationalismes et internationalismes, droites et gauches, naquit un mouvement précurseur que la Seconde Guerre mondiale ne pourra que totalement fracasser. Mais les 25 numéros de Peuples et frontières n’avaient pas semé en vain.
Le plus européen des penseurs politiques européens, Drieu La Rochelle, avait accueilli, il faut le dire, le mouvement Breton de Breiz Atao par des sarcasmes de Normand (vieille querelle gauloise du Couesnon) dont on trouve un triste témoignage dans un articulet fielleux de la Nouvelle Revue Française. Pendant la guerre, cependant, Drieu fut le seul à entrevoir l’idée d’une Europe fédérale. Il faut lire à ce sujet 2 textes essentiels dans Le Français d’Europe. Le premier fut écrit en 1942 et parut en 1943 dans la revue Deutschland-Frankreich. Il s’intitule « France, Angleterre, Allemagne ». Le second, encore plus significatif, fut publié dans la NRF, en mars 1943, sous le titre « Notes sur la Suisse ». On y voit évoqué le mythe d’une Europe en quelques sorte helvétique qui serait celle des peuples et non des nations. Drieu se suicida. Le Français d’Europe fut pilonné et on n’en parla plus.
Cependant l’esprit de Peuples et Frontières, tel qu’il avait été développé jusqu’à la mi-juin 1939, ne pouvait disparaître. On va le retrouver au lendemain de la guerre, dans le cadre de la revue Fédération et surtout du Mouvement Européen des Régions et Minorités, animé par Joseph Martray, l’ancien bras droit de Yann Foueré, alors “empêché” et exilé en Irlande. Curieux mouvement qui enchanta mes vingt ans. Pour la première fois, on y était intégralement Européen sans renier sa communauté d’origine. On était Européen parce que Breton ou Flamand, Écossais ou Catalan. Je me souviens d’un magnifique congrès à Versailles, ce devait être en 1947 ou 1948. L’amphithéâtre était décoré des blasons de tous les peuples alors “interdits”. De chacun d’eux partait un ruban écarlate rejoignant une vaste couronne de feuillage dominant l’assemblée. Cela avait une allure de solstice des peuples et j’avais passé quelques nuits avec des copains à assurer cette multicolore décoration d’une salle frémisante d’enthousiasme. Un second congrès eut lieue à Leeuwarden, capitale de la Frise occidentale, aux Pays-Bas. j’y étais aussi…
Idée née à la base
[Guy Héraud, fondateur avec Yann Fouéré du Parti fédéraliste européen et théoricien de "l'Europe des ethnies". Aux élections présidentielles de 1974, il obtint le score de 0,07 % des voix, le score le plus faible jamais atteint par un candidat]
Il faut savoir qu’il régnait alors une ambiguïté qui n’a pas totalement disparu : le ton était donné par les “minorités”, souvent à la base linguistique et les “régions” étaient mal reconnues. On n’avait pas trop su où mettre les Normands, puisqu’ils prêchent un dialecte d’oïl ou parlent plus simplement la langue de Malherbe et de Corneille. Etaient donc absents de ces réunions “européennes” les Français, les Allemands, les Anglais, les Italiens, les Espagnols… L’Europe des minorités l’emportait sur l’Europe des peuples ! On devrait par la suite retrouver les mêmes dérives dans les ouvrages du professeur Guy Héraud, qui vient de disparaître en janvier 2004, et dont le beau livre L’Europe des ethnies (1963) souffre de reposer exclusivement sur des critères linguistiques, qui ne devraient pas être les seuls. C’était bien l’avis de mon vieil ami Paul Sérant. L’auteur de La France des minorités (1965) avait pourtant compris que l’Europe devait arborer cent drapeaux (et j’en dénombrais pour ma part trois fois plus, si l’on voulait que toutes les “régions” de la future Euro-Sibérie soient présentes.
Cette idée de l’Europe des Régions n’est pas venu de quelque sommet bruxellois ou strasbourgeois mais de la base. Elle est née de militants enracinés dans leur terroir et non pas de fonctionnaires internationaux pris de l’envie de transformer l’Europe technocratique en un gigantesque puzzle. L’Europe des minoritaires ou des régionalistes, peu importe leur étiquette, a plus d’un demi-siècle d’existence. C’est le serpent de mer qui ressurgit périodiquement. On l’a vue, il y a une vingtaine d’année, s’exprimer à Copenhague par l’organe puissant et rural de Pierre Godefroy, député-maire de Valognes et ancien collaborateur de la revue Viking, un de mes plus vieux campagnons de combat identitaire. C’est à lui que je dois d’avoir connu l’œuvre du grand réformateur Danois Nicolas Grundtvig (1783-1872) et de ses hautes écoles populaires. Ne nous y trompons pas. Tous les “régionalistes” ne sont pas Européens, pas plus que tous les “Européens” ne sont régionalistes. On l’a bien vu avec le livre de Jean Thiriart, Un Empire de 400 millions d’hommes : l’Europe (1964). Nationaliste Européen de l’espèce jacobine et ennemi farouche des mouvements identitaires qui étaient à ses yeux séparatistes, il se voulut chef autoritaire mais, avant même sa mort, il avait sclérosé son propre mouvement par les outrances du caporalisme le plus sectaire. Il est peu d’exemple qu’une aussi grande idée laisse aussi peu de traces dans l’aventure d’une génération malgré quelques admirables militants.
Le prophète
Le vrai prophète de l’Europe des peuples ne fut pas un chef de bande mais un authentique écrivain. Il s’agit de Saint-Loup. On n’a pas assez insisté sur la rupture qu’il peut y avoir entre les idées qui furent les siennes au temps des auberges de jeunesse du Front Populaire ou des Jeunes de L’Europe Nouvelle (JEN) de l’occupation et des idées qu’un tout nouveau public devait découvrir dans quelques-uns des romans du chantre des “patries charnelles”.
Ancien volontaire du Front de l’Est, il avait rompu avec l’idée d’une Europe une-et-indivisble à la mode jacobine, telle que le voyait les dirigeants du Reich national-socialiste. Magnifique romancier à l’imagination fertile, Marc Augier avait de la vérité historique une vision qui rejoignait celle d’un alexandre Dumas : il inventa littéralement une Europe des “patries charnelles”, dont il attribua la paternité aux éléments oppositionels de la SS et dont il publia la carte dans son récit historique Les SS de la Toison d’or (1975). Sous le titre de « l’Europe des Ethnies » figure ainsi un projet dont il prétendait qu’il était tiré « des cartes ébauchées par le clan non pangermaniste de la Waffen SS », dans lequel chaque province d’Europe « recevait son autonomie culturelle totale et restait dépendante de la fédération pour l’économe, la politique étrangère et la défense ».
En attribuant à la SS un découpage en contradiction formelle avec le vieux projet pangermaniste d’une seul empire de la Norvège à la Flandre et au Tyrol à l’Estonie, l’écrivain fondait un mythe gigantesque, encore présent au XXIe siècle. Mais il l’enfermait dans une dangereuse nostalgie en l’accouplant à une incapacitante diabolisation. Lier l’Europe des peuples au combat crépusculaire du IIIe Reich ne sert pas cette cause qui repose sur un évident contresens historique. Sous cet aspect, un homme comme Jean Thiriart, qui fut dans sa prime jeunesse membre de l’association culturelle wallonne AGRA (Amis du Grand Reich Allemand) était plus “dans la ligne” hitlérienne que le sergent Marc Augier de la LVF !
Il n’est pas besoin de chercher de tels parrainages enfouis dans les cendres de l’Histoire. Transformer en fédéral un vieux rêve unitaire n’en est pas moins une belle trouvaille. Saint-Loup aura beaucoup fait pour que l’idée de l’Europe des Ethnies (ou des Régions ou des Peuples) ait abouti à remplacer chez beaucoup de jeunes, le mot nationaliste par le terme identitaire. Les romans du Cycle des Patries charnelles, comme Nouveaux Cathares pour Montségur ou Plus de pardons pour les Bretons, sont l’œuvre d’un prodigieux éveilleur. Ces récits, où l’imagination transfigure la réalité historique, ne sont pas les témoignages d’une nostalgie du passé mais le fondements d’une vision de l’avenir.
Et pourquoi n’existerait-il pas contre l’Europe jacobine , une Europe romanesque ?
► Jean Mabire, Réfléchir & Agir n°17, 2000.
Carte de l'Europe des ethnies, in : Les SS de la Toison d'Or, Flamands et Wallons au combat 1941-1945, Presses de la Cité, 1975
Vers une Europe des patries charnelles ?
Péguy trouva cette admirable définition et personne n'eut l'idée de l'accuser de racisme. L'honnête homme, en ce temps-là, ne s'effaçait pas encore devant les dialecticiens qui, manipulés par les sectes, les partis politiques, les loges, les syndicats, sont arrivés à dévitaliser le mot lui-même qui, maintenant, désigne aussi bien un CRS frappeur qu'un patron refusant une prime de farniente à son personnel, alors que le racisme n'est qu'une prise de conscience de la différenciation raciale. Il n'implique en aucune manière la volonté d'opprimer ou détruire une race sous prétexte qu'elle présente des caractères différents de la nôtre. Bien au contraire ! Nous sommes racistes pour les Noirs autant que pour les Ariens et les Juifs. Pour reprendre en le transformant quelque peu un slogan qui fit fortune : “Nous sommes tous des Israéliens” ! Car pour nous, les SS, comme pour les Sabras, le ventre de la mère détient le privilège de définir, en la produisant, une race d'hommes, au même titre que celui de la louve définissant l'espèce des loups qui ne sont pas des chiens. Si elle commet le péché qui sera un jour reconnu comme le véritable péché originel en s'accouplant avec un chien, ses descendants ne seront plus tout à fait des loups et pas tout à fait des chiens. Les lois qui régissent l'évolution de l'homme et celle des animaux sont exactement les mêmes.
À la base de l'Europe dont nous restons les porteurs lucides, apparaît donc la notion raciale dans toute la mesure où un millénaire d'obscurantisme ne l'a pas diluée dans l’indifférenciation biologique du “monde gris” qui se prépare. Le second impératif qui s'impose à l'Europe s'appelle la notion de territoire. C'est la plus puissante de toutes celles qui conditionnent le comportement des hommes et des animaux. Konrad Lorenz et Hardrey l'ont démontré et Heinz Heidiger a dit : « L'histoire du territorialisme dans le règne animal est le premier chapitre de l'histoire de la propriété dans l'espèce humaine ». Le rouge-gorge qui sautille dans votre jardin se trouve sur son territoire et ne le partage pas avec d'autres, sauf sa femelle. Ce même jardin, ou ce parc, ou ce domaine, est aussi votre territoire. L'instinct du lieu d'origine se rattache directement à celui du territoire, celui de la procréation également. Les saumons traversent les océans pour venir frayer dans le fleuve où ils sont nés et y mourir d'épuisement. Méconnaître cet instinct que la philo-genèse a ancré profondément dans toutes les espèces de vertébrés, hommes compris, aboutit aux aberrations politiques et sociales débouchant sur le communisme. Or, l'homme communiste ne possédant plus de territoire personnel, a cessé d'aimer la terre et de la cultiver, plaçant ainsi l'URSS au bord de la famine. En pays communiste, c'est aussi la grisaille de la vie, l'apathie du prolétaire qui, moins heureux que les bêtes, ne possède plus une parcelle de terre bien à lui. Mais l'évolution actuelle des pays dits capitalistes aboutit au même résultat. Bien nourris cependant, les mains pleines d'objets dits de consommation, les hommes de l'Occident déracinés végètent dans les 60 mètres carrés de leurs appartements HLM, tristes, hargneux, prêts à casser n'importe quoi, molester n'importe qui, parce qu'ils ne possèdent plus l'espace réclamé par leur instinct animal.
L'Europe doit donc être repensée à partir de la notion biologiquement fondée du sang, donc des races, et des impératifs telluriques, donc du sol. Voilà quel est le contenu des “patries charnelles”. Il ne peut exister que de petites patries charnelles nourries de cette double force. En effet, plus l'espace unifié s'étend, plus la réalité raciale se dilue par mélange et plus le territoire échappe à la propriété de l'individu au profit du groupe. En gros, nous devrons choisir entre l’URSS et la Bretagne, le destin continental ou le destin régional. La grenouille peut bien se faire aussi grosse que le bœuf et en crever, mais elle peut aussi rester grenouille. C’est là que je me sépare de mes nombreux amis nationalistes, tout en partageant beaucoup de leurs opinions de base. C'est là que je me sépare de mes nombreux amis catholiques tout en partageant aussi une bonne partie de leur morale. Car la France qui portait dignement ce nom, celle des rois, qui représenta la plus brillante réussite de toute l'histoire de l’Occident, s'est suicidée en assassinant Louis XVI et ne renaîtra plus. Elle achèvera de disparaître dans un continent soviétisé, entraînant avec elle la disparition des noyaux qui firent sa force, les Germains, les Celtes, et les Alpins.
La SS pourrait aujourd'hui, comme il y a 30 ans, sauver l'Europe, mais elle n'existe plus au plan temporel. Comme je l'ai montré dans mon dernier livre Les SS de la Toison d'Or, elle avait en 1944, galvanisé tout ce qui restait de vrais guerriers et de penseurs audacieux sur le vieux continent. Porteuse de la plus antique croix du monde, descendue du Nord avec les Aryens primitifs, la Waffen SS n'était plus allemande au sens restreint et nationaliste du terme. Elle était européenne et en humeur de ressusciter les valeurs de base du sang et du sol. Au Centre d'Études de Hildesheim, au monastère SS “Haus Germania”, nous avions dressé la carte des “patries charnelles” que nous prétendions faire reconnaître par notre combat et imposer aux pangermanistes qui ne nous suivaient pas — et il y en avait — avec l'appui des armes que nous aurions, si nécessaire, conservées au~delà d'une victoire militaire. C'était une Europe racialement fondée et dénationalisée. Je la considère comme parfaitement valable aujourd'hui car, aujourd'hui comme hier, les Bretons ne sont pas des Niçois, les Basques des Andalous, les Bavarois des Prussiens, les Corses des Picards et les Piémontais des Siciliens ! Nous disions : chacun chez soi et les vaches seront bien gardées. Mais gardées par la SS, bien entendu, car la masse reste incapable de s'autogérer. Car nous étions les libérateurs des ethnies prisonnières des nations, les porteurs de croix d'une nouvelle religion qui enseignait ceci : L'homme n'a pas été créé à l’image de Dieu mais doit se soumettre à l’évolution que Dieu dirige depuis six cents millions d'années car, seule elle nous permettra de découvrir un jour son image à travers le surhumain conquis et non octroyé.
De toute manière, les nations historiquement fondées sont condamnées. Elles ont fait leur temps et coûté trop de sang pur. Exemple : le vent tourne aujourd'hui au mariage d'amour entre la France et l’Allemagne ? Apparence seulement que sous-tendent les grands intérêts économiques. Il n'y aura jamais de véritable entente franco~allemande. Le contentieux historique entre les 2 nations est trop lourd. Mais entre la Bretagne et la Bavière il n'existe pas de contentieux historique. La SS voulait sauver les ethnies à dominance raciale encore évidente, leur donner la souveraineté culturelle, c'est-à-dire un niveau supérieur de liberté, les laisser s'administrer selon les us et coutumes du lieu. La France disparaissait. Mais l’Allemagne aussi ! L'Europe se diversifiait, donc retrouvait son génie et reprenait son évolution ascendante car l'évolution réside dans une diversification de plus en plus accentuée.
Fédérées, toutes ces provinces s'effaçaient devant la collectivisation des moyens de défense et de l’économie. Cinquante millions de Waffen SS commandés par l’élite raciale du continent tenaient facilement en respect les 2 milliards d'Asiates et d'Africains qui fatalement, vont nous donner l’assaut au cours du siècle prochain. L'économie qui, elle, ne pouvait être “régionalisée” aurait été planifiée car on ne voit pas une 5 CV Renault conçue selon une technique basque, entrant sur la chaîne selon une méthode poméranienne et recevant une finition scandinave. Problème mineur. Depuis l'âge des cavernes l'homme reste en mesure de se donner l'économie qui lui plaît et il n'est d'autre richesse que d'hommes. Avec ceux des patries charnelles, pris en main par les porteurs de la nouvelle croix, l'Europe redevenait l'objet d'admiration, d'envie et de crainte salutaire qu'elle inspira au monde entier pendant mille ans. En luttant à contre-courant, de 1939 à 1945, les Européens ont perdu cette chance qui, peut-être, aura été la dernière.
Aujourd'hui cependant, la tendance centrifuge des ethnies qu'oppriment les nations est plus accusée que voici 30 ans. L'espace germanique constitue une république fédérale où Munich ne dépend pas de Hambourg comme Nice ou Bordeaux de Paris. Si un référendum populaire posait aux Piémontais, Bergamasques, Vénitiens, Lombards, la question : « préférez-vous un régime d'autonomie à la domination républicaine de Rome ? », les “OUI” représenteraient 80 % des réponses et, déjà, le Val d'Aoste, le Sud Tyrol, la Sicile, ont gagné leur indépendance culturelle. Les Flamands désirent se séparer des Wallons et de l'État royal belge. Et si Franco avait donné l'autonomie aux Basques et aux Catalans, il aurait empêché les marxistes de se faire leurs porte-parole.
L'Europe ancienne sera fatalement contrainte de rendre leur liberté à ses ethnies ou de les décimer. Car on ne voit pas qui, dans l'immédiat, pourrait détenir les moyens de fédérer ces “patries charnelles”. La liberté par le suffrage universel ? C'est le chaos, la lutte à couteau tiré pour délimiter les zones d'influences respectives; adopter une langue communautaire complétant les langues régionales (quelle bagarre entre le Français, l'Anglais et l'Allemand ! ). Le marché commun peut-il devenir autre chose qu'une affaire de gros sous jouant au profit de quelques puissances internationales ? Les Loges qui pourraient trouver dans cette libération des peuples un idéal humaniste n'oseraient la promouvoir. Alors, qui ? Mais peut-être les Russes, Messieurs ! N'oubliez pas que l'URSS est dotée d'une constitution fédérale qui sert de drapeau à la dictature raciste des Grands Russes Moscovites ! Alors, un continent de peuples fédérés de Gibraltar à Vladivostock ? Avec un Czar fédérateur et communiste comme le grand Staline ? Après tout, pourquoi pas, puisque une partie de l'Europe a craché sur le prophète que les dieux lui avaient envoyé et qui était tout de même “bien de chez nous” ? Mais il faudra payer !
► Saint-Loup, Défense de l'Occident n°136, mars 1976.
Saint-Loup “revisité”
Le terme d’éveilleur de peuple rassemble une vaste armée dont aucun des volontaires ne porte tout à fait le même uniforme ni ne parle le même langage. Pourtant, Saint-Loup en est. Incontestablement. Éveilleur ? Sans nul doute et on ne compte plus tous ceux dont ses livres ont dangereusement transforme la vie. De peuple ? Celui qu’il imagina et ressuscita était tout à la fois très concret et très abstrait. Il ne portait pas le nom d’une province ou d’une nation, ni même d'un continent. C’était une idée, une idée magnifique, à laquelle il avait donne le nom de « patrie charnelle » et où chacun pouvait retrouver et servir son bien le plus précieux. C’est à dire sa terre et son peuple. Si les livres de Saint-Loup ont donne le signal d’une révolution, c’est sans doute parce que — le premier — il a contribué à substituer au vieux terme “nationalisme” un concept infiniment plus moderne et plus porteur : “identitaire”. Révolution d’autant plus sensible qu’il n’a jamais pris la peine de s’expliquer sur cette transformation, qui pourtant coulait de source, comme un ruisseau aigrelet au cœur de la forêt enchantée.
Une quinzaine d’années après sa mort — le 16 décembre 1990 — il est temps de prendre à nouveau la véritable mesure de celui dont nous célébrerons le centenaire le 19 mars 2008. Un peu de patience. Viendra dans 3 ans cette cérémonie que nous voulons à son image placée sous le signe du grand espoir et du petit nombre. Car Saint-Loup n’est pas un personnage public et encore moins médiatique. Il n’est pas non plus le “gourou” de quelque secte. Aucun autre terme ne convient mieux à ce montagnard emblématique que celui de “guide”.
Il reste, à jamais, l’homme des vents et des sommets. Certes, il ne s’éloigne pas. Mais de plus en plus nombreux sont ceux qui ne l’ont pas connu, avec son visage burine de skieur et de motard, ses indociles cheveux de neige, sa pipe à l’insupportable odeur et surtout ce regard bleu clair qui semblait toujours fixe, au-delà de son interlocuteur, sur quelque lointain royaume invisible du commun. Il faut le dire, son vieux maître Alphonse de Châteaubriant (dont il se moquait parfois un peu en l’appelant « le Burgrave ») l’avait marque au fer rouge. Saint-Loup portait sur son front un tatouage de feu, pénétrant jusqu’à un cerveau dont les circonvolutions évoquaient les plus insolites sentiers du Val Sans Retour.
Il aurait pu être Breton, en un pays ou il n’aurait certes pas étonné. Il était tout simplement fils d’un père charentais ou vendéen et d’une mère auvergnate. Il naquit à Bordeaux sans être girondin (si ce ne sera, par la suite, politiquement, dans le sens d’anti-jacobin). Il aura au moins une chance : le côté maternel de la famille étant catholique et le côté paternel protestant, le jeune Marc échappera au baptême et ne pourra se targuer de quelque influence évangélique, contagieuse comme une maladie d’enfance.
Pensionnaire à 12 ans au lycée de Bordeaux, bachelier à 18, il rêve de piloter un avion mais devra se contenter d’une moto. Dès ses 20 ans, il devient l’homme des grands raids sur 2 roues. Il est dommage que l’on sache peu de chose de cette époque de sa vie, si ce n’est le calendrier de quelques expéditions lointaines. L’important est qu’il fut un homme qui ait vécu l’aventure avant de l’écrire. Ce sera une constante de toute sa vie. Chez lui, aucun hiatus entre la pensée et l’action. Et la politique ? Lors du Front Populaire, à 28 ans, il est chargé de mission auprès de Léo Lagrange, secrétaire d’État à la Jeunesse et aux Sports. Il s’enthousiasme pour les Auberges de Jeunesse et le fait qu’elles soient une création d’origine germanique ne le gêne en rien. Il est déjà internationaliste et, bien entendu, pacifiste.
À 30 ans, il se rend à New York pour un congrès où il découvre avec effroi le bellicisme des antifascistes obsessionnels. La lecture de La gerbe des forces de Châteaubriant fera le reste. S’y ajoutent les livres de Jean Giono. Le voici aux rencontres du Contadour. À la veille de la guerre, comme sentant venir l’orage, il veut dire adieu au monde ancien au cours d’un Solstice d'hiver en Laponie, suivi d’un séjour en Grèce. Après le Grand Nord, le Grand Sud. L’Europe qu’il découvre et qu’il aime est celle des extrêmes et des sommets, à commencer par la Jungfrau (4.166 m.).
L’armistice venu, on le retrouve à La Gerbe de Châteaubriant. Journaliste, certes, mais déjà hanté par l’idée de devenir le guide que suivront quelques adolescents désorientés par la défaite et l’occupation. Il fonde le mouvement des Jeunes pour l’Europe Nouvelle, prenant déjà ses distances avec les partis gaulois qui se disputent une juvénile clientèle. Et comme il n’aime pas envoyer les autres au casse-pipe sans y aller lui-même, il partira sur le front de l’Est comme sergent de la LVF, histoire de prendre ses distances avec les planqués de la collaboration parisienne. La suite, on la connaît : la sortie en 1945 par les sommets du Val d’Aoste pour rejoindre l’Argentine et le retour en 1953, où il manque de peu le Goncourt. Pour une fois qu’on aurait pu couronner un authentique aventurier !
Ceux qui veulent en savoir davantage devront essayer de se procurer l’introuvable témoignage d’une vingtaine de ses amis publiant en 1991 Rencontres avec Saint-Loup. Et puis il y a le livre de Jérôme Moreau Sous le signe de la roue solaire (Æncre, 2002) auquel vient de s’ajouter l’essai de son ami boer Myron Kok Tel que Dieu nous a voulus. Quant à revenir à ses livres, nous avons le choix. On en compte une trentaine, dont aucun n’est inutile à une âme bien née. Car notre “guide” est aussi, tout naturellement, un éducateur. Ses ouvrages appartiennent à cette catégorie littéraire bien ciblée qui bénéficiait, de l’autre côté du Rhin, d’un label un peu insolite mais encourageant : « pour la jeunesse et pour le peuple ». Propagande ? Pas plus et pas moins que le grand Corneille que l’on étudiait dans les classes et que jouait Jean Vilar à Avignon.
Le “héros” de Saint-Loup n’est pas un être simple, estampillé par le Parti, l’Église ou l’État. C’est au contraire, toujours, l’homme d’un conflit ; il doit tout à la fois affronter son destin et choisir sa route. Dans la solitude et le silence des sommets et des combats. On peut craindre que ce côté “rude école” nietzschéenne soit peu sensible aux lecteurs qui demandent des certitudes c’est à dire du prêt à porter intellectuel et dont l’effort ne va souvent pas plus loin que de tourner les pages. Ce qui est étrange chez Saint-Loup, c’est cette grande partie de son public qui n’est pas toujours digne de lui, faute de réflexion, d’épreuves et tout simplement de volonté. Dans ce sens, il n’est pas un auteur facile comme croient ceux qui s’en tiennent aux décors et aux attitudes. D’autres avant lui ont connu cette méprise de ceux qui remplacent les leçons d’énergie par leur seul plaisir et leur seule faiblesse. Malraux ou Giono ont provoqué de telles trahisons.
Sur la fin de sa vie, après trois quarts de siècle bien remplis, il cédait un peu à la facilité de se savoir admiré sans se soucier de la qualité humaine de ses admirateurs. Il était devenu indulgent à ses amis et à ceux qui se disaient tels, ayant un peu perdu ce que Jean Turlais, son cadet, nommait la « vertu d’exigence ». Il nous reste ses livres. Cela vaut mieux que de partager nos souvenirs, qui sont, toujours, du passé. Les livres, eux, sont le présent et même l’avenir. Surtout l’avenir. Car il est banal de dire que Saint-Loup était une sorte de prophète. Les livres, donc. Pour en parler, point n’est besoin de respecter l’ordre chronologique de leur parution. J’ai toujours cru que Les copains de la belle étoile, qui date de 1942 et où revivait l’aventure des Auberges de Jeunesse contenait déjà TOUT de l’univers du futur Saint-Loup qui ne s’appelait encore que Marc Augier. Y sont déjà présents les grands thèmes auxquels il restera toujours fidèle : la moto, la montagne, le paganisme, l’amitié. Et l’omniprésence de toutes les forces telluriques, dont l’actuelle écologie n’est qu’un pâle reflet. Ce livre de l’avant-guerre peut se lire dans l’après-guerre. Preuve que Saint-Loup n’est pas l’homme d’une époque mais d’une vision du monde. Et qu’il fut profondément fidèle à l’objurgation de Kipling :
Si tu peux rencontrer
Triomphe après Défaite
Et recevoir ces deux menteurs
D’un même front.
Est-il possible de classer ses livres de façon à aider ceux qui aujourd’hui voudraient venir à sa rencontre ? Ce sont, incontestablement, ses récits de guerre qui ont entraîné les autres. Les titres sont restés célèbres : Les Volontaires ; Les Hérétiques ; Les Nostalgiques, auxquels s’ajoutent leurs camarades de combat espagnols, flamands, wallons ou afrikaners, sans compter l’étrange Sergent Karacho. Au-delà de l’Histoire, il a retrouvé le Mythe. Et c’est le principal. C’est là une totale innovation, beaucoup plus puissante et même fondatrice que la véridique description des paysages, des événements, des personnages. En ce sens son héros Le Fauconnier est emblématique, même s’il n'est pas nécessaire de croire qu’il a vraiment existé. Il m’est arrivé d’interroger après lui des acteurs et des témoins. Cela m’a donné l’occasion de découvrir à quel point il savait créer une vérité qui était la sienne, beaucoup plus exaltante qu’un Journal de marche et d’opérations. S’il fallait choisir le meilleur de ces livres, je mettrais sans nul doute en premier Les Volontaires car on y retrouve le reflet de ce que fut sa propre expérience au temps des Partisans.
Passons sur ses ouvrages consacrés aux géants de l’automobile : Renault de Billancourt, Marius Berliet l’inflexible, Dix millions de coccinelles. C’est du bon, très bon reportage par un homme aussi à l’aise au volant d’un bolide que devant sa machine à écrire. Reportages aussi Le ciel n’a pas voulu, La mer n’a pas voulu et surtout La montagne n’a pas voulu. Dans ce dernier livre, nous ouvrons les portes de son univers le plus exaltant et le plus personnel. Plus encore qu’un écrivain guerrier, il a été un poète montagnard : Monts pacifiques, Montagne sans Dieu et surtout Face Nord, qui restera peut-être son meilleur livre, moins ambitieux mais encore plus dur et plus vrai que La nuit commence au cap Horn, pourtant digne des maîtres anglo-saxons du genre, Melville, London, Conrad.
La peau de l’aurochs n’a pas eu le public qu’il méritait. Il date de 1954. Un demi-siècle ! Ceux qui l’ont aimé en gardent un souvenir inoubliable. Il y a bien sûr le fameux cycle des patries chamelles où je ne suis pas certain qu’il ait été à la hauteur de ses intentions. Certes, il commence très fort avec Nouveau cathares pour Montségur, où son enthousiasme ferait oublier que ces “parfaits” étaient justement les pires des chrétiens malgré les fantasmagories de ce pauvre Otto Rahn. Plus de pardons pour les Bretons est assez insupportable à qui est un peu familier du trio historique Mordrel – Debauvais - Laine. Pas commode de réussir un roman historique contemporain et on peut préférer sur le même sujet La prison maritime de Michel Mohrt.
Il préparait d’autres voyages à travers ces fameuses patries chamelles et avait interrogé des Corses, des Alsaciens, des Normands. La trouvaille géniale était dans l’intention, même si ce cycle ambitieux risquait d’atteindre les sommets de l’impossible et de l’inutile. Il lui fallait aller plus loin. Et ce furent les 2 réussites, incontestables à mes yeux, d’Une moto pour Barbara, ce roman de l’éternelle jeunesse dangereuse, et surtout La République du Mont Blanc, ou la « patrie chamelle » devient surréelle à force d’être irréelle. En 1982, à près de 75 ans, il a inventé une histoire admirable de dureté et de pureté, où la haute montagne devient non plus décor mais voie. Voie vers la sagesse suprême, celle qui procède de la neige et de la glace, du soleil et des étoiles. La Table Ronde qui le publia alors avait compris que ce Brocéliande des sommets pouvait devenir le haut-lieu de notre Europe à jamais couleur d’edelweiss.
► Jean Mabire, Terre & Peuple n°22, hiver 2004.
LA NUIT COMMENCE AU CAP HORN
Pendant toute notre jeunesse nous avons cherché les routes difficiles. Nous vagabondions près des pôles où les dernières taches blanches de la carte du monde flottent comme des icebergs sur le bleu pâle des atlas et des mers froides. Nous suivions les chiens de traîneau, en Alaska, avec les héros de Jack London et nous nous perdions, corps et biens, au large de l’Islande sur le Pourquoi-Pas du commandant Charcot. Nous vivions avec Byrd, Nobile, Scott et Amundsen. Et nous pleurions de rage sur les vieilles gravures de nos livres de prix parce que les grands trois-mâts pourrissaient dans les bassins et que nous ne doublerions jamais le Cap Horn à la voile.
En doublant le Cap Horn, les marins d’autrefois avaient connu le « courage et ce qui est au delà du courage, la joie et la peur tout ensemble. Les vagues étaient si hautes et la brume si épaisse que l’on ne voyait même plus les falaises couvertes de neige et ces rochers où se déchiraient les navires de Hambourg, de Liverpool et de Bordeaux... Il y avait eu autrefois des hommes sur ces îlots. Ils nous étaient plus étrangers que ceux de la préhistoire. Pilotins sur les goélettes de nos songes, nous n’avions d’yeux que pour nos capitaines et nos matelots. C’étaient nos grands frères, des hommes de nos rivages. Ils parlaient flamand, breton ou basque, comme les pêcheurs des petits ports où nous passions nos vacances.
En 1953, j’ai brutalement senti, en tournant les pages de La nuit commence au Cap Horn, la morsure du sel, le sifflement du vent, et ce vertige de la solitude dans le grand silence blanc, quand rien ne semble survivre à l’interminable crépuscule polaire. Voici un de ces livres inoubliables qui nous entraînent à jamais dans un autre univers. Et cet univers est le nôtre, à des milliers et des milliers de kilomètres de nos rivages tempérés. Chassés de nos rues et de nos plages par les petits intellectuels fragiles, par leur vice pauvre, par leur amour immodéré des prolétaires et du whisky, par leur snobisme social, nous ne savions plus dans quel exil se trouvaient les vrais écrivains. André Malraux ne faisait plus dialoguer que le silence et Montherlant se masquait de bronze romain. Il nous restait le scoutisme littéraire de Brasillach et de Saint-Exupéry. Parfois, nous suivions les Hussards dans leurs chevauchées mais ils n’avaient pas le souffle des cavaliers du Hedjaz et de l’Arizona. Pour respirer l’air du large, nous nous réfugions au cinéma.
Et puis il y eut Saint-Loup. Quel ouragan ! C’est d’abord ce que j’ai vu dans ce livre : un souffle qui venait d’un autre monde, à l’autre bout de la terre. Et ce monde était notre monde, celui de la volonté de puissance et de l’esprit de sacrifice, celui des hommes qui choisissent leur aventure et se donnent jusqu’à la mort à un héros qu’ils portent au fond de leur cœur et qui n’a pas d'autre nom qu’eux-mêmes. Le bouquin de Saint-Loup tranchait dans l’arbre mort de la littérature comme une hache.
Il ne s’agissait plus de juger cet homme selon les règles habituelles de la critique. Enfin nous étions au-delà de l’écriture, dans une aube incertaine où allait se lever un jour déchirant. En lisant La nuit commence au Cap Horn, nous avions l’impression de remonter à la surface, vers la lumière et le soleil, comme ces plongeurs qui lentement surgissent des ténèbres marins. Je ne devais pas être le seul à me faire emporter par ce livre. Les spécialistes eux-mêmes avaient le souffle coupé. Et c’est la course aux prix...
Francis Carco lance le bouquin sur la table des Goncourt. Très vite, il gagne la moitié des voix. Colette téléphone même au directeur littéraire des éditions Plon pour lui dire que c’était gagné et que La nuit commence au Cap Horn serait le Prix Goncourt 1953.
Mais Le Figaro Littéraire (et Immobilier) publie un écho révélant que Saint-Loup n’est autre que Marc Augier, ancien animateur des auberges de jeunesse, rédacteur en chef de La Gerbe de Châteaubriant, combattant volontaire du Front de l’Est et condamné à mort par contumace. Un policier s’en va recopier le dossier au Tribunal Militaire et le communique à Roland Dorgelès : Et le prix Goncourt est attribué à Pierre Gascar pour Le temps des morts.
Douze ans plus tard, personne ne songe plus à ce lauréat de circonstance. Les Presses de la Cité par contre viennent de faire reparaître La nuit commence au Cap Horn. Le livre de Saint-Loup ne sera certes pas repêché pour le Goncourt 1965. Mais il va avoir des dizaines de milliers de lecteurs. En tirant sur sa pipe, Saint-Loup évoque cette année 1948 où il profita de son poste de conseiller technique des questions de montagne dans l’armée argentine pour partir à la découverte du Chili austral :
Chez les Pères salésiens de Magellan, j’ai compris pourquoi les peuplades indigènes avaient disparu : on avait voulu les faire vivre dans un cadre qui n’était pas le leur. C’était un véritable génocide. Les missionnaires qui avaient évangélisé ces tribus avaient voulu transgresser la loi qui fait les hommes différents.
Il se lève, me montre les photographies de montagnes balayées par le vent :
— On ne triche pas avec la loi du 55°parallèle sud. La véritable liberté, c’est de respecter la nature. Vouloir déformer les pays et les hommes est le pire des crimes.
— Et votre livre ?
— Je l'ai écrit pendant l’hiver de 1950-51 en Italie, à Courmayeur. Il neigeait presque tous les jours. Je n’avais pas quitté le Cap Horn...
Ce roman écrit après tant d’aventures, c’est du meilleur Saint-Loup. On devine à chaque page l’homme d’action. Aviateur qui a cassé du bois et motocycliste qui a dévoré des kilomètres, skieur en Laponie et guerrier en Ukraine, alpiniste, explorateur, cavalier. Un homme tout d'une pièce, écrivain, montagnard, historien, voyageur. Et, avec lui, nous suivons, pas à pas et jour par jour, le pasteur Duncan Mac Isaac. Il y a cent ans ce missionnaire méthodiste va tenter l’impossible en voulant convertir au christianisme les Indiens de la Terre de Feu. Il veut nier le réel, oubliant que les hommes sont déterminés par leur race avant de l’être par leur religion. Et en voulant sauver les âmes, il va détruire plusieurs tribus. Ce roman est le plus grand réquisitoire contre le colonialisme...
La nuit commence au Cap Horn qui décrit l’agonie d’une race, se trouve dans la droite ligne du réalisme biologique mais il ne correspond guère à l’idée que les anti-racistes se font du racisme. Ils seront bien en peine d’y découvrir la moindre “apologie du crime”. Bien au contraire, Saint-Loup démontre — et avec quel souffle épique — que c’est l’universalisme qui est un crime, la religion un mirage et que la véritable liberté, pour chaque homme et pour chaque peuple, c'est d’abord le droit d’être soi-même.
► Jean Mabire, Europe-Action n°35, nov. 1965.
Saint-Loup et l'Allemagne : esquisse d'un regard
« Je ne dis peut-être pas toute la vérité, car, toute la vérité sur l'Allemagne, cela dépasse mes connaissances et mes facultés, mais je ne dis rien que la vérité… Sous la foi du serment » (Saint-Loup, préface de J'ai vu l'Allemagne, Sorlot, 1941)
Tous les férus d'identité, tous ceux qui se sont intéressés aux patries charnelles, à l'aventure humaine du XXe siècle, à la croisade des soldats européens perdus dans les steppes de Russie, connaissent, ou à tout le moins ont entendu parler, de Saint-Loup. Écrivain incontournable qu'il faut lire pour le plaisir et pour l'instruction. Nombreux sont ceux qui ont glosé sur l'écrivain et un grand nombre d'articles et d'ouvrages de qualité ont été écrits à son propos (1). Notre volonté n'est pas de rédiger une énième analyse mais bien de vous inviter à découvrir la vision de l'Allemagne que nous a léguée Saint-Loup.
Premiers contacts
C'est en 1929 que Marc Augier, dit Saint-Loup, rencontra pour la première fois l'Allemagne, à l'occasion d'une randonnée à moto (l'une de ses grandes passions). Il fut invité par des jeunes, soucieux de partager une fête, avec ce Français reconnu grâce à l'immatriculation de sa machine. Il en garda un amour profond, transformé d'abord en pacifisme ardent lors de l'avant-guerre, puis, après avoir choisi le camp de l'anticommunisme, en défenseur de l'Europe des ethnies sous le signe des runes de la victoire. Saint-Loup fut de ces intellectuels qui mirent leur peau au bout de leurs idées et il partit, parmi les premiers, se battre au sein de la LVF (Légion des Volontaires Français contre le Bolchevisme). Il traita longuement de cette aventure dans sa célèbre trilogie (Les Volontaires, Les Hérétiques, Les Nostalgiques). L'aventure guerrière lui permit d'accéder, en raison de son statut d'écrivain déjà reconnu à l'époque, à une vision beaucoup plus européenne de l'Allemagne.
Hildesheim
L'expérience du front fut pour lui une révélation en ce sens qu'il prit résolument position à l'encontre de toute vision pangermaniste du combat : « Nous ne voulons pas plus être germanisés que russifiés. Nous voulons rester nous-mêmes, avec notre héritage national ». Toutefois, dès 1943, il fut affecté à Hildesheim (“le monastère des hommes en noirs”), chargé comme officier des Waffen-SS, de diriger le journal de la division Charlemagne. Un journal au titre évocateur puisqu'il fut appelé… Devenir. Nous ne renions ni ne revendiquons aucune filiation. Il s'agit de 2 époques différentes, de 2 vecteurs différents mais il est indéniable que, sans s'étendre sur l'aspect purement militaire de ce “journal de combat de la communauté européenne” (dénomination officielle de cette publication), nous respectons la démarche fédéraliste identitaire promulguée, dès 1944, dans les colonnes de notre homonyme. La description d'Hildesheim fait certainement partie des “bijoux” qui parsèment l'œuvre de Saint-Loup. Il l'évoque abondamment dans Götterdämmerung [Le crépuscule des Dieux] (Art et Histoire d'Europe, 1986) et ceci nous donne un véritable parfum de ce que nous espérons de l'Allemagne : rigueur, profondeur, calme, romantisme et beauté.
Morceau choisi : « Ces rues gothiques me rajeunissent de neuf siècles (…). Carrefours intimes, rues qui ouvrent leurs tranchées dans le XIIIe siècle, nous arrivons enfin après avoir traversé un dédale de “truies qui filent”, de “chats qui pêchent” — oh la belle internationale des auberges sur la route de Compostelle ! — de fontaines silencieuses et taries, de portes closes sur des bonheurs inconnus… Étonnante Allemagne où rien n'a changé malgré les Panzer et les Messerschmitt et qui a, par sa volonté de maintenir une continuité entre l'âge teutonique et l'âge hitlérien, établi sa SS-Politik Abteilung dans un ancien couvent ! » Hildesheim, ville d'art millénaire, fut rasée par un bombardement au phosphore. À quel titre les Américains détruisirent-ils cette fantastique cité médiévale ? Au nom de quel obscur intérêt stratégique ? Nous ne le saurons jamais… Quelques certitudes à tout le moins, si les maisons, joyaux d'art germanique, et le monastère de l'Ordre noir disparurent en fumée, l'esprit qui l'a animé va survivre à l'embrasement. Comme le rappelle Éric Simon-Marienne :
« Marc Augier va devenir Saint-Loup et portera de par le monde le message hérité d'Hildesheim. Les corps ont brûlé. La parole a été frappée d'interdit. Reste le domaine de l'esprit. Saint-Loup explorera toutes les voies, les lieux les plus reculés où souffle l'esprit d'éveil, comme autant d'orientations destinées aux nouvelles générations. Parce qu'il en sera ainsi tant que le sang continuera à couler dans nos veines et fera entendre sa voix, l'exigence de Goethe sera nôtre : “Nous appartenons à la race qui de l'obscurité s'efforce vers la lumière” » (« Le monastère des hommes en noir », in : Rencontres avec Saint-Loup, Les amis de Saint-Loup, Paris, 1991).
Rencontre avec la bête
J'ai vu l'Allemagne (Le flambeau, 1991) et Götterdämmerung ont des similitudes bien qu'ils s'agissent d'ouvrages différents. Le premier est un recueil de textes d'époque reflétant l'esprit qui souffla sur une certaine jeunesse européenne lors de ces années tourmentées alors que le second est un récit de souvenirs où Saint-Loup évoque ses souvenirs sur les derniers mois de la guerre. Götterdämmerung est donc une véritable photographie de l'Allemagne (et accessoirement de l'Italie) lors de l'écroulement du Reich et, à ce titre, une source d'enseignements intéressante sur la nature humaine et ses avatars. La bête, pour Saint-Loup, ce sont les barbares venus d'Orient et d'Afrique (après un détour de quelques siècles par l'Outre-atlantique) pour détruire une conception de l'homme possédant 2.000 ans de titres de noblesse. L'Allemagne, avec tous ses errements et ses maladresses, avait choisi de relever le gant et de parier sur le retour aux sources spirituelles et sensorielles de l'Homme. Pari perdu dans le feu et l'acier du crépuscule des Dieux mais ainsi que le disait Pascal : « Il faut parier… Si vous perdez vous ne perdez rien, car n'est-ce pas, perdre notre condition humaine présente ne vaut pas l'ombre d'un regret, si vous gagnez, vous gagnez tout ». Depuis Hildesheim, Saint-Loup, disparu lors du solstice d'Hiver de 1990, disait n'avoir rien oublié… Nous non plus, et pour avoir la mémoire longue, il faut relire Saint-Loup. C'est un devoir pour tous !
► Charles Marly, Devenir n°25, 2003.
De Marc Augier à Saint-Loup : Honneur et Fidélité
L’évolution du comportement politique qui fera du pacifiste Marc Augier un hérétique passé du côté de la bête immonde, et un paria de la société nommé Saint-Loup, révèle les traits d’un homme entier, animé d’un grand sens de l’honneur et de la fidélité. Voici un homme capable de rompre sans un regard derrière lui, avec ses vieilles amitiés trahies ; mais voilà également un soldat appartenant à une armée détruite, et qui pourtant refuse de s’avouer vaincu ; un être qui, dans la défaite, continue de porter à bout de bras les idéaux auxquels il croit.
Marc Augier est né le 19 mars 1908 à Bordeaux dans un milieu social aisé. Ce qui ne l’empêche pas, dès son plus jeune âge, de se passionner pour la nature et l’effort physique : c’est Philippe Conrad qui raconte que « Le fils Augier participe à la vendange au côté des paysans du cru » (« De Marc Augier à Saint-Loup, l'itinéraire d'un hérétique », in : Rencontres avec Saint-Loup, Les Amis de Saint-Loup, Paris, 1991).
Le sport comme mode de vie
Toute son enfance se déroule dans le port de Bordeaux, ville chargée d’histoire et d’aventures maritimes. Entré au lycée pour ses études secondaires, il en sort le plus souvent possible pour découvrir dans la nature girondine un enseignement plus riche, plus vif et plus exaltant que les mathématiques ou les sciences naturelles ! Son baccalauréat en poche en 1926, sa vie s’ouvre alors sur 2 perspectives : les études de droit et la moto.
« Tu feras du droit, mon fils ! »
« Mais je ferais surtout de la moto, mon père.... »
Et le malheureux paternel doit bien admettre que le jeune homme se passionne plus pour les grosses cylindrées que pour les études... Marc Augier se lance également dans le journalisme. D’abord à La dépêche du Midi, puis à L’Illustration et à Sciences et Voyages. Après un service militaire morne et ennuyeux pour cet individualiste épris de grands espaces et de liberté, il réalise avec enthousiasme des reportages à l’étranger, dans des conditions particulièrement rudes. En 1931, au Maroc, lors d’un reportage pour L’illustration concernant la pacification du Tafilalet, « il vit sous la tente avec les légionnaires, (..) et pousse à moto à travers le Sahara occidental jusqu’à Colomb-Béchar. Au retour, il visite l’Atlas dont il sillonne les crêtes, juché sur son engin à plus de 4000 mètres d’altitude ».
Après les raids en moto, Marc Augier, fou de nature, d’aventures et de grands espaces découvre la montagne, le ski et l’alpinisme. Les plus belles pages de son œuvre s’esquissent déjà sur les grands sommets des Alpes, car au delà du sport, apparaît un mode de vie. « Au cours des migrations des peuples indo-européens vers les terres arctiques, le ski fut avant tout un instrument de voyage ». « En chaussant les skis de fond au nom d’un idéal nettement réactionnaire, j’ai cherché à laisser derrière moi, dans la neige, des traces nettes menant vers les hauts lieux où toute joie est solidement gagnée par ceux qui s’y aventurent » (Solstice en Laponie).
L’aventure “Ajiste” : illusions, désillusions...
Marc Augier rejette la sclérose et le conformisme bourgeois, mais ne partage pas les bruyantes activités et l’insolence des Camelots du Roi : la doctrine franco-centrée et germanophobe d’un Maurras lui déplaît souverainement. Dans son reportage intitulé « J’ai vu l’Allemagne » (1941) cette vision est limpide comme l’eau d’un torrent. Par ailleurs profondément pacifiste, il ne peut rejoindre la doctrine fasciste très en vogue à cette époque. M. Augier se retrouve plus naturellement dans la politique du Front Populaire. Proche de Léo Lagrange, membre du gouvernement Blum, une jolie carrière s’offrait à lui, dans les rangs de la SFIO. Les portes des loges s’ouvraient grandes, et il y a fort à parier qu’aucun courageux anonyme ne serait venu lui faire retirer son Goncourt pour La nuit commence au Cap Horn ! Avec Lagrange, c’est le début de l’aventure “ajiste”. Il dirige alors Le Cri des auberges de jeunesse. Exalté et pénétré du sens de sa mission, il n’hésite pas à prévenir une rêveuse bourgeoisie amorphe et décadente :
« Vous qui avez souri avec bienveillance au spectacle de ces jeunes cohortes s’éloignant de la ville, sac au dos, solidement chaussées, sommairement vêtues et qui donnaient (...) un visage absolument inédit aux routes françaises, pensiez-vous que ce spectacle était non pas le produit d’une fantaisie passagère, mais bel et bien un de ces faits en apparence tout à fait secondaires qui vont modifier toute une civilisation ? (...) Ce départ spontané vers les grands espaces, plaines, mers, montagnes, ce recours au moyen de transport élémentaire comme la marche à pied, cet exode de la Cité, c’est la grande réaction du XXe siècle contre les formes d’habitat et de vie perfectionnées devenues à la longue intolérables parce que privées de joie, d’émotions, de richesses naturelles. J’en puise la certitude en moi-même. (...) Il faut que ça change... Cette vie ne peut pas durer » (J'ai vu l'Allemagne)
Le rêve ajiste se terminera pourtant sur une note désenchantée, comme le montre Nouveaux Cathares pour Montségur (Avalon, 1986), où celui qui est devenu Saint-Loup règle ses comptes avec ses anciens camarades des Auberges de Jeunesse. Voyageant partout en Europe — et même en Allemagne — il noue des contacts avec les responsables des Jeunesses hitlériennes, et avec grand plaisir, découvre ce pays national socialiste, régime pour lequel il n’éprouve cependant aucune sympathie.
Une nouvelle vision de l’Allemagne
C’est lors d’un voyage à New York, pour le Congrès mondial de la jeunesse de 1938, que s’amorce la transformation politique de Marc Augier. Stupéfait par l’hostilité déclarée à l’égard de l’Allemagne et des accusations mensongères portées contre elle et ses alliés, il décide de prendre ses distances avec la SFIO. Si l’espoir d’un Goncourt s’éloigne, l’assurance d’une vie libre et détachée des contingences matérielles, des compromissions et des servitudes s’annonce à grands pas !
L’élément déclencheur pour le futur Saint-Loup reste sa rencontre avec Alphonse de Chateaubriand. L’influence de l’auteur de La gerbe des forces, modifie son point de vue sur l’Allemagne de façon radicale. Voyageant en Grèce lorsque la guerre éclate, ce pacifiste pourrait se tenir à l’écart du conflit. Il choisit pourtant de rentrer en France. Après la défaite, Marc Augier se lance dans le journalisme politique. Avec son vieux maître à penser, il crée La Gerbe, journal évidemment germanophile, national-socialiste et favorable au collaborationnisme. Il participe au Groupe Collaboration, dont il dirige la branche jeunesse : les Jeunes de l’Europe Nouvelle.
À nouveau déçu par la politique et ses intrigues, il quitte Paris pour répondre à l’appel de la montagne, et rencontre les membres des Chantiers de jeunesse, dont il s’inspirera pour Face Nord. « Une minute de paix, c’est toujours bon à prendre... » Ce répit ne pouvait cependant pas durer, et les événements ont tôt fait de tirer les hommes de leurs retraites, pour les lancer avec violence dans le chaos du conflit civilisationnel qui commence entre les 2 géants européens : en 1941, l’Allemagne attaque l’URSS. Marc Augier, en homme d’action qui se respecte, s’engage immédiatement dans la LVF. Il veut tenir sa place dans la grande geste de la chevalerie motorisée qui déferle sur l’Union Soviétique. « Le combat est là-bas... Et non pas aux terrasses des cafés parisiens »
La croisade anti-bolchevique de la chevalerie motorisée
S’il participe à cette épopée dont il sera bientôt le chantre, ce n’est pas par amour immodéré de l’Allemagne ! Il est conscient qu’elle n’en aurait que faire et que « notre amour la choquerait comme une manifestation impudique de notre absence de patriotisme ». Il suffit de relire ses 2 « causeries » données en mai et octobre 1941 sous l’égide du groupe Collaboration. Paradoxalement, sa motivation première, reste encore et toujours la paix. La paix pour « un peuple exsangue comme le nôtre, mutilé dans sa chair en 1914, mutilé dans son équilibre racial par les apports d’étrangers ». La seconde raison de son engagement est en relation directe avec son anti-communisme devenu virulent. Comme pour une majorité de personnes à l’époque, l’heure du choix est venu entre le National-socialisme et le Communisme. Or, le culte matérialiste du marxisme ne peut séduire un homme tel que lui ; non plus que le collectivisme ou le déterminisme historique ne peuvent convaincre cet individualiste nietzschéen.
Son engagement s’explique aussi par la foi en un vrai socialisme, que seule peut encore apporter l’Allemagne : « Pendant que nous nous complaisions dans un verbalisme égalitaire, l’Allemagne prenait la route du socialisme de l’action ». Enfin, « Hitler a promis une paix révolutionnaire » pour la grande Europe socialiste dont rêve Marc Augier. « Nous devons donc être présents à cette paix, associés dans cette paix. » Et le seul moyen est bien entendu, « de participer au combat qui seul nous donnera des droits ». Dans la croisade européenne contre le bolchevisme, c’est à la chevalerie de tailler la part des futurs dirigeants de l’Europe Nouvelle. On notera que le général à titre provisoire De Gaulle, réfugié en Angleterre, est animé de la même idée, mais dans le camp opposé ! À la différence près que Marc Augier mettra sa peau au bout de ses idées, comme le dît un jour, un autre adversaire de De Gaulle...
Dans son ouvrage Les Partisans, le sergent Augier raconte en effet ses propres faits d’armes. Correspondant de guerre pour La Gerbe, il combat le bolchevisme en participant à des « commandos de chasse » contre les partisans russes. Après plusieurs opérations, c’est la blessure et le rapatriement ; pour lui, la guerre sur le front russe est terminée. Qu’à cela ne tienne, il servira autrement ! Rapidement, il prend en charge la conception du Combattant européen, organe de la LVF. Il dirige ensuite Devenir, lorsque la LVF est versée dans la SS pour devenir la Division Charlemagne.
Le crépuscule des Dieux d’Augier “der Wolff”
À nouveau, un livre sert de support à ces événements : Götterdammerung, ou rencontre avec la bête. Cet ouvrage, c’est l’Allemagne de la fin de la guerre, ses villes atrocement bombardées, les milliers de cadavres, les ruines, l’horreur des bombes au phosphore qui dévorent bâtiments comme êtres humains, transformant le tout en un horrible magma... Mais c’est surtout le parcours initiatique de Marc Augier, qui rejoint le sanctuaire de l’Ordre Noir à Hildesheim. C’est aussi le nouvel initié qui assiste au Crépuscule des Dieux, fuyant à travers l’Europe à feu et à sang, assistant à la chute de l’Italie mussolinienne, avant de rentrer clandestinement à Paris. Condamné à mort par contumace, sans d’argent, sans papiers, sans logement, et sans épouse puisqu’il a divorcé, caché par des moines rue de la Source, Marc Augier achève son roman Face Nord, et devient Saint-Loup (1). Édité chez Arthaud, il obtient une avance sur ses droits d’auteur et achète un aller simple pour Rio de Janeiro, où il trouvera refuge et protection contre la Bête Immonde.
La littérature comme nouveau champ de bataille
La guerre terminée, l’exilé finit par rentrer en France en 1950, où il recommence à écrire. Pour lui, le combat continue. Après la découverte de son identité réelle, Saint-Loup fait scandale dans les milieux mondains du parti communiste et chez les conformistes de tous bords : en 1963, sort un ouvrage intitulé Les Volontaires. Pour la première fois, un auteur raconte la geste des Waffen SS français sans y aller de son commentaire réprobateur écrit du bout d’une plume effarouchée... Le succès est immense auprès des vrais lecteurs, c’est-à-dire du public. Suivent rapidement 2 autres tomes, achevant la trilogie de cette épopée moderne : Les Hérétiques et Les Nostalgiques. Outre la valeur historique qu’offrent ces documents, ainsi que l’assurance de passer d’excellents moments en dévorant cette littérature guerrière absolument palpitante, cette trilogie se charge d’un sens politique, philosophique et peut-être même religieux !
C’est le message d’un témoin, d’un porteur de lumière qui transmet le flambeau de la fidélité aux générations nouvelles. C’est la perpétuation des idéaux politiques de cet homme à travers ses livres ; c’est aussi le souvenir d’une lutte qui doit exalter les esprits et inciter aux combats futurs, ainsi que les concevaient les Celtes lorsqu’ils racontaient les exploits de Cuchulainn à leurs enfants. Ces livres portent l’espoir d’un renouveau, d’un retour de la Lumière. Il est donc véritablement possible d’intégrer cette histoire aux légendes indo-européennes à raconter dans les temps futurs. La trilogie épique se charge alors d’un sens véritablement pédagogique, qu’on approuve ou non son contenu. L’auteur estime que rien n’est perdu, et se réfère à la théorie nietzschéenne de “la plus longue mémoire” et au “soleil invaincu” de nos ancêtres païens. Si cet attachement à l’honneur de la parole donnée et à la fidélité dans l’adversité constitue à lui seul un grand exemple, là ne réside pas le seul legs de Saint-Loup aux jeunes générations.
Le goût de la peau de l’aurochs et le retour à la vie
Un adolescent citadin ne peut que s’émerveiller, lorsque découvrant la nature, il finit par oser se mesurer à elle, et sent monter à sa bouche, puis dans toutes les fibres de son corps, le goût de la peau de l’aurochs ! La montagne délivre le plaisir absolument indescriptible de l’effort physique complet. Quelle joie devons-nous à Saint-Loup d’avoir découvert ou redécouvert quelques secrets des hautes altitudes. Quel plaisir de partir au devant des cimes, de les chevaucher en se découvrant de nouvelles peurs, de nouvelles audaces ! Cet amour de l’effort et de la nature se retrouve dans des ouvrages comme La montagne (la mer, le ciel) n’a pas voulu, Les voiliers fantômes d’Hitler, Nouveaux Cathares pour Montségur, La peau de l’aurochs et d’autres encore, tant ces thèmes sont récurrents dans l’œuvre de cet aède nietzschéen. Dans La montagne n’a pas voulu, Saint-Loup exprime avec force et sensibilité son amour de la montagne :
« Dans le petit matin d’octobre, dansait une allégresse irrésistible. (...) La montagne s’abandonnait à tous les rêves. Elle sortait du cycle des orages et des grandes fêtes du soleil ; elle n’était pas encore entrée dans sa renaissance hivernale. Elle était accomplie et savoureuse comme une femme de trente ans. (...) Pas un être vivant sur les glaciers. J’étais seul pour cueillir le fruit d’automne. Les foules ne savent pas... Seuls peuvent se donner rendez-vous au point sublime qui précède les équinoxes ceux qui ont su s’affranchir des servitudes de la civilisation. J’avais pleine conscience de l’égoïsme monstrueux qui me poussait à prendre possession des immensités solitaires, et j’en jouissais tout en me hâtant sur la rive du glacier. L’air était âpre comme l’odeur d’un coup de fusil. La lumière tombait sur les épaules du Chardonet et de la Verte en longues chevelures blondes presque décolorées. Le dessin des arêtes sur le ciel avait des cruautés d’eau-forte... Ah, l’homme n’est qu’un tas de boue ! S’il avait une âme, il choisirait une de ces journées d’automne bouleversante pour s’en aller mourir d’amour dans la montagne, le plus haut possible ».
Dans Face Nord, le goût du dépassement de soi est totalement magnifié :
« Soudain, se produisit une chose étonnante. Guido la Meslée poussa un cri tout à fait inhumain. Il escalada le socle de neige, engagea la pioche du piolet dans la fissure, s’enleva à la force du poignet... Ses jambes battaient dans le vide. Il ne se maintenait plus que d’une main au manche de l’outil. De l’autre, il fouillait la neige, à la recherche d’une prise plus élevée. Il sentait ses forces décuplées. Une volonté supérieure commandait à ses gestes. Son âme éclatait, sous la pression d’une joie dont la tension suivait le flux et le reflux de son sang. Tantôt recueillie, pleine comme un chant d’orgue sous des voûtes, tantôt dissipatrice et furieuse, comme celle du soudard qui s’apprête à piller et à violer dans la cité conquise... Tout en multipliant les efforts pour se rétablir, Guido sentait que cette joie, découverte à l’extrême pointe du risque, ouvrait des perspectives nouvelles dans sa vie. Sans elle, il ne pouvait plus, désormais, vivre sa vie... »
Saint-Loup guide le lecteur sur le chemin de cette « grande santé qui a pour nom paganisme », comme le dit Pierre Vial, car il donne du sens à l’action physique. Au delà du goût de l’effort retrouvé, celui, délicieux et puissant de la peau de l’aurochs, il y a les retrouvailles avec les antiques racines de nos ancêtres.
Le combat pour l’Europe Blanche aux cent drapeaux
Voici d’ailleurs le domaine où Saint-Loup prend toute son importance : celui de l’identité ! Cet auteur peut aider un jeune Européen à comprendre qui il est vraiment, et surtout, qui il n’est pas ! La lecture des ouvrages du cycle des patries charnelles est édifiante pour tout européen en quête d’identité. À l’heure de la mondialisation et de la désuétude progressive de l’état-nation jacobin, il est bon de retrouver nos racines. Avec Saint-Loup, nous redécouvrons que nous sommes le peuple des bois et des forêts, le peuple des mers et de l’océan ; celui des pierres levées, des bâtisseurs de cathédrales et des découvreurs de terres. Nos ancêtres étaient des Celtes, des Germains, des Latins, des Slaves, des Scandinaves. Leurs vagues irrépressibles ont déferlé sur le monde et l’ont soumis à leur volonté prométhéenne. Jamais de musée chez eux, car leur fier regard clair et brillant était tourné vers l’avenir et l’action. Pas de folklore non plus, mais des traditions vivantes et en mouvement, car comme le dit Saint-Loup « le folklore est la honte d’une ethnie encore vivante et qui n’ose plus s’affirmer souveraine ».
À l’intérieur de ces peuples, des particularismes régionaux fondés sur l’ethnie, la langue et de solides traditions enracinées en profondeur. L’historien objectif doit bien noter que jusqu’en 1789, ces particularismes étaient préservés grâce à la monarchie, par une législation respectueuse des différences et sagement décentralisatrice. Aujourd’hui, une interprétation outrancière et tendancieuse du christianisme alliée au messianisme des Droits de l’Homme, véritable religion nouvelle, tente de détruire les derniers vestiges de l’identité.
Les patries charnelles
Contre le cosmopolitisme et le métissage généralisé, Saint-Loup propose cette forme d’ethno-différentialisme qu’est le concept de “patrie charnelle” : une communauté ethniquement homogène sur un territoire délimité par l’histoire, la langue et les coutumes. Cette notion politique permet, bien mieux que l’État-nation ou le concept universaliste de “citoyen du monde” de préserver les différences, ou pour mieux dire, les identités. La patrie charnelle est le rempart à l’impérialisme et à l’uniformisation, fille perverse du multiculturalisme ultra-libéral. Au delà de ces idéologies dépersonnalisantes, la patrie charnelle correspond à une réalité tangible, reposant sur un fondement biologique et territorial : la terre et les morts, pour reprendre Barrès. Selon Saint-Loup, seule cette base pourrait permettre de dépasser l’État-nation pour accéder au stade de l’Europe unifiée : il s’agit là de sa principale conviction, créer l’Europe des patries charnelles, l’Europe aux cent drapeaux dont parle également Yann Fouéré. Pour lui, seule une Fédération de régions peut réaliser l’Union Identitaire Européenne sans danger de perte irrémédiable d’un enracinement multiséculaire. Ce concept basé sur le fédéralisme biologique et écologique au sens véritable du terme (le refus d’une mixité contre-nature dans le monde animal, et l’existence naturelle de frontières pour chaque espèce), permet enfin d’accéder au véritable socialisme. Celui ci ne peut exister que dans une circonscription réduite à la communauté ethnique, car il se pare dans cette circonstance d’une solidarité fondée sur le réel, et non sur des abstractions : c’est le simplissime mais merveilleux truisme de Poujade : « j’aime mieux mes filles que mes cousines, mes cousines que mes voisines et mes voisines que des étrangers... »
Dépassant les idéaux universalistes, le socialisme identitaire fait appel à une volonté commune de se préserver et de se soutenir. C’est un facteur de renforcement de cette cellule de base de la future Fédération européenne. Mais par-dessus tout, sans le retour aux patries charnelles, impossible de lutter contre les assauts du métissage et du cosmopolitisme. Voici, aujourd’hui, pour les jeunes générations, le défi lancé par Saint-Loup : « La jeunesse française qui, hier, vivait dans les ténèbres, à laquelle manquait un idéal, qui avait perdu la foi dans les destinées de la patrie, sera éblouie demain par la tâche qui l’attend : refaire l’Europe ». Une seule question se pose : saurons-nous, nous mêmes et nos descendants, reconquérir le Graal, et redevenir les “hommes-dieux” des légendes celtiques et païennes ?
Serons nous capables de préserver notre identité ? Saurons-nous, par le soin rigoureux de nos unions et celles de nos descendants, méthodiquement recréer une génération “biologiquement supérieure” nous permettant enfin de retrouver l’authentique Graal selon Saint-Loup ? C’est là tout l’enjeu d’un ouvrage comme Plus de pardon pour les Bretons, où une fée vient redonner un sang neuf aux Élus. Mais face aux dangers et aux catastrophes montantes, peut-être devrons-nous plutôt nous inspirer d’ouvrages tels que La peau de l’aurochs ou La république du Mont-Blanc. Ces livres durs et héroïques montrent d’une certaine façon, la route à suivre si la situation devait empirer. Face au règne du matérialisme athée et destructeur d’identité, puis face à l’invasion du sol par des masses allogènes et au danger de métissage généralisé, les populations doivent choisir entre la collaboration entraînant la perte de leurs particularités ethniques et culturelles, ou l’abandon total de leurs biens, pour tout reconstruire dans le cadre d’une nouvelle société basée sur l’effort, le dépassement de soi, le retour à une vie naturelle et à une spiritualité païenne. Saint-Loup définit ainsi pour ce dernier clan les éléments subjectifs d’auto-identification, permettant à cette civilisation naissante de trouver une nouvelle manière et une nouvelle raison d’exister. Celle-ci diffère totalement et même s’oppose à l’ancien mode de vie. Désormais, ainsi que pourrait l’exprimer Julien Freund dans sa vision “ami / ennemi” [sic ! Il ne s'agit pas d'une conception mais d'un critère, posé par C. Schmitt, du politique], c’est “Nous” contre “Eux” !
Dans cette société ethniquement homogène et reposant sur le culte de la terre et des morts, le socialisme authentique, le « socialisme de l’action » peut enfin se développer. Voici donc réunies toutes les valeurs fondamentales permettant de répondre aux questions ontologiques posées à tous les membres d’une civilisation : d’où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Où allons-nous et pourquoi ? Dans cette société antimatérialiste, Saint-Loup présente des personnages débarrassés de toutes les idoles débilitantes et des servitudes matérielles, des hommes libres et attachés à leur territoire devant lesquels se profile le vrai sens de la vie : préserver et perpétuer sa lignée ; transmettre un héritage et un patrimoine ; se préparer au mieux à affronter la mort et à continuer la longue marche, les yeux tournés vers le soleil.
Résistance et Reconquête !
Aujourd’hui Saint-Loup s’est retiré au Walhalla, mais sa lumière reste invaincue. De sa personnalité et de son œuvre riches, dures et généreuses se tirent de grandes leçons et la persistance des espoirs pour l’avenir. Honneur et Fidélité, Dépassement de soi et goût de l’aventure, enracinement et identité constituent les grands enseignements de Saint-Loup. Quant aux espérances, elles résident dans la certitude d’une Histoire cyclique et de l’éternel retour de la puissance, pourvu qu’entrés dans l’hiver de leur civilisation, les Européens continuent de combattre et d’espérer, car rappelons-nous qu’« il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre ». Saint-Loup nous enseigne aussi que le mythe de l’Impérialisme bienveillant de la social-démocratie rousseauiste [sic] (américaine aujourd’hui, on ne sait trop quoi demain) doit être brisé, comme n’importe quelle autre idole ; qu’ainsi que le dit Thomas Hobbes, homo homine lupus : l’homme est un loup pour l’homme ; et l’on pourra dire ou faire tout ce que l’on veut pour le nier, au delà de l’économie comme moteur de l’histoire, il y a le choc des civilisations, qui ne peuvent cohabiter pacifiquement bien longtemps... La base d’une civilisation repose sur un socle ethnique, qu’on le veuille ou non ! Saint-Loup écrivait pour la jeunesse européenne. Ses écrits peuvent bien faire s’étouffer de stupeur et de rage les sectateurs du mondialisme et du multiracialisme, outrer SOS racisme et la LICRA, peu importe ! Après tout, la jeunesse européenne, c’est nous !
► Jean-Jacques Matringhem. [réf. manquante]
◘ Notes :
1 : Ce refuge chez des moines, et ce pseudonyme chrétien, même si l'on sait pourquoi il a été choisi, peuvent laisser supposer que Marc Augier n'était pas aussi anti-chrétien que certains veulent bien le dire. On imagine sans peine le mépris qu'il devait nourrir pour les Gaillot et autres curés de gauche. Mais à voir sa respectueuse description de Monseigneur Mayol de Luppé, il peut sembler que Saint-Loup pouvait s'entendre avec des personnes cultivant ce que Drieu la Rochelle nommait « le christianisme viril du Moyen-Âge ».
Saint-Loup, un personnage hors du commun
Sous le Signe de la Roue Solaire - Itinéraire politique de Saint-Loup (Æncre, 2002) est le titre d’un livre que Jérôme Moreau a consacré à un personnage assez extraordinaire, Marc Augier, qui publiera plusieurs livres sous le pseudonyme de Saint-Loup.
En Marc Augier, qui appartenait avant-guerre, sur le plan politique à la gauche, on peut distinguer en effet 3 personnages : un aventurier, grand amoureux de la nature, épris de raids (cf. Solstice en Laponie, La Nuit Commence au Cap Horn) ; un agitateur politique ; et un excellent écrivain.
Les explorations de la nature vont le relier à la fois au monde paysan et à un passé païen.
L’agitateur politique était déjà engagé à la tête du Centre laïque des auberges de la jeunesse (CLAJ), mouvement de camping axé à gauche. Augier était alors un fervent admirateur de Giono. La seule fois où je croisais sa route, ce fut au centre du CLAJ, alors que j’appartenais avant-guerre, à la Fédération des étudiants révolutionnaires, où militaient nombre d’adeptes de Marceau Pivert.
La guerre, la défaite vont faire basculer Marc Augier, non pas du côté de Vichy, ni à proprement parler du côté du IIIe Reich, mais vers un monde ethnique, où l’ethnie essentiellement paysanne s’oppose à la fois au nationalisme, au pangermanisme, aux impérialismes américains et soviétiques, pour déboucher sur des séparatismes de type basque ou breton. Des séparatismes qui se veulent aussi reliés au paganisme européen — pour nous, celui des Gaulois — et qui rejettent le Christianisme… Le tout profondément enraciné dans le monde paysan.
Dès le début de l’occupation, Marc Augier développera ses thèses dans La Gerbe, aux côtés d’Alphonse de Chateaubriant. Il partira ensuite en Allemagne, combattra dans les rangs de la LVF avant de rejoindre la Waffen SS. Lors de la défaite de l’Allemagne, il gagne l’Italie, revient ensuite clandestinement en France, puis, muni de faux papiers, émigre au brésil, puis en Argentine. Il y exercera des fonctions au sein de l’armée argentine, avec la protection du couple Péron, avant de revenir en France.
Bref, un assez extraordinaire destin d’aventures, sur lequel Jérôme Moreau apporte beaucoup d’éléments. Surgit l’écrivain dans le personnage de Saint-Loup. Celui-ci est favori pour un Prix Goncourt, jusqu’au moment où son passé de “collabo” est révélé. Hop ! À la trappe !
Séparatismes
Saint-Loup n’en continue pas moins à publier des ouvrages qui sont fort lus et appréciés par le milieu grécisto-païen, d’hommes comme Alain de Benoist ou Pierre Vial. Il s’y exprime, comme nous l’avons dit, comme un fervent partisan des séparatismes, axés sur un milieu essentiellement paysan, les paysans, selon lui, étant des païens. À quoi on pourra opposer que ce milieu, au début du XXe siècle, représentait 45 % à 50 % de la population française. Il est réduit aujourd’hui à quelque 5 %. Une minorité agissante, selon les thèses de Georges Sorel, minorité manipulée aujourd’hui, non par les nationalistes, mais par un cabotin d’extrême-gauche, Georges Bové.
Dans les livres cités par Moreau, Saint-Loup critique âprement l’emprise des églises sur les indigènes d’Afrique Australe. Une tare chrétienne de plus. Oui, mais Marc Augier a omis de transmettre à Saint-Loup, que lorsqu’il est revenu, dans la clandestinité, d’Italie en France, il a trouvé refuge auprès des Bénédictions de la rue de la Source, à Paris. Ceux-ci lui procurèrent un visa pour le Brésil, et leurs coreligionnaires brésiliens lui en fournirent un autre pour l’Argentine.
Conclusion : tout n’est pas si mauvais chez les chrétiens, et je ne suis pas sûr que les grécisto-païens pourraient en faire autant.
► Roland Gaucher, 2002.
Les soldats politiques
[Ci-contre : Été 1942, Marc Augier (en uniforme LVF) négociant un bidon de lait sur le marché libre de Smolensk]
L'éthique guerrière et aristocratique a sans doute été dans l'histoire européenne l'incarnation la plus vivace des anciennes valeurs païennes face à l'ascension au pouvoir de l'humanisme bourgeois. Au XXe siècle, le guerrier, chassé des guerres devenues de grandes boucheries insensées, écœuré par les écoles militaires devenues refuges pour fonctionnaire en uniforme, s'est converti en soldat politique, revêtant tantôt le masque du militant révolutionnaire, tantôt celui du chef de guérilla ou du capitaine de corps d'élite motivé par une vision du monde et de l'homme, et souvent par une idéologie politique.
Ernst Jünger, Pierre Drieu La Rochelle, Ernst von Salomon et André Malraux, venus d'horizons idéologiques divers, ont été des frères d'armes de cette nouvelle chevalerie intellectuelle et guerrière. Au sujet de Drieu, Julien Hervier écrit : « Il est entièrement d'accord avec Jünger sur le fait que le pouvoir appartient aux minorités agissantes : ce qu'il nomme élite est très proche de ce que Jünger appela le type actif du travailleur. Son rêve d'une aristocratie pauvre rejoint même étroitement chez Jünger l'apologie d'anciennes classes spirituellement dirigeantes : les ordres allemands de chevalerie, la compagnie de Jésus, l'armée prussienne » (in Deux individus contre l'histoire : Drieu La Rochelle, Ernst Jünger, Klincksieck, 1978, p. 339).
Ernst von Salomon, dans Les réprouvés (1928) décrit l'épopée héroïque des corps-francs qui en 1919 libèrent une partie des terres baltes de la domination bolchevique, puis, sans grand succès, s'aventurent dans la guérilla politique. Alain de Benoist déclare au sujet de ce livre : « Bien avant L'espoir de Malraux, des militants politiques de tous bords y découvrent l'éternel romantisme de l'action » (in Vu de droite).
À propos de son roman “adolescent”, Les conquérants, également publié en 1928, A. Malraux commente dans une postface écrite une vingtaine d'années plus tard : « Ce livre n'appartient que bien superficiellement à l'Histoire. S'il a surnagé, ce n'est pas pour avoir peint tels épisodes de la révolution chinoise, c'est pour avoir montré un type de héros en qui s'unissent l'aptitude à l'action, la culture et la lucidité. Ces valeurs étaient indirectement liées à celles de l'Europe d'alors ». L'Europe d'alors, ou l'Europe éternelle, lorsqu'elle se retrouve, débarrassée de son vernis bourgeois, dans le dénuement de la guerre et de l’aventure ? L'un des héros de La Voie royale, sur le point de mourir de ses blessures, face à des assaillants « se souvint d'un de ses oncles, hobereau danois qui après mille folies s'était fait ensevelir sur son cheval mort soutenu par des pieux, en roi hun ».
Qu'importent, en fait, les idées pour lesquelles ces jeunes gens se sont battus dans une Europe divisée contre elle-même jusqu’à l'absurde suicide ! Qu'importent les camps s'ils étaient inévitables ! Fascistes et communistes, républicains et nationalistes, avaient en commun le courage face à la mort, la nostalgie d'un ordre nouveau au-delà de la société marchande, la camaraderie virile, le réalisme tragique des hommes entièrement voués à l'action. Jean Mabire, lui-même historien des corps d'élite, Normand et fidèle héritier des Vikings, écrivait à l'occasion du décès d'A. Malraux : « Il faut dire, maintenant et ici, ce que personne n'a osé dire en ces jours trompeurs qui ont suivi sa mort : la lecture des Conquérants a “fabriqué” autant de fascistes que de communistes. Les jeunes gens qui lisaient Malraux dans cette période exaltante et pipée de l'immédiat avant-guerre, lisaient aussiLes réprouvés ; le seul écrivain avec lequel ils aimaient comparer Malraux était von Salomon, cet autre terroriste » (« André Malraux parmi les siens » in éléments n°19).
Et au Malraux des années 30 et 40, chantre des héros de la révolution rouge, puis colonel de la Résistance, dont Jean Plumyène dira qu'il était représentatif d'un « nationalisme de transfert » (« Littérature et nationalisme » in Magazine Littéraire n°87), Mabire rend ce vibrant hommage : « L'univers de Malraux était celui du pessimisme héroïque des vieilles légendes nordiques, celui où l'homme solitaire affronte un destin impitoyable (...) Malgré les artifices de la littérature, malgré ses truquages et ses complaisances, Malraux apparaissait comme le dernier survivant d'un univers tout entier dominé par la lutte éternelle. Il était salutaire qu'un romancier se dresse pour proclamer que la vie, c'est d'abord le combat, encore le combat et toujours le combat » (op. cit.).
Dans l'euphorie de l'immédiat après-guerre, le soldat politique s'éclipse ; il se suicide avec Drieu en 1945 ; il s'efface avec Malraux devenu politicien et dilettante... Mais il reviendra un peu plus tard avec Saint-Loup et Mabire.
[Ci-dessous : Jaquette de couverture de la première édition de Face Nord parue en 1950. Ce roman, sans doute le moins idéologique de Saint-Loup, est pourtant une violente satire contre les “fonctionnaires” de Vichy, ceux qui veulent former des bons citoyens alors qu'il faudrait former des hommes d'exception. C'est le héros qui déclare à son peit groupe : « Je veux faire de vous les représentants d'une humanité supérieure. Celle où l'homme aura dominé la crainte de la mort ». Au-delà de l'intrigue passionnante du récit, ce livre est surtout un hommage à l'homme qui sait affronter la vie]
Dans Face Nord (1950), Marc Augier, sous le pseudonyme de Saint-Loup, écrit le beau roman d'un groupe d'adolescents qui apprennent la rude école de l'alpinisme. Leur instructeur, Guido, oppose les anciens dieux scandinaves du ski et du combat à la mollesse de l'enseignement chrétien. Cette aventure destinée à un public jeune est sans doute le premier ouvrage consciemment païen de l’après-guerre. Son auteur parle en connaissance de cause, ayant été l'un des fondateurs du mouvement Auberges de Jeunesse sous le Front populaire, grand dévoreur d'aventures qui a traversé la Finlande à ski et le Maroc sur une moto, exploits inédits à l'époque (les années 30). Plus tard, Saint-Loup deviendra journaliste-combattant sur le Front de l'Est, d’où il puisera l'inspiration et les thèmes de ses 2 grands romans de guerre, Les Volontaires (1963) et Les Hérétiques (1965). Les droits d'auteur qui lui reviennent après le succès relatif de Face Nord lui permettent de sortir de la clandestinité à laquelle il était condamné en Europe — pour avoir choisi le camp des vaincus pendant la Seconde Guerre mondiale — et de partir pour l'Argentine, où il deviendra instructeur des unités de montagne de l'armée de Peron, avec le grade de colonel.
De son séjour en Amérique du Sud, Saint-Loup ramènera son plus beau roman, La nuit commence au Cap Horn, ouvrage qui lui aurait valu un prestigieux prix littéraire si quelqu'un n'avait pas fait remarquer au dernier moment aux membres du jury que derrière ce nom de plume proustien se cachait la personnalité “inquiétante” de Marc Augier, qui avait osé accrocher ses idées au bout d'un fusil, comme Malraux, Jean Prévost, Saint-Exupéry... mais pas du même côté. Quatre idées maîtresses traversent cette tragique histoire de la christianisation de l'âpre et froide Terre de Feu :
- L'idéal chrétien n'a pas triomphé parce qu'il était le plus juste ou le plus “civilisé”, mais parce qu'il était servi par l'indomptable volonté de puissance des missionnaires, tel ce Duncan Mac Isaac que l'on peut sans hésiter comparer à un chef viking.
- Christianisme et paganisme se sont mêlés partout où le christianisme a triomphé. Le christianisme pur, l'éthique du Nouveau Testament, n'a jamais trouvé d'application pratique. À ses heures de mélancolie, le pasteur Mac Isaac se console en se récitant une vieille légende celtique, « la terrible vache Dun », qu'il évoque en ce termes : « Rien qu'une légende de nos vieilles terres. On distingue mal à travers elle la ligne de partage entre christianisme et paganisme. Ou plutôt il n'y en a point. Christianisme et paganisme sont intimement mêlés comme ici sur notre terre violente ».
- L'idéal d'amour et d'égalité propagé par la doctrine chrétienne est irréaliste et inadapté à la vie, comme le signale un sorcier Ona au pasteur méthodiste qui essaie de le convertir : « Makon-Auk dit que les hommes ne sont pas frères, parce que chacun doit défendre son terrain de chasse pour ne pas mourir de faim. Il dit encore que les hommes ne sont pas égaux parce que les uns sont nés forts et les autres faibles, et le Pasteur ne pourra rien changer à cela... »
- La conversion par la force, la séduction et le chantage économique de peuples étrangers à la mentalité chrétienne européenne se sont traduits par un génocide flagrant. De même que leurs frères de race plus au Nord, les Indiens de la Terre de Feu ont succombé à la colonisation chrétienne non seulement en tant que païens, mais en tant que peuple. En leur déniant le droit à la différence, c'est le droit à l'existence qu'on leur a ôté. La nuit commence au Cap Horn, en même temps qu'un passionnant récit d’aventures, offre un plaidoyer ardent pour la cause des peuples victimes des colonisations culturelles et économiques, qui font parfois plus de victimes que les brutales conquêtes militaires.
Revenu en France, Saint-Loup s'emploie, à partir des années 60, à justifier son engagement sur le front de l'Est, dans la croisade contre le bolchevisme, aux côtés des ressortissants d'une vingtaine d'autres nations, dans ses romans Les Volontaires et Les Hérétiques. Il met en scène un personnage nietzschéen, Le Fauconnier, qui incarne le moine-soldat au service d'un nouvel ordre européen. Les valeurs qui se dégagent de ces fictions historiques, comme d'ailleurs de toutes les œuvres de Saint-Loup, sont incontestablement et consciemment païennes.
Dans une récente thèse de doctorat, Myron Kok les résume ainsi : « Ces thèmes de base sont le principe ethnique et le fondement biologique de la civilisation (l'éternité par le sang) ; la fidélité ; la persévérance devant les difficultés ; la santé ; l'aristocratie (l'homme bien né, biologiquement parlant) ; le respect pour un ennemi honorable ; la joie de vivre, l'horreur de la société de consommation ; la position de la femme ; la vraie démocratie (la communauté de destin) ; le refus de capituler ; la voix des ancêtres » (Le thème de l'ethnie et l'idéologie nietzschéenne dans les romans historiques de Saint-Loup, thèse soutenue devant l'université de Port Elizabeth [non publiée], p. 21). On y reconnaîtra le code de l'honneur et de la “race”, qui caractérise toutes les aristocraties guerrières. En outre, Saint-Loup épice ses récits de gauloiseries scabreuses, qui en rendent la lecture agréable en même temps qu'éducative dans le plein sens du mot.
Les romans qui suivront garderont la dimension mythique, mais, à mon avis, ils n'ont plus le grand souffle épique des 4 œuvres mentionnées plus haut, qui placent Saint-Loup aux côtés des plus grands narrateurs d'aventures de notre siècle, tels Hemingway, Jack London, Joseph Conrad et André Malraux.
Une autre limitation de Saint-Loup, du point de vue de la renaissance païenne, provient de ce qu'il rattache essentiellement les valeurs guerrières dont il se fait le chantre à une période historique extrêmement courte et, dans ce cadre, au camp vaincu. Si une telle attitude est fort compréhensible du point de vue de la fidélité à un engagement personnel, elle est beaucoup moins acceptable lorsqu'on se place dans la perspective païenne qui, pour triompher, doit être en mesure de surmonter les affrontements localisés dans le temps et dans l'espace (ce que Valéry appelait « jouer aux Armagnacs et aux Bourguignons ») et de prendre en compte l'ensemble de l'histoire européenne en partant de l'état de fait tel qu'on le trouve. Cette objection s'applique également à ceux qui, suivant une démarche inverse, continuent de culpabiliser l'Europe en refusant de porter un regard lucide et objectif sur l'Allemagne nazie, la Collaboration, la Résistance, le judaïsme, le communisme, le christianisme, les accords de Yalta, etc (1). La nostalgie romantique n'est pas de mise lorsque la survie et le renouvellement d'une grande culture sont en jeu.
Cela dit, la vision du soldat politique, nouvelle et très ancienne à la fois, que l'on peut extraire de Saint-Loup, est authentiquement païenne. Elle est tout entière résumée dans ces paroles de Pierre Drieu La Rochelle : « L'homme nouveau a réuni les vertus qui étaient depuis longtemps gravement dissociées et souvent opposées les unes aux autres : les propriétés de l’athlète et du moine, du soldat et du militant. Un moine — ou un saint — est un athlète qui pousse jusqu'à la démesure ou plutôt qui fait éclater jusque dans une autre sphère les efforts et les mérites de l’athlète - ou du héros. Pas d’athlète donc qui ne soit un moine en puissance. Le moine et l’athlète, le saint et le héros se retrouvent dans le soldat. Tout cela prend un sens terrestre vraiment plein si l'on y joint les directions philosophiques, politiques du militant. Pas non plus de militant qui puisse donner une plénitude à sa direction terrestre si elle ne se hausse à une attitude métaphysique » (in Notes pour comprendre le siècle).
► Jacques Marlaud, Le Renouveau païen de la pensée française, Labyrinthe, 1986, p. 220-224.
◘ Notes :
1) Lier le sort du paganisme européen à l'aventure nationale-socialiste est contestable non seulement d'un point de vue stratégique, mais aussi du point de vue des faits : de nombreux penseurs de l'époque qui désiraient avec ferveur une renaissance de l'Europe dans le sens où la Nouvelle Droite le souhaite aujourd'hui, ont méprisé le nazisme en qui ils voyaient un mouvement plébéien jouant l'avenir d'une grande culture pour des motifs démagogiques et nationalistes primaires. Notons à ce propos que le principal théoricien national-socialiste, Alfred Rosenberg, oppose la “Lumière” apollinienne, qui symbolise pour lui l'idéal grec et nordique, aux forces chthoniennes de la sensualité représentées par Dionysos et en qui il voit le symbole de l'Asie (Le Mythe du XXe siècle, tr. P. Grosclaude, Sorlot, 1980, p. 26). Ce manichéisme simpliste, qui s'apparente au moralisme judéo-chrétien, est à l'opposé du principe de conciliation des contraires qui a toujours alimenté la conception tragique de la vie chez les Européens, et qui a inspiré La Naissance de la Tragédie de Nietzsche (1872).
Saint-Loup le païen
C'est dans le Grand-Nord, loin de la civilisation des marchands, des banquiers et des professeurs de morale, que le fondateur des Auberges laïques de la jeunesse a découvert, au solstice d'hiver de 1938, cette grande santé qui a pour nom paganisme. Il nous a quittés, le 16 décembre 1990, après un long parcours initiatique à la conquête du Graal.
Au temps où il s'appelait encore Marc Augier, Saint-Loup publia un petit livre, aujourd'hui très recherché, Les skieurs de la nuit (1944) [refonte de Solstice en Laponie, éd. du Contadour, 1940]. Le sous-titre précisait Un raid de ski-camping en Laponie finlandaise. C'est le récit d'une aventure, vécue au solstice d'hiver 1938, qui entraîna 2 Français au-delà du cercle polaire. Le but ? « Il fallait, se souvient Marc Augier, dégager le sens de l'amour que je dois porter à telle ou telle conception de vie, déterminer le lieu où se situent les véritables richesses ». Le titre du premier chapitre est, en soi, un manifeste : Conseils aux campeurs pour la conquête du Graal. Tout Saint-Loup est déjà là. En fondant en 1935, avec ses amis de la SFIO et du Syndicat National des Instituteurs, les Auberges laïques de la Jeunesse [cette aventure est évoquée dans Nouveaux cathares pour Montségur], il avait en effet en tête bien autre chose que ce que nous appelons aujourd'hui “les loisirs” — terme dérisoire et, même, nauséabond depuis qu'il a été pollué par Trigano [créateur du Club Med].
Au temps béni du solstice d'hiver
Marc Augier s'en explique, en interpellant la bêtise bourgeoise : « Vous qui avez souri, souvent avec bienveillance, au spectacle de ces jeunes cohortes s'éloignant de la ville, sac au dos, solidement chaussées, sommairement vêtues et qui donnaient à partir de 1930 un visage absolument inédit aux routes françaises, pensiez-vous que ce spectacle était non pas le produit d'une fantaisie passagère, mais bel et bien un de ces faits en apparence tout à fait secondaires qui vont modifier toute une civilisation ? La chose est vraiment indiscutable. Ce départ spontané vers les grands espaces, plaines, mers, montagnes, ce recours au moyen de transport élémentaire comme la marche à pied, cet exode de la cité, c'est la grande réaction du XXe siècle contre les formes d'habitat et de vie perfectionnées devenues à la longue intolérables parce que privées de joies, d'émotions, de richesses naturelles. J'en puise la certitude en moi-même. À la veille de la guerre, dans les rues de New York ou de Paris, il m'arrivait soudain d'étouffer, d'avoir en l'espace d'une seconde la conscience aiguë de ma pauvreté sensorielle entre ces murs uniformément laids de la construction moderne, et particulièrement lorsqu'au volant de ma voiture j'étais prisonnier, immobilisé pendant de longues minutes, enserré par d'autres machines inhumaines qui distillaient dans l'air leurs poisons silencieux. Il m'arrivait de penser et de dire tout haut : “Il faut que ça change... cette vie ne peut pas durer” ».
Conquérir le Graal, donc. En partant à ski, sac au dos, pour mettre ses pas dans des traces millénaires. Car, rappelle Marc Augier, « au cours des migrations des peuples indo-européens vers les terres arctiques, le ski fut avant tout un instrument de voyage ». Et il ajoute : « En chaussant les skis de fond au nom d'un idéal nettement réactionnaire, j'ai cherché à laisser derrière moi, dans la neige, des traces nettes menant vers les hauts lieux où toute joie est solidement gagnée par ceux qui s'y aventurent ». En choisissant de monter, loin, vers le Nord, au temps béni du solstice d'hiver, Marc Augier fait un choix initiatique. « L'homme, rappelle-t-il, retrouve à ces latitudes, à cette époque de l'année, des conditions de vie aussi voisines que possible des époques primitives. Comme nous sommes quelques-uns à savoir que l'homme occidental a tout perdu en se mettant de plus en plus à l'abri du combat élémentaire, seule garantie certaine pour la survivance de l’espèce, nous avons retiré une joie profonde de cette confrontation (...) Les inspirés ont raison. La lumière vient du Nord... (...) Quand je me tourne vers le Nord, je sens, comme l'aiguille aimantée qui se fixe sur tel point et non tel autre point de l'espace, se rassembler les meilleures et les plus nobles forces qui sont en moi ».
Dans le grand Nord, Marc Augier rencontre des hommes qui n'ont pas encore été pollués par la civilisation des marchands, des banquiers et des professeurs de morale. Les Lapons nomades baignent dans le chant du monde, vivent sans état d'âme un panthéisme tranquille, car ils sont « en contact étroit avec tout un complexe de forces naturelles qui nous échappent complètement, soit que nos sens aient perdu leur acuité soit que notre esprit se soit engagé dans le domaine des valeurs fallacieuses. Toute la gamme des croyances lapones (nous disons aujourd'hui “superstitions” avec un orgueil que le spectacle de notre propre civilisation ne paraît pas justifier) révèle une richesse de sentiments, une sûreté dans le choix des valeurs du bien et du mal et, en définitive, une connaissance de Dieu et de l'homme qui me paraissent admirables. Ces valeurs religieuses sont infiniment plus vivantes et, partant, plus efficaces que les nôtres, parce qu'incluses dans la nature, tout à fait à portée des sens, s’exprimant au moyen d'un jeu de dangers, de châtiments et de récompenses fort précis, et riches de tout ce paganisme poétique et populaire auquel le christianisme n'a que trop faiblement emprunté, avant de se réfugier dans les pures abstractions de l'âme ».
Contre la Loi de Moïse... ou de George Bush
[Ci-dessous : couverture de Solstice en Laponie, Æncre, 1995, tiré à 1.000 exemplaires. Pendant l'hiver 1938-1939, "Saint-Loup" est en Laponie, près du Cercle polaire arctique en compagnie de son ami de Thuisy. Il écrit : « Le prodigieux effort de colonisation des Finlandais, des Norvégiens, des Suédois et des Russes en Laponie ne pourra jamais policer, discipliner, diminuer la clarté mystique du crépuscule de midi et la grande pureté du froid pendant le solstice d'hiver. Celui qui ne s'est pas éveillé, vers onze heures, en pleine forêt finnoise, le 15 décembre, ne peut pas savoir ce que c'est "l'inquiétude". Inquiétude absurde, me direz-vous ! Mais l'aube arctique est une conspiration de silence et de lenteur. Sous nos climats, l'aube est toujours loyale : pluie, neige ou brouillard, elle s'annonce en un point précis du ciel. Elle n'a jamais honte de ses origines »]
Le Lapon manifeste une attitude respectueuse à l'égard des génies bienfaisants, les Uldra, qui vivent sous terre, et des génies malfaisants, les Stalo, qui vivent au fond des lacs. Il s'agit d’être en accord avec l'harmonie du monde : « Passant du monde invisible à l’univers matériel, le Lapon porte un respect et un amour tout particulier aux bêtes. Il sait parfaitement qu'autrefois toutes les bêtes étaient douées de la parole et aussi les fleurs, les arbres de la taïga et les blocs erratiques... C'est pourquoi l'homme doit être bon pour les animaux, soigneux pour les arbres, respectueux des pierres sur lesquelles il pose le pied ». C'est par les longues marches et les nuits sous la tente, le contact avec l'air, l'eau, la terre, le feu, que Marc Augier a découvert cette grande santé qui a pour nom paganisme. On comprend quelle cohérence a marqué sa trajectoire... Après avoir traversé, en 1945, le crépuscule des dieux, Marc Augier a choisi de vivre pour témoigner. Ainsi est né Saint-Loup. Auteur prolifique, dont les livres ont joué, pour la génération à laquelle j’appartiens, un rôle décisif. Car, en lisant Saint-Loup, bien des jeunes, dans les années 60, ont entendu un appel. Appel des cimes. Appel des sentes sinuant au cœur des forêts. Appel des sources. Appel de ce soleil Invaincu qui, malgré tous les inquisiteurs, a été, est et sera toujours le signe de ralliement de garçons et filles de notre peuple.
[Ci-dessous : Jaquette de couverture illustrée par Musati de Pays d'Aoste, Arthaud, 1952. Contient 68 héliogravures]
Cet enseignement, infiniment plus précieux plus enrichissant, plus tonique que ceux dispensés dans les tristes et grises universités, Saint-Loup l'a placé au cœur de la plupart de ses livres. Mais avec une force toute particulière dans La peau de l'aurochs (1954). Ce livre est un roman initiatique, dans la tradition arthurienne : Saint-Loup est membre de ce compagnonnage qui, depuis des siècles, veille sur le Graal. Il conte l'histoire d'une communauté montagnarde, enracinée au pays d'Aoste, qui entre en résistance lorsque les prétoriens de César — un César dont les armées sont mécanisées — veulent lui imposer leur loi, la Loi unique dont rêvent tous les totalitarismes, de Moïse à George Bush. Les Valdotains, murés dans leur réduit montagnard, sont contraints, pour survivre, de retrouver les vieux principes élémentaires : se battre, se procurer de la nourriture, procréer. Face au froid, à la faim, à la nuit, à la solitude, réfugiés dans une grotte, protégés par le feu qu'il ne faut jamais laisser mourir, revenus à l'âge de pierre, ils retrouvent la Grande Santé : leur curé fait faire à sa religion le chemin inverse de celui qu'elle a effectué en 2 millénaires et, revenant aux sources païennes, il redécouvre, du coup, les secrets de l’harmonie entre l'homme et la terre, entre le sang et le sol. En célébrant, sur un dolmen, le sacrifice rituel du bouquetin — animal sacré dont la chair a permis la survie de la communauté, il est symbole des forces de la terre maternelle et du ciel père, unies par et dans la montagne — le curé retrouve spontanément les gestes et les mots qui calment le cœur des hommes, en paix avec eux-mêmes car unis au cosmos, intégrés — réintégrés — dans la grande roue de l'Éternel Retour. De son côté, l'instituteur apprend aux enfants des nouvelles et dures générations qui ils sont, car la conscience de son identité est le plus précieux des biens : « Nos ancêtres les Salasses qui étaient de race celtique habitaient déjà les vallées du pays d'Aoste ». Et le médecin retrouve la vertu des simples, les vieux secrets des femmes sages, des sourcières : la tisane de violettes contre les refroidissements, la graisse de marmotte fondue contre la pneumonie, la graisse de vipère pour faciliter la délivrance des femmes... Quant au paysan, il va s'agenouiller chaque soir sur ses terres ensemencées, aux approches du solstice d'hiver, et prie pour le retour de la lumière.
Ainsi, fidèle à ses racines, la communauté montagnarde survit dans un isolement total, pendant plusieurs générations, en ne comptant que sur ses propres forces — et sur l'aide des anciens dieux. Jusqu'au jour où, César vaincu, la société marchande triomphante impose partout son “nouvel ordre mondial”. Et détruit, au nom de la morale et des droits de l'homme, l'identité, maintenue jusqu'alors à grands périls, du pays d'Aoste. Seul, un groupe de montagnards, fidèles à leur terre, choisit de gagner les hautes altitudes, pour retrouver le droit de vivre debout, dans un dépouillement spartiate, loin d'une “civilisation” frelatée qui pourrit tout ce qu'elle touche car y règne la loi du fric. Avec La peau de l'aurochs, qui annonce son cycle romanesque des patries charnelles [Plus de pardon pour les Bretons, Nouveaux cathares pour Montségur, La République du Mont-Blanc], Saint-Loup a fait œuvre de grand inspiré. Aux garçons et filles qui, fascinés par l'appel du paganisme, s'interrogent sur le meilleur guide pour découvrir l'éternelle âme païenne, il faut remettre, comme un viatique, ce testament spirituel. Aujourd'hui, Saint-Loup est parti vers le soleil. Au revoir, camarade ! Du paradis des guerriers, où tu festoies aux côtés des porteurs d'épée de nos combats millénaires, adresse-nous un fraternel salut ! Nous en avons besoin pour continuer encore un peu la route.
Avant de te rejoindre. Quand les dieux voudront.
► Pierre Vial, éléments n°70, avril 1991.
Les nazis de carnaval sont nostalgiques d’un monde dont ils ne connaissent rien
Les Nostalgiques, ce fut le titre d'un livre du romancier Saint-Loup. On y découvrait quelques figures d'aventuriers qui après avoir participé à la dernière guerre dans le camp des vaincus, ne cherchaient pas, bien au contraire, à oublier les élans de leur jeunesse. Ceux qui avaient eu 20 ans en 1943 sont aujourd'hui largement septuagénaires. Ce ne sont pas des “néo-nazis”, mais des anciens combattants sans drapeaux ni médailles qui refusent d'oublier leurs camarades tombés en Poméranie ou à Berlin. Comment pourraient ils se reconnaître dans les provocations des jeunes au crâne rasé se réclamant d'un monde dont ils connaissent uniquement ce qu'en racontent les médias partis à la chasse de la Bête immonde ?
…Le néo-nazi fait partie du paysage audiovisuel. Ressemble parfaitement à ce qu'on voudrait qu'il soit bête et méchant. Très bête et très méchant. Et partout semblable à lui-même, comme un parfait clone du Diable devenu diablotin. Avant la guerre, les grands magasins proposaient à l'approche des fêtes des “panoplies”. Les petits garçons se déguisaient en Peaux-Rouges et les petites filles en infirmières. Cet amusement a disparu, comme les découpures et les soldats de plomb. Aujourd'hui, la seule panoplie qui fait encore prime sur le marché est celle du “néo-nazi”, modèle international, dont la presse assure gratuitement la promotion. Si l'on attache quelque importance aux symboles et aux signes, on ne peut qu'être frappé chez les néo-nazis de particularités fort peu en usage sous le régime dont ils se réclament. D'abord, l'inévitable crâne rasé. C'était alors la caractéristique des bagnards plutôt que de leurs gardiens ; la coupe de cheveux caractéristique étant “courts sur les côtés et plus longs sur le dessus”, très différente de la “brosse” à la mode dans l'armée française. Le crâne rasé évoque bien davantage les Marines que les Waffen SS…
…Il y a toujours des gens pour croire que l'habit fait le moine et la chemise le fasciste, surtout rehaussée de quelque brassard. Ainsi naquit ce qui n'était que mauvais folklore. Au fur et à mesure que ce folklore vestimentaire disparaissait pour péniblement survivre dans quelques groupuscules squelettiques, indispensables viviers pour les provocateurs et les indicateurs, on vit apparaître une nouvelle mode. Elle ne nous vint pas d'outre-Rhin mais d'outre-Manche et porte le nom de skinheads, têtes de peau, ou l'on préfère crânes rasés… Des skins aux néo-nazis il n'y a qu'un pas, ou plutôt un geste, le bras tendu et l'autre poing fermé sur la pinte de stout. Puisque les Allemands hurlent dans les films, on hurle aussi. Yeah et Heil, ou n'importe quoi. L'essentiel, c'est de scandaliser l'establishment et de cogner sur les policemen. Défendez à un gamin de toucher aux confitures. Il n'aura de cesse avant d'avoir trouvé un escabeau et dévalisé la dernière étagère du placard interdit. La mode des skinheads lancée, elle se révéla vite, à l'inverse de ce que disait Mussolini du fascisme, un article d'exportation. Le Channel franchi, le public des stades français subit la contagion. Mais que sont les quelques centaines de skins français à côté des milliers d'Allemands qui allaient désormais fournir les gros bataillons du mouvement sur le continent ? On ignore trop la fascination qu'éprouvent les Allemands pour les Britanniques. Il y avait dans le IIIe Reich une nostalgie secrète de l'empire victorien et du grand mythe raciste de l'homme blanc régnant sur les sept mers du monde. En déferlant sur le continent, la mode skin ne pouvait qu'attirer nombre de jeunes Teutons en rupture de respectabilité.
L'attrait irréprésible du mal absolu
Les skinheads britanniques leur ont fourni, plus qu'on ne l'imagine, leurs défroques, leur musique, leur brutalité. Tout est anglo-saxon dans le background culturel des émeutiers que nous montre la télévision. Ils ne copient pas leurs grands-pères, mais l'image qu'en a donnée la propagande antifasciste ce ne sont pas les SA du capitaine Rohm mais les SA de Rohm vus par Visconti dans Les Damnés. Et encore plus pédés que les fusillés du 30 juin 1934 ! … La mise en valeur par les médias des groupuscules les plus folkloriques contribue largement à multiplier les actes de violence qui s'enchaînent par contagion morbide, dans l'attrait irrépressible du Mal absolu, d'autant plus séduisant qu'il est inlassablement dénoncé.
► Jean Mabire, Le Choc du Mois n°66, été 1993.
Les copains de la belle étoile
Rééditer un livre épuisé, un demi-siècle après sa première publication, est un pari singulier. Ce roman, devenu introuvable, illustre l’itinéraire personnel de son auteur, venu de l'extrême gauche et classé aujourd'hui à l'extrême droite, alors qu'il fut toute sa vie fidèle au rêve de sa jeunesse, celle d'un disciple de Giono, écologiste avant l'heure et européen jusqu'à “vivre dangereusement”.
♦ Les Copains de la étoile, Saint-Loup, éd. du Flambleau, 240 p.
Il est toujours instructif de lire un premier roman. Et l'expérience devient passionnante quand il s'agit d'un livre écrit par un homme disparu, largement octogénaire, voici quelques années, après une bonne carrière d'homme de plume qui succédait à une belle aventure d'homme d'action. En rééditant ce livre, dont dénicher un seul exemplaire chez un bouquiniste tenait de l'exploit, Le Flambeau réussit à la fois à nous faire découvrir un jeune auteur de 34 ans, totalement inconnu, et à montrer que tout le grand Saint-Loup était déjà annoncé dans ce singulier roman, qui tient aussi du témoignage et parfois du pamphlet.
Un premier roman est souvent autobiographique. Celui-ci n'échappe certes pas à la règle, mais l'aventure qu'il retrace est plus l'expérience d'une génération, ou au moins d'une communauté, que celle d'un homme solitaire. Pourtant, cet écrivain a déjà derrière lui un long itinéraire dont nous ne saurons finalement pas grand-chose. Ce qu'il fait entre 20 et 30 ans nous échappe à jamais. On imagine de longs raids à moto, des courses en montagne, toute une vie de grand air et de plein vent. Les jeux de l'esprit ne l'intéressent pas sans un élan de tout le corps. On devine qu'il a connu la solitude, le silence des déserts et les murmures de la forêt, le feu du soir et son cercle magique, les étoiles dont il découvre les noms, le soleil dont il célèbre dans le secret de son cœur les fêtes. Son premier livre, Solstice en Laponie, ne sera édité qu'en 1940. Et encore, à compte d'auteur.
Cela fait alors 4 ans, en cette triste année de guerre, qu'il a connu une singulière aventure, celle de la politique militante. Il a fait partie en 1936, du cabinet du socialiste Léo Lagrange, secrétaire d'État à la Jeunesse et aux Sports, jeune espoir du Front populaire, qui rêvait d'arracher les gosses de son pays aux banlieues sordides pour les envoyer sur toutes les routes de France « une fleur au chapeau, à la bouche une chanson...». Marc Augier se passionne alors pour une expérience qui vient d'outre-Rhin, dans le sillage des Wandervögel, ces “Oiseaux migrateurs”, qui marchaient autrefois sur tous les chemins d'Allemagne, avec leurs gros souliers et leur guitare. La grande tuerie de 14-18 a terriblement éclairci leurs rangs. Mais l'idée est restée. Et aussi celle des “auberges de jeunesse”, où ils pouvaient le soir se retrouver pour la veillée, entre eux, sous le regard complice du père aubergiste et de sa compagne. Cette idée de semer à travers le paysage, en respectant le style de l'architecture populaire, des refuges qui ne soient ni des asiles ni des hôtels à bon marché, a séduit bien des hommes généreux, à travers l'Europe enfin sortie du cauchemar. Certains sont chrétiens, d'autres sont socialistes. Tous sont “de gauche”, c'est-à-dire pacifistes, ce qui ne veut certes pas dire qu'ils n'aiment pas leur pays. Ils croient même qu'il faut des nations pour que l'on puisse créer une vraie internationale...
Avec l'aide de son ministre, Marc Augier va s'investir totalement dans l'aventure des Auberges de Jeunesse, se heurtant à bien des difficultés pour créer un esprit communautaire dans un pays où l'on est par tradition farouchement individualiste. Mais la jeunesse possède assez d'enthousiasme pour se dépouiller des oripeaux du vieil homme égoïste et plonger, nue et libre, dans l'eau glacée des torrents. Marc Augier croit qu'il est un âge où l'on peut “changer la vie”. Il surfe sur cette immense vague d'espoir soulevé par ce Front qui se réclame du peuple. L'expérience des Auberges de jeunesse sera un double échec. D'abord parce qu'elle s'inscrit dans une perspective de lutte des classes, ensuite parce qu'elle sera impuissante à empêcher la guerre. Mais cette illusion avortée, le rédacteur en chef du Cri des Auberges de Jeunesse l'a vécue avec une passion brûlante. Il croit, grâce au mouvement “ajiste”, faire connaître aux jeunes ce que son maître Jean Giono nommait alors « les vraies richesses », c'est-à-dire avant tout, l'immersion totale dans la Nature, rude, belle, forte. Sauvage et libre.
La guerre est venue. C'est la première défaite. La seconde, celle de mai-juin 1940, n'en est que la conséquence inévitable. Cent vingt mille jeunes gens sont morts au combat, dont Léo Lagrange. Et dans Paris occupé, Marc Augier décide d'écrire pour les survivants et surtout pour leurs cadets ce que fut le grand rêve de liberté et de fraternité qu'il a vu s'écrouler. Certes, il est resté un militant, convaincu désormais par le vieil écrivain Alphonse de Chateaubriand, dont il a lu naguère La Gerbe des forces.
Le coco et le camelot
Il anime un mouvement d'adolescents, auquel il a donné le nom de Jeunes de l'Europe nouvelle, mais il ne saurait se satisfaire de conférences et de parades. Il veut porter témoignage et il croit que la forme romanesque peut seule convenir à cette ambition. Il trouve un titre splendide : Les Copains de la belle étoile. Le mot “camarades” viendra plus tard, dans les orages de fer et de feu d'un monde en flammes. Tout est simple. Il lui suffit de faire appel à ses souvenirs, aux visages des ajistes qu'il a connus, à leurs joies, à leurs espoirs, à leurs peines. Tout va commencer le 6 février 1934 sur la place de la Concorde. Deux garçons se rencontrent. L'un est au moins camelot du roi et l'autre militant communiste. Mais ils ont le même âge. Ils en viendront vite à partager la même aventure, celle d'une jeunesse qui comprend qu'il est un style de vie qui transcende toute politique. Tout passe par la révolte contre le monde des nantis, des vieux et des bavards. Pour être belle, la vie doit être simple.
Ce roman, qui est un des très rares livres sur le destin de la jeunesse l'immédiate avant-guerre, ne s’encombre pas d'idéologie. Il y a quel chose d'instinctif, d'animal, chez ces garçons et ces filles qui, brusquement, se cabrent contre la guerre qui vient. Peu de livres sont à la fois aussi violents et aussi pacifistes. La polémique n’en est pas absente, au point que le vieux Saint-Loup hésitait à redonner la parole au jeune Marc Augier. Est-ce à dire que ce récit soit inactuel ? Relire à 75 ans ce qui m'avait tant soulevé d'enthousiasme quand j'en avais 15, est une étrange épreuve. Cette agonie atroce des années trente me semblait alors appartenir déjà à un autre univers. Alors aujourd'hui...
Pourtant, un demi-siècle a passé et ce récit au style direct garde pour moi le même pouvoir d'émotion. Il me semble la vie même, bien que ce ne fut pas ma vie. Puissance de la fiction qui plonge dans la réalité charnelle d’une époque. Ces copains de la belle étoile sont un moment de notre histoire et de notre sensibilité. Je n'hésite pas à placer près des Déracinés de Barrès, autre récit d'un espoir trahi. Que des garçons et des filles de 20 ans puissent désormais avoir de ces années une vision aussi romanesque et aussi “engagée” semble indispensable pour comprendre ce que fut pour leurs grands-parents l'entre-deux-guerres, à l'heure où l'Europe se réveille et marche vers on ne sait quelle étoile.
► Jean Mabire, Le Choc du Mois n°58, nov. 1992.
De quelques écrivains-guerriers
[Ci-contre : couverture du recueil d'entretiens avec de nombreux écrivains-guerriers : Bail, Bergot, Bigeard, Bolloré, Bourdier, Beketch, Guy Des Cars, Figueras, Fleury, Griotteray, Héduy, Holeindre, Jacquemard, Mabire, Saint-Loup, Sergent, Venner, Villemarest. Avec pour chacun, un résumé de sa vie et sa bibliographie]
Ils sont ici un peu moins d’une vingtaine — 2 groupes de combat avec leur équipe de voltige et leur pièce d’appui — qui seraient parfois surpris de se trouver ensemble. Les conflits qu’ils ont vécus se suivent et ne se ressemblent pas, tout au long de ce bref quart de siècle où la France a réussi à perdre 3 guerres et à n’en gagner qu’une seule, dans le sillage d’alliés qui ont fait le plus gros de la besogne. Mais ces hommes, quels sont-ils ? Des écrivains ou des guerriers ? Les 2, tour à tour et parfois en même temps. Remarquons d’abord qu’il y a peu de professionnels. Les guerres modernes ont été tragiquement vécues par ceux dont ce n’était pas le métier. Aussi ne se trouve-t-il qu’un seul saint-cyrien dans cette cohorte : Pierre Sergent. Et encore il intégra Coët en 1944, après avoir été volontaire dans un maquis.
Et Marcel Bigeard ? Mais c’est le type même de l’officier sorti du rang, qui commence sa carrière avec les godillots de 2e classe et la termine avec les étoiles de général. Sans la captivité et surtout sans la Résistance, il serait resté petit employé de banque, peut-être directeur d’une succursale dans une sous-préfecture des marches de l’Est. Bigeard n’en reste pas moins l’exemple même de ceux que les événements ont révélé à lui-même : ce n’est pas un militaire, c’est un soldat. Ce n’est pas un mince compliment. Il ne deviendra écrivain que sur le tard, à l’âge de la retraite (mot qu’il n’aime pas) et des Mémoires. Il y nourrit ses nostalgies guerrières de quelques jugements parlementaires menés, selon son habitude, tambour battant. Son âge lui a permis de participer à toutes les guerres : 39-40, la résistance, 44-45, l’Indo, l’Algérie, sans compter quelques aventures qui ne sont plus qualifiées aujourd’hui «coloniales», mais seulement «extérieures». De tous les guerriers de ce recueil, il reste le plus incontournable et de tous les écrivains, le moins nécessaire. Mais quel personnage !
Ce n’est pas sur une réputation militaire que s’est établie la renommée de Guy des Cars. Cet aristocrate devenu un des champions du roman populaire à gros tirage a pourtant fait, à 30 ans, une entrée fracassante dans la république des Lettres, en 1941, avec un superbe récit, L’Officier sans nom, dans lequel il racontait avec un accent de vérité indéniable ce que fut sa guerre de 39-40. On a trop oublié que l’armée française devait laisser sur le terrain 120.000 tués. Le fameux devoir de mémoire plaçait alors le sacrifice de ces garçons en priorité absolue dans le souvenir de leurs compatriotes. S’ils ne sont pas aujourd’hui totalement oubliés, c’est entre autres à Guy des Cars qu’on le doit. Après cette brève et désastreuse expérience militaire, il devait remiser à jamais son uniforme dans la naphtaline d’une vieille cantine et on ne le verra plus sur un champ de bataille. Mais il représente fort bien l’itinéraire des meilleurs de sa génération. Quant à sa trajectoire d’écrivain, elle est plus honorable que ne veulent l’avouer ces critiques envieux qui l’avaient surnommé «Guy des Gares».
À la même génération appartient Marc Augier. Si sa campagne de 39-40 ne fut guère mémorable, il devait se rattraper par la suite. Militant socialiste et pacifiste du temps du Front populaire, il avait commencé une originale carrière de journaliste, de motard et de campeur, publiant un assez beau récit sur un Solstice en Laponie. Après avoir partagé les espoirs et les rêves de ses camarades des Auberges de la jeunesse, Les Copains de la belle étoile, on le retrouve animateur d’un mouvement d’adolescents au temps de ce qu’on nommait l’Europe nouvelle. Il n’était pas homme à inciter ses garçons à aller se battre en Russie sans s’y rendre lui-même, sous-officier de la LVF et correspondant de guerre. Il en ramènera un court récit, Les Partisans, et une réputation de maudit qui lui collera à jamais à la peau. Pourchassé et exilé en Amérique du Sud, le réprouvé Augier deviendra le romancier Saint-Loup. Sans une indiscrétion sur son passé, il aurait sans doute obtenu le prix Goncourt en 1952. Il fera mieux et réussira à gagner un public vite fanatique d’une œuvre qui doit beaucoup à ses expériences vécues dangereusement.
De la demi-douzaine de garçons qui ont choisi la Résistance et se retrouvent ici, on peut d’abord dire qu’ils étaient jeunes, très jeunes même quand ils ont choisi leur camp, au risque de leur peau. Ils n’avaient rien écrit, sauf quelques dissertations scolaires quand ils se sont lancés dans la bagarre.
Alain Griotteray fut du premier rendez-vous, celui qui lança quelques étudiants devant l’Arc-de-Triomphe par un glacial 11 novembre d’occupation. Cette manifestation trop oubliée fut le prélude d’un mouvement de défi qui porta les plus intrépides vers les maquis. Pierre de Villemarest choisit pour sa part ce massif montagneux, véritable forteresse naturelle qui devait devenir le plus célèbre haut lieu des combattants de la nuit et du brouillard : le Vercors. Pierre Sergent se retrouve en Sologne, soldat sans uniforme, en un temps où les volontaires ne se bousculaient pas, car les occupants tenaient solidement le pays. Il choisit ainsi d’entrer dans la carrière des armes par la porte la plus étroite et la plus rude. Le maquis de Roger Holeindre, ce fut le pavé de Paris où il joua au Gavroche sur les barricades, s’emparant de haute lutte d’une mitrailleuse ennemie et gagnant à jamais le droit d’ouvrir sa gueule quand poussèrent comme champignons les fameux «résistants de septembre», une fois l’orage de feu apaisé. André Figueras réussit à fuir le pays occupé et à rejoindre l’armée régulière, ce qui lui valut de revenir au pays pistolet-mitrailleur au poing et coiffé du béret noir des commandos. Sergent, comme les 4 autres, a vécu assez pour se faire traiter de «fasciste» par ceux qui arborent à la boutonnière le triangle rouge des déportés politiques devenu l’insigne de «Ras l’front», plus d’un demi-siècle après la fin de la dernière guerre, tout danger écarté.
Parmi les 177 Français qui débarquèrent de vive force sur les côtes normandes à l’aube du 6 juin 1944, se trouvait un garçon de 19 ans. Ce jeune Breton de Cornouailles avait déjà réussi un exploit en rejoignant l’Angleterre à bord d’un minuscule rafiot à voile. Il se nomme Gwen-Aël Bolloré et sert alors comme quartier-maître infirmier. Une belle carrière l’attend : chef d’entreprise, océanographe, éditeur, poète, romancier, mémorialiste. L’ancien du commando Kieffer sera lié avec toutes les personnalités de la république des Lettres. Mais son plus grand titre de gloire est d’avoir défié le pouvoir, en s’en prenant au général-président, dont il n’approuvait guère la politique algérienne. Il avait montré du courage et du talent. Il devait prouver alors qu’il avait aussi du caractère, chose surprenante chez un personnage aussi convivial.
Ceux pour qui la résistance — la vraie — prenait fin avec la défaite du IIIe Reich et le jugement de Nuremberg, n’en avaient pas fini avec le combat. En Extrême-Orient, une guerre s’allumait. Les Viets arboraient l’étoile des anciens alliés soviétiques. La croix gammée fracassée, cette étoile devenait pour eux le symbole de l’ennemi. Pas question de se mettre à écrire tranquillement. Des volontaires partaient à l’autre bout du monde. Les meilleurs servaient dans les parachutistes, vite légendaires. On allait y retrouver nos anciens résistants : Holeindre avec le béret rouge des paras coloniaux et Sergent avec le béret vert des légionnaires paras.
Bientôt les rejoint un jeune sous-lieutenant qui devait devenir, quelques années plus tard, le plus célèbre des écrivains guerriers, garçon qui fit ses universités à Diên Biên Phu. Il se nommait Erwan Bergot. Comme tous ses camarades d’aventure indochinoise, il allait être marqué par ce «mal jaune», grande nostalgie maladive du Sud lointain. Servant comme chef de section dans les rangs du bataillon Bigeard, il se révélera le meilleur parmi les meilleurs. Une promotion de l’école des élèves-officiers de réserve de l’école d’Infanterie de Montpellier portera un jour son nom. Les jeunes aspirants qui ont choisi ce patron se réclamaient à la fois du combattant et de l’écrivain, car il fut l’incarnation exemplaire de ces 2 vocations exigeantes.
L’année même où tombaient l’un après l’autre les pitons aux noms de femmes disséminés dans la sinistre cuvette choisie par le haut-commandement, un autre feu s’allumait en Algérie. Bigeard devait y construire sa légende tout au long de la «piste sans fin» où progressaient ses léopards, l’index crispé sur la queue de détente de leur MAT 49. Un jour, devenu général, député, ministre, il écrira des livres. Pour le moment, c’est sur le terrain qu’il se veut maître et seigneur. Cette guerre, où combattent côte à côte gens de métier et gars du contingent, va être la grande aventure de toute une nouvelle génération. Seuls les aînés comme Holeindre ou Sergent ont connu la résistance et seul Bergot — comme son chef Bigeard — a vécu l’enfer des camps viets, où la mortalité était pire qu’à Dachau ou à Tambow. Leurs camarades, futurs écrivains, mais provisoires combattants, sont des garçons dont ce n’est pas le métier de se battre, mais qui vont se débrouiller aussi bien que leurs aînés des maquis et des rizières. Rien ne distingue, sur les superbes photos prises par l’officier marinier René Bail, ancien de l’Aéronavale, les appelés et les professionnels. Ils portent la même tenue camouflée, ils ont le même visage ruisselant de sueur sous la casquette de combat. Dans cette armée qui passe ses nuits et ses jours dans les djebels, rien ne sépare les gradés de leurs hommes. Ils partagent tout. Et la soif et la peur et le froid (« L’Algérie est un pays froid où le soleil est chaud », disent les anciens). Ils vivent en plein vent, dans la caillasse et la boue, dans le sable et les ronciers. Finalement, ils ont le même âge ou presque et se ressemblent étrangement en cette fin des années 50 de notre siècle. Les soldats d’outre-Méditerranée sont alors en train de durement gagner sur le terrain, tandis que d’autres à Paris vont jeter la crosse après le fusil, comme on jette le manche après la cognée. Cette défaite programmée fera d’eux des rebelles et même des hors-la-loi, marqués à jamais par cette expérience tragique du courage et de la peur, où ils ont vu tomber pour rien les meilleurs de leurs camarades.
Ce fut une sacrée équipe que celle de ces soldats plus ou moins perdus, dont les chemins par la suite ne vont cesser de se croiser et de se recroiser. En voici une demi-douzaine, dont l’amertume et la lucidité ne vont pas faire oublier les dures joies de la camaraderie et de l’enthousiasme. Nous les découvrons côte à côte, une dernière fois, sur cette terre d’Algérie (et de Tunisie pour l’un d’eux) qui les a tant marqués : le quartier-maître de fusiliers marins commandos Georges Fleury, le brigadier de chasseurs d’Afrique Jean Bourdier, le sergent de chasseurs à pied Dominique Venner, le lieutenant de tirailleurs Philippe Héduy, le lieutenant d’alpins Jean Mabire. À eux 5, appelés ou rappelés, ils incarnent des vertus militaires que ne désavouèrent pas le «vieux» briscard parachutiste Roger Holeindre qui n’a guère soufflé depuis la Résistance et poursuit en Algérie les opérations de commando inaugurées en Indochine. Leurs chansons, leurs crapahuts, leurs combats impressionnent fort un garçon plus jeune qu’eux, fils et petit-fils de soldats, marqué au fer rouge par la disparition en Indochine de son père, un légionnaire d’origine russe. Ainsi, par le privilège du sang versé par les siens, Serge de Beketch figure ici à côté de ses aînés. Tout comme le romancier Serge Jacquemard, très jeune témoin des atrocités de plusieurs guerre : celle d’Espagne où ses parents furent pris en otage, celle de l’Occupation et de ses rigueurs et celle du coup d’État en Indonésie qui porta Suharto au pouvoir pour plusieurs décennies. S’il ne fut pas véritablement guerrier lui-même, sa rencontre avec le Bat’ d’Af’ Maurice H. influencera une grande partie de son œuvre.
Et puis, pour beaucoup, ce sera le retour, le retour écœurant dont parlait Pierre Mac Orlan. Viendront le complot, l’aventure, la prison, l’exil, ce qu’ils nomment parfois «la politique» et qui n’est pour eux qu’une nouvelle manière de se battre. Ils ne seront pas des journalistes ou des écrivains «comme les autres». Leurs articles ou leurs bouquins gardent toujours l’empreinte de combats vécus avant d’être rêvés. Ils sont à jamais différents du monde des civils, méprisant cette «civilisation» qui a voulu transformer les centurions en boutiquiers. Ils ne marchent pas dans la société marchande. Ils sont à jamais libérés du libéralisme. Ils savent que la vie est une lutte et que toutes les armes comme toutes les ruses y sont bonnes. Ils ne croient pas plus à la droite qu’à la gauche. Ils savent que la première des consignes, dans la paix comme dans la guerre, est de garder ses distances… Ils étaient des soldats d’occasion. Ils ne sont pas vraiment sûrs d’être des écrivains de métier. Ils savent seulement qu’il n’est plus possible de tricher. Leur encre aura toujours le goût du sang.
► Jean Mabire, préface à : Ils ont fait la guerre, P. Randa, Dualpha 2005.